Le Comte d’Essex/Acte II

La bibliothèque libre.
Le Comte d’Essex
Poèmes dramatiquesBordeletTome 5 (p. 458-472).
◄  Acte I
Acte III  ►


ACTE II.



Scène I.

ÉLISABETH, TILNEY.
Élisabeth.

En vain tu crois tromper la douleur qui m’accable,
C’est parce qu’il me hait, qu’il s’est rendu coupable ;
Et la belle Suffolc refusée à ses vœux,
Lui fait joindre le crime au mépris de mes feux.
Pour le justifier, ne di point qu’il ignore
Jusqu’où va le poison dont l’ardeur me dévore.
Il a trop de ma bouche, il a trop de mes yeux,
Appris qu’il est, l’ingrat, ce que j’aime le mieux.
Quand j’ai blâmé son choix, n’étoit-ce pas lui dire
Que je veux que son cœur pour moi seule soupire ?
Et mes confus regards n’ont-ils pas expliqué,
Ce que par mes refus j’avois déjà marqué ?
Oui, de ma passion il sait la violence,
Mais l’exil de Suffolc l’arme pour sa vengeance ;
Au crime, pour lui plaire, il s’ose abandonner,
Et n’en veut à mes jours que pour la couronner.

Tilney.

Quelques justes soupçons que vous en puissiez prendre,
J’ai peine contre vous à ne le pas défendre.
L’état qu’il a sauvé, sa vertu, son grand cœur,
Sa gloire, ses exploits, tout parle en sa faveur.
Il est vrai qu’à vos yeux Suffolc cause sa peine ;
Mais, Madame, un sujet doit-il aimer sa reine ?
Et quand l’amour naîtroit, a-t-il à triompher
Où le respect plus fort combat pour l’étouffer ?

Élisabeth.

Ah ! Contre la surprise où nous jettent ses charmes,
La majesté du rang n’a que de foibles armes.
L’amour par le respect dans un cœur enchaîné,
Devient plus violent, plus il se voit gêné.
Mais le comte, en m’aimant, n’auroit eu rien à craindre,
Je lui donnois sujet de ne se point contraindre :
Et c’est de quoi rougir, qu’après tant de bonté
Ses froideurs soient le prix que j’en ai mérité.

Tilney.

Mais je veux qu’à vous seule il cherche enfin à plaire ;
De cette passion que faut-il qu’il espere ?

Élisabeth.

Ce qu’il faut qu’il espere ? Et qu’en puis-je esperer
Que la douceur de voir, d’aimer, de soupirer ?
Triste & bizarre orgueil qui m’ôte à ce que j’aime !
Mon bonheur, mon repos s’immole au rang suprême ;
Et je mourrois cent fois, plutôt que faire un roi,
Qui dans le trône assis fût au-dessous de moi.
Je sai que c’est beaucoup de vouloir que son ame
Brûle à jamais pour moi d’une inutile flamme,
Qu’aimer sans espérance est un cruel ennui ;
Mais la part que j’y prens doit l’adoucir pour lui ;
Et lors que par mon rang je suis tyrannisée,
Qu’il le sait, qu’il le voit, la souffrance est aisée.
Qu’il me plaigne, se plaigne, & content de m’aimer…
Mais, que dis-je ? D’une autre il s’est laissé charmer ;
Et tant d’aveuglement suit l’ardeur qui l’entraîne,
Que pour la satisfaire, il veut perdre sa reine.
Qu’il craigne cependant de me trop irriter,
Je contrains ma colere à ne pas éclater ;
Mais quelquefois l’amour qu’un long mépris outrage,
Las enfin de souffrir, se convertit en rage,
Et je ne répons pas…



Scène II.

ÉLISABETH, LA DUCHESSE, TILNEY.
Élisabeth.

Et je ne répons pas…Et bien, Duchesse, à quoi
Ont pû servir les soins que vous prenez pour moi ?
Avez-vous vû le comte, & se rend-il traitable ?

La Duchesse.

