Le Combat spirituel (Brignon)/25

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Traduction par Jean Brignon.
(p. 133-140).


CHAPITRE XXV.
Que le Soldat de Jesus-Christ qui a résolu de combattre & de vaincre ses ennemis, doit éviter autant qu’il lui est possible, ce qui peut troubler la paix de son cœur.

Lorsque nous avons perdu la paix du cœur, nous devons mettre tout en œuvre pour la recouvrer : mais quoiqu’il arrive en ce monde, rien n’est capable de nous la ravir, ni de la troubler malgré nous. Il faut à la vérité que nous concevions de la douleur de nos fautes ; mais cette douleur doit être tranquille & modérée, comme je l’ai dit plusieurs fois. Il faut de même que nous ayons compassion des autres pecheurs ; & que du moins intérieurement, nous gémissions de leur perte : il faut aussi que notre compassion soit tendre, mais sans chagrin & sans trouble, comme étant l’effet d’une charité toute pure.

Pour ce qui regarde une infinité de maux ausquels nous sommes sujets en ce monde, tels que sont les maladies, les playes, la mort, la perte de nos amis & de nos proches, la peste, la guerre, les embrasemens & plusieurs autres accidens facheux, que les hommes apréhendent, comme contraires à la nature toujours ennemie des souffrances ; nous pouvons, avec le secours de la grace, non-seulemant les accepter de la main de Dieu, mais nous en faire des sujets de joye, en les regardant, ou comme des punitions salutaires pour les pecheurs, ou comme des occasions de mérite pour les Justes.

Ces deux considérations font que Dieu même prend plaisir à nous affliger ; mais il est certain que tant que notre volonté sera soumise à la sienne, nous demeurerons avec un esprit tranquille au milieu des afflictions les plus rudes. Sçachez au reste, que toute inquiétude lui déplaît ; parce que de quelque nature qu’elle soit, elle n’est jamais sans quelque défaut, & vient toujours d’un mauvais principe, qui est l’amour propre. Tachez donc de prévoir de loin ce qui peut vous inquiéter, & préparez-vous de bonne heure à le supporter avec patience. Considérez que les maux présens, quelques terribles qu’ils paroissent, ne sont pas effectivement des maux ; qu’ils ne sçauroient nous priver des biens véritables ; que Dieu les envoïe ou les permet pour les raisons que nous avons dites, ou pour d’autres qui nous sont cachées, mais qui ne peuvent être que très-justes.

En conservant de la sorte un esprit toujours égal parmi les divers accidens de cette vie, vous profiterez beaucoup : sans cela, vos exercices réussiront mal, & vous n’en tirerez aucun fruit ; de plus, tant que vous aurez l’esprit inquiet, vous demeurerez exposé aux insultes de l’ennemi, sans pouvoir connoître quelle est la voye sûre & le droit chemin de la vertu. Le démon fait tous ses efforts pour bannir la paix du cœur, parce qu’il sçait que Dieu demeure dans la paix ; & que c’est dans la paix qu’il a operé de grandes choses. De-là vient qu’il n’est point de ruse dont il ne se serve pour nous la ravir ; & qu’afin de nous surprendre, il se contrefait, il nous inspire des desseins qui paroissent bons, mais qui sont méchans en effet, & qu’on reconnoît à plusieurs marques, surtout en ce qu’ils troublent la paix, intérieure.

Pour remédier à un mal si dangéreux, lorsque l’ennemi s’efforce d’exciter en nous quelque mouvement, ou quelque desir nouveau, ne lui ouvrons pas d’abord notre cœur : renonçons premierement à toutes affections, qui peuvent naître de l’amour propre : offrons à Dieu ce nouveau desir. : prions-le instamment de nous faire connoître s’il vient de lui, ou du démon, & n’oublions pas de consulter là-dessus notre Directeur. Lors même que nous sommes sûrs qu’un desir qui se forme dans notre cœur, est un mouvement de l’Esprit de Dieu, nous ne devons pas nous mettre en devoir de l’exécuter, qu’auparavant nous n’ayons mortifié la trop grande envie que nous avons, qu’il soit accompli. Car une bonne œuvre précedée par cette sorte de mortification, est bien plus agréable à Dieu, que si elle se faisoit avec une ardeur & un empressement naturel, souvent la bonne œuvre lui plaît beaucoup moins que la seule mortification. Ainsi rejettant les mauvais desirs & n’exécutant les bons, qu’après avoir réprimé tous les mouvemens de la nature, nous conserverons notre cœur dans une tranquillité parfaite.

Il est encore besoin pour cela de mépriser de certains remords intérieurs, qui semblent venir de Dieu, parce que ce sont des reproches que notre conscience nous fait sur de véritables défauts, mais qui viennent effectivement du malin esprit, selon qu’on en peut juger par les suites. Si les remords de conscience servent à nous humilier, s’ils nous rendent plus fervens dans la pratique des bonnes œuvres, s’ils ne diminuent la confiance qu’il faut avoir en la miséricorde Divine, nous les devons recevoir avec actions de graces, comme des faveurs du Ciel. Mais s’ils nous causent du trouble, s’ils nous abattent de courage, s’ils nous rendent paresseux, timides, lents à nous acquitter de nos devoirs ; nous devons croire que ce sont des suggestions de l’ennemi, & faire les choses à l’ordinaire, sans daigner les écouter.

Mais outre cela, comme il arrive le plus souvent que nos inquiétudes naissent des maux de cette vie, pour nous en défendre, nous avons deux choses à faire. L’une est de considérer ce que ces maux sont capables de détruire en nous ; si c’est l’amour de la perfection, ou l’amour propre ; s’ils ne détruisent que l’amour propre, qui est notre capital ennemi, nous ne devons pas nous en plaindre ; nous devons plûtôt les accepter avec joye & avec reconnoissance, comme des graces que Dieu nous fait, comme des secours qu’il nous envoye. Mais s’ils peuvent nous détourner de la perfection, & nous rendre la vertu odieuse, il ne faut pas pour cela nous décourager, ni perdre la paix du cœur, comme nous verrons bien-tôt.

L’autre chose est, qu’élevant notre esprit à Dieu, nous recevions indifféremment tout ce qui nous vient de sa main, persuadés que les Croix même qu’il nous présente, ne peuvent être pour nous que les sources d’une infinité de biens, que nous négligeons, parce qu’ils nous sont inconnus.