Le Chemin des ombres heureuses/Evelpide

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Édition du Mercure de France (p. 11-12).

EVELPIDE


Passants, vous qui savez ce que j’ignore,
est-il vrai que vos jours l’emportent sur les miens ?
Quand je disais, en ma vieillesse, que l’âge d’or
a précédé l’âge d’airain,
les jeunes gens riaient, répondant : — C’est la fable !
mais toujours aujourd’hui est moindre que demain,
et l’humanité monte à un sort préférable. —
Avaient-ils raison ? rêvaient-ils ?
Ai-je marché trop tôt sur les routes du temps ?
Et la lumière éclaire-t-elle moins d’injustice,
moins d’ignorance, moins de souffrance ?
Sans doute, c’est un autre soleil qui luit,

ce sont d’autres moissons qui blondissent les champs,
ce sont d’autres torrents qui baignent vos collines
et ce sont d’autres astres qui fleurissent vos nuits.
Sans doute ils sontplus beaux que ceux que j’ai connus ?
Praxitèle doit être oublié aujourd’hui ?
Vous vous taisez. J’ai donc assez vécu.