Le Chaland (Verhaeren)
LE CHALAND
Le batelier promène
Sa maison naine
Et glisse
Tranquillement sur le chemin des eaux.
Cloisons rouges et porte verte,
Et frais et blancs rideaux
Et deux baquets et un tonneau ;
Et dont l’écho renvoie
Sa maison naine
Sur les canaux
Qui font le tour de la Hollande,
Il a passé par Lierre et par Malines,
Et le voici qui s’en revient des landes
Par tas plus hauts que sa maison :
Sacs de pommes vertes et blondes,
Fèves et pois, choux et raiforts,
Et quelquefois des seigles d’or
Que traversent l’Escaut, la Lys,
Il fredonne les petits airs de fête
Et les tatillonnes chansons
Qu’entrechoquent, en un tic-tac de sons,
À Bruges ;
Quai des Bouchers et quai des Tisserands,
À Gand ;
Quai du Rempart de la Byloque,
Quai aux Sabots et quai aux Loques,
Quai des Carmes et quai des Récollets,
L’ont vu passer, en se courbant le front,
Sous les arches anciennes
De leurs grands ponts ;
Et la Durme, à Tilrode, et la Dendre, à Termonde,
L’ont vu, la voile au clair, faire sa ronde
Qui tous reflètent leurs visages
La pipe aux dents,
D’un coup de rein massif et lent,
Il manœuvre son gouvernail oblique ;
Il s’imbibe de pluie, il s’imbibe de vent,
Et son bateau somnambulique
S’en va, le jour, la nuit,