Le Combat spirituel (Brignon)/35

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Traduction par Jean Brignon.
(p. 184-188).


CHAPITRE XXXV.
Des moyens les plus utiles pour acquérir les vertus, & de quelle sorte on doit s’attacher à une vertu durant quelque tems.

J’Ajoute à ce que je viens de dire que pour devenir solidement vertueux, il faut avoir un cœur grand, une volonté ferme & généreuse ; parce qu’il se trouve dans la suite bien des contradictions & des peines à essuyer. Il faut de plus ressentir une inclination particuliere pour la vertu, & cette inclination vient, en considérant souvent combien les vertus plaisent à Dieu, combien elles sont excellentes en elles-mêmes, combien elles sont utiles & nécessaires à l’homme, & que c’est par elles que toute la perfection Chrétienne commence & finit. Il importe extrêmement de se proposer tous les matins de les pratiquer, selon qu’on en trouvera l’occasion durant le jour ; & l’on s’examinera souvent, pour voir si l’on a exécuté ses bonnes résolutions, & pour en former encore de nouvelles plus efficaces & plus constantes que les premieres.

Ce que je dis, se doit observer particulierement à l’égard de la vertu, qu’on tache alors d’obtenir, & dont on croit voir le plus de besoin. C’est à cette même vertu qu’il faut rapporter toutes les réflexions qu’on fait sur les exemples des Saints, toutes les Méditations sur la Vie & sur la Passion de Notre-Seigneur, qui sont d’une extrême utilité en toute sorte d’exercice spirituel, Accoutumons-nous tellement à faire des Actes de vertu, soit intérieurs, soit extérieurs, que nous y trouvions autant de facilité & de plaisir, que nous en avions auparavant à suivre notre penchant naturel. Et souvenons-nous de ce qui a été dit d’ailleurs ; que les actions les plus contraires aux inclinations de la nature, sont les plus propres à introduire dans notre ame l’habitude de la vertu.

Quelques Sentences tirées des Saintes Écritures prononcées de la maniére qu’il faut, ou de bouche ou du cœur, servent encore merveilleusemenr à cet exercice. Ainsi nous devons toujours en avoir plusieurs qui ayent raport à la vertu que nous devons acquérir, & en user à propos durant la journée, surtout lorsque la passion qui nous domine, vient à s’échauffer. Ceux donc qui tâchent à devenir doux & patiens, peuvent se servir ou des paroles suivantes, ou d’autres semblables : Suportez patiemment la collére d’un Dieu qui vient pour punir vos crimes[1]. La patience des pauvres ne sera pas privée pour jamais du bien qu’elle espére[2]. Un homme patient vaut mieux qu’un homme vaillant, & celui qui se peut dompter lui-même, est préférable à celui qui emporte des Villes d’hassaut[3]. Vous possederez vos ames par la patience[4]. Courons si bien, que par la patience, nous gagnions le prix que Dieu nous propose[5].

On peut ajoûter à ces aspirations, ou d’autres pareilles. O mon Dieu, quand serai-je armé de la patience, comme d’un bouclier à l’épreuve des traits de mon ennemi ! Quand vous aimerai-je, jusqu’à recevoir avec joye toutes les afflictions qu’il vous plaira de m’envoyer ! O vie de mon ame, ne vivrai-je jamais pour votre gloire, pleinement content parmi les souffrances ! O que je serois heureux, si dans les flammes des tribulations je brûlois d’envie de me consumer pour votre service !

Nous nous servirons à toute heure de ces sortes d’Oraisons, suivant le progrès que nous aurons fait dans la vertu, & selon que la dévotion nous l’inspirera. On les nomme jaculatoires, parce que ce sont comme des dards enflammés que nous lançons vers le Ciel, qui ont la vertu d’y élever notre cœur, & qui percent celui de Dieu, quand ils sont accompagnés de deux choses qui leur servent d’aîles. L’une est la connoissance certaine du plaisir que Dieu prend à nous voir dans l’exercice des vertus. L’autre est un desir ardent d’exceller en toute la vertu, par le seul motif de plaire à la divine Bonté.

  1. Baruch. 4. 24.
  2. Ps. 9. 19.
  3. Prov. 6. 32.
  4. Luc 21.19.
  5. Heb. 12. 1.