Le Château aventureux/52

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LII


Il alla tant sur son destrier qu’il arriva dans une vallée où coulait un fleuve plus courant que la Loire ; et là, sur un rocher, au bord de l’eau, s’élevait un fort château. Un prud’homme, vêtu d’une robe d’hermine, s’ébattait sur le pont-levis avec deux damoiseaux, tenant par contenance un bâtonnet à la main. Perceval vint à lui et le salua de son mieux.

— Sire, dit-il ensuite, ainsi m’enseigna ma mère.

— Dieu te bénisse, beau frère ! répondit le prud’homme qui vit bien sa simplicité. D’où viens-tu ?

— De la cour du roi Artus, qui m’a fait nouveau chevalier.

— Chevalier ? Mais ces armes, qui t’en fit don ?

— Le roi.

Et Perceval conta comment il les avait eues.

— Ha ! Et que sais-tu faire de ton destrier ? continua le prud’homme.

— Tout ! Je sais le faire courir aussi bien que mon petit cheval de chasse, que ma mère m’avait donné à la maison.

— Et vos armes, bel ami, savez-vous vous en servir ?

— Certes ! Je sais les mettre et les ôter ; et je les porte si aisément qu’elles ne me gênent pas du tout.

— Mais quel soin vous amène par ici ?

— Sire, ma mère m’a enseigné d’aller vers les prud’hommes où qu’ils fussent, et de croire tout ce qu’ils me diraient : quand je vous ai vu, je suis venu.

— Eh bien, bel ami, descendez !

L’un des deux valets prit le destrier, et l’autre désarma Perceval, de manière qu’il demeura vêtu de ses grossiers habits à la mode de Galles. Alors le prud’homme se fit chausser les éperons tranchants, monta sur le cheval, empoigna la lance. Puis il montra au damoisel comment on doit tenir l’écu par les poignées et s’en couvrir jusqu’au cou du destrier, déployer l’enseigne, mettre la lance sur le feutre, et, brochant des éperons, il fit un galop d’essai, puis revint l’arme basse. Et Perceval émerveillé s’écria qu’il ne désirait pas tant de vivre un jour de plus ou d’avoir tous les trésors du monde, que de savoir faire cela.

— Ce qu’on ignore, on peut s’en instruire, beau doux ami, dit le prud’homme. Et vous n’êtes pas à blâmer, car à tout métier il faut apprentissage. Je vous enseignerai, si vous voulez.

Le valet consentit avec joie, et chaque jour, durant six mois, le prud’homme lui fit porter l’écu, pointer la lance, frapper de l’épée : et comme tout cela lui venait de Nature, Perceval en sut bientôt autant que s’il eût passé sa vie à tournoyer et guerroyer. En même temps, son maître lui montra beaucoup des belles manières de cour. Mais, après ce temps, Perceval demanda son congé. Et voyant qu’il ne pouvait le retenir, le prud’homme lui fit cadeau d’une chemise, de braies, de chausses très riches et d’une cotte dont le drap venait de l’Inde ; puis il lui dit :

— Beau frère, il convient maintenant que vous alliez à la cour du roi Artus et que vous le priiez de vous armer chevalier. Et souvenez-vous de ce que je vais vous dire. Quand vous aurez vaincu un chevalier, s’il s’avoue outré, accordez-lui toujours merci. Et ne soyez pas trop bavard, car celui qui parle beaucoup, il lâche souvent des mots qu’on lui tourne à vilenie : qui jacasse commet péché, dit le sage ; mieux vaut bon silence que folle parole. Secourez toujours les dames et les demoiselles, mais, sur toutes choses, gardez de corrompre votre chasteté. Enfin, allez souvent dans les églises pour prier Dieu qu’il vous garde en ce siècle et vous protège.

— Soyez béni, beau sire ; vous me répétez ce que ma mère m’a enseigné.

— Beau doux frère, ne dites plus jamais : « Ma mère m’a appris ceci ou enseigné cela. » Vous n’êtes pas à blâmer de l’avoir dit jusqu’à présent ; mais, désormais, gardez-vous-en. Maintenant, allez à Dieu ! Qu’il vous conduise !

Et Perceval se mit en chemin, suivi d’un écuyer qui portait ses armes et menait en main son destrier.