Le Citoyen/Chapitre XI

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Traduction par Samuel Sorbière.
Société Typographique (Volume 1 des Œuvres philosophiques et politiquesp. 258-266).

CHAPITRE XI

Passages et exemples de la Sainte Écriture qui semblent favoriser ce que nous venons de dire SOMMAIRE

I. Que le commencement de la société civile instituée vient du consentement du peuple. II. Que les jugements et les guerres dépendent de la volonté des souverains. III. Qu’on ne peut point avec justice punir les souverains. IV. Que ce n’est pas une république, mais une anarchie, où il n’y a point de souveraine puissance. V. Que les esclaves doivent à leurs maîtres, et les enfants à ceux qui les ont mis au monde, une obéissance absolue. VI. Que l’empire absolu se prouve par des passages très évidents du Vieil et du Nouveau Testament.


I. Au sixième chapitre et en l’article II, j’ai tiré l’origine de la société civile, que je nomme d’institution politique, du consentement de la multitude, et j’ai dit qu’après que tous ou que le plus grand nombre a consenti, tous ceux qui apportent quelque répugnance, doivent être tenus pour ennemis de l’État. Tel fut le commencement du règne de Dieu sur le peuple juif établi par Moïse. Si vou s écoutez ma voix, etc. vous me ferez un royaume de sacrificateurs, etc. Moïse vint, et ayant assemblé les plus anciens du peuple, etc. et tout le peuple répondit d’une voix commune : nous ferons tout ce que le Seigneur a dit. Tel aussi fut le commencement de la puissance de Moïse, qui fut comme vice-roi de ce peuple sous la majesté divine. Tout le peuple voyait les lampes et entendait la voix, etc. et disait à Moïse : parle à nous et nous t’écou­terons. Le règne de Saül commença de la même manière. Mais voyant (est-il dit, I. Sam. 12. 12.) que Nabas, roi des enfants de Hammon, venait à l’encontre de vous, vous m’avez dit : non, mais un roi régnera sur nous ; combien que l’Éternel votre Dieu fût votre roi. Maintenant donc voici le roi que vous avez choisi, lequel vous avez demandé. Et comme tous ne prêtaient pas leur consentement, mais la plus grande partie (car il y eut des méchants garnements) est-il dit au chap. X, vers. 27. (qui dirent comme nous délivrerait celui-ci ? Et le méprisèrent, et ne lui apportèrent point de présents) ; ceux qui n’avaient pas consenti étaient recherchés et mis à mort comme traîtres et ennemis de l’État. Qui est-ce, dit le peuple à Samuel, qui dit, Saül régnera-t-il sur nous ? Baillez-nous ces hommes-là et nous les ferons mourir ; 1. Sam. 11. 12.


II. Au même chapitre et en l’article VI et VII, j’ai fait voir que le jugement des causes civiles et criminelles en l’administration de la justice, et que la résolution et la conduite de la guerre, étaient entre les mains de celui qui, dans l’État, tient l’autorité souveraine, comme entre celles du roi dans la monarchie. je le confirme par le jugement du peuple même. Et nous ferons aussi comme toutes les nations, et notre roi nous jugera, et fortifiera devant nous, et conduira nos guerres ; 1. Sam. 10. 20. Et par le témoignage du roi Salomon, en ce qui regarde les jugements, et le discernement de toutes les choses dont on peut disputer, si elles sont bonnes ou mauvaises. Donne donc à ton serviteur un cœur qui s’entende à juger ton peuple, en discernant entre le bien et le mal ; 1. Rois 3. 9. Et d’Absalom, Regarde, ta cause est bonne et droite ; mais tu n’as personne qui t’oye de par le roi ; 2. Sam. 15, 3.


III. Que les rois ne puissent point être châtiés par leurs sujets, comme je l’ai fait voir ci-dessus au sixième chapitre, article XII, le roi David nous le confirme, qui, étant recherché de Saül pour être fait mourir, s’abstint pourtant de le tuer et défendit très expressément à Abifay de porter sa main sur cette sacrée personne. Ne le tue point, dit-il, car, qui est-ce qui oserait étendre sa main sur Point du Seigneur et demeurer innocent ? Et ayant luimême osé couper un pan de la manteline de Saül, il en fut touché en son cœur et dit à ses gens : je ne m’advienne de par l’Éternel que je commisse un tel cas contre mon Seigneur, l’oint de l’Éternel, mettant ma main sur lui ; car il est l’oint de l’Éternel ; 1. Sam. 23. 7. Et enfin, par l’exemple de cet Amalekite, que David fit mourir en sa présence, parce qu’il avait tué Saül, 2. Sam. 1. 15.


