Aller au contenu

Le Centurion/02

La bibliothèque libre.
L'Action sociale (p. 6-8).

II

LES BORDS DU JOURDAIN


caïus oppius à tullius


Je viens de côtoyer le Jourdain jusqu’à la mer Morte, du côté oriental, à travers les montagnes de la Pérée. C’est beaucoup plus sauvage que la rive occidentale, et bien plus pittoresque.

La mer Morte et celle de Génézareth ressemblent à deux larges coupes remplies jusqu’aux bords par le même fleuve. Mais combien elles sont différentes d’aspect ! Celle-ci est gracieuse, riante, parfumée comme la coupe de l’amour, et ses eaux douces fertilisent et fleurissent ses rivages. Celle-là est remplie d’une eau bitumeuse et amère comme la coupe de la haine et de la colère d’un Dieu ! Vainement, le Jourdain y verse son urne à flots pressés ; il s’y engloutit comme dans un gouffre, et il n’en sort plus. Son onde sacrée et bénie qui répand la prospérité dans la Galilée, semble devenir une eau maudite en tombant dans la mer Morte, et sème la désolation et la mort sur ses rivages déserts.

C’est un phénomène vraiment curieux que cette mer, et il me paraît bien difficile d’expliquer son origine sans recouvrir aux Livres Juifs, lesquels racontent que dans un jour de colère, il y a près de quinze siècles Jéhovah a creusé cet abîme pour y engloutir cinq villes pécheresses.

J’ai vite tourné le dos à cette terre désolée, et je suis revenu avec bonheur au bord de mon beau lac de la Galilée, en suivant la côte occidentale du Jourdain.

De ma fenêtre, je contemple une gracieuse petite baie, creusée entre deux côteaux, comme une amphore à deux anses ; et, quand vient la nuit, les petites barques aux blanches voiles viennent s’y blottir, tandis que Vénus, accoudée à son céleste balcon y mire ses diamants.

Toutes nos divinités champêtres auxquelles la population ne croit pas, prodiguent ici leurs bienfaits et leurs richesses avec une libéralité qu’elles n’ont pas pour nous qui leur décernons un culte, très peu convaincu, du reste.

J’ai importé de Rome en Palestine mes dieux Lares. Ils sont groupés autour d’un petit autel sur lequel j’entretiens le feu sacré. Ils sont les seuls auxquels je garde encore un reste de foi. La flamme qui monte de ce foyer, et que je contemple dans mes rêveries du soir parle encore à mon âme. Elle est vivante, elle brille, elle éclaire, elle s’élève jusqu’au dessus de ma demeure, comme pour m’indiquer qu’il y a un séjour meilleur au delà de cette terre que nous habitons. Vesta, la grande Vesta, voilà la divinité que je préfère parce qu’elle est pure, parce qu’elle est vierge.

Ne me parle plus de Vénus et d’Apollon. Leurs statues ornent ma maison ; mais si elles n’étaient pas des objets d’art, par Jupiter ! je les vendrais, non pas aux Juifs qui les ont en horreur, mais aux commerçants grecs.

Sur les deux rives du Jourdain que je viens de parcourir, on m’a parlé partout de la religion nouvelle que le prophète de Nazareth prêche aux Galiléens. Mais la foule est moins impressionnée par ses enseignements, que par les prodiges qu’il accomplit partout où il passe. J’ai bien hâte de le voir, et surtout de l’entendre, afin de savoir quelles doctrines religieuses il apporte au monde

Vale. 10 novembre 780. Magdala.