Le Combat spirituel (Brignon)/Sentiment d’un pecheur qui desire retourner à Dieu

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Traduction par Jean Brignon.
(p. 358-364).


S E N T I M E N S
D’un Pecheur qui desire retourner à Dieu.

JE reconnois, ô mon Dieu, que c’est par ma faute, & par ma très-grieve faute que j’ai peché contre vous, que je n’ai point d’excuse à apporter, & que je ne suis devant vous qu’un coupable & qu’un criminel.

Je sçai que vous m’avez fait pour vous, & que je vous appartiens par une infinité de titres. Cependant par une effroyable injustice, j’ai voulu vivre pour moi-même, & pour le monde, en m’attachant à ses vanités, en suivant ses maximes corrompues, qui m’ayant éloigné du chemin de mon salut, m’ont fait perdre le plus grand de tous les biens, qui est votre grace, & m’ont engagé en même-tems dans le plus grand de tous les maux, qui est l’esclavage du démon, la plus honteuse de toutes les servitudes.

Vous m’avez donné un corps pour le consacrer à votre service, cependant j’en ai fait un usage tout profane, puisque je m’en suis servi pour vous offenser. Ces membres qui devoient être autant d’armes de justice employées pour votre gloire, j’en ai fait autant d’armes d’iniquité, pour m’élever contre vous, pour vous faire la guerre en outrageant toutes vos perfections, par les égaremens de mon esprit, & par les déreglemens de mon cœur.

Oui, mon adorable Jesus, j’avoue avec confusion que j’ai outragé votre sagesse ; puisqu’au lieu d’en suivre ses lumieres, j’ai suivi le mouvement de mes passions ; j’ai outragé votre puissance, parce que j’ai mis souvent des obstacles à ses écoulemens ; j’ai outragé votre grandeur, parce que je l’ai méprisée ; j’ai outragé votre justice, parce que je l’ai irritée par mes fréquentes rechûtes dans mes mêmes désordres ; j’ai outragé votre bonté, parce que j’en ai abusé ; j’ai outragé votre libéralité, par l’excès de mes ingratitudes ; j’ai outragé votre patience, parce que je l’ai laissée, en demeurant si long-tems dans mes habitudes criminelles ; j’ai même voulu vous dépouiller de l’autorité que vous avez sur moi, puisque tant de fois j’ai refusé de vous obéir : Vous, mon Dieu, qui ne me commandiez que pour me sauver ; j’ai obéi au démon, en suivant ses malheureuses suggestions, lui qui est votre plus cruel ennemi, & qui ne me commandoit que pour me perdre.

Quel monstre dans la Religion ! quelle abomination dans une telle conduite ! quel déreglement dans la vie d’un Chrétien ! ce Chrétien élevé dans l’Ecole de J. C. encouragé par ses promesses, sanctifié par ses graces, réconcilié par ses Sacremens, lavé dans son Sang & nourri tant de fois de la Chair adorable. Deviez-vous, mon divin Sauveur, m’aimer avec tant d’ardeur, pour être traité avec tant d’injustice ? Deviez-vous employer tant de soins pour mon salut, pour voir tous ces moyens de votre charité rendus inutiles par mes crimes ? Que puis-je faire dans l’état misérable où je me trouve, sinon de me jetter entre les bras de votre miséricorde, appuyée sur votre parole, qui est aussi inviolable, comme elle est Éternelle, que vous ne voulez point la mort du Pecheur, mais plûtôt sa conversion ? Je vous la demande, ô mon Dieu, par les mérites de la Mort & Passion de N.S. J.C. accordez-moi par bonté ce que vous pourriez me refuser par justice, après la dissipation malheureuse que j’ai faite de tant de graces, & de tant de bienfaits dont vous m’avez comblé pendant ma vie, & après tant de profanations de vos Sacremens les plus augustes.

O Pere des lumieres, qui pénétrez les plus épaisses tenebres ; conduisez vous-même une Ame aveugle & égarée. Je vous demande ce qui vous est le plus agréable, & ce qui m’est le plus avantageux. Ce n’est point aucun bien de fortune ; ce n’est point de devenir plus heureux selon le monde, c’est de former en moi un cœur nouveau, un cœur qui vous aime, qui vous cherche, & qui vous désire, un cœur qui ne s’attache qu’à vous, qui ne vit que pour vous, pour me faire garder inviolablement les protestations que je vous fait aujourd’hui de me consacrer entierement à votre service, & d’être à vous tous les momens de ma vie.

Mais comme je reconnois par une funeste expérience, que les inclinations qui me portent au mal, sont plus fortes & plus puissantes que toutes mes résolutions, j’ai besoin de forces pour exécuter ce que je desire ; parce que je ne suis par moi-même que foiblesse & que langueur.

C’est pourquoi je supplie la sainte Vierge & tous les Saints de vouloir intercéder pour moi auprès de vous, ô mon Dieu, & d’engager votre bonté infinie, de m’éclairer par vos lumieres, de me conduire par votre esprit, de me fortifier par votre grace, de me redresser par vos inspirations salutaires, & de me soutenir par vos divines consolations : afin de me faire marcher avec fidelité dans le chemin de mon salut, convaincu que je suis, qu’il ne faut s’en éloigner qu’un seul moment, pour être perdu pour jamais.

Daignez, mon adorable Jesus, joindre à toutes ces graces, celles de me donner une sainte horreur pour le peché, une vive crainte de vos Jugemens ; l’espérance du pardon, & un amour pour la justice, & un desir sincere de me convertir par une pénitence constante ; puisque c’est-là le souverain remede qui doit guérir les infirmités de mon ame ; c’est-là l’unique moyen qui me reste pour me sauver du naufrage, c’est ce second Baptême, que les Peres de l’Eglise apellent un Baptême pénible & laborieux, où mes larmes étant mêlées avec le Sang de J.C. purifieront mon cœur des tâches & des souillures que j’ai contractées par mes pechés ; c’est cette même Pénitence qui doit me faire mourir aux inclinations de la nature corrompue, à toutes mes habitudes criminelles, à toutes mes passions pour n’en plus suivre les mouvemens, & entrer dans un entier renouvellement de conduite, me fera marcher & courir, à l’exemple du Prophête, dans les voies de la Justice Chrétienne, vous aimer de tout mon cœur, & y persévérer jusqu’à ce que j’arrive à cet heureux terme, qui me mettra dans la possession de mon Dieu, pour le louer, le bénir & le glorifier éternellement dans la compagnie des Saints. Ainsi soit-il.

FIN