Le Combat spirituel (Brignon)/26

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Traduction par Jean Brignon.
(p. 140-144).


CHAPITRE XXVI.
Ce qu’il faut faire lorsqu’on a reçû quelque playe dans le Combat Spirituel.

QUand vous vous sentez blessé, c’est-à-dire, quand vous voyez que vous avez fait quelque faute, soit par pure fragilité, soit avec réflexion & par malice, ne vous affligez pas trop pour cela ; ne vous laissez pas aller au chagrin & à l’inquiétude ; mais adressez-vous aussi-tôt à Dieu, & dites-lui avec une humble confiance : c’est maintenant, ô mon Dieu, que j’ai fait voir ce que je suis : car que pouvoit-on attendre d’une créature foible & aveugle comme moi, que des égaremens & des chûtes ? Arrêtez-vous un peu là-dessus, afin de vous confondre en vous-même, & de concevoir une vive douleur de votre faute.

Puis, sans vous troubler, tournez toute votre colere contre les passions qui vous dominent, principalement contre celle qui a été cause de votre peché.

Seigneur, direz-vous, j’aurois commis de bien plus grands crimes, si par votre infinie bonté vous ne m’aviez secouru.

Rendez ensuite mille actions de graces à ce Pere de miséricordes ; aimez-le plus que jamais, voyant que bien loin de se ressentir de l’injure que vous venez de lui faire, il vous tend encore la main, de peur que vous ne tombiez de nouveau dans quelque pareil désordre.

Enfin plein de constance, dites-lui : Montrez, ô mon Dieu, ce que vous êtes : faites sentir à un pecheur humilié votre divine miséricorde : pardonnez-moi toutes mes offenses : ne permettez pas que je me sépare, ni que je m’éloigne tant soit peu de vous : fortifiez-moi tellement de votre grace, que je ne vous offense jamais.

Après cela, n’allez point examiner si Dieu vous a pardonné, ou non. Car c’est vouloir vous inquiéter en vain, c’est perdre le tems ; & il y a en ce procedé bien de l’orgueil & de l’illusion du démon, qui sous des prétextes spécieux, cherche à vous faire de la peine. Ainsi abandonnez-vous à la miséricorde divine, & continuez vos exercices avec autant de tranquillité, que si vous n’aviez point commis de faute. Quand vous auriez même offensé Dieu plusieurs fois en un seul jour, ne perdez jamais la confiance en lui. Pratiquez ce que je vous dis, la seconde, la troisiéme, la derniere fois, comme la premiere : concevez toujours un plus grand mépris de vous-même, & une plus grande haine du peché, & soyez plus sur vos gardes à l’avenir. Cette maniere de combattre contre le démon lui déplaît infiniment, parce qu’il sçait qu’elle déplaît beaucoup à Dieu, & qu’il en remporte toujours de la confusion, se voyant dompté par celui même qu’il avoit aisément vaincu en d’autres rencontres. Ainsi employe-t-il toutes ses ruses pour nous la faire quitter ; & il vient souvent à bout, à cause du peu de soin que nous avons de veiller sur notre intérieur.

Au reste, plus vous y trouvez de difficulté, plus vous devez faire effort pour vous surmonter vous-même. Et ne vous contentez pas de pratiquer une fois ce saint exercice, mais reprenez-le souvent, quand même vous ne vous sentiriez coupable que d’un seul peché. Si donc une faute où par malheur vous serez tombé, vous cause du trouble & vous abat le courage, la premiere chose que vous devez faire, c’est de tacher à recouvrer la paix de votre ame, & la confiance en Dieu. Il faut ensuite que vous éleviez votre cœur au Ciel, & que vous croyiez fermément que le chagrin qu’on a quelquefois d’avoir failli, n’a pas pour objet l’offense de Dieu, mais le chatiment qu’on a mérité, & qu’on appréhende plus que tout le reste.

Le moyen de recouvrer cette paix si souhaitable & si nécessaire, est de ne plus penser à votre peché, mais d’envisager l’infinie bonté de Dieu qui est toujours prêt, qui desire même de pardonner les crimes les plus énormes aux plus grands pecheurs, & qui n’oublie rien pour les ramener à leur devoir, pour les unir fortement à lui, pour les sanctifier en cette vie & pour les rendre éternellement Bienheureux dans l’autre, Quand ces considérations, ou d’autres semblables auront calmé votre esprit, revenez alors à celle de votre peché, & observez toutes les choses que nous avons dites.

Enfin, dans le Sacrement de la Pénitence, dont je vous conseille de vous approcher souvent, remettez-vous devant les yeux toutes vos fautes, & déclarez-les sincerement à votre Pere Spirituel, avec une nouvelle douleur d’y être tombé, & avec une nouvelle résolution de n’y tomber jamais.