Le Chemin de Buenos-Aires/XIV

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Albin Michel (p. 143-144).

XIV

CE QUE CES FEMMES PENSENT DE CES HOMMES

Tant qu’une femme est en possession de son homme, elle n’en pense rien. Elle lui donne son argent, cela lui suffit.

J’ai entendu ceci :

— Maintenant, Rosette, tu peux garder tes sous, je suis riche.

La femme répondit :

— Si je ne te donne plus mes sous, pourquoi rester ensemble ?

Elle donne sa bourse à son homme comme une mère son sein à son enfant, jusqu’à l’épuisement s’il le faut.

Quand une femme est délaissée, qu’elle reçoit une lettre dans ce genre : « Ma chère petite Rirette. Je n’ai pas eu le courage de te mettre hier au courant d’une résolution, aussi je te l’écris. Je te quitte. Des obligations me font un devoir de rompre avec ma vie passée. Adieu. Je souhaite que tu deviennes bien raisonnable et bien intelligente.

« Je te remercie des gentillesses que tu as eues pour moi pendant deux ans. Je t’embrasse une dernière fois… »

Alors la femme sanglote. Puis, elle va boire. Plus elle boit, plus elle pleure. Et plus elle pleure, plus elle boit. Elle crie qu’elle est une malheureuse, qu’on a abusé d’elle, qu’elle lui a tout donné, qu’elle se privait de manger pour qu’il eût davantage.

— C’est un bonheur, lui dit-on. Maintenant, tout ce que tu gagneras sera pour toi !

Mais cette pensée la jette dans une désolation encore plus profonde.

Et cette fois aussi, c’est tout ce qu’elle pense.