Le Collier des jours/Chapitre XXXIX

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Félix Juven, Éditeur (p. 163-164).




XXXIX




Quand je fus bien persuadée que je ne parviendrais pas à m’échapper de ce couvent, je me décidai à me laisser mourir de faim. Mais, hélas ! cette résolution extrême ne tenait guère plus d’une demi-journée.

Pourtant, je voulais en finir, plutôt dans l’idée de me venger de ceux qui m’avaient enfermée : « pour leur apprendre, » que pour mourir tout à fait.

Mais le moyen n’était pas facile à trouver et je roulai longtemps ce sinistre projet sans parvenir à le réaliser.

Un jour, pourtant, je reconnus, parmi les mauvaises herbes, le long des murailles du préau, près de la chapelle, une plante, dont mon grand-père m’avait appris à me défier, comme d’un poison violent, et qu’il arrachait toujours, quand il la rencontrait dans le jardin de Montrouge. C’était, je crois, de l’euphorbe une petite herbe, qui n’a l’air de rien, mais qui saigne une goutte de lait, quand on casse la tige, un lait terrible !… Je n’hésitai pas à sucer de ce lait, autant que j’en pus trouver. Le résultat fut très rapide : j’eus une inflammation violente de la bouche et de la gorge, une brûlure si douloureuse, que je n’ai jamais pu revoir cette perfide goutte de lait, sans retrouver cette affreuse sensation.

Je dus passer plusieurs jours à l’infirmerie, et, le médecin, ne comprenant pas ce que j’avais, je lui expliquai que je m’étais empoisonnée, pour m’en aller du couvent.

L’effet que je cherchais fut, malheureusement, tout à fait manqué. On se garda bien de raconter à ma famille qu’il y avait des plantes dangereuses, à la portée des enfants. Mais on sarcla soigneusement les herbes folles, qui prospéraient au pied des murailles et des arbres, et l’affreux préau de terre battue fut ainsi privé de toute verdure.