Le Combat spirituel (Brignon)/16

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Traduction par Jean Brignon.
(p. 80-85).


CHAPITRE XVI.
Que dès le matin le Soldat Chrétien doit se préparer au Combat.

LA premiere chose que vous devez faire à votre réveil, c’est d’ouvrir les yeux de l’ame, & de vous considérer comme dans un champ de bataille, en présence de votre ennemis, & dans la nécessité, ou de combattre, ou de périr pour jamais. Figurez-vous donc devant vous cet ennemi, qui n’est autre chose qu’un vice, qu’une passion déréglée, dont vous tachez depuis quelque tems de vous défaire ; figurez-vous, dis-je, ce monstre furieux qui vient se jetter sur vous, pour vous dévorer. Représentez-vous en même tems à la droite de Jesus-Christ votre invincible Capitaine, accompagné de Marie & de Joseph, de plusieurs troupes d’Anges & de Bienheureux, & particulierement du glorieux Archange saint Michel : à la gauche, Lucifer avec ses Ministres, résolus de soutenir cette passion, ou ce vice, que vous avez à combattre, & de mettre tout en œuvre pour vous y faire succomber.

Cependant imaginez-vous entendre au fond du cœur la voix de votre Ange Gardien, qui vous parle de la sorte : c’est aujourd’hui que vous devez faire les derniers efforts pour vaincre cet ennemi, & tous ceux qui ont conspiré contre vous. Ayez bon courage ? Ne vous laissez vaincre, ni à une vaine frayeur, ni à quelque considération que ce soit ; parce que Jesus, votre Capitaine, est ici auprès de vous avec les Troupes de l’Armée Céleste, dans le dessein de vous défendre contre tous ceux qui vous font la guerre, & de ne permettre jamais qu’ils vous réduisent sous leur puissance, ni par force, ni par adresse. Demeurez ferme, & quelque peine que vous y trouviez, faites-vous violence : criez au Seigneur du plus profond de votre ame, invoquez continuellement Jesus & Marie, priez tous les Saints de vous sécourir, & ne doutez point après cela que vous ne gagniez la victoire.

Quelque foible que vous vous trouviez, quelques redoutables que vos ennemis vous paroissent, & pour leur nombre, & pour leurs forces, ne craignez rien ; car les Troupes qui viennent du Ciel à votre secours, sont plus nombreuses, que celles que l’enfer envoye pour vous ôter la vie de la grace. Le Dieu qui vous a créé, & qui vous a racheté, est Tout-puissant : il vous aime, il vous protége, & il a sans comparaison plus d’envie de vous sauver, que le démon n’en a de vous perdre.

Combattez donc vaillamment, ne vous lassez point de vous mortifier ; parce qu’en faisant une continuelle guerre à vos mauvaises inclinations, à vos habitudes vicieuses, vous remporterez enfin la victoire ; & par-là vous rentrerez dans le Royaume du Ciel, où l’ame demeure éternellement unie à son Dieu : Commencez dès maintenant à combattre au nom du Seigneur, ayant pour épée & pour bouclier, la défiance de vous-même, la confiance en Dieu, l’Oraison, l’exercice sainte de vos puissances spirituelles.

Avec ces armes vous attaquerez l’ennemi, je veux dire, cette passion dominante, que vous vous êtes proposé de vaincre, ou par un mépris généreux, ou par une ferme résistance, ou par des Actes reiterés de la vertu qui lui est contraire ; ou enfin par d’autres moyens que le Ciel vous fournira pour l’exterminer de votre cœur. Ne vous donnez point de repos, que vous ne l’ayez tout-à-fait domptée, vous mériterez par votre constance, de recevoir la couronne des mains du Souverain Juge, qui avec toute l’Eglise Triomphante, sera spectateur de votre combat.

Je vous le dis encore une fois, vous ne devez point vous ennuyer de cette guerre. Considérez seulement que tous les hommes sont obligés de servir Dieu, & de tâcher à lui plaire ; que c’est d’ailleurs une nécessité de combattre, puisqu’on ne peut prendre la fuite sans s’exposer à être blessé, & même à perdre la vie ; & qu’après tout, quand on voudroit se révolter contre Dieu, embrasser le parti du monde, s’abandonner aux plaisirs des sens, on ne seroit pas exempt de peine, puisqu’on auroit toujours à souffrir beaucoup malgré qu’on en eût, & dans le corps & dans l’ame, pour satisfaire sa sensualité & son ambition. Quelle plus grande folie que de ne pas craindre en ce monde, des peines très-rudes, qui sont suivies d’une éternité de tourmens ; de craindre quelques peines assez legéres, qui se terminent à une éternité de bonheur, à un repos où l’on jouit pour jamais de Dieu.