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Le Chalet des sapins/11

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Texte établi par Bibliothèque d'éducation et de récréation, J. Hetzel et Cie (p. 124-141).

XI

Après une heure de voyage, voici que les spirales de fumée, qui flottaient dans l’air comme un brouillard, nous annoncent enfin le feu des charbonniers.

Les grandes meules bien abritées, du vent s’élevaient les unes à côté des autres, semblables à d’énormes pains de sucre noirs comme de la suie. Au centre de ces meules recouvertes de terre et de fumier, et ne communiquant avec l’extérieur que par un mince tirant d’air, le bois se consumait lentement sous l’action d’une chaleur douce, et de temps en temps les charbonniers venaient s’assurer si tout allait bien.

Ces charbonniers étaient des nomades qui ne demeuraient pas toujours au même endroit. Non loin de là, leurs cabanes, de misérables huttes de branchages à peine fermées au vent et à la pluie, abritaient leurs provisions et leurs instruments de travail. Je les vois encore avec leurs visages barbouillés de suie, leurs dents blanches et leurs yeux que le contraste de leur peau noire faisait étinceler. Au demeurant, de braves gens et de bons ouvriers qui, en apercevant mon père, ôtaient respectueusement leurs bonnets de laine et n’attendaient pas ses questions pour lier conversation.

Nous nous étions rapprochés ; mais mon père, après quelques paroles sans importance sur le but de la visite, avait pris à part le chef de la troupe, un vieillard qui, dans toute sa personne, n’avait de blanc que les cheveux, et il lui parlait à voix basse, tandis que les autres faisaient cercle autour d’eux, en attendant la fin de ce mystérieux entretien.

La conversation se prolongea pendant plus de vingt minutes, et l’inquiétude commençait à nous gagner, quand mon père se retourna tout à coup vers nous :

« Qui veut un cadeau, dit-il, une belle canne de bois sculpté, par exemple ? Parlez, les enfants, vous n’avez qu’un seul mot à dire. »

Chacun de nous leva la main et souligna le geste d’un : moi ! énergique.

« Eh bien ! attendez un moment. Nos amis les charbonniers en ont à revendre. Vous n’avez que l’embarras du choix. »

Le vieux charbonnier se détacha du groupe de ses compagnons, entra dans l’une des cabanes et en ressortit l’instant d’après, apportant dans ses mains un assortiment de cannes vraiment magnifiques. Il y en avait de toutes les tailles et de tous les bois, les unes en sapin, les autres en chêne ou en bois de houx ; chacune se terminait par une poignée sculptée avec un art surprenant et qui représentait soit un minois d’écureuil, soit une hure de sanglier, soit encore une couleuvre enroulée autour du bâton.

Nous nous extasiions devant ces sculptures, où la nature était prise sur le fait avec une vérité singulière.

« Ce sont là les petits métiers de la forêt, nous dit mon père ; pendant que le bois brûle à petit XI

CES BRAVES GENS NE RESTENT PAS INOCCUPÉS.
feu dans la meule, ces braves gens ne restent pas inoccupés. — Montrez-leur donc votre couteau, » ajouta-t-il en s’adressant au charbonnier.

Ce couteau était un méchant outil qui ne valait guère plus d’une vingtaine de sous, et dont la lame, à force d’être aiguisée, était devenue mince comme un poinçon.

« Voilà ce qui suffit à des doigts habiles, aidés d’un goût naturel, reprit mon père, pour faire ces petits chefs-d’œuvre. Allons, mes enfants, décidez-vous, il est temps de partir. »

Choisir, c’était bientôt dit. Chacune de ces cannes nous paraissait merveilleuse, et nous ne nous lassions pas de les tourner et de les retourner entre nos mains. Enfin Marguerite se décida pour l’écureuil ; je pris la couleuvre, et Maurice, en sa qualité de Poucet de la bande, choisit naturellement la hure de sanglier, qui était presque aussi grosse que son poing.

Jugez de nos remercîments ! Mon père se joignit à nous et trouva discrètement le moyen d’acquitter notre dette par un témoignage de satisfaction plus expressif encore, car ces charbonniers ont peine à gagner leur vie, et ce n’était que justice de les payer autrement qu’en paroles.

