Le Centenaire (O. C. Élisa Mercœur)
Il dégage ses mains des chaînes de la terre. |
Élisa Mercœur. |
Le poids de tout un siècle a fatigué sa tête ;
Que de jours sont passés (soit de deuil ou de fête)
Depuis que dans son sein est enfermé son cœur !
Combien d’êtres, hélas ! qui passaient sur sa route,
Avant lui parvenu au terme qu’on redoute,
Ont délaissé le voyageur !
Oublié par le temps, ruine de soi-même,
Cherchant en vain quelqu’un qui le comprenne ou l’aime ;
Du naufrage des ans il n’a sauvé que lui.
Tour à tour dans son cœur laissant leur place vide,
Pour adieu, sur son front, imprimant quelque ride.
Toutes les passions ont fui.
Enfant, il avait ri dans les bras de sa mère ;
Car ce n’est pas au bord que la coupe est amère ;
Dans le monde, plus tard, lorsqu’il s’est élancé.
Quand son âme rêvait d’honneur, d’amour, de gloire,
Il a cru… Maintenant, même de sa mémoire.
Chaque songe s’est effacé.
Il a vu le délire affecter la sagesse ;
Il a, soit dans sa force ou soit dans sa faiblesse,
Vu tout homme ici-bas sur soi-même abusé ;
Il a vu qu’en tout lieu d’un masque on se recouvre ;
Que ce n’était jamais que quand la tombe s’ouvre
Que le masque était déposé.
C’est quand on a vécu qu’on sait ce qu’est la vie,
Que l’on voit le néant des biens que l’on envie,
Que, fatigué du jour, on n’attend que le soir.
Désenchanté de tout, lorsque la nuit arrive,
À quel banquet encore, et près de quel convive,
Le vieillard pourrait-il s’asseoir ?