Le Combat spirituel (Brignon)/114

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Traduction par Jean Brignon.
(p. 350-352).


CHAPITRE XIV.
Ce qu’il faut faire pour ne se point affliger de ses fautes.

S’Il arrive que vous pechiez par action ou paroles, que quelque évenement vous mette en colere, que quelque vaine curiosité vous enleve à vos exercices, que quelque joye immoderée, vous transporte, que vous ayez soupçonné de mal votre prochain, ou que vous tombiez par quelqu’autre voyes, même assez souvent, quoique ce soit dans une même faute, & dans celle dont vous aviez résolu de vous garder, vous ne devez point vous inquietter, ni même vous remettre trop dans l’esprit ce qui s’est passé, pour vous affliger & vous déconforter, vous imaginant qu’il n’y aura jamais d’amendement en vous ; que vous ne faites pas ce que vous devez dans vos exercices ; & que si vous le faisiez, vous ne tomberiez pas si souvent en cette faute : car c’est-là une affliction d’esprit, & une perte de tems que vous devez éviter.

Vous ne devez point aussi vous arrêter à éplucher les circonstances du tems de votre faute, s’il a été long ou court, & s’il y a eu plein consentement, ou non ; parce que cela ne sert qu’à vous remplir l’esprit d’inquiétude, devant & après vos Confessions, comme si vous n’aviez jamais dit ce qu’il faut dire, & de la maniere qu’il le faut dire.

Vous n’auriez point toutes ces inquiétudes, si vous connoissiez votre foiblesse naturelle, & si vous sçaviez la maniere dont vous devez agir avec Dieu après vos chûtes. Ce n’est point avec ce chagrin & ce déconfort intérieur, qui inquiete & qui abat, c’est avec une humble, douce & amoureuse conversion à la divine & paternelle bonté, que vous devez recourir à lui : ce qui s’entend, non-seulement des fautes légeres, mais aussi de celles qui sont les plus grandes, non-seulement de celles qui le sont par tiédeur & lâcheté, mais de celles qui se commettent par malice.

C’est ce que plusieurs personnes ne comprennent pas, car au lieu de pratiquer cette grande leçon de la confiance filiale en la bonté & la miséricorde de Dieu, ils traînent des esprits si abatus, qu’à peine peuvent-ils seulement penser à rien de bon, & menent un vie misérable & languissante, pour vouloir préferer leurs imaginations à la vraye & salutaire doctrine.