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Le Centurion/03

La bibliothèque libre.
L'Action sociale (p. 8-10).

III

VÉNUS OU VESTA ?


caïus oppius à tullius


À mon départ de Rome, tu me disais que je rencontrerais sans doute ici quelque séduisante Asiatique, ou quelque belle Juive qui saurait embellir mon exil, et tu prétendais être le dépositaire obligé de mes confidences à ce sujet.

Eh ! bien, mon cher ami, si je t’écris en ce moment, c’est moins pour t’assurer de mon amitié que pour te raconter un commencement d’aventure qui pourrait devenir une délicieuse idylle, ou un drame.

Est-ce Vénus qui veut me punir de l’avoir méprisée dans la dernière lettre que je t’ai écrite ? Ou bien, est-ce Vesta qui veut me récompenser d’avoir fait son éloge ? Je n’en sais rien encore ; j’incline à croire cependant que ce n’est pas une prêtresse de Cythère, mais bien plutôt une vestale, que j’ai rencontrée il y a deux jours.

Je revenais à cheval d’une course à Tibériade, lorsque j’aperçus dans une avenue qui conduisait à une élégante villa une jeune femme ou fille, accompagnée de sa suivante, gravissant la colline à pas précipités. Je compris qu’elle fuyait effrayée devant un jeune homme, qui courait après elle, et qui allait l’atteindre. En bon policier, je volai à son secours, et je n’eus qu’à tirer mon épée pour que l’importun prit la fuite.

Elle me remercia en termes émus, et je la reconduisis jusqu’à sa porte. Elle m’invita à entrer, mais en levant à peine les yeux sur moi. Je déclinai l’invitation et pris congé, en sollicitant la faveur d’aller prendre de ses nouvelles. Mais elle ne répondit rien, et quand j’y suis allé hier, je n’ai pas été reçu.

Mon cher ami, tu me connais : Je ne suis ni exalté, ni enthousiaste, ni inflammable. Eh ! bien, cette femme m’a fasciné ; et, ce qui te semblera étrange, sans le vouloir ; il m’a semblé même quelle voilait l’éclat de son regard pour paraître à mes yeux une femme ordinaire.

Tu vas penser sans doute que c’est le comble de l’habileté ; mais je crois plus à sa candeur et à son honnêteté qu’à la vertu de nos vestales.

C’est la plus belle juive que j’aie rencontrée en Orient. Elle est brune, de belle taille, svelte et élégante ; son buste est digne de Vénus. Ses yeux noirs profonds voilent un feu sombre ; ils ressemblent à ces yeux de marins qui à force de contempler la mer et le ciel leur ont emprunté des lueurs d’abîme et des éclairs d’orage. Je parie que sa chevelure abondante descend jusqu’à ses pieds quand elle la déroule.

Qui est-elle ? Quelle est son histoire ? Pourquoi vit-elle seule avec des domestiques ? Je n’en sais rien ; mais je le saurai. Pour le moment, j’affirme qu’elle est belle, distinguée, séduisante, et qu’elle ne paraît pas le savoir, ou ne veut pas qu’on le lui dise.

À bientôt,

12 décembre, 780 — Magdala.