Le Commerce de coton depuis la pose de cable/Pièces justificatives

La bibliothèque libre.

PIÈCES JUSTIFICATIVES.



No 1.


Un de mes amis a eu la chance de faire quelques opérations avec un ancien marchand de vin à la Nouvelle-Orléans. À sa réclamation qu’une autre maison lui facturait, au même prix, un classement suivi, tandis que le marchand de vin ne donnait qu’un classement très-hétérogène, celui-ci a eu la naïveté de répondre ; « Messieurs tels achètent par le même courtier que nous. »

Ainsi donc, ce digne fils de Bacchus qui, pour accaparer les bonnes grâces de la filature, ne parlait que du bon maaarché (quoique Marseillais, il affectait la prononciation anglaise), et qui finissait toujours par acheter trop cher une macédoine de classement, devait entièrement se fier à la discrétion d’un courtier ne connaissant rien lui-même du coton !!! Aussi, à peine engagé dans l’article, il s’est mis effrontément à spéculer sur les ordres, pour faire immédiatement une piteuse culbute, conjurée pendant quelque temps par des tirages supérieurs au montant des factures, qu’il attribuait à des erreurs de plume.


No 2.


Le 7 avril 1870, une maison de commission du Havre m’écrivit : « Peut-être pourriez-vous nous créer une clientèle de spéculateurs, nous la préférerions à d’autres, et vous prions de nous dire ce que vous en pensez. »


No 3.


Voici ce qui est arrivé à un filateur de ce pays. Le 3 mars 1870, il a acheté au Havre, à terme, 50 balles Louisiane, type très-ordinaire, à fr. 129 ; mais voyant arriver la baisse et craignant recevoir un mauvais classement, il les a fait revendre à fr. 125. On sait que ce genre de tripotage illicite est organisé de manière à laisser plusieurs échappatoires au vendeur primitif. Le classement est arbitrable en dessous et en dessus, ce dont votre commissionnaire se garde bien de vous prévenir d’avance. Or le classement type très-ordinaire, fin avril, valait fr. 130, et le premier vendeur, qui livre le coton, pour ne pas perdre de l’argent, a tout bonnement usé de la faculté qu’une convention hybride lui accorde, et au lieu de livrer type très-ordinaire, rare alors sur le marché du Havre, il n’a donné que bas et très-bas, arbitrés par ses amis, les courtiers, seulement 4 francs au-dessous du prix convenu, c’est-à-dire à fr. 125, différence qui a été également adoptée pour la revente, mais dont le premier vendeur seul a profité, celui qui compose le lot pour le faire passer par la filière de la spéculation. Ainsi, si le filateur en question n’avait pas fait vendre, il aurait eu un ramassis de mauvais cotons, inférieurs à ses besoins, à fr. 125, qui ne valaient, fin avril, que 115 à 120 francs, tout honneur rendu à l’arbitrage des courtiers. Cette petite expérimentation lui a coûté plus que 1,300 francs de perte, dont presque 600 francs pour commissions d’achat et de vente, que le commissionnaire du Havre avait cependant la gracieuseté de réduire à 2 p. c. pour tout. On voit que ce n’est pas un mauvais métier pour les commissionnaires faiblement dotés, et ils y ont pris un goût très-prononcé, ne devant jamais débourser que la différence.


No 4.


Pour donner un exemple de la rapidité prodigieuse dont les maisons de commission s’enrichissent aujourd’hui, voici l’extrait d’une lettre qu’on m’a adressée le 17 décembre 1869 : « C’est une nouvelle maison, il y est dit, avec laquelle je suis intime. Le capital social a été primitivement de 500,000 francs, en commandite ; au bout de 3 mois, on a vu les affaires aller si bien que le capital fut augmenté de 150,000 francs. Après un an d’affaires, il y avait 300,000 francs d’acquit. »

Gagner 50 p. c. dans une seule année, il me sera permis de douter que ce fût à la commission. C’est cette maison précisément qui, ne pouvant justifier le classement de 50 balles Low-Middling Savannah, les a reprises, malgré la baisse survenue. D’ailleurs, pas plus qu’au sapeur de la chanson, rien n’est sacré à la pluralité des soi-disant commissionnaires : ils gagnent en spéculant, ils gagnent sur le classement, ils gagnent sur les intérêts d’argent avancé, ils gagnent leurs commissions plus ou moins élevées ; ils gagnent même sur les frais ; car si vous marchandez bien, mais bien, bien, on vous les réduira par condescendance (notez cela) de fr. 1-50 à 0-70 par balle pour réception et expédition, la toile (sur laquelle on gagne aussi) et les commissions non comprises.