Le Combat spirituel (Brignon)/34

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Traduction par Jean Brignon.
(p. 181-184).


CHAPITRE XXXIV.
Que les vertus ne s’acquierent que peu à peu & par degrés, les unes après les autres.

BIen que le vrai serviteur de Jesus-Christ, qui aspire à la plus haute perfection, ne doive point mettre de bornes à son avancement spirituel, il faut toutefois que la prudence modere en lui de certains excès d’une ferveur inconsiderée, & qui d’abord rien n’est difficile ; mais qui est sujette à se rallentir & à s’éteindre tout à fait. C’est pourquoi, outre ce qui a été dit de la maniere de régler les exercices extérieurs, il est bon de remarquer que les vertus intérieures s’acquierent aussi peu à peu, & qu’on y parvient par degrés. De cette sorte on jette les fondemens d’une solide & constante piété, & en peu de tems on gagne beaucoup.

Ainsi en matiére de patience, ne prétendez pas pouvoir tout-d’un-coup desirer les croix, & vous en réjouir, il faut vous résoudre auparavant à passer par les degrés les plus bas de cette vertu. Suivant ce même principe, n’embrassez point tout à la fois toutes les vertus, ni même plusieurs ensemble ; attachez-vous à une seule, & puis à une autre si vous voulez que l’habitude s’enracine profondément & sans peine dans votre ame. Car n’entreprenant qu’une vertu, & ne cessant de vous y exercer, votre mémoire s’y apliquera davantage : votre entendement éclairé de la lumiere céleste, inventera de nouveaux moyens & de nouvelles raisons pour vous la faire embrasser : votre volonté enfin s’y portera avec plus d’ardeur : ce qui n’arriveroit pas, si ces trois puissances étoient partagées à plusieurs objets.

D’ailleurs les Actes qu’il faut produire, pour contracter l’habitude d’une vertu, n’ayant tous qu’un même but, & s’aidant les uns les autres, en deviendront moins pénibles ; & les derniers feront d’autant plus d’impression dans votre cœur, qu’ils y trouvent les saintes dispositions que les premiers y auront laissées.

Toutes ces raisons vous paroîtront convaincantes, si vous faites réflexion que quiconque s’exerce bien dans une vertu, aprend insensiblement à s’exercer dans les autres ; & qu’une vertu ne se peut perfectionner, qu’en même tems toutes les autres ne se perfectionnent, à cause de l’étroite union qu’elles ont ensemble, comme les rayons d’un même soleil.