IV. Ce qui est dit au Livre des juges, chapitre XVII. 6. En ce temps-là il n’y avait point de roi en Israël, un chacun faisait ce qui lui semblait être droit ; (comme si le Saint Esprit voulait donner à entendre, que hors de la monarchie, il n’y a qu’anarchie et confusion de toutes choses) pourrait être apporté pour une preuve de l’excellence de la royauté par-dessus toutes les autres sortes de gouvernements, si ce n’est qu’en ce passage par le mot de roi, il se peut entendre, non seulement une personne seule, mais aussi une certaine cour, pourvu qu’en l’une ou en l’autre on trouve la souveraineté. Et quoiqu’on le prenne en ce dernier sens, il ne laisse pas de montrer, ce à quoi je me suis occupé dans tout le sixième chapitre, que s’il n’y a dans l’État une puissance souveraine et absolue, toutes choses seront permises, et chacun fera ce que bon lui semble : ce qui ne saurait compatir avec la conservation du genre humain ; et partant la loi de nature demande que la société civile ne demeure point sans quelque autorité suprême.


V. J’ai dit au huitième chapitre, article VII et VIII, que les serviteurs doivent une obéissance simple et absolue à leurs maîtres, et les enfants à ceux qui leur ont donné la vie, chapitre IX, article VII. S. Paul est en cela de mon sentiment, Coloss. 3. Serviteurs, obéissez en toutes choses à ceux qui sont vos maîtres selon la chair, ne servant point à l’œil, comme voulant complaire aux hommes, mais en simplicité de cœur, craignant Dieu. Et parlant des enfants : enfants, obéissez à vos pères et mères en toutes choses ; car cela est plaisant au Seigneur. Or, comme par cette simple obéis­sance que j’exige, j’entends qu’on fasse toutes les choses qui ne sont point con­traires à la loi de Dieu, il faut aussi, dans les passages de saint Paul que je viens d’alléguer, après le mot de toutes choses, suppléer la même exception.


