Le Comte d’Essex/Acte I

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Le Comte d’Essex
Poèmes dramatiquesBordeletTome 5 (p. 445-457).
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ACTE I.



Scène I.

LE COMTE D’ESSEX, LE COMTE DE SALSBURY.
Le Comte d’Essex.

Non, mon cher Salsbury, vous n’avez rien à craindre ;
Quel que soit son courroux, l’amour saura l’éteindre ;
Et dans l’état funeste où m’a plongé le sort,
Je suis trop malheureux pour obtenir la mort.
Non qu’il ne me soit dur qu’on permette à l’envie
D’attaquer lâchement la gloire de ma vie.

Un homme tel que moi, sur l’appui de son nom,
Devroit comme du crime être exempt du soupçon ;
Mais enfin cent exploits & sur mer & sur terre,
M’ont fait connoître assez à toute l’Angleterre ;
Et j’ai trop bien servi, pour pouvoir redouter
Ce que mes ennemis ont osé m’imputer.
Ainsi, quand l’imposture auroit surpris la reine,
L’intérêt de l’état rend ma grace certaine ;
Et l’on ne sait que trop par ce qu’a fait mon bras,
Que qui perd mes pareils, ne les recouvre pas.

Salsbury.

Je sai ce que de vous par plus d’une victoire,
L’Angleterre a reçû de surcroît à sa gloire ;
Vos services sont grands, & jamais potentat
N’a sur un bras plus ferme appuyé son état.
Mais malgré vos exploits, malgré votre vaillance,
Ne vous aveuglez point sur trop de confiance.
Plus la reine au mérite égalant ses bienfaits,
Vous a mis en état de ne tomber jamais,
Plus vous devez trembler que trop d’orgueil n’éteigne
Un amour qu’avec honte elle voit qu’on dédaigne.
Pour voir votre faveur tout-à-coup expirer,
La main qui vous soutient n’a qu’à se retirer ;
Et quelle sûreté le plus rare service
Donne-t-il à qui marche au bord du précipice ?
Un faux pas y fait choir ; mille fameux revers
D’exemples étonnans ont rempli l’univers.
Souffrez à l’amitié qui nous unit ensemble…

Le Comte.

Tout a tremblé sous moi, vous voulez que je tremble.
L’imposture m’attaque, il est vrai, mais ce bras
Rend l’Angleterre à craindre aux plus puissans états.
Il a tout fait pour elle, & j’ai sujet de croire
Que la longue faveur où m’a mis tant de gloire,
De mes vils ennemis viendra sans peine à bout.
Elle me coûte assez pour en attendre tout.

Salsbury.

L’état fleurit par vous, par vous on le redoute ;
Mais enfin quelque sang que la gloire vous coûte,
Comme un sujet doit tout, s’il s’oublie une fois,
On regarde son crime, & non pas ses exploits.
On veut que vos amis, par de sourdes intrigues,
Se soient mêlés pour vous de cabales, de ligues ;
Qu’au comte de Tyron ayant souvent écrit,
Vous ayez ménagé ce dangereux esprit,
Et qu’avec l’Irlandois appuyant sa querelle,
Vous preniez le parti de ce peuple rebelle.
On produit des témoins, & l’indice est puissant.

Le Comte.

Et que peut leur rapport si je suis innocent ?
Le comte de Tyron que la reine appréhende,
Voudroit rentrer en grace, y remettre l’Irlande,
Et je croirois servir l’état plus que jamais,
Si mon avis suivi pouvoit faire la paix.
Comme il hait les méchans, il me seroit utile
À chasser un Coban, un Raleg, un Cécile,
Un tas d’hommes sans nom, qui lâchement flatteurs,
Des désordres publics font gloire d’être auteurs.
Par eux tout périra, la reine qu’ils séduisent,
Ne veut pas que contre eux les gens de bien l’instruisent.
Maîtres de son esprit, ils lui font approuver
Tout ce qui peut servir à les mieux élever.
Leur grandeur se formant par la chûte des autres…

Salsbury.

Ils ont leurs intérêts, ne parlons que des vôtres.
Depuis quatre ou cinq jours sur quels justes projets
Avez-vous de la reine assiégé le palais,
Lorsque le duc d’Irton épousant Henriette…

Le Comte.

