Le Combat spirituel (Brignon)/04

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Traduction par Jean Brignon.
(p. 30-32).


CHAPITRE IV.
Comment on peut juger si l’on a véritablement de la défiance de soi-même, & la confiance en Dieu.

UN homme présomptueux croit avoir acquis la défiance de lui-même, & la confiance en Dieu ; mais c’est une erreur, qu’on ne connoît jamais mieux, que lorsqu’on vient à tomber en quelque peché. Car alors, fi l’on se trouble, si l’on s’afflige, si l’on perd toute espérance d’avancer dans la vertu, c’est signe que l’on a mis sa confiance non pas en Dieu, mais en soi. Et plus la tristesse & le désespoir sont grands, plus on peut juger qu’on est coupable en ce point. Car celui qui se défie beaucoup de soi-même, & qui se confie beaucoup en Dieu, commet quelque faute, il ne s’en étonne pas, il n’en a ni inquiétude, ni chagrin ; parce qu’il voit bien que c’est l’effet de sa foiblesse, & du peu de soin qu’il a eu d’établir sa confiance en Dieu. Sa chûte au contraire lui aprend à se défier davantage de ses forces, & à se confier davantage au secours du Tout-puissant. Il déteste pardessus toutes choses son peché : il condamne la passion, ou l’habitude vicieuse qui en a été la cause : il conçois une très-vive douleur d’avoir offensé son Dieu ; mais sa douleur toujours tranquile, ne l’empêche pas de revenir à ses premieres occupations, ni de poursuivre ses Ennemis jusqu’à la mort.

Plût à Dieu que ce que je dis fut bien médité par de certaines personnes qui veulent passer pour spirituelles, & qui étant tombées en quelque faute, ne peuvent, ni ne veulent se donner aucun repos, mais sont dans une étrange impatience d’aller trouver leur Directeur, plûtôt pour se délivrer de la peine que leur cause l’amour propre, que par quelqu’autre motif ; quoique leur principal soin dût être de se laver de leurs pechés par le Sacrement de la Pénitence, & de se prémunir contre les rechûtes par celui de l’Eucharistie.