Le Combat spirituel (Brignon)/19

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Traduction par Jean Brignon.
(p. 90-101).


CHAPITRE XIX.
De quelle sorte il faut combattre le vice de l’impureté.

VOus devez combattre ce vice d’une maniere particuliere, & avec plus de vigueur que les autres, Pour le bien faire, il faut distinguer trois tems : le premier, avant que d’être tenté ; le second, pendant que l’on est tenté ; le troisiéme, quand la tentation est passée.

Avant que la tentation vienne. 1. On doit employer tous ses soins à en prévenir jusqu’aux moindres occasions, & à s’éloigner des personnes dont le commerce est dangereux. Que par malheur on est obligé de traiter avec ces sortes de personnes, il faut qu’on le fasse le plus vîte qu’on pourra, avec un visage modeste, avec des paroles graves, & d’un air plûtôt sérieux, que familier & enjoüé.

Ne présumez point de vous-mêmes sur ce que durant plusieurs années que vous avez vécu dans le monde vous n’avez presque jamais sçû ce que c’est que l’aiguillon de la chair. Car le démon de l’impureté fait en une heure, ce qu’il n’a pas fait en plusieurs années. Il est quelquefois longtems à préparer ses machines ; mais les coups qu’il donne, sont d’autant plus rudes, les playes qu’il fait, sont d’autant plus dangéreuses, qu’il sçait l’art de se contrefaire & de tuer en flatant.

Il est même à remarquer, & l’expérience journaliere le montre, que le péril n’est jamais plus grand, que lorsqu’on fait, ou qu’on entretient de certaines liaisons, où il ne paroît rien de mal, parce qu’elles sont fondées sur des raisons spécieuses, ou de parenté, ou de gratitude, ou de quelqu’autre devoir, ou sur le mérite de la vertu de la personne qu’on aime, L’amour impur se glisse insensiblement dans ces amitiés, par des visions fréquentes, par des conversations trop longues, par des familiarités indiscretes ; jusqu’à ce qu’enfin le poison gagne le cœur, & la raison s’obscurcit de sorte, que l’on ne compte pour rien des œillades peu modestes, des paroles tendres, des entretiens libres & pleins de railleries ; d’où naissent des tentations très-rudes & très-difficiles à vaincre.

Fuyons donc ayant toutes choses l’occasion du peché, parce que vous êtes comme de la paille auprès d’un grand feu, & ne vous fiez point à votre vertu, ni à la résolution que vous avez prise de mourir plûtôt que d’offenser Dieu ; car quelque bonne volonté que vous ayez, l’amour sensuel qui s’allume dans ces conversations douces & fréquentes, s’embrasera tellement que rien ne sera capable de l’éteindre. Le desir violent d’assouvir votre passion, vous empêchera d’écouter les remontrances de vos amis : vous perdrez la crainte de Dieu : vous mépriserez l’honneur & la vie : les feux mêmes de l’enfer n’étoufferont pas les flammes impures dont vous brûlerez. Cherchez donc votre salut dans la fuite, autrement vous serez surpris, & la peine d’une confiance présomptueuse sera la mort éternelle.

2. Soyez ennemi de l’oisiveté : pensez à ce qui est de votre devoir, n’oubliez rien pour satisfaire aux obligations essentielles de votre état.

3. Obéissez avec joye & sans résistance à vos Supérieurs ; exécutez promptement tout ce qu’ils vous commanderont ; & que les choses les plus humiliantes & les plus contraires à votre inclination, soient toujours celles que vous embrassiez avec plus d’ardeur.

4. Gardez-vous bien de juger témérairement de votre prochain, surtout en matiere d’impureté. Que s’il est tombé par malheur en quelque désordre, & que sa chûte soit publique, ne le traitez pas pour cela avec mépris ; ne vous fachez pas contre lui, mais ayez pitié de sa foiblesse, & tachez d’en profiter, en vous humiliant devant Dieu ; en confessant que vous n’êtes que poussiere, que bouë, & qu’un pur néant ; en redoublant vos prieres, en fuyant avec plus de soin que jamais tout commerce dangéreux, pour peu suspect qu’il puisse être. Car si vous êtes trop prompt à juger désavantageusement de vos freres, Dieu pour vous punir, & pour vous corriger tout ensemble, permettra que vous tombiez dans les mêmes fautes que vous condamnés ; & par cette humiliation, reconnoissant votre orgueil & votre imprudence, vous chercherez des remedes à l’un & à l’autre.

Mais quand vous pourriez éviter ces chûtes honteuses, sçachez néanmoins que si vous continuez à former des jugemens & des soupçons téméraires, vous serez toujours en grand danger de périr.

5. Si vous vous sentez le cœur rempli de délices & de consolations spirituelles, n’en ayez pas en vous-mêmes de secrettes complaisances : ne vous imaginez pas être arrivé au comble de la perfection, ni que l’ennemi soit hors d’état de vous nuire, parce qu’il vous semble n’avoir plus pour lui que du mépris, de l’aversion & de l’horreur. Assûrez-vous que sans une extrême circonspection, vous aurez bien de la peine à vous empêcher de tomber.

Venons maintenant à ce qui regarde le tems de la tentation. Il faut voir d’abord si la cause d’où elle procede est intérieure ou extérieure.