Ah, faute irréparable, & que trop tard j’ai faite !
Au lieu d’un Peuple lâche & prompt à s’étonner,
Que n’ai-je eu pour secours une armée à mener !

Par le fer, par le feu, par tout ce qui peut être,
J’aurois de ce palais voulu me rendre maître.
C’en est fait, biens, trésors, rang, dignités, emploi,
Ce dessein m’a manqué, tout est perdu pour moi.

Salsbury.

Que m’apprend ce transport ?

Le Comte.

Que m’apprend ce transport ?Qu’une flamme secrette
Unissoit mon destin à celui d’Henriette,
Et que de mon amour son jeune cœur charmé
Ne me déguisoit pas que j’en étois aimé.

Salsbury.

Le Duc d’Irton l’épouse, elle vous abandonne,
Et vous pouvez penser…

Le Comte.

Et vous pouvez penser…Son hymen vous étonne ;
Mais enfin apprenez par quels motifs secrets
Elle s’est immolée à mes seuls intérêts.
Confidente à la fois, & fille de la reine,
Elle avoit sû vers moi le panchant qui l’entraîne.
Pour elle, chaque jour, réduite à me parler,
Elle a voulu me vaincre, & n’a pû m’ébranler ;
Et voyant son amour, où j’étois trop sensible,
Me donner pour la reine un dédain invincible,
Pour m’en ôter la cause en m’ôtant tout espoir,
Elle s’est mariée… Hé, qui l’eût pû prévoir ?
Sans cesse, en condamnant mes froideurs pour la reine,
Elle me préparoit à cette affreuse peine ;
Mais après la menace, un tendre & prompt retour
Me mettoit en repos sur la foi de l’amour ;
Enfin, par mon absence à me perdre enhardie,
Elle a contre elle-même usé de perfidie ;
Elle m’aimoit sans doute, & n’a donné sa foi,
Qu’en m’arrachant un cœur qui devoit être à moi.
À ce funeste avis quelles rudes alarmes !
Pour rompre son Hymen j’ai fait prendre les armes,

En tumulte au palais je suis vîte accouru,
Dans toute sa fureur mon transport a paru ;
J’allois sauver un bien qu’on m’ôtait par surprise,
Mais, averti trop tard, j’ai manqué l’entreprise.
Le duc, unique objet de ce transport jaloux,
De l’aimable Henriette étoit déjà l’époux.
Si j’ai trop éclaté, si l’on m’en fait un crime,
Je mourrai de l’amour innocente victime,
Malheureux de savoir qu’après ce vain effort,
Le duc toujours heureux jouira de ma mort.

Salsbury.

Cette jeune duchesse a mérité, sans doute,
Les cruels déplaisirs que sa perte vous coûte ;
Mais dans l’heureux succès que vos soins avoient eu,
Aimé d’elle en secret, pourquoi vous être tû ?
La reine dont pour vous la tendresse infinie
Prévient jusqu’aux souhaits…

Le Comte.

Prévient jusqu’aux souhaits…C’est là sa tyrannie.
Et que me sert, hélas ! cet excès de faveur
Qui ne me laisse pas disposer de mon cœur ?
Toujours trop aimé d’elle, il m’a fallu contraindre
Cet amour qu’Henriette eut beau vouloir éteindre.
Pour ne hazarder pas un objet si charmant,
De la sœur de Suffolc je me feignis amant.
Soudain son implacable & jalouse colere
Éloigna de mes yeux & la sœur & le frere.
Tous deux, quoique sans crime, exilés de la cour,
M’apprirent encor mieux à cacher mon amour.
Vous en voyez la suite, & mon malheur extrême.
Quel supplice ! Un rival posséde ce que j’aime !
L’ingrate au duc d’Irton a pû se marier !
Ah, ciel !

Salsbury.

Ah, ciel !Elle est coupable, il la faut oublier.

Le Comte.

L’oublier ! Et ce cœur en deviendroit capable ?
Ah, non, non, voyons-là cette belle coupable,

Je l’attends en ce lieu. Depuis le triste jour
Que son funeste hymen a trahi mon amour,
N’ayant pû lui parler, je viens enfin lui dire…

Salsbury.

La voici qui paroît. Adieu, je me retire.
Quoi que vous attendiez d’un si cher entretien,
Songez qu’on veut vous perdre, & ne négligez rien.



Scène II.

LA DUCHESSE, LE COMTE.
La Duchesse.

