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CHAPITRE VIII.
Autres mystères & dogmes du Christianisme.
Peu contens des nuages mystérieux que le christianisme a répandus sur la divinité, et des fables judaïques qu’il avoit adoptées sur son compte, les docteurs chrétiens ne semblent s’être occupés que du soin de multiplier les mystères, et de confondre de plus en plus la raison dans leurs disciples. La religion, destinée à éclairer les nations, n’est qu’un tissu d’énigmes ; c’est un dédale, d’où il est impossible au bon sens de se tirer. Ce que les superstitions anciennes ont cru de plus inconcevable, dut nécessairement trouver place dans un système religieux, qui se faisoit un principe d’imposer un silence éternel à la raison. Le fatalisme des grecs, entre les mains des prêtres chrétiens, s’est changé en prédestination . Suivant ce dogme tyrannique, le dieu des miséricordes destine le plus grand nombre des malheureux mortels à des tourmens éternels ; il ne les place, pour un tems, dans ce monde, que pour qu’ils y abusent de leurs facultés, de leur liberté, afin de se rendre dignes de la colere implacable de leur créateur. Un dieu, rempli de prévoyance et de bonté, donne à l’homme un libre arbitre, dont ce dieu sait bien qu’il fera un usage assez pervers, pour mériter la damnation éternelle. Ainsi, la divinité ne donne le jour au plus grand nombre des hommes, ne leur donne des penchans nécessaires à leur bonheur, ne leur permet d’agir, que pour avoir le plaisir de les plonger dans l’enfer. Rien de plus affreux que les peintures que le christianisme nous fait de ce séjour, destiné à la plus grande partie de la race humaine. Un dieu miséricordieux s’abreuvera, pendant l’éternité, des larmes des infortunés, qu’il n’a fait naître que pour être malheureux ; le pécheur, renfermé dans des cachots ténébreux, sera livré, pour toujours, aux flammes dévorantes ; les voutes de cette prison ne retentiront que de grincemens de dents, de hurlemens ; les tourmens, qu’on y éprouvera, au bout de millions de siécles, ne feront que commencer, et l’espérance consolante, de voir un jour finir ces peines, manquera, et sera ravie elle-même ; en un mot, Dieu, par un acte de sa toute-puissance, rendra l’homme susceptible de souffrir, sans interruption et sans terme ; sa justice lui permettra de punir des crimes finis, et dont les effets sont limités par le tems, par des supplices infinis pour la durée et pour l’éternité. Telle est l’idée que le chrétien se forme du Dieu qui exige son amour. Ce tyran ne le crée, que pour le rendre malheureux ; il ne lui donne la raison, que pour le tromper ; des penchans, que pour l’égarer ; la liberté, que pour le déterminer à faire ce qui doit le perdre à jamais ; enfin, il ne lui donne des avantages sur les bêtes, que pour avoir occasion de l’exposer à des tourmens, dont ces bêtes, ainsi que les substances inanimées, sont exemptes. Le dogme de la prédestination rend le sort de l’homme bien plus fâcheux, que celui des pierres et des brutes[1].
Il est vrai que le christianisme promet un séjour délicieux à ceux que la divinité aura choisis pour être les objets de son amour ; mais ce lieu n’est réservé qu’à un petit nombre d’élus, qui, sans aucun mérite de leur part, auront pourtant des droits sur la bonté de leur dieu, partial pour eux, et cruel pour le reste des humains.
C’est ainsi que le Tartare et l’ élisée de la mythologie payenne, inventés par des imposteurs, qui vouloient, ou faire trembler les hommes, ou les séduire, ont trouvé place dans le système religieux des chrétiens, qui changerent les noms de ces séjours en ceux de paradis et d’ enfer . On ne manquera pas de nous dire, que le dogme des récompenses et des peines d’une autre vie, est utile et nécessaire aux hommes, qui, sans cela, se livreroient sans crainte aux plus grands excès. Je réponds, que le législateur des juifs leur avoit soigneusement caché ce prétendu mystère, et que le dogme de la vie future faisoit partie du secret que, dans les mystères des grecs, on révéloit aux initiés. Ce dogme fut ignoré du vulgaire ; la société ne laissoit pas de subsister : d’ailleurs, ce ne sont point des terreurs éloignées, que les passions présentes méprisent toujours, ou du moins rendent problématiques, qui contiennent les hommes ; ce sont de bonnes loix ; c’est une éducation raisonnable ; ce sont des principes honnêtes. Si les souverains gouvernoient avec sagesse et avec équité, ils n’auroient pas besoin du dogme des récompenses et des peines futures, pour contenir les peuples. Les hommes seront toujours plus frappés des avantages présens, et des châtimens visibles, que des plaisirs et des supplices qu’on leur annonce dans une autre vie. La crainte de l’enfer ne retiendra point des criminels, que la crainte du mépris, de l’infamie, du gibet, n’est point capable de retenir. Les nations chrétiennes ne sont-elles point remplies de malfaiteurs, qui bravent sans cesse l’enfer, de l’existence duquel ils n’ont jamais douté ?
