Le Combat spirituel (Brignon)/30

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Traduction par Jean Brignon.
(p. 153-156).


CHAPITRE XXX.
De l’erreur de quelques uns qui s’imagine de marcher dans la voye de la perfection.

L’Ennemi étant vaincu à la premiere & à la seconde attaque, il ne laisse pas d’en donner une troisiéme. Il tache de nous faire oublier les vices & les passions, dont nous sommes actuellement combattus, & de nous mettre dans l’esprit de vains projets d’une perfection imaginaire où il sçait bien que nous n’arriverons jamais. De-là vient que nous recevons à toute heure des playes mortelles, & que nous ne songeons pas à y remédier. Car ces desirs & ses résolutions chimériques nous paroissent de véritables effets, & par un orguëil secret, nous croyons déja être parvenus à une haute sainteté, Ainsi nous ne pouvons supporter la moindre peine ni la moindre injure ; & cepandent nous nous amusons à former dans la Méditation de grands desseins de souffrir les plus horribles tourmens, & les peines même du Purgatoire pour l’amour de Dieu.

Ce qui nous trompe, c’est que la partie inferieure ne redoutant pas beaucoup des souffrances éloignées, nous osons nous comparer à ceux qui souffrent effectivement de grandes peines avec une plus grande patience. Si nous voulons éviter un piege si dangéreux, déterminons-nous au Combat, & combattons en effet tant d’ennemis qui nous environnent, & qui nous attaquent de près. Nous reconnoîtrons par-là si nos bonnes résolutions ont été lâches ou généreuses, aparentes ou sinceres ; & nous irons à la perfection par le véritable chemin que les Saints nous ont frayé.

Pour ce qui est des ennemis qui ne nous font pas ordinairement la guerre, ne nous mettons pas beaucoup en peine de les combattre, à moins que nous ne prévoyons que dans quelque tems & en de certaines rencontres, ils s’éleveront contre nous. Car pour nous mettre en état de soutenir leurs attaques, nous devons nous prémunir de bonne heure par de fermes résolutions de les vaincre.

Mais quelques fermes que nous paroissent ces résolutions, ne les considérons pas comme des victoires ; quand même nous ne serions exercés durant quelque tems à la pratique des vertus, & que nous y aurions fait un progrès considérable. Tenons-nous toujours dans l’humilité ; craignons tout de notre foiblesse ; défions-nous de nous-mêmes, & mettons notre confiance en Dieu seul ; prions-le souvent de nous fortifier dans le Combat, de nous préserver de tout péril, d’étouffer, particulierement dans nos cœurs, tout sentiment de présomption & de confiance en nos forces. Avec cela nous pourrons aspirer à la plus sublime perfection ; quoique d’ailleurs nous ayons bien de la peine à nous corriger de quelques légers défauts que Dieu nous laisse souvent, afin de nous humilier, & de conserver par-là le peu de mérites que nous avons acquis par nos bonnes œuvres.