J’ai causé vos malheurs, & le trouble où vous étes
M’apprend de mon hymen les plaintes que vous faites,
Je me les fait pour vous ; vous m’aimiez, & jamais
Un si beau feu n’eut droit de remplir mes souhaits.
Tout ce que peut l’amour avoir de fort, de tendre,
Je l’ai vu dans les soins qu’il vous a fait me rendre ;
Votre cœur tout à moi méritoit que le mien
Du plaisir d’être à vous, fît son unique bien
C’est à quoi son panchant l’auroit porté sans peine ;
Mais vous vous étes fait trop aimer de la reine ;
Tant de biens répandus sur vous jusqu’à ce jour,
Payant ce qu’on vous doit, déclarent son amour.
Cet amour est jaloux, qui le blesse est coupable,
C’est un crime qui rend sa perte inévitable,
La vôtre auroit suivi. Trop aveugle pour moi,
Du précipice ouvert vous n’aviez point d’effroi.
Il a fallu prêter une aide à la foiblesse
Qui de vos sens charmés se rendoit la maîtresse ;
Tant que vous m’eussiez vue en pouvoir d’être à vous,
Vous auriez dédaigné ce qu’eût pû son courroux.

Mille ennemis secrets qui cherchent à vous nuire,
Attaquant votre gloire, auroient pû vous détruire,
Et d’un crime d’amour leur indigne attentat
Vous eût dans son esprit fait un crime d’état.
Pour ôter contre vous tout prétexte à l’envie,
J’ai dû vous immoler le repos de ma vie.
À votre sûreté mon hymen importoit,
Il falloit vous trahir, mon cœur y résistoit,
J’ai déchiré ce cœur afin de l’y contraindre ;
Plaignez-vous là-dessus, si vous osez vous plaindre.

Le Comte.

Oui, je me plains, Madame, & vous croyez en vain
Pouvoir justifier ce barbare dessein.
Si vous m’aviez aimé, vous auriez par vous-même
Connu que l’on perd tout, quand on perd ce qu’on aime.
Et que l’affreux supplice où vous me condamniez,
Surpassoit tous les maux dont vous vous étonniez.
Votre dure pitié, par le coup qui m’accable,
Pour craindre un faux malheur, m’en fait un véritable.
Et que peut me servir le destin le plus doux ?
Avois-je à souhaiter un autre bien que vous ?
Je méritois peut-être, en dépit de la reine,
Qu’à me le conserver vous prissiez quelque peine.
Un autre eût refusé d’immoler un amant,
Vous avez crû devoir en user autrement,
Mon cœur veut révérer la main qui le déchire,
Mais, encore une fois, j’oserai vous le dire,
Pour moi contre ce cœur votre bras s’est armé,
Vous ne l’auriez pas fait, si vous m’aviez aimé.

La Duchesse.

Ah ! Comte, plût au Ciel, pour finir mon supplice,
Qu’un semblable reproche eût un peu de justice !
Je ne sentirois pas avec tant de rigueur
Tout mon repos céder aux troubles de mon cœur.
Pour vous au plus haut point ma flamme étoit montée,
Je n’en dois point rougir, vous l’aviez méritée ;

Et le comte d’Essex, si grand, si renommé,
M’aimant avec excès, pouvoit bien être aimé.
C’est dire peu, j’ai beau n’être plus à moi-même,
Avec la même ardeur je sens que je vous aime,
Et que le changement où m’engage un époux,
Malgré ce que je dois, ne peut rien contre vous.
Jugez combien mon sort est plus dur que le vôtre,
Vous n’étes point forcé de brûler pour une autre ;
Et quand vous me perdez, si c’est perdre un grand bien,
Du moins, en m’oubliant, vous pouvez n’aimer rien.
Mais c’est peu que mon cœur, dans ma disgrace extrême,
Pour suivre son devoir, s’arrache à ce qu’il aime ;
Il faut, par un effort pire que le trépas,
Qu’il tâche à se donner à ce qu’il n’aime pas.
Si la nécessité de vaincre pour ma gloire
Vous fait voir quels combats doit coûter la victoire,
Si vous en concevez la fatale rigueur,
Ne m’ôtez pas le fruit des peines de mon cœur.
C’est pour vous conserver les bontés de la reine,
Que j’ai voulu me rendre à moi-même inhumaine ;
De son amour pour vous elle m’a fait témoin,
Ménagez-en l’appui, vous en avez besoin.
Pour noircir, abaisser vos plus rares services,
Aux traits de l’imposture on joint mille artifices ;
Et l’honneur vous engage à ne rien oublier
Pour repousser l’outrage, & vous justifier.

