Le Collier des jours/Chapitre XXXVII

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Félix Juven, Éditeur (p. 157-160).




XXXVII




Le lieu où l’on m’avait enfermée était le couvent des religieuses, très sévèrement cloîtrées, de Notre-Dame de la Miséricorde.

Il occupait, je crois, des restes de l’ancien cloître où se retira Mlle de La Vallière, sous le nom de sœur Louise de la Miséricorde, et qui fut détruit pendant la Révolution.

Sauf du côté de la chapelle, dans la partie qui contenait les classes, rien ne paraissait ancien et rien n’avait de caractère.

Chaque matin, dès sept heures, tout engourdies de froid et de sommeil, on allait entendre la messe.

Toujours préoccupée par l’idée de fuir je cherchais à me rendre compte de la disposition de la chapelle, mais c’était extrêmement compliqué. Nous étions dans une tribune, qui donnait sur le chœur des religieuses : une grande salle carrée au plancher ciré, avec de chaque côté, scellées aux murailles, des stalles en bois de chêne ; au fond, au-dessous des tribunes mais plus au milieu, des bancs surélevés étaient réservés à la supérieure et à ses assistantes, et dominés par les stalactites luisantes des tuyaux de l’orgue. Le quatrième côté était occupé tout entier par une vaste grille, formée de petits carrés, comme toutes les grilles du couvent ; deux rideaux noirs, courant sur des tringles la voilaient à mi-hauteur ; ces rideaux restaient ouverts pendant les offices. De l’autre côté c’était l’église, avec le maître-autel en face de la grille. Je m’aperçus bientôt que cette petite église était publique : les gens du dehors y venaient, et, par cela elle prenait pour moi un intérêt extrême. Puisqu’on y entrait, on pourrait peut-être en sortir. Au moment de la communion un carré s’ouvrait dans le grillage ; nappe blanche et le prêtre descendu de l’autel venaient s’agenouiller là devant une petite nappe blanche et le prêtre descendu de l’autel leur donnait l’hostie. L’ouverture était assez large pour qu’une grande personne pût y passer aisément et, une fois de l’autre côté, la rue toute proche… oui, mais, dès que l’officiant était reparti, on fermait la petite porte et on l’assujettissait par un cadenas.

Tout de même cette chapelle, où le monde extérieur avait accès, me parut être le point faible, et je guettais toutes les occasions qui me permettaient de fureter par là. Mais c’était si bref et si furtif, que je ne pouvais rien découvrir de nouveau.

Un jour, pendant la récréation, je parvins à gagner sans être vue, l’escalier des tribunes. J’avais remarqué qu’il montait plus haut, et depuis longtemps je voulais savoir où il aboutissait. J’arrivai à un vaste grenier, très éclairé par une sorte de coupole encore plus haute d’où le soleil tombait d’aplomb. Juste au-dessous était découpé dans le plancher un grand trou rond, qui m’attira tout de suite. En me penchant un peu, je vis qu’il donnait sur le chœur, qui en recevait la lumière. Les religieuses étaient là, assises dans leurs stalles, les mains dans leurs manches, immobiles et muettes, ayant l’air de dormir. Vues de là-haut elles me paraissaient rapetissées, comme aplaties, et très ridicules. J’eus une envie irrésistible de troubler leur méditation par quelque bon tour. Le grenier était à peu près vide, mais du linge sale était amassé par tas, çà et là : j’en amenai un jusqu’au bord du trou et je le lançai d’un coup de pied… J’entendis un « flac » puis des cris étouffés… En me sauvant je rencontrai une grosse corde, pendant des poutres, et je tirai dessus. Les vibrations, puissantes et profondes, d’une cloche toute voisine que ce geste mit en branle, m’épouvantèrent et j’eus si vite dégringolé l’escalier que jamais on ne put découvrir par qui avait été causé un pareil scandale !…