Nous étions si heureux de heurter les cailloux de la route du bout de nos superbes cannes, que nous ne songions pas plus aux bohémiens que si ces misérables vagabonds n’eussent jamais existé. Ce fut mon père qui ramena le premier l’entretien sur ce sujet.

« Nous allons de ce pas, nous dit-il, à la maison forestière de Christian Baüer, où vous trouverez à goûter, en attendant le dîner de la maison. Rassurez-vous : il y a en effet des bohémiens au Ban de la Roche ; ils ont même eu l’audace de descendre il y a huit jours jusque dans la vallée de la Magel ; mais Christian Baüer se chargera de prévenir les autres gardes forestiers, et, quand ces rôdeurs de grand chemin se verront suivis de près, ils ne tarderont pas à prendre leur volée vers les bords du Rhin. »

Ce que disait mon père aurait dû me délivrer de toute inquiétude, et pourtant un secret pressentiment m’avertit qu’il n’avait pas voulu nous faire part de tout ce qu’il avait appris. Je vis bien que Marguerite était de mon avis. Au lieu de continuer la conversation, mon père marchait silencieusement à nos côtés, et l’expression de son visage décelait de sérieuses préoccupations.

Mes soupçons se changèrent en certitude quand, une heure après, nous nous assîmes autour de la table de Christian Baüer, et lorsque sa femme, la vieille Marie-Anne, posa devant nous une grande jarre de crème douce, du pain, du beurre et une corbeille de bonnes petites fraises des bois. Mon père nous laissa faire honneur à ce goûter improvisé ; il s’assit sur un banc, au fond de la chambre, à côté du forestier, et s’était mis à lui parler à demi-voix avec beaucoup d’animation, quand Marguerite lui demanda s’il ne voulait rien prendre :

« Mangez à votre aise, mes chers petits, nous dit-il ; nous avons une bonne demi-heure à passer ici, et je ne prendrai rien avant d’être de retour à la maison. »

Le retour au chalet fut silencieux et triste. Nous commencions à nous ressentir de la longueur de notre promenade, et le dîner fut vite expédié. Quand Gottlieb eut enlevé la nappe, mon père lui fit signe de rester, et il nous souhaita le bonsoir.

Cependant Marguerite hésitait à s’en aller. Le silence de notre père lui donnait à penser ; elle se risqua enfin, et, d’une voix timide :

« Eh bien, père, qu’as-tu décidé pour Zaféri ? Es-tu toujours d’avis de l’envoyer aux coupes, comme nous le lui avons promis ?

— C’est juste, répondit-il, et j’allais en parler à Gottlieb. Voici ce que j’ai décidé : Zaféri fera son apprentissage à l’entrée du bois, avec nos bûcherons. Le Nideck est décidément trop éloigné de nous ; il serait imprudent de perdre dès aujourd’hui cet enfant de vue. Là-dessus, bonsoir ; ne m’en demandez pas davantage. »

Mon père avait pris la voix brève qui lui était habituelle quand il voulait couper court à des questions importunes. Marguerite n’insista point, et elle sortit avec nous de la salle à manger, en laissant notre père en tête-à-tête avec Gottlieb.

Dès le lendemain, en effet, Zaféri fit ses débuts dans son nouveau métier. Chaque matin nos bûcherons l’emmenaient au bois avec eux, et de temps en temps Gottlieb allait leur rendre visite dans la journée.

Ce n’était pas assez que de lui procurer une occupation de son goût. Jusqu’ici Zaféri avait vécu avec les garçons de la ferme. Il dormait dans le dortoir commun, il mangeait à la cuisine, et l’on a vu que les rebuffades ne lui manquaient pas. Mon père avait eu beau le prendre sur un ton sévère ; ces paysans grossiers ne pouvaient pas admettre qu’entre un bohémien et eux il y eût égalité. Les préjugés sont inexorables à la campagne. Ne pouvant s’amuser ouvertement aux dépens du pauvre garçon, ils avaient eu recours à une guerre sourde dont Zaféri souffrait depuis son entrée dans la maison, mais toujours sans se plaindre.