Quoi qu’il en soit, le dogme de la vie future suppose que l’homme se survivra à lui-même, ou du moins, qu’après sa mort il sera susceptible des récompenses et des peines que la religion lui fait prévoir. Suivant le christianisme, les morts reprendront un jour leurs corps ; par un miracle de la toute-puissance, les molécules dissoutes et dispersées, qui composoient leurs corps, se rapprocheront ; elles se combineront de nouveau avec leurs ames immortelles : telles sont les idées merveilleuses que présente le dogme de la résurrection .Les juifs, dont le législateur n’a jamais parlé de cet étrange phénomene, paroissent avoir puisé cette doctrine chez les mages, durant leur captivité à Babylone ; cependant elle ne fut point universellement admise parmi eux. Les pharisiens admettoient la résurrection des morts, les saducéens la rejettoient ; aujourd’hui elle est un des points fondamentaux de la religion chrétienne[2]. Ses sectateurs croyent fermement qu’ils ressusciteront un jour, et que leur résurrection sera suivie du jugement universel et de la fin du monde. Selon eux, Dieu qui sait tout, et qui connoît jusqu’aux pensées les plus secrettes des hommes, viendra sur les nuages, pour leur faire rendre un compte exact de leur conduite ; il les jugera avec le plus grand appareil, et d’après ce jugement, leur sort sera irrévocablement décidé ; les bons seront admis dans le séjour délicieux que la divinité réserve à ses élus et aux anges ; les méchans seront précipités dans les flammes destinées aux démons, ennemis de Dieu et des hommes.
En effet, le christianisme admet des êtres invisibles d’une nature différente de l’homme, dont les uns exécutent les volontés du très-haut, et dont les autres sont perpétuellement occupés à traverser ses desseins. Les premiers sont connus sous le nom d’ Anges, ou de messagers, subordonnés à Dieu : on prétend qu’il s’en sert pour veiller à l’administration de l’univers et sur-tout à la conservation de l’homme. Ces êtres bienfaisans sont, suivant les chrétiens, de purs esprits ; mais ils ont le pouvoir de se rendre sensibles, en prenant la forme humaine. Les livres sacrés des juifs et des chrétiens sont remplis d’apparitions de ces êtres merveilleux, que la divinité envoyoit aux hommes qu’elle vouloit favoriser, afin d’être leurs guides, leurs protecteurs, leurs dieux tutélaires. D’où l’on voit que les bons anges sont dans l’imagination des chrétiens, ce que les nymphes, les lares, les pénates, étoient dans l’imagination des payens, et ce que les fées étoient pour nos faiseurs de romans.
Les êtres inconnus de la seconde espéce furent désignés sous le nom de démons, de diables, d’ esprits malins : on les regarda comme les ennemis du genre humain, les tentateurs des hommes, des séducteurs, perpétuellement occupés à les faire tomber dans le péché. Les Chrétiens leur attribuent un pouvoir extraordinaire, la faculté de faire des miracles semblables à ceux du Très-Haut, et surtout une puissance qui balance la sienne, et qui parvient à rendre tous les projets inutiles. En effet, quoique la religion chrétienne n’accorde point formellement au démon la même puissance qu’à Dieu, elle suppose néanmoins, que cet esprit mal-faisant empêche les hommes de parvenir au bonheur que la divinité bienfaisante leur destine, et conduit le plus grand nombre à la perdition : en un mot, d’après les idées du christianisme, l’empire du diable est bien plus étendu que celui de l’être suprême ; celui-ci réussit à peine à sauver quelques élus, tandis que l’autre mene à la damnation la foule immense de ceux qui n’ont point la force de résister à ses inspirations dangereuses. Qui ne voit pas que Satan, que le démon, qui est un objet de terreur pour les chrétiens, est emprunté du dogme des deux principes, admis jadis en égypte et dans tout l’orient ? L’Osyris et le Typhon des Egyptiens, l’Orosmade et l’Aharimane des perses et des chaldéens, ont sans doute fait naître la guerre continuelle qui subsiste entre le dieu des chrétiens et son redoutable adversaire. C’est par ce système, que les hommes ont cru se rendre compte des biens et des maux qui leur arrivent. Un diable tout-puissant sert à justifier la divinité des malheurs nécessaires, et peu mérités, qui affligent le genre humain.
Tels sont les dogmes effrayans et mystérieux sur lesquels les chrétiens sont d’accord ; il en est plusieurs autres, qui sont propres à des sectes particulieres. C’est ainsi qu’une secte nombreuse du christianisme admet un lieu intermédiaire, sous le nom de purgatoire, où des ames moins criminelles, que celles qui ont mérité l’enfer, sont reçues pour un tems, afin d’expier, par des supplices rigoureux, les fautes commises en cette vie ; elles sont ensuite admises au séjour de l’éternelle félicité. Ce dogme, visiblement emprunté des rêveries de Platon, est entre les mains des prêtres de l’église romaine, une source intarissable de richesses, vû qu’ils se sont arrogé le pouvoir d’ouvrir les portes du purgatoire, et qu’ils prétendent, que leurs prieres puissantes sont capables de modérer la rigueur des décrets divins, et d’abréger les tourmens des ames, qu’un dieu juste a condamnées à ce séjour malheureux[3].
Ce qui précéde, nous prouve que la religion chrétienne n’a point laissé manquer ses sectateurs d’objets de crainte et de terreur ; c’est en faisant trembler les hommes, qu’on parvient à les rendre soumis, et à troubler leur raison[4].