Le Combat spirituel (Brignon)/18

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Traduction par Jean Brignon.
(p. 86-90).


CHAPITRE XVIII.
De quelle maniere on doit réprimer les mouvemens subtils des passions.

SI vous n’êtes pas encore bien accoutumé à supporter patiemment les injures, les affronts & les autres peines de cette vie, vous vous y accoutumerez en les prévoyant, & vous préparant de loin à les recevoir. Lors donc que vous aurez examiné de quelle nature est cette passion qui vous tourmente davantage, vous verrez ensuite quelles sont les personnes à qui vous avez affaire ; quels sont les lieux & les occasions, où vous vous trouvez ordinairement, & vous connoitrez par-là ce qui peut vous arriver de facheux.

Que s’il vous survient quelque accident imprévu, outre qu’il vous servira de beaucoup de vous être précautionné contre de pareils sujets de mortification & de peine : voici encore un moyen de vous le rendre plus suportable. Dès que vous vous sentirez tant soit peu émû d’une injure qu’on vous aura fait sur le champ, d’une affliction qui vous sera arrivée contre votre attente ; prenez garde à vous, ne vous laissez pas aller au chagrin : songez d’abord à élever votre cœur à Dieu, & considérez que cet accident est un coup du Ciel ; que Dieu même, ce Pere si bon, ne vous l’envoye que comme un moyen de vous purifier davantage, & de vous unir plus étroitement à lui, & qu’il se plaît infiniment à vous voir souffrir avec joye les plus grandes adversités pour l’amour de lui.

Tournez-vous après cela vers vous-mêmes, & faites-vous de justes reproches. Lâche que tu es, comment as-tu si peu de courage, que de ne pouvoir porter une Croix qui te vient, non pas de cette personne, ou de cette autre, mais de ton Pere qui est dans le Ciel. Puis envisageant la Croix recevez-la, non-seulement avec soumission, mais même avec allégresse, en disant : O Croix, que la Providence divine m’a préparée, avant que je fusse au monde ; Croix, que l’amour du Nom de Jesus crucifié me rend plus douce que tous les plaisirs des sens, attachez-moi désormais à vous ; afin que par vous je puisse être uni à celui qui m’a racheté, en mourant entre vos bras.

Que si la passion vous trouble tellement d’abord, qu’elle vous mette hors d’état d’élever votre esprit à Dieu, & que même votre volonté en reçoive quelque atteinte, gardez-vous bien de le laisser aller plus avant ; & quelque désordre qu’elle ait pû causer dans votre cœur, ne laissez pas de faire tous vos efforts pour la vaincre, en implorant avec ferveur le secours du Ciel. Après tout, la voye la plus sûre pour arrêter ces premieres saillies des passions, est d’essayer de bonne heure d’en ôter la cause. Si vous remarquez, par exemple, que pour avoir trop d’attache à quelque chose, vous vous mettez en colere toutes les fois que l’on s’oppose à vos inclinations, rompez cette attache, & vous joüirez toujours d’un parfait repos.

Mais si le trouble que vous ressentez, vient non d’un amour déréglé pour quelque objet agréable, mais d’une aversion naturelle pour une personne en qui tout vous choque, & dont les moindres actions vous déplaisent, le grand remede à ce mal, est que malgré votre antipathie, vous tachiez d’aimer cette personne, non seulement, parce que c’est une créature formée de la main de Dieu, & rachetée du précieux Sang de Jesus-Christ, aussi-bien que vous, mais parce qu’en suportant avec douceur ses défauts, vous pouvez vous rendre semblable au Pere céleste, qui a de l’amour & de la bonté généralement pour tous.