Le Combat spirituel (Brignon)/39

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Traduction par Jean Brignon.
(p. 198-201).


CHAPITRE XXXIX.
Comment on peut en diverses occasions pratiquer la même vertu.

VOus avez vû dans un des Chapitres précédens, qu’il vaut beaucoup mieux s’attacher durant quelque tems à une seule vertu, que d’en embrasser plusieurs à la fois, & que c’est en cette vertu particuliére qu’on doit s’exercer toutes les fois que l’occasion s’en présente. Voyez maintenant avec quelle facilité vous le pourrez faire.

Il arrivera en un même jour, & peut-être en une même heure, qu’on vous fera quelque sévere réprimande pour une action qui ne sera pas mauvaise, ou que pour un autre sujet on parlera mal de vous ; qu’on ne voudra pas vous accorder une grace que vous aurez demandée, & qu’on vous la refusera d’une maniére choquante, quoique ce ne soit qu’une bagatelle ; qu’on aura quelque faux soupçon de vous ; qu’on vous donnera quelque commision odieuse ; qu’on vous servira des viandes mal aprêtées ; qu’il vous surviendra une maladie ; que tout-à-coup vous vous trouverez accablé d’autres maux encore plus grands, comme il s’en trouve une infinité, dans cette misérable vie : parmi tant d’accidens facheux, vous pouvez sans doute pratiquer plusieurs vertus différentes ; mais pour observer la regle qu’on vous a donnée là-dessus, il vous sera plus utile de vous attacher à celle dont vous croyez avoir alors le plus de besoin.

Si c’est la patience, vous ne penserez qu’à souffrir courageusement & avec joye tous les maux, qui vous pourront arriver. Si c’est l’humilité, vous songerez dans toutes vos peines, qu’il n’est point de châtiment qui puisse égaler vos crimes. Si c’est obéissance, vous tacherez de vous soumettre à la volonté d’un Dieu qui vous punit selon vos mérites. Il faudra même vous assujettir pour l’amour de lui, & parce qu’il le veut, non-seulement aux créatures raisonnables, mais encore à celles qui n’ayant ni raison ni vie, ne laissent pas d’être les instrumens de la justice. Si c’est la pauvreté, vous essayerez de vivre content, quoique privé de tous les biens & de toutes les douceurs de cette vie. Si c’est la charité, vous ferez le plus qu’il vous sera possible d’Actes d’amour du prochain & d’amour de Dieu, en considérant que le prochain vous donne occasion de multiplier les mérites, lorsqu’il exerce votre patience ; & que Dieu qui vous envoye, ou qui permet tous les maux que vous souffrez, n’a en vûe que votre bien spirituel.

Ce que je dis de la maniere dont tous pouvez pratiquer en des rencontres différentes, la vertu qui vous est la plus nécessaire, montre en même tems de quelle façon vous pouvez vous y exercer en une seule occasion, comme une maladie, ou en quelqu’autre sorte de peine, soit du corps, soit de l’esprit.