Le Commerce galant/Lettre 11

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chez Antoine Perisse (p. 68-71).
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RÉPONSE
DE
LA JEUNE IRIS
À
TIMANDRE.

Lettre onziéme.

J’ay eſté fort ſurpriſe de recevoir une Lettre de vous par Mademoiſelle d…… la voye eſt aſſez indirecte, mais je vous le pardonne pour cette fois ; car j’ay d’ailleurs des rigueurs à vous faire ſentir. Je dis des rigueurs, puis qu’il me ſemble que je ſuis aſſez en eſtat de me ſervir de ce terme : Sans doute vous avez pris un peu de tendreſſe pour moi, mais vous avez attendu un peu tard à me l’expliquer. Il n’est pas temps que j’en aye de la reconnoiſſance, elle ſeroit hors de ſaiſon, puis qu’il ſaut abſolument rompre tout commerce. Je ne vois aucun biais de le continuer ; aprés tout, ce ſeroit prendre mal ſon temps, que de vouloir entrer en affaire pendant un éloignement. L’abſence eſt l’écueil de la tendreſſe, & l’on y verra bientoſt échouer la voſtre. Il vaut mieux vous redonner voſtre cœur de bonne grace, que d’attendre que vous me l’ôtiez. C’eſt toûjours avoir une eſpece de droit ſur vous, que de pouvoir eſtre en état. de vous rendre voſtre liberté. C’eſt pourquoy ſi l’affaire dépend de moy ; vous eſtes libre, ou ſi voſtre cœur eſt demeuré auprés de moy, comme vous voulez me le perſuader, il peut partir quand il lui plaira.

Oüy, que ce cœur du mien prenne congé,
Le mien aſſeurément vous demeure obligé,
Et vous eſt redevable autant qu’on le peut eſtre,
Si de vos perits ſoins il ſe trouve endetté,
Peut-eſtre avec le temps il euſt payé Son Maître,
Sans attendre ce temps ſon Maitre l’a quitté.

Mais pour revenir à ma rigueur, dont je m’écarte inſenſiblement, s’il eſt vray que mon idée vous tourmente ſi fort, je veux bien vous donner les moyens de l’exorciſer ; redites bien cinq ou ſix ſois toutes les duretez que vous trouverez dans cette Lettre, elles ſeront d’un merveilleux preſervatif contre toutes les idées les plus charmantes. Adieu, ayez autant de ſoin : de ma tranquilité, quand l’occaſion s’en preſentera, comme j’en ay maintenant de la voſtre, & ſur tout ne m’écrivez plus ; car je ne puis plus recevoir de vos Lettres, ſans riſquer furieuſement, on m’épie de tous coſtez.

À peine eus-je reçu cette Lettre, qu’une inquietude tres-preſſante s’empara de mõ ame.La mena. ce qu’elle me ſaiſoit de ne plus m’écrire, me donna de veritables allarmes ; & de bonne ſoy, ſans trop conſulter ſi mes aſſaires ne demandoient pas un plus long ſejour à… où j’eſtois, j’en partis le lendemain avec, un plaiſir, contre ma coûtume, qui n’eſt reſſenti que par ceux qui aiment fortement & qui ont une envie preſſante de revoir ce qu’ils aiment. J’arrivay à….. & le lendemain je luy ſis tenir cette Lettre.