Par la cause extérieure, j’entends la curiosité, soit des yeux, soit des oreilles, sur des choses peu honnêtes, la délicatesse, le luxe & les habits, les amitiés trop naturelles, des conversations trop libres. On remedie à ce mal par la pudeur & la modestie, qui tient les yeux & les oreilles fermées aux objets capables de soüiller l’imagination. Mais le souverain remede est la fuite, ainsi que nous avons dit.

La cause intérieure vient d’un excès d’embonpoint, ou d’une foule de pensées mauvaises, qui sont les effets de nos méchantes habitudes, ou de la suggestion du démon.

Le corps accoutumé à la bonne chere & à la molesse, doit être mortifié par les jeûnes, par les disciplines, par les cilices, par les veilles, & par toutes sortes d’austérités, sans néanmoins passer les bornes de la discrétion, ni de l’obéissance.

Pour le regard des pensées impures, de quelque principe qu’elles viennent, on peut s’en défaire. 1. Par une sérieuse aplication aux exercices propres de son état. 2. Par l’Oraison & la Méditation.

L’Oraison se fera en cette maniere. Dès que ces sortes de pensées vous viendront dans l’esprit, & que vous commencerez à en sentir l’impression, recueillez-vous en vous-mêmes, & vous adressant à Jesus crucifié, dites-lui : O mon doux Jesus, hâtez-vous de venir à mon secours, de crainte que je ne tombe entre les mains de mes ennemis. Quelquefois embrassant la Croix, ou Jesus est attaché, baisez mille fois les playes sacrées de ses pieds, & dites avec confiance & avec amour : O playes adorables, ô playes infiniment saintes, imprimez votre figure dans mon cœur, dans ce cœur si plein d’abomination, & préservez moi du peché.

Pour ce qui est de la Méditation, je ne vous conseille pas, lorsque la tentation vous presse & vous tourmente le plus, de faire ce que quelques livres enseignent pour donner de l’horreur de l’impureté : de considérer, que ce vice est très-honteux, qu’il est insatiable, qu’il traine après soi une infinité de dégoût, de déplaisirs, de chagrins, & quelquefois même la perte des biens, de la santé, de la vie & de l’honneur, &c. La raison est que ces sortes de considérations ne sont pas de trop bons moyens pour nous tirer du péril ; mais que souvent elles ne font que nous y engager davantage : parce que si d’un côté l’entendement chasse les pensées mauvaises, il les rappelle de l’autre, & met toujours la volonté en danger d’y consentir.

Ainsi la voye la plus sûre pour nous en défaire, est d’éloigner de notre pensée, non-seulement les objets impurs, mais même ceux qui leur sont contraires ; parce qu’en nous efforçant de les dissiper par ceux qui leur sont contraires, nous y pensons malgré nous, & en conservons les images : contentez-vous donc de méditer sur la Vie & sur la Passion de notre-Seigneur ; & si durant ce saint exercice les mêmes pensées vous reviennent si elles vous font plus de peine qu’auparavant, comme cela peut arriver, ne vous découvrez pas, ni ne quittez pas la Méditation ; bien loin de faire de grands efforts pour les chasser, méprisez-les comme venant du démon, & non pas de vous : continuez seulement à méditer avec toute l’attention possible sur la mort de votre Sauveur, parce qu’il n’est rien de plus puissant pour repousser l’esprit immonde, quand même il seroit déterminé à vous faire éternellement la guerre.

Vous finirez votre méditation par cette priere, ou par quelqu’autre semblable. O mon Créateur & mon Rédempteur, délivrez-moi de mes ennemis par votre infinie bonté, & par les mérites de votre sainte Passion. Mais souvenez-vous en disant cela de ne point penser au vice, dont vous essayez de vous défendre, parce que la moindre idée en est dangereuse. Surtout prenez garde de ne point perdre de tems à disputer avec vous-même, pour sçavoir si vous avez consenti ou non à la tentation. Car cette sorte d’examen est une invention de l’ennemi, qui sous prétexte d’un bien aparent, d’une obligation chimérique, veut vous donner de l’inquiétude, ou qui espere du moins de vous faire prendre quelque plaisir à ces images impures, dont il vous occupe l’esprit.

Lors donc qu’il ne paroît pas clairement que vous avez consenti au mal, il vous doit suffire de déclarer en peut de mots à votre Pere spirituel tout ce que vous en sçavez ; & selon ce qu’il vous dira, tenez-vous l’esprit en repos, & n’y pensez plus. Mais découvrez-lui fidelement tout le fond de votre cœur, sans que jamais vous lui cachiez rien, ni par une mauvaise honte, ni par quelqu’autre raison que ce soit. Car si l’humilité vous est nécessaire, pour vaincre généralement vous vos ennemis, combien devez-vous en avoir besoin pour vous délivrer de ce vice, qui est presque toujours un châtiment de l’orgueil !

Enfin, quand la tentation est passée, voici ce que vous avez à faire. Quoique vous joüissiez d’une grande paix, & que vous croyez être en assûrance, fuyez néanmoins tant que vous pourrez les objets qui ont fait naître la tentation, & ne souffrez point qu’ils entrent dans votre esprit, sous quelque couleur que ce soit, ou de vertu, ou d’un bien imaginaire que vous prétendez en tirer. Car ces sortes de prétextes sont des tromperies de la nature corrompuë, & des pieges du démon, qui contrefait l’Ange de lumiere, pour vous entraîner avec lui dans les ténebres extérieures, qui sont celles de l’enfer.