Il fait voir un respect pour vous inviolable ;
Et si vos intérêts ont besoin de son bras,
Commandez, le péril ne l’étonnera pas ;
Mais il ne peut souffrir, sans quelque impatience,
Qu’on ose auprès de vous noircir son innocence,
Le crime, l’attentat, sont des noms pleins d’horreur
Qui mettent dans son ame une noble fureur ;
Il se plaint qu’on l’accuse, & que la reine écoute
Ce que des imposteurs…

Élisabeth.

Ce que des imposteurs…Je lui fais tort sans doute.
Quand jusqu’en mon palais il ose m’assiéger,
Sa révolte n’est rien, je la dois négliger ;
Et ce qu’avec l’Irlande il a d’intelligence,
Marque dans ses projets la plus haute innocence.
Ciel ! Faut-il que ce cœur qui se sent déchirer,
Contre un Sujet ingrat tremble à se déclarer ?
Que ma mort qu’il résout me demandant la sienne,
Une indigne pitié m’étonne, me retienne,
Et que toujours trop foible, après sa lâcheté,
Je n’ose mettre enfin ma gloire en sûreté ?
Si l’amour une fois laisse place à la haine,
Il verra ce que c’est que d’outrager sa reine,

Il verra ce que c’est que de s’être caché,
Cet amour où pour lui mon cœur s’est relâché.
J’ai souffert jusqu’ici ; malgré ses injustices,
J’ai toujours contre moi fait parler ses services ;
Mais puisque son orgueil va jusqu’aux attentats,
Il faut en l’abaissant étonner les ingrats ;
Il faut à l’univers qui me voit, me contemple,
D’une juste rigueur donner un grand exemple,
Il cherche à m’y contraindre, il le veut, c’est assez.

La Duchesse.

Quoi, pour ses ennemis vous vous intéressez,
Madame ? Ignorez-vous que l’éclat de sa vie,
Contre le rang qu’il tient, arme en secret l’envie ?
Coupable en apparence…

Élisabeth.

Coupable en apparence…Ah ! Dites en effet,
Les témoins sont ouïs, son procès est tout fait ;
Et si je veux enfin cesser de le défendre,
L’Arrêt ne dépend plus que de le faire entendre.
Qu’il y songe, autrement…

La Duchesse.

Qu’il y songe, autrement…Hé quoi, ne peut-on pas
L’avoir rendu suspect sur de faux attentats ?

Élisabeth.

Ah plût au ciel ! Mais non, les preuves sont trop fortes.
N’a-t-il pas du palais voulu forcer les portes ?
Si le peuple qu’en foule il avoit attiré,
Eût appuyé sa rage, il s’en fût emparé.
Plus de trône pour moi, l’ingrat s’en rendoit maître.

La Duchesse.

On n’est pas criminel toujours pour le paroître.
Mais je veux qu’il le soit ; ce cœur de lui charmé
Résoudra-t-il sa mort ? Vous l’avez tant aimé !

Élisabeth.

Ah ! Cachez-moi l’amour qu’alluma trop d’estime ;
M’en faire souvenir, c’est redoubler son crime.

À ma honte, il est vrai, je le dois confesser,
Je sentis, j’eus pour lui… Mais que sert d’y penser ?
Suffolc me l’a ravi, Suffolc qu’il me préfere
Lui demande mon sang, le lâche veut lui plaire.
Ah ! Pourquoi, dans les maux où l’amour m’exposoit,
N’ai-je fait que bannir celle qui les causoit ?
Il falloit, il falloit à plus de violence
Contre cette rivale enhardir ma vengeance.
Ma douceur a nourri son criminel espoir.

La Duchesse.

Mais cet amour sur elle eut-il quelque pouvoir ?
Vous a-t-elle trahie, & d’une ame infidéle
Excité contre vous…

Élisabeth.

Excité contre vous…Je souffre tout par elle.
Elle s’est fait aimer, elle m’a fait haïr,
Et c’est avoir plus fait cent fois que me trahir !

La Duchesse.

Je n’ose m’opposer… Mais Cécile s’avance.



Scène III.

ÉLISABETH, LA DUCHESSE, CÉCILE, TILNEY.
Cécile.

On ne pouvoit user de plus de diligence.
Madame, on a du comte examiné le seing,
Les Écrits sont de lui, nous connoissons sa main,
Sur un secours offert toute l’Irlande est prête
À faire au premier ordre éclater la tempête ;
Et vous verrez dans peu renverser tout l’état,
Si vous ne prévenez cet horrible attentat.