VI. Mais, afin que je ne sois pas obligé d’éplucher par le menu tout le droit des souverains, je produirai ici seulement les passages qui établissent en bloc et d’un seul trait toute leur puissance ; tels que sont ceux qui commandent aux sujets de rendre à leurs princes légitimes une simple et absolue obéissance. Je commencerai donc par le Nouveau Testament. Les Scribes et les Pharisiens sont assis sur la chaire de Moïse, faites tout ce qu’ils vous commanderont. Remarquez, je vous prie, ces paroles. Faites, dit le Seigneur, toutes choses, c’est-à-dire, rendez une obéissance simple et absolue. Et pourquoi ? A cause que les Pharisiens et les Scribes sont assis sur la chaire de Moïse. Il ne dit pas sur celle d’Aaron, qui était sacrificateur ; mais sur celle de Moïse, qui était un prince séculier, tenant en main l’épée de la justice. En l’Épître aux Romains, chapitre XIII. Que toute personne soit sujette aux puissances supérieures ; car il n’y a point de puissance sinon de par Dieu, et les puissances qui sont en État sont ordonnées de Dieu. Par quoi qui résiste à la puissance, résiste à l’ordonnance de Dieu et ceux qui y résistent feront venir condamnation sur eux-mêmes, etc. Puis donc que les puissances qui gouvernaient le monde du temps de saint Paul, étaient établies de Dieu, et que tous les rois d’alors exigeaient de leurs sujets une entière obéissance, il s’ensuit qu’une telle autorité est ordonnée de Dieu même. Rendez-vous donc sujets à tout ordre humain (dit l’Apôtre S. Pierre, 1. Épît. 2. 13.) pour l’amour de Dieu : soit au roi, comme à celui qui est par-dessus les autres, soit aux gouverneurs, comme à ceux qui sont envoyés de par lui, pour exercer vengeance sur les malfaiteurs et à louange de ceux qui font bien ; car telle est la volonté de Dieu. Et derechef S. Paul écrivant à Tite, chap. III. 1. Admoneste-les qu’ils soient soumis aux principautés et puissances. A quels princes donc ? N’est-ce pas à ceux de ce temps-là qui exigeaient de leurs sujets une obéissance simple et absolue ? Et pour venir à l’exemple du Seigneur jésus, à qui, par droit héréditaire, comme descendant de David, le royaume des juifs était dû, il ne laissait pas, vivant en personne privée, de payer le tribut à César, et de dire qu’il lui appartenait en effet. Rendez, dit-il, à César ce qui appartient à César et à Dieu ce qui appartient à Dieu, Matth. 22. 21. Et quand ce grand Sauveur a voulu agir en roi, il a bien témoigné par la majesté de ses commandements, qu’il demandait une obéissance tout entière : Allez, dit-il à ses disciples, en la bourgade qui est vis-à-vis de vous et incontinent vous trouverez une ânesse attachée et son poulain avec elle ; détachez-les et me les amenez ; que si quelqu’un vous dit quelque chose, vous direz que le Seigneur en a affaire. Il en use de la sorte en qualité de souverain et de roi des Juifs. Or, quel empire y a-t-il plus absolu que celui où l’on peut ôter à un sujet son bien propre, sans alléguer d’autre prétexte que cette raison, Le seigneur en a affaire ? Les passages du Vieil Testament ne sont pas moins évidents sur cette question, Deuter. 5. 27. Approche-toi, et écoute tout ce que l’Éternel notre Dieu dira, puis tu nous rediras tout ce que l’Éternel notre Dieu t’aura dit, et nous l’orrons et le ferons. Ce mot de Tout exprime une entière obéissance : derechef le peuple parlant à Josué, dit : tout ce que tu nous as commandé, nous le ferons, et partout où tu nous enverras, nous irons. Tout ainsi que nous avons obéi à Moïse, ainsi t’obéirons-nous ; seulement que l’Éternel ton Dieu soit avec toi, comme il a été avec Moïse. Tout homme qui rebellera à ton commandement, et n’obéira point à tes paroles en tout ce que tu commanderas, sera mis à mort. Jos. 1. 16. La parabole de l’épine contenue au 9. des juges ne doit pas être oubliée : en après tous les arbres dirent à l’épine, viens çà, toi, et règne sur nous. Et l’épine répondit aux arbres : si c’est en sincérité que vous m’oignez pour roi sur vous, venez et vous retirez sous mon ombre, sinon que le feu sorte de l’épine, et dévore les cèdres du Liban. Desquelles paroles le sens est, qu’il faut acquiescer à ce que disent ceux que nous avons établis sur nous pour rois légitimes, si nous ne voulons être consumés par l’embrasement d’une guerre civile. Mais, la puissance royale est plus particulièrement décrite de Dieu même, parlant par la bouche de Samuel son prophète : déclare au peuple, comment le roi qui régnera sur eux les traitera, etc. Ce sera ici le traitement que vous fera le roi qui régnera sur vous. Il prendra vos fils et les ordonnera sur ses chariots, etc. Il prendra aussi vos filles pour en faire des parfumeuses, des cuisinières et des boulangères. Il prendra aussi vos champs, vos vignes et vos lieux où sont vos bons oliviers, et les donnera à ses serviteurs, etc. 1. Sam. 8. N’est-ce pas là une puissance bien absolue ? Et toutefois c’est là une description que Dieu fait des droits de la royauté. Il semble que personne n’était exempt de cette parfaite obéissance ; non pas même le souverain sacrificateur, dont la charge était parmi les Juifs si éminente. Car, en cet endroit, où le roi Salomon parle au sacrificateur Abiathar de cette façon impérieuse : va-t-en en Hanathoth en ta possession, car tu es homme digne de mort ; toutefois je ne te ferai point mourir aujourd’hui, d’autant que tu as porté l’arche du Seigneur l’Éternel devant David mon père, et d’autant que tu as été affligé en tout ce en quoi mon père a été affligé. Ainsi Salomon débouta Abiathar à ce qu’il ne fût plus sacrificateur de l’Éternel, 1, Rois 2. 26. Nous ne remarquons pas que cette action ait été déplaisante à Dieu, Salomon n’en est point repris et nous ne lisons point qu’alors Dieu témoignât de ne pas agréer cette sacrée et royale personne, à qui il départait si libéralement les dons d’une sagesse extraordinaire.