Le Comte.

Et me justifier ? Moi ! Ma seule innocence
Contre mes envieux doit prendre ma défense,
D’elle-même on verra l’imposture avorter ;
Et je me ferois tort, si j’en pouvois douter.

La Duchesse.

Vous êtes grand, fameux, & jamais la victoire
N’a d’un sujet illustre assuré mieux la gloire ;

Mais plus dans un haut rang la faveur vous a mis,
Plus la crainte de choir vous doit rendre soumis.
Outre qu’avec l’Irlande on vous croit des pratiques,
Vous êtes accusé de révoltes publiques.
Avoir, à main armée, investi le palais…

Le Comte.

Ô malheur pour l’amour à n’oublier jamais !
Vous épousez le duc, je l’apprens, & ma flamme
Ne peut vous empêcher de devenir sa femme.
Que ne sûs-je plutôt que vous m’alliez trahir !
En vain on vous auroit ordonné d’obéir.
J’aurois… Mais c’en est fait. Quoi que la reine pense
Je tairai les raisons de cette violence.
De mon amour pour vous le mystere éclairci,
Pour combler mes malheurs vous banniroit d’ici.

La Duchesse.

Mais vous ne songez pas que la reine soupçonne
Qu’un complot si hardi regardoit sa couronne.
Des Témoins contre vous en secret écoutés,
Font pour vrais attentats passer des faussetés,
Raleg prend leur rapport, & le lâche Cécile…

Le Comte.

L’un & l’autre eut toujours l’ame basse & servile,
Mais leur malice en vain conspire mon trépas,
La reine me connoît, & ne les croira pas.

La Duchesse.

Ne vous y fiez point ; de vos froideurs pour elle
Le chagrin lui tient lieu d’une injure mortelle.
C’est par son ordre exprès qu’on s’informe, s’instruit…

Le Comte.

L’orage, quel qu’il soit, ne fera que du bruit ;
La menace en est vaine, & trouble peu mon ame.

La Duchesse.

Et si l’on vous arrête ?

Le Comte.

Et si l’on vous arrête ?On n’oseroit, Madame.

Si l’on avoit tenté ce dangereux éclat,
Le coup qui le peut suivre entraîneroit l’état.

La Duchesse.

Quoique votre personne à la reine soit chere,
Gardez, en la bravant, d’augmenter sa colere,
Elle veut vous parler ; &, si vous l’irritez,
Je ne vous répons pas de toutes ses bontés.
C’est pour vous avertir de ce qu’il vous faut craindre,
Qu’à ce triste entretien j’ai voulu me contraindre.
Du trouble de mes sens mon devoir alarmé,
Me défend de revoir ce que j’ai trop aimé ;
Mais, m’étant fait déjà l’effort le plus funeste,
Pour conserver vos jours, je dois faire le reste,
Et ne permettre pas…

Le Comte.

Et ne permettre pas…Ah ! Pour les conserver
Il étoit un moyen plus facile à trouver.
C’étoit en m’épargnant l’effroyable supplice
Où vous prévoyiez… Ciel ! Quelle est votre injustice !
Vous redoutez ma perte, & ne la craigniez pas,
Quand vous avez signé l’arrêt de mon trépas.
Cet amour, où mon cœur tout entier s’abandonne…

La Duchesse.

Comte, n’y pensez plus, ma gloire vous l’ordonne.
Le refus d’un hymen par la reine arrêté
Eût de notre secret trahi la sûreté.
L’orage est violent, pour calmer sa furie,
Contraignez ce grand cœur, c’est moi qui vous en prie.
Et quand le mien pour vous soupire encor tout bas,
Souvenez-vous de moi, mais ne me voyez pas.
Un panchant si flatteur… Adieu, je m’embarrasse,
Et Cécile qui vient me fait quitter la place.



Scène III.

LE COMTE D’ESSEX, CÉCILE.
Cécile.