Élisabeth à la Duchesse.

Garderez-vous encor le zéle qui l’excuse ?
Vous le voyez.

La Duchesse.

Vous le voyez.Je vois que Cécile l’accuse,
Dans un projet coupable il le fait affermi ;
Mais j’en connois la cause, il est son ennemi.

Cécile.

Moi, son ennemi ?

La Duchesse.

Moi, son ennemi ?Vous.

Cécile.

Moi, son ennemi ?Vous.Oui, je le suis des traîtres
Dont l’orgueil téméraire attente sur leurs maîtres ;
Et tant qu’entre mes mains leur salut sera mis,
Je ferai vanité de n’avoir point d’amis.

La Duchesse.

Le comte cependant n’a pas si peu de gloire,
Que vous dûssiez sitôt en perdre la mémoire ;
L’état pour qui cent fois on vit armer son bras,
Lui doit peut-être assez pour ne l’oublier pas.

Cécile.

S’il s’est voulu d’abord montrer sujet fidéle,
La reine a bien payé ce qu’il a fait pour elle ;
Et plus elle estima ses rares qualités,
Plus elle doit punir qui trahit ses bontés.

La Duchesse.

Si le comte périt, quoi que l’envie en pense,
Le coup qui le perdra punira l’innocence.
Jamais du moindre crime…

Élisabeth.

Jamais du moindre crime…Et bien, on le verra.
[à Cécile.]
Assemblez le Conseil, il en décidera,
Vous attendrez mon ordre.



Scène IV.

ÉLISABETH, LA DUCHESSE, TILNEY.
La Duchesse.

Vous attendrez mon ordre.Ah ! Que voulez-vous faire,
Madame ? En croyez-vous toute votre colere ?
Le comte…

Élisabeth.

Le comte…Pour ses jours n’ayez aucun souci.
Voici l’heure donnée, il va se rendre ici,
L’amour que j’eus pour lui le fait son premier juge,
Il peut y rencontrer un assuré refuge ;
Mais si dans son orgueil il ose persister,
S’il brave cet amour, il doit tout redouter.
Je suis lasse de voir…



Scène V.

ÉLISABETH, LA DUCHESSE, TILNEY.
Tilney.

Je suis lasse de voir…Le comte est là, Madame.

Élisabeth.

Qu’il entre. Quels combats troublent déja mon ame !
C’est lui de mes bontés qui doit chercher l’appui,
Le péril le regarde, & je crains plus que lui.



Scène VI.

ÉLISABETH, LE COMTE D’ESSEX, LA DUCHESSE, TILNEY.
Élisabeth.

Comte, j’ai tout appris, & je vous parle instruite
De l’abîme où vous jette une aveugle conduite ;
J’en sai l’égarement, & par quels intérêts
Vous avez jusqu’au trône élevé vos projets.
Vous voyez qu’en faveur de ma premiere estime,
Nommant égarement le plus énorme crime,
Il ne tiendra qu’à vous que de vos attentats
Votre reine aujourd’hui ne se souvienne pas.
Pour un si grand effort qu’elle offre de se faire,
Tout ce qu’elle demande est un aveu sincere.
S’il fait peine à l’orgueil qui vous fit trop oser,
Songez qu’on risque tout à me le refuser,
Que quand trop de bonté fait agir ma clémence,
Qui l’ose dédaigner doit craindre ma vengeance,
Que j’ai la foudre en main pour qui monte trop haut,
Et qu’un mot prononcé vous met sur l’échafaud.

Le Comte.

Madame, vous pouvez résoudre de ma peine.
Je connois ce que doit un sujet à sa reine,
Et sai trop que le trône où le ciel vous fait seoir,
Vous donne sur ma vie un absolu pouvoir.
Quoi que d’elle par vous la calomnie ordonne,
Elle m’est odieuse, & je vous l’abandonne.
Dans l’état déplorable où sont réduits mes jours,
Ce sera m’obliger que d’en rompre le cours ;
Mais ma gloire qu’attaque une lâche imposture,
Sans indignation, n’en peut souffrir l’injure.