À partir de ce jour, mon père voulut qu’il eût une chambre séparée, située à côté de celle de Gottlieb. Marguerite ne fut plus seule à s’intéresser au sort de son protégé. Elle se rencontra avec mon père pour lui rendre la vie aussi douce que possible, et bientôt Zaféri devint plus communicatif. Au lieu de se laisser arracher les paroles une à une, il répondait sans embarras et ne refusait pas, le soir venu, de se mêler à nos jeux. L’oiseau commençait à s’apprivoiser.

Cependant ce sujet d’observation qui, quinze jours auparavant, eût absorbé notre curiosité tout entière, ne nous empêchait pas d’être singulièrement émus de ce qui se passait à la maison. Depuis notre promenade au chantier du Nideck et dans la vallée des charbonniers, les allures de mon père avaient changé inopinément. Jusqu’alors sa vie avait été réglée d’une façon mathématique. Il s’en allait chaque jour, après midi, jeter un coup d’œil sur les coupes, inspecter les scieries de la vallée, ou rendre quelques visites à nos amis de Niederhaslach. Il revenait à la maison vers six heures, l’appétit aiguisé par la promenade, heureux de se reposer avec nous et de passer la soirée à causer sous la lampe, dans son cabinet du premier étage, ou, quand le temps était beau, à faire un tour ou deux dans le jardin.

Or voilà que tout à coup mon père interrompit ses excursions. Sitôt le déjeuner fini, il s’enfermait dans son cabinet de travail et n’en sortait plus qu’à l’heure du dîner.

Le premier jour de ce changement, il ne reçut que la visite du père Girolt ; mais l’entrevue dura près de trois Heures, et, le lendemain, le père Girolt revint accompagné de deux gardes de la montagne du Nideck, Christian Baüer et Nicolas Burkardt. Puis ce fut le tour de tous les forestiers des bois environnants ; il en venait de Grendelbruch, du Champ du Feu et jusque de la grande forêt de Dâbo. Tous ces gens restaient de longues heures enfermés avec mon père : la discussion était bruyante ; nous entendions du jardin le bruit de leurs voix, et, de temps à autre, mon père ouvrait la fenêtre.

« Holà ! Marguerite, apporte-nous une bouteille de vin blanc. »

Ou bien encore :

« Va-t’en dans ma chambre à coucher et cherches-y mon pot à tabac. S’il est vide, remplis-le ; tu trouveras ma blague dans le premier tiroir de la commode. »

Marguerite nous racontait alors qu’elle avait trouvé les gardes assis autour de la table : mon père présidait. Quand elle entrait, tout le monde se taisait. Ils restaient ainsi toute l’après-midi à boire et à fumer. Puis, quand ils se décidaient enfin à partir, et que nous les voyions défiler dans la grande allée du jardin, ils avaient l’air soucieux. Mon père les accompagnait jusque sur la route, et ils se séparaient en disant : « À bientôt. »

Bientôt, c’était le lendemain. La maison ne désemplissait pas. Nous ne savions plus que penser de ce changement extraordinaire dans les habitudes de notre père. Il fallait que la conversation de ces gens eût un grand intérêt pour qu’il renonçât ainsi tout à coup à sa vie au grand air et à la surveillance de ses travaux.

Un jour pourtant, l’après-midi se passa tout entière sans qu’un seul visiteur vînt sonner à la porte d’entrée. Mais à dix heures, au moment où les yeux de Maurice commençaient à se fermer, au moment où nous allions gagner nos lits, Nestor et Fox se mirent à aboyer avec force, et la clochette de la grande porte se fit entendre.

Marguerite se leva en sursaut.

« Mon Dieu, dit-elle, qui peut venir si tard ? » Mon père, qui était resté silencieux toute la soirée, étendit la main comme pour calmer ses inquiétudes, et, sans se déranger :

« Conduis les petits dans leur chambre, Marguerite. Gottlieb va ouvrir. Je sais ce que c’est. »

Notre éducation nous avait appris à ne pas importuner notre père de questions indiscrètes. Mais, le temps de lui dire bonsoir, de ramasser nos livres d’études et de gagner la porte, les visiteurs annoncés montaient déjà l’escalier. La bougie que tenait Marguerite éclairait la rampe, et, dans la demi-clarté qu’elle projetait, nous vîmes apparaître deux hommes que précédait Gottlieb et qui gravissaient avec peine les marches de l’escalier.

