Le Coffret de perles noires/7

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La Vipère noire.
(p. 19-22).

La Vipère Noire

 D’après Orphée, l’eau et la vase qu’elle produisit furent les principes primitifs des choses, et ensemble, ils ont donné naissance à un être animé qui fut un serpent.



Ne touchez pas à la vipère :
Le noir Titan qui fut son père
L’a faite reine des grands bois,
Et pour elle la terre brune
A sué dans les nuits sans lune
Ses sucs vénéneux, autrefois.

Dans les noirs abîmes du globe,
Où la vipère se dérobe,
Fermentent de nouveaux poisons,
Et, sortant de l’ombre éternelle,
La vipère, noire comme elle,
Est la terreur des horizons.



Au milieu des étés superbes,
Elle se glisse sous les herbes
Pour rappeler les noirs hivers,
Et sur le sable elle se roule,
Cercle noir qui montre à la foule
L’orbe sacré de l’univers.

Quand elle rampe sans secousse,
Comme un ruban noir sur la mousse,
La forêt reconnaît sa loi,
Et l’oiseau glacé d’épouvante
Tombe de la branche, mouvante
Fasciné par un sombre effroi !

Et quand, sous le soleil de flamme,
Un enlacement noir se pâme
Sifflant d’amour au bord des eaux,
Les couples bleus des libellules
Tremblent dans les fraîches cellules
Que leur offrent les verts roseaux.

L’homme se croit le roi du monde,
Mais, pour que la Terre confonde



Tout son orgueil dominateur,
Il suffit qu’elle donne l’ordre
A sa noire fille de mordre
Le talon de l’usurpateur !

Car la vipère est le fruit même
De Cybèle, mère suprême,
La matière pleine de nuit !
Qui sous la mince écorce blonde
Dort sinistre, noire, profonde,
Sans un rayon,
et sans un bruit.