Le Combat spirituel (Brignon)/52

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Traduction par Jean Brignon.
(p. 249-257).


CHAPITRE LII.
Des fruits que l’on peut tirer de la Méditation de la Croix, & de l’Imitation des vertus de Jesus souffrant.

VOus pouvez tirer de grands avantages de la Méditation de la Croix. Le premier est, que non-seulement vous détestiez vos pechés passés, mais que vous preniez la résolution de combattre vos passions déreglées, qui ont fait mourir votre Sauveur, & qui ne sont pas éteintes en vous. Le second est, que vous obteniez de Jesus crucifié le pardon de vos offenses, & la grace d’une haine salutaire de vous-même ; afin que vous ne l’offensiez plus, mais que vous l’aimiez & le serviez désormais de tout votre cœur, en reconnoissance de tant de peines qu’il a souffertes pour l’amour de vous. Le troisiéme, que vous travaillez tout de bon & sans relâche à déraciner de votre cœur vos mauvaises habitudes, quelques légeres qu’elles paroissent. Le quatriéme est, que vous faisiez tous vos efforts pour imiter les vertus de ce divin Maître, qui est mort, non-seulement pour expier vos pechés, mais pour vous donner l’exemple d’une vie sainte & parfaite.

Voici une maniere de Méditation fort utile pour cela. Je supose qu’entre les vertus du Sauveur vous avez dessein d’imiter particulierement sa patience dans les maux qui vous arrivent. Examinez donc avec attention les points suivans. 1. Ce que l’Ame de Jesus en Croix fait pour Dieu. 2. Ce que Dieu fait pour l’Ame de Jesus. 3. Ce que l’Ame de Jesus fait pour elle-même & pour son Corps. 4. Ce que Jesus fait pour nous. 5. Ce que nous devons faire pour Jesus.

1. Considérez avant toutes choses comme l’Ame de Jesus, abîmée dans le sein de Dieu, contemple cet Étre infini & incompréhensible, devant lequel les plus nobles créatures ne sont rien : comme, dis-je, elle le contemple dans un état, où sans rien perdre de sa grandeur & de sa gloire essentielle, il s’abaisse jusqu’à souffrir toutes sortes d’indignités de la part de l’homme infidele & méconnoissant, & comme ensuite elle adore cette souveraine Majesté, lui rend mille actions de graces, & se dévouë toute entiere à son service.

2. Voyez d’un autre côté ce que Dieu fait à l’égard de l’Ame de Jesus ; considérez comme il veut que ce Fils unique, qui lui est si cher, souffre pour l’amour de nous, qu’on lui donne des soufflets, qu’on lui couvre le visage de crachats, qu’on vomisse contre lui mille blasphemes, qu’on le déchire à coups de fouets, qu’on le couronne d’épines, qu’on l’attache à une Croix. Voyez avec quelle satisfaction il le regarde chargé d’infamie, & accablé de douleurs pour une si glorieuse cause.

3. Représentez-vous ensuite l’Ame de Jesus, & remarquez que, comme elle sçait que Dieu prend plaisir à la voir souffrir ; l’amour qu’elle lui porte, soit à cause de ses perfections ineffables, ou à cause des biens infinis qu’elle en a reçûs, fait qu’elle se soumet en tout avec promptitude & avec joye à ses volontés. Quelle langue pourroit exprimer l’ardeur qu’elle a pour les Croix ? Elle ne s’occupe qu’à chercher de nouvelles manieres de souffrances ; & ne trouvant pas ce qu’elle cherche, elle s’abandonne avec sa chair innocente à la merci des hommes les plus cruels, & des démons mêmes.

