Le Combat spirituel (Brignon)/38

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Traduction par Jean Brignon.
(p. 194-198).


CHAPITRE XXXVIII.
Qu’on doit se réjoüit de toutes les occasions qu’on a de combattre pour acquérir les vertus, principalement de celles où il y a le plus de difficulté.

CE n’est pas assez de ne point fuïr les occasions de travailler pour acquérir la vertu, il faut les chercher ; il faut que dès qu’elles se présentent, nous les embrassions avec joye, & que celles où il y a le plus de mortification, nous soient toujours les plus agréables, comme elles nous sont les plus utiles. Rien ne nous paroîtra mal-aisé avec le secours du Ciel, si nous gravons bien avant dans notre esprit les considérations suivantes.

La premiere est, que les occasions sont des moyens propres, ou pour mieux dire, nécessaires à acquérir les vertus. De-là vient que lorsqu’on demande à Dieu les vertus, on lui demande par conséquent les moyens qu’il veut qu’on employe pour les obtenir. Autrement la premiere seroit vaine ; & on se contrediroit soi-même : on tenteroit Dieu, qui n’a pas accoûtumé de donner la patience sans les tribulations, ni l’humilité sans les oprobres.

Il en est de même de toutes les autres vertus, qui sont les fruits des adversités que Dieu nous envoye, & que nous devons d’autant plus aimer, qu’elles sont plus rudes, parce que les grands efforts qu’il faut faire pour les suporter, contribuent extrêmement à former en nous les habitudes des vertus.

Soyons donc toujours attentifs à mortifier notre propre volonté, quand ce ne seroit que dans une œillade un peu trop curieuse, dans une parole un peu trop libre. Car encore que les victoires qu’on gagne sur soi dans les grandes occasions, soient plus glorieuses, celles qu’on remporte dans les moindres, sont incomparablement plus fréquentes.

La seconde considération que nous avons déja touchée est, que toutes les choses qui arrivent en ce monde, viennent de Dieu, & qu’il prétend que nous en tirions du profit. Car bien qu’à parler proprement, on ne puisse dire quelques unes de ces choses, comme nos pechés, ou ceux d’autrui viennent de Dieu, qui abhorre l’iniquité, il est vrai pourtant qu’elles sont de lui en quelque façon, puisqu’il les permet : & que pouvant absolument les empêcher, il ne le fait pas. Mais pour les afflictions qui nous arrivent, soit par notre faute, soit par la malice de nos ennemis, on ne peut nier qu’elles ne viennent de la main, & qu’il n’y ait part, quoiqu’il condamne la cause. Cependant il veut que nous les suportions patiemment, ou parce qu’elles nous sont des moyens de nous sanctifier, ou pour d’autres justes raisons que lui seul connoît.

Si donc nous sommes certains que pour accomplir parfaitement sa divine volonté, nous devons souffrir de bon cœur tous les maux que nous causent les méchans, ou que nous nous attirons nous-mêmes par nos pechés, c’est à tort que quelques uns pour couvrir leur impatience, disent qu’un Dieu infiniment juste ne peut vouloir ce qui part d’un mauvais principe. On voit bien qu’ils ne prétendent autre chose que de s’exemter de la peine, & de faire même accroire au monde qu’ils ont raison de ne pas recevoir les Croix que Dieu leur présenté. Mais il y a encore plus, c’est que quand tout le reste seroit égal, Dieu se plaît bien davantage à nous voir souffrir constamment les persécutions injustes des hommes, sur-tout de ceux que nous avons obligés, qu’à vous voir prendre en patience d’autres accidens facheux. Et en voici les raisons.

La premiére est, que l’orguëil qui n’ait avec nous, se réprime beaucoup mieux par les mauvais traitemens, que nous font nos ennemis, que par des peines & des mortifications volontaires. La seconde est, qu’en les souffrant patiemment, nous faisons ce que Dieu demande de nous & ce qui est de sa gloire, parce que nous conformons notre volonté à la sienne, dans une chose où la bonté & sa puissance réduisent également ; & que d’un fonds aussi mauvais qu’est le peché même, nous recueillons d’excellens fruits de vertu & de sainteté.

Sçachez donc qu’aussi-tôt que Dieu nous avoit résolus de travailler tout de bon à acquérir les vertus solides, il ne manque point de nous éprouver par des fâcheuses tentations, & par de rudes souffrances. Ainsi connoissant l’amour qu’il nous porte, & l’affection qu’il a pour notre bien spirituel, nous devons recevoir avec actions de graces le Calice qu’il nous offre, & le boire jusqu’à la derniére goûte ; persuadés que plus nous le trouverons amer, plus il nous sera salutaire.