Le Chemin des ombres heureuses/Phérès

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Édition du Mercure de France (p. 81-82).

PHÉRÈS


Contemplez, ô vous tous, le monument de pierre
dont le faîte insolent promène autour de lui
jusque dans la campagne une mouvante nuit,
et sachez qu’il contient les restes de Phérès.

Je fus ambitieux et j’ai conquis la gloire,
et par delà moi-même elle reste durable.
Mon renom est gravé dans toutes les mémoires,
mes gestes se prolongent dans le lointain des âges.

Ce fastueux tombeau frappe d’étonnement,
et ses inscriptions aux dires véridiques

couvrant de leur clameur la voix des humbles cippes
forcent les mains à battre un applaudissement.

Certes il croulera et mon nom périra,
mais à l’oubli final je me suis préparé.
Ne vous réjouissez donc pas, vous qui déjà
vous écriiez : Ô vanité des vanités !

Ah ! que ne vous a-t-on versé dès le berceau
du poison dans le lait dont on vous nourrissait
sous la raison qu’un jour le trépas sonnerait,
vous, à qui mon orgueil fait lever les épaules.

Ma gloire passera comme c’est son destin.
Qu’importe si du moins, toute vaine qu’elle est,
je l’ai tenue ainsi que je la désirais.
Votre détachement, à vous, est aussi vain.