La reine m’a chargé de vous faire savoir
Que vous vous teniez prêt dans une heure à la voir.
Comme votre conduite a pû lui faire naître
Quelques légers soupçons que vous devez connoître,
C’est à vous de penser aux moyens d’obtenir
Que son cœur alarmé consente à les bannir ;
Et je ne doute point qu’il ne vous soit facile
De rendre à son esprit une assiéte tranquille.
Sur quelque impression qu’il ait pû s’émouvoir,
L’innocence auprès d’elle eut toujours tout pouvoir.
Je n’ai pû refuser cet avis à l’estime
Que j’ai pour un héros qui doit haïr le crime ;
Et me tiendrois heureux que sa sincérité
Contre vos ennemis fît votre sûreté.

Le Comte.

Ce zéle me surprend, il est & noble & rare ;
Et comme à m’accabler peut-être on se prépare,
Je voi qu’en mon malheur il doit m’être bien doux
De pouvoir espérer un juge tel que vous,
J’en connois la vertu. Mais achevez, de grace.
Vous devez être instruit de tout ce qui se passe.
Ma haine à vos amis étant à redouter,
Quels crimes pour me perdre osent-ils inventer ?
Et prêt d’être accusé, sur quelles impostures
Ai-je pour y répondre à prendre des mesures ?
Rien ne vous est caché, parlez, je suis discret,
Et j’ai quelque intérêt à garder le secret.

Cécile.

C’est reconnoître mal le zéle qui m’engage
À vous donner avis de prévenir l’orage.
Si l’orgueil qui vous porte à des projets trop hauts,
Fait parmi vos vertus connoître des défauts,
Ceux qui pour l’Angleterre en redoutent la suite,
Ont droit de condamner votre aveugle conduite.
Quoique leur sentiment soit différent du mien,
Ce sont gens sans reproches, & qui ne craignent rien.

Le Comte.

Ces zélés pour l’état ont mérité, sans doute,
Que sans mal juger d’eux la reine les écoute ;
J’y crois de la justice, & qu’enfin il en est
Qui, parlant contre moi, parlent sans intérêt.
Mais Raleg, mais Coban, mais vous-même peut-être
Vous en avez beaucoup à me déclarer traître.
Tant qu’on me laissera dans le poste où je suis,
Vos avares desseins seront toujours détruits.
Je vous empêcherai d’augmenter vos fortunes
Par le redoublement des miseres communes ;
Et le peuple réduit à gémir, endurer,
Trouvera, malgré vous, peut-être à respirer.

Cécile.

Ce que ces derniers jours nous vous avons vû faire,
Montre assez qu’en effet vous êtes populaire ;
Mais dans quel haut rang que vous soyez placé,
Souvent le plus heureux s’y trouve renversé.
Ce poste a ses périls.

Le Comte.

Ce poste a ses périls.Je l’avouerai sans feindre,
Comme il est élevé, tout m’y paroît à craindre ;
Mais, quoique dangereux pour qui fait un faux pas,
Peut-être encor si-tôt je ne tomberai pas ;
Et j’aurai tout loisir, après de longs outrages,
D’apprendre qui je suis à des flatteurs à gages,
Qui me voyant du crime ennemi trop constant,
Ne peuvent s’élever qu’en me précipitant.

Cécile.

Sur un avis donné…

Le Comte.

Sur un avis donné…L’avis m’est favorable ;
Mais comme l’amitié vous rend si charitable,
Depuis quand, & sur quoi vous croyez-vous permis
De penser que le temps ait pû nous rendre amis ?
Est-ce que l’on m’a vû, par d’indignes foiblesses,
Aimer les lâchetés, appuyer des bassesses,
Et prendre le parti de ces Hommes sans foi,
Qui de l’art de trahir font leur unique emploi ?

Cécile.

Je souffre par raison un discours qui m’outrage ;
Mais, réduit à céder, au moins j’ai l’avantage
Que la reine craignant les plus grands attentats,
Vous traite de coupable, & ne m’accuse pas.

Le Comte.

Je sai que contre moi vous animez la reine,
Peut-être à la séduire aurez-vous quelque peine ;
Et quand j’aurai parlé, tel qui noircit ma foi,
Pour obtenir sa grace aura besoin de moi.

Cécile seul.

Agissons, il est temps, c’est trop faire l’esclave,
Perdons un orgueilleux dont le mépris nous brave,
Et ne balançons plus, puisqu’il faut éclater,
À prévenir le coup qu’il cherche à nous porter.