Le Combat spirituel (Brignon)/115

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Traduction par Jean Brignon.
(p. 353-354).


CHAPITRE XV.
Que l’Ame doit se calmer sans perdre de tems à chaque inquiétude qui lui arrive.

QUe ce soit donc votre regle autant de fois que vous tomberez en quelque faute, grande ou petite, quand vous l’auriez commise volontairement mille fois le jour, aussi-tôt que vous reconnoîtrez ce que vous avez fait, de faire réflexion sur votre fragilité, récourir à Dieu d’un esprit humilié, & lui dire avec une douce & aimable confiance : Vous avez vû, Mon Dieu, que j’ai fait ce que je puis, vous avez vû ce que je suis, le peché ne sçauroit produire que peché, vous m’avez fait la grace du repentir, je supplie votre bonté de m’accorder avec le pardon, celle de ne jamais plus vous offenser. Cette priere étant faite, ne perdez point de tems en vos réflexions inquietes pour sçavoir si le Seigneur vous a pardonné ; remettez-vous humblement & doucement dans vos exercices, sans penser à ce qui est arrivé, avec même confiance & même repos d’esprit qu’auparavant ; quelque nombre de fois que vous soyez tombé, quand ce seroit cent mille fois, vous devez faire la même chose à la derniere chûte qu’à la premiere : car outre que c’est retourner toujours à Dieu, qui comme un bon Pere, est toujours prêt de nous recevoir quand nous venons à lui, c’est que nous ne perdons point le tems en inquietude & en chagrins, qui troublent l’esprit, & le tiennent long-tems incapable de rentrer dans le calme & la fidelite.

Je voudrois que ces Ames qui s’inquietent & se déconfortent de leurs chûtes, voulussent bien entendre ce secret spirituel, elles reconnoîtroient aussi tôt combien cet état est different de celui d’un intérieur humble & tranquile, où regne l’humilité & la paix, & de quel préjudice leur est la perte du tems, que ces inquiétudes leur causent.