4. Après cela jettez les yeux sur votre Jesus, qui dans le fort de ses douleurs se tourne vers vous, & vous dit amoureusement : Voici l’état pitoyable, où m’a réduit le dereglement de votre volonté, qui n’a pû se faire de violence pour le conformer à la mienne. Voyez quel est l’excès de mes douleurs, & avec combien de joye je les souffre, sans autre vûe que de vous aprendre la patience. Je vous jure par toutes mes peines, de porter courageusement cette Croix que je vous présente, & toutes celles qu’il me plaira de vous envoyer. Abandonnez votre honneur à la calomnie, & votre corps à la rage des persécuteurs que je choisirai pour vous éprouver, quelques vils & quelques inhumains qu’ils soient. O si vous sçaviez le contentement que me donnera votre résignation & votre patience ! Mais pouvez-vous l’ignorer, en voyant ces Playes que je n’ai reçues qu’afin de vous acquerir au prix de mon Sang les vertus dont je veux orner votre ame qui m’est plus chere que ma propre vie ? Si j’ai bien voulu me réduire à une telle extrêmité pour l’amour de vous, comment ne voudriez vous pas souffrir quelque legere douleur, pour soulager tant soit peu les miennes qui sont extrêmes ? Comment n’essayeriez-vous pas de guérir les playes que m’a fait votre impatience, qui est pour moi un tourment beaucoup plus insuportable que toutes les playes de mon Corps ?

5. Prenez garde qui est celui qui vous parle de la sorte, & vous verrez que c’est Jesus-Christ, le Roi de gloire, vrai Dieu & vrai Homme. Considérez la grandeur de ses tourmens & de ses humiliations, qui seroient des peines trop rigoureuses pour les plus criminels. Soyez dans l’étonnement de le voir au milieu de tant de souffrances, non-seulement ferme & immobile, mais plein de joye, comme si le jour de la Passion étoit pour lui un jour de triomphe. Songez que comme quelques goûtes d’eau jettées dans une fournaise ne servent qu’à l’embraser davantage : ainsi les plus grands tourmens, qui semblent legers à la charité, ne font qu’accroître la joye, & l’envie qu’il a d’en souffrir de plus terribles.

Au reste, souvenez-vous que ce qu’il fait, & ce qu’il endure, ce n’est point par force ni par intérêt, mais par un amour très-pur, ainsi qu’il la dit lui-même, & afin que vous appreniez de lui à pratiquer la patience. Tâchez donc de bien comprendre ce qu’il demande de vous, & la joye qu’il a de vous voir dans l’exercice de cette vertu : concevez ensuite des desirs ardens de porter non-seulement avec patience, mais même avec allegresse, la Croix sur laquelle vous gémissez, & d’autre encore beaucoup plus pésantes, afin d’imiter plus parfaitement Jesus Crucifié, & de vous rendre plus agréable à ses yeux.

Figurez-vous toutes les douleurs & toutes les ignominies de sa Passion, & surprise de la confiance avec laquelle il les supporte, rougissez de votre foiblesse : regardez vos peines en comparaison de celles qu’il souffre pour vous, comme des peines imaginaires ; & soyez bien persuadé que votre patience n’est pas seulement l’ombre de la sienne. Ne craignez rien tant que de ne vouloir pas souffrir pour notre Sauveur ; & si la premiere pensée vous en vient, rejettez-là comme une suggestion du Démon.

Considérez Jesus en Crois, comme un Livre tout spirituel, que vous devez lire sans cesse, pour y apprendre la pratique des plus excellentes vertus. C’est ce Livre qu’on peut justement nommer le Livre de Vie[1] ; qui en même-tems éclaire l’esprit par les préceptes, & enflamme la volonté par les exemples. Le monde est plein d’une infinité de Livres : mais quand on pourroit les lire tous, on n’y apprendroit jamais si bien à haïr le vice, & à aimer la vertu, qu’en considérant un Dieu Crucifié. Sçachez donc que ceux qui employent des heures entieres à pleurer la Passion de Notre-Seigneur, & à admirer sa patience, & qui dans les afflictions qui leur surviennent, se montrent après aussi impatiens, que s’ils n’avoient jamais pensé à la Croix ; sçachez, dis-je, que ceux-là, ressemblent à des Soldats peu aguerris, qui étant encore sous leurs tentes, se promettent la Victoire, mais qui ne voyent pas plûtôt l’ennemi, qui lâchent le pied, & prennent la fuite. Qu’y a-t’il de plus pitoyable que de voir des gens, qui après avoir contemplé, admiré, aimé les vertus de Notre-Seigneur, viennent tout d’un coup à les oublier, à en faire peu d’estime, lorsqu’il se présente quelque occasion de les imiter.

  1. Apoc. 3. 5.