Le Combat spirituel (Brignon)/03

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Traduction par Jean Brignon.
(p. 25-29).


CHAPITRE III.
De la confiance en Dieu.

QUoique la défiance de soi-même soit très-nécessaire dans le Combat Spirituel, comme nous venons de le montrer ; cependant, si elle est seule & qu’on n’ait pas d’autres secours, on prendra bien-tôt la fuite, ou l’on sera désarmé & vaincu par l’ennemi. Il faut donc y ajouter une grande confiance en Dieu, qui est l’Auteur de tout bien, & de qui seul on doit attendre la victoire. S’il est vrai que de notre fond nous ne sommes rien, nous ne pouvons que craindre des chûtes dangereuses & fréquentes ; & nous avons tous sujet de nous défier de nos forces : mais si nous sommes parfaitement convaincus de notre foiblesse, nous remporteront sans doute, avec l’assistance du Seigneur, de grands avantages sur nos ennemis, n’y ayant rien de plus puissant pour nous attirer les graces du Ciel, que de nous armer d’une généreuse confiance en Dieu. Nous avons quatre moyens d’acquérir cette excellence vertu.

Le premier est de la demander humblement à Notre-Seigneur. Le second, de considérer attentivement avec les yeux de la foi, la Toute puissance & la sagesse infinie de cet Etre souverain, à qui rien n’est impossible ni difficile, de qui la bonté n’a point de bornes, qui par un excès d’amour pour ceux qui le fervent est prêt à toute heure & à tout moment de leur donner ce qui leur est nécessaire pour vivre en hommes spirituels, & pour se rendre tout-à-fait maîtres d’eux mêmes.

La seule chose qu’il leur demande c’est qu’ils recourent à lui avec confiance. Hé qu’y a-t-il de plus juste ? Comment seroit-il possible que cet aimable Pasteur[1], qui durant 33 ans n’a point cessé de courir après la brebis égarée, par des chemins laborieux & pleins d’épines, avec des peines si extrêmes, qu’il lui en a coûté le sang & la vie, comment, dis-je, seroit-il possible qu’un si bon Pasteur voyant maintenant la brebis revenir à lui dans le dessein de ne plus suivre d’autre conduite que la sienne, & avec une volonté peut-être encore un peu foible, mais sincere de lui obéir, il ne voulut pas la regarder de bon œil, ni prêter l’oreille à ses cris, ni la raporter sur ses épaules à la bergerie : Sans doute qu’il a une joye inconcevable de la recevoir dans le troupeau, & qu’il invite les Anges du Ciel à s’en réjouir avec lui.

Car s’il cherche avec tant de diligence la drachme de l’Evangile, qui est la figure du pecheur, s’il remuë tout pour la trouver, peut-il rejetter celui qui comme une brebis ennuyée de ne plus voir son Pasteur, se met en devoir de retourner au bercail ? Quelle aparence que l’Epoux des ames qui frape sans cesse à la porte de notre cœur, & qui brûle d’y entrer, qui n’a point de plus grand plaisir que de se communiquer à nous, & de nous combler de ses biens ; quelle aparence que trouvant la porte ouverte, & voyant que nous le prions de nous honorer de la visite, il ne daignât pas nous accorder la faveur que nous souhaitons ?

Le troisiéme moyens d’acquérir cette salutaire confiance, est de rapeller souvent dans notre mémoire les divines Ecritures, ces Oracles de la vérité, qui en mille endroits assurent formellement que quiconque espére en Dieu, ne tombera point dans la confusion.

Enfin le quatriéme moyen d’avoir tout ensemble & la défiance de nous mêmes, & la confiance en notre-Seigneur est que l’orsque nous avons ou quelque bonne œuvre à faire, ou quelque passion à combattre, avant que de rien entreprendre, nous jettions les yeux d’un côté sur notre foiblesse, & de l’autre sur la puissance, sur la sagesse, sur la bonté infinie de Dieu, & que tempérant la crainte qui vient de nous, par l’assurance que Dieu nous donne nous nous exposions courageusement à tout ce qu’il y a de plus pénible dans les travaux, & de plus rude dans les combats. Avec ces armes jointes à la priére, comme on verra dans la suite, nous serons capables d’exécuter les plus grands desseins & de remporter les plus signalées victoires.

Que si nous manquons à suivre cet ordre, bien qu’il nous semble que nous agissons par les principes d’une véritable espérance en Dieu, nous nous trompons le plus souvent, parce que la présomption est si naturelle à l’homme, qu’elle se mêle insensiblement avec la confiance qu’il s’imagine avoir en Dieu, & avec la défiance qu’il croit avoir de lui-même. Ainsi, pour s’éloigner le plus qu’il lui est possible de la présomption, & pour faire entrer dans toutes ses œuvres les deux vertus qui sont oposées à ce vice, il faut que la considération de sa foiblesse aille devant celle de la Toute-puissance divine, & que l’une & l’autre précéde toutes ses œuvres.

  1. Luc, 51.