Le Combat spirituel (Brignon)/36

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Traduction par Jean Brignon.
(p. 188-190).


CHAPITRE XXXVI.
Que l’exercice de la vertu demande une aplication continuelle.

ENtre les choses qui servent à acquérir les vertus Chrétiennes, qui est le but que nous nous proposons ici, une des plus nécessaire et d’essaïer d’avances toujours dans la voye de la perfection, parce qu’on recule pour peu qu’on s’arrête. Dès que nous cessons de faire des Actes de vertu, l’inclination naturelle qui nous porte à rechercher le plaisir, & les objets extérieurs qui flâtent les sens, ne manque pas d’exciter en nous des mouvemens déréglés ; & ces mouvemens détruisent ou affoiblissent du moins les habitudes des vertus. D’ailleurs cette négligence nous prive de beaucoup de graces, que nous pourrions mériter par un plus grand soin de notre avancement spirituel.

C’est la différence qu’il y a entre voyager sur la Terre, & marcher dans la voye du Ciel. Car ceux qui voyagent sur la Terre, peuvent s’arrêter, sans retourner sur leurs pas ; & de plus en marchant toujours, la lassitude les met hors d’état d’aller plus avant. Mais dans le chemin de la perfection, plus on avance, plus on sent augmenter ses forces. La raison de ceci est que la partie inférieure, qui empêche, autant qu’elle peut, par la résistance, le progrès spirituel, vient à s’affoiblir par l’exercice des vertus ; & qu’au contraire la partie supérieure, où est le siége de la vertu, s’affermit & se fortifie davantage.

Ainsi à mesure que l’on profite dans la spiritualité, toute la peine qu’on y voyoit diminuë beaucoup ; & une certaine douceur par où Dieu tempére les amertumes de cette vie, s'augmente à proportion. De sorte qu’allant toujours avec joye de vertu en vertu, on arrive enfin au sommet de la montagne, au comble de la perfection, à cet état bienheureux, où l’ame commence à exercer ses fonctions spirituelles, non-seulement sans dégoûts, mais avec un contentement ineffable ; par ce qu’étant victorieuse de ses passions, & s’étant mise au-dessus de toutes les créatures, & de soi-même, elle vit dans le sein de Dieu, & y jouir parmi les travaux continuels d’un agréable repos.