Le Collier des jours/Chapitre XXXVI

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Félix Juven, Éditeur (p. 154-156).




XXXVI




On me demandait au parloir.

Cette fois c’était mon père et ma mère.

Je me tins devant eux, muette et gauche sans effusion, sans plaisir ; essayant, par orgueil, de cacher ma rancune.

Mon père était en noir et, pour la première fois, je remarquai le ruban, qui mettait comme une fleur rouge à sa boutonnière. Il restait debout, le monocle à l’œil ; l’air mal à l’aise et mécontent.

— Quel costume !… de qui porte-t-elle le deuil ?… s’écria-t-il en me voyant.

— C’est l’uniforme, dit ma mère d’une voix boudeuse.

— On est parvenu à la rendre laide.

— Les enfants n’ont pas besoin d’être jolis.

— Tel n’est pas mon avis…

Et mon père se baissa, sur les talons, pour m’embrasser.

— Est-ce qu’on te lave au moins ?… dit-il.

Il en voulait probablement à saint Labre et tenait en suspicion les couvents, lui, à qui j’entendis redire, plus tard, bien souvent, qu’il ne pouvait comprendre les religieux… « qui se réunissent pour puer de compagnie, en l’honneur d’un Dieu qui a créé dix mille espèces de parfums… »

La mère Marie-Jésus était là, derrière le grillage ; elle chuchotait, de sa voix mielleuse et, à cause de la présence d’un homme, son voile baissé ne laissait voir que son menton fin et pointu et un peu de sa bouche mince. Elle donnait toutes sortes d’explications, touchant les leçons de musique, l’excellente nourriture, les soins attentifs… Ma mère souriait d’un air enchanté ; mais à la façon dont mon père examinait la religieuse, à travers son monocle, je compris qu’elle lui inspirait peu de sympathie et qu’il était d’ailleurs hostile à tout ce qui l’entourait. Il ne se mêla à la conversation que pour jeter cette phrase :

– Je désire que ma fille prenne un bain toutes les semaines ; si cette clause n’était pas remplie, je me verrais obligé de la retirer.

Et quand il m’embrassa, pour prendre congé, il me souffla dans l’oreille :

— Tu sais, si tu t’ennuies trop ici, dis-le moi.

J’eus envie de lui crier : « Emmène-moi tout de suite » ; mais comme il parlait bas, je compris qu’il craignait d’être entendu, et que, pour l’instant, il fallait se taire.