Le Collier des jours/Chapitre XXVII

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Félix Juven, Éditeur (p. 96-98).




XXVII




Je ne sais pourquoi, ce soir-là même, on me fit un lit, sur un divan, dans la chambre de grand-père où je couchai jusqu’à complète guérison de la foulure.

Ce fut long ; le pharmacien avait tellement serré mon bras, le soir du premier pansement, qu’une enflure effrayante se produisit, lorsque le médecin de la famille, le docteur Pellarin, défit les bandes, le lendemain matin, en déclarant qu’on avait aggravé le mal.

Pour réparer la maladresse, il me fit encore plus mal, tellement qu’à travers ma fièvre, je le pris réellement pour le loup et que je méditai, contre lui, une vengeance.

Grand-père, très apitoyé, adoucissait beaucoup son caractère ; il restait près de moi et me racontait des histoires, un peu trop sérieuses et qui ne m’amusaient pas beaucoup. Je préférais en raconter moi-même. C’était une habitude que j’avais prise tout à coup, et dont je fatiguais avec insistance les auditeurs forcés.

Ce qu’étaient ces histoires, je n’en ai aucune idée, je me souviens seulement que l’art des transitions, dans le récit, me manquait complètement… Je n’avais qu’une seule formule : Et puis… Et puis !… si bien que les tantes agacées, me criaient :

— Dis donc quelquefois : citerne.

Je ne comprenais pas le sens de l’ironie, mais je tenais compte de l’observation et au lieu de dire « et puis… » je disais quelquefois « et citerne ».

L’histoire que je racontais ce jour-là à grand-père, tendait à lui démontrer qu’il devait me prêter sa canne, la terrible canne dont il me menaçait quand il me pourchassait à travers champs ! « Comme j’étais malade, des gens méchants venaient la nuit, pour m’empêcher de dormir, mais s’ils voyaient la canne, ils n’oseraient pas approcher. » Je parvins à le persuader, car la canne à pommeau d’argent était couchée à côté de moi quand je m’endormis.

Le bon docteur Pellarin, penché sur mon bras foulé, ne se méfiait pas et fut bien surpris de recevoir, tout à coup, sur le dos, des coups de canne, heureusement pas très vigoureux.

Grand-père, lui, fut très stupéfait de mon machiavélisme ; mais j’étais trop malade pour être grondée. On s’efforça sans me convaincre, de me démontrer que si l’on m’avait fait mal, c’était pour mon bien.

Cependant, quand je pus porter, sur mon bras guéri, une pile d’assiettes, j’allai au devant du docteur et, moi-même, je lui demandai pardon, de l’avoir pris pour le loup.