Je pus m’assurer alors que ce n’étaient cette fois ni des gardes forestiers ni des paysans. Les nouveaux venus étaient revêtus d’un accoutrement bizarre, une blouse bleue et des bottes de soldat ; dans ces bottes était fourré un pantalon à bande ; un bonnet de police coiffait leur tête. Ils avaient l’air exténué, et, quand ils furent arrivés devant la porte, où mon père les attendait, Gottlieb dut s’arrêter pour les laisser respirer.

Au risque d’être grondés si mon père nous avait surpris, nous étions restés immobiles sur l’escalier.

Je voulus parler, mais j’avais à peine ouvert la bouche que Marguerite m’interrompit.

« Chut ! dit-elle, père sait ce qu’il fait, et nous n’aurions pas dû nous arrêter. Bonsoir. »

La matinée du lendemain s’écoula sans incident. Mon père nous fit réciter nos leçons ainsi que de coutume, et le déjeuner se passa silencieusement. Seulement, au moment où nous allions jouer au jardin :

« Édouard, me dit mon père, et toi aussi, Maurice, écoutez-moi bien. Je vais vous priver d’un grand plaisir ; mais il le faut. »

Il y eut un moment de silence. Nous attendions, plus curieux encore que véritablement inquiets.

« À partir d’aujourd’hui, reprit-il, vous n’irez plus seuls dans la vallée, ni surtout dans la forêt ; ce sera ainsi jusqu’à nouvel ordre. »

Et ce fut tout.

Que s’était-il donc passé ? Le souvenir de ses prédictions, le jour de sa visite aux charbonniers, me revint à l’esprit. — « Il est possible, nous avait-il dit, que d’ici à une quinzaine de jours, vous soyez forcés de ne pas dépasser les limites de la vallée, et, qui sait ? de ne pas sortir du jardin. » Ces tristes prévisions s’étaient donc réalisées !

Je n’osais rompre le silence ; mais Maurice était d’un âge où la mémoire est courte.

« Tu sais, père, dit-il d’une voix plaintive, que nous ne sommes pas sortis depuis huit jours ! C’est pourtant bien long, huit jours, et il fait justement si beau aujourd’hui ! »

Mon père ne parut pas touché le moins du monde de ce semblant de reproche.

« C’est précisément parce que vous avez eu le bon esprit de rester à la maison toute la semaine que je n’ai pas parlé plus tôt. Huit jours plus tôt, huit jours plus tard, cela revient au même. Ce n’est pas une punition, c’est le principal. Et ne vous plaignez pas. Si les enfants des villes, si de petits Parisiens avaient pour prison un jardin comme le nôtre, ils se croiraient en Paradis. »

Il n’y avait pas à répliquer. Le pauvre Maurice avait le cœur bien gros ; mais en pareille circonstance, quand on a la prétention d’être de petits hommes obéissants, le meilleur parti à suivre est de s’y résigner et de n’y plus penser.

Nous allions donc sortir dans le jardin, puisque la forêt nous était interdite, et nous avions déjà franchi la porte quand notre père nous rappela.

« Si vous avez tant envie de vous promener, dit-il, je vous permets d’aller jusqu’au chantier, mais pas plus loin. Vous me direz comment Zaféri se tire d’affaire avec ses amis les bûcherons. Gottlieb vous accompagnera.

— Ce n’est pas très-loin, le chantier, petit père, dit Maurice, et si Gottlieb est occupé…

— S’il est occupé, vous attendrez à demain. Une fois pour toutes, je vous défends de sortir seuls. Est-ce dit ? »

C’était dit, et la voix de mon père montrait bien qu’il avait ses raisons pour parler ainsi.

Il se trouva que Gottlieb était libre. Marguerite voulut être de la partie. Les occupations du ménage ne lui laissaient guère de loisirs, et ce fut pour-elle une véritable fête de nous accompagner.

Nous suivîmes la vallée jusqu’à la troisième scierie, et là nous prîmes un chemin qui grimpait, assez lestement, je dois le dire, jusqu’à la futaie que nos bûcherons étaient en train d’abattre. Bientôt la voûte s’éclaircit. Nous touchions au sommet : deux pas encore, et voici la coupe.

Ce spectacle, qui n’était pas entièrement nouveau pour elle, avait cependant toujours le don d’intéresser Marguerite. Elle regardait d’un œil de pitié ces pauvres arbres mutilés, déjà privés de leurs branches. Une dizaine de bûcherons s’occupaient à l’œuvre : les uns façonnaient le bois de chauffage, les autres procédaient à l’enlèvement des écorces. Deux robustes gaillards, armés d’une longue scie à deux mains, divisaient par le milieu un magnifique sapin abattu, grand comme le mât d’un navire à trois ponts. Et quelle animation, quelle activité ! Comme ces braves gens expédiaient leur besogne, sans souci de la sueur qui ruisselait sur leurs fronts et du soleil d’été qui brûlait leurs bras nus ! Rude métier que celui-là ! Marguerite ne se lassait pas d’admirer ces travaux au grand air, qu’en véritables enfants de la forêt nous estimions les plus intéressants du monde.

Ce fut bien autre chose encore quand Zaféri entra en scène. Son instinct le rendait merveilleusement propre au genre spécial de travail qui lui avait été confié, au travail qui exigeait plutôt de l’adresse que de la vigueur corporelle.

La chemise ouverte laissant libre le jeu des poumons, les manches retroussées jusqu’aux coudes, sa peau brune colorée par la chaleur du sang, il allait et venait dans ce chantier à ciel ouvert, heureux d’échapper à toute contrainte et de pouvoir enfin donner pleine issue à ses besoins d’activité et de mouvement.

On lui avait assigné une tâche qui demandait un sang-froid à toute épreuve et un coup d’œil assuré. Il s’agissait du métier d’ébrancheur, le plus curieux de tous dans les bois, un métier de singe ou d’écureuil, beaucoup moins périlleux qu’on ne serait tenté de le croire au premier abord, et dans lequel cet enfant à demi-sauvage était passé maître après moins de trois semaines d’apprentissage.

Quand Marguerite le vit s’approcher d’un de ces énormes sapins marqués pour le sacrifice, quand elle comprit qu’il allait, avec le seul secours de deux crampons de fer fixés au talon et d’une corde roulée autour des reins, grimper jusqu’à la plus haute branche, elle ne put se défendre d’un mouvement d’effroi, et elle se cacha le visage dans ses deux mains, comme pour échapper à ce spectacle dont la vue lui donnait le vertige.

La curiosité cependant ne tarda point à l’emporter sur l’émotion. Lorsqu’elle rouvrit les yeux, Zaféri était déjà au milieu des airs. Cramponné, adhérent comme un lézard au tronc de cet arbre énorme, il montait lentement, enfonçant tour à tour d’un coup sec chaque crampon dans le bois, et se retenant d’une main aux rugosités de l’écorce, tandis que de l’autre il abattait à coups de hache les brindilles et les rameaux enchevêtrés dont le colosse devait être dépouillé avant sa chute.

C’était merveille de voir son assurance tranquille. Sa hachette allait et venait sans relâche ; le bois mort se brisait avec un bruit sec ; les copeaux, les brindilles desséchées, descendaient comme une pluie à chaque coup, les grosses branches avec un bruit retentissant. Après une heure de ce travail persévérant, l’arbre se dressait dans sa nudité majestueuse. Il n’y avait plus qu’à l’abandonner aux bûcherons.

Le bohémien noua le bout de la corde à l’un des nœuds de l’écorce, et se laissa glisser sur le sol.

« Fier luron, tout de même ! ne put s’empêcher de crier Gottlieb.

— À la bonne heure ! dit Marguerite XII

C’ÉTAIT MERVEILLE DE VOIR SON ASSURANCE
TRANQUILLE.
enthousiasmée ; c’est bien heureux à la fin que l’on consente à lui rendre justice. »

Zaféri, les yeux pleins d’un légitime orgueil, vint recevoir nos compliments.

« Si nous nous en allions, dit alors Maurice. Il n’y a plus rien à voir, et c’est ennuyeux de rester dans le même endroit des heures entières. »