Elle est assez à moi pour me laisser en droit
De voir avec douleur l’affront qu’elle reçoit.
Si de quelque attentat vous avez à vous plaindre,
Si pour l’état tremblant la suite en est à craindre,
C’est à voir des flatteurs s’efforcer aujourd’hui,
En me rendant suspect, d’en abattre l’appui.

Élisabeth.

La fierté qui vous fait étaler vos services,
Donne de la vertu d’assez foibles indices ;
Et si vous m’en croyez, vous chercherez en moi
Un moyen plus certain…

Le Comte.

Un moyen plus certain…Madame, je le voi.
Des traîtres, des méchans accoutumés au crime,
M’ont par leurs faussetés arraché votre estime ;
Et toute ma vertu contre leur lâcheté
S’offre en vain pour garant de ma fidélité.
Si de la démentir j’avois été capable,
Sans rien craindre de vous, vous m’auriez vû coupable.
C’est au trône, où peut-être on m’eût laissé monter,
Que je me fusse mis en pouvoir d’éclater.
J’aurois, en m’élevant à ce degré sublime,
Justifié ma faute en commettant le crime ;
Et la ligue qui cherche à me perdre innocent,
N’eût vu mes attentats qu’en les applaudissant.

Élisabeth.

Et n’as-tu pas, perfide, armant la populace,
Essayé, mais en vain, de te mettre à ma place ?
Mon palais investi ne te convainc-t-il pas
Du plus grand, du plus noir de tous les attentats ?
Mais di-moi, car enfin le courroux qui m’anime
Ne peut faire céder ma tendresse à ton crime ;
Et si par sa noirceur je tâche à t’étonner,
Je ne te la fais voir que pour te pardonner.
Pourquoi vouloir ma perte, & qu’avoit fait ta reine
Qui dût à sa ruine intéresser ta haine ?

Peut-être ai-je pour toi montré quelque rigueur,
Lorsque j’ai mis obstacle au panchant de ton cœur.
Suffolc t’avoit charmé ; mais si tu peux te plaindre,
Qu’apprenant cet amour, j’ai tâché de l’éteindre,
Songe à quel prix, ingrat, & par combien d’honneurs,
Mon estime a sur toi répandu mes faveurs.
C’est peu dire qu’estime, & tu l’as pû connoître,
Un sentiment plus fort de mon cœur fut le maître.
Tant de princes, de rois, de héros méprisés,
Pour qui, cruel, pour qui les ai-je refusés ?
Leur hymen eût, sans doute, acquis à mon empire
Ce comble de puissance où l’on sait que j’aspire ;
Mais quoi qu’il m’assurât, ce qui m’ôtait à toi
Ne pouvoit rien avoir de sensible pour moi.
Ton cœur, dont je tenois la conquête si chere,
Étoit l’unique bien capable de me plaire ;
Et si l’orgueil du trône eût pû me le souffrir,
Je t’eusse offert ma main afin de l’acquérir.
Espere, & tâche à vaincre un scrupule de gloire,
Qui, combattant mes vœux, s’oppose à ta victoire.
Mérite par tes soins que mon cœur adouci
Consente à n’en plus croire un importun souci.
Fais qu’à ma passion je m’abandonne entiere,
Que cette Élisabeth si hautaine, si fiere,
Elle à qui l’univers ne sauroit reprocher
Qu’on ait vû son orgueil jamais se relâcher ;
Cesse enfin, pour te mettre où son amour t’appelle,
De croire qu’un sujet ne soit pas digne d’elle.
Quelquefois à céder ma fierté se résout ;
Que sais-tu si le temps n’en viendra pas à bout ?
Que sais-tu…

Le Comte.

Que sais-tu…Non, Madame, & je puis vous le dire,
L’estime de ma reine à mes vœux doit suffire ;
Si l’amour la portoit à des projets trop bas,
Je trahirois sa gloire à ne l’empêcher pas.

Élisabeth.

Ahh ! Je vois trop jusqu’où la tienne se ravale,
Le trone te plairoit, mais avec ma rivale ;
Quelque appas qu’ait pour toi l’ardeur qui te séduit,
Prends-y garde, ta mort en peut être le fruit.

Le Comte.

En perdant votre appui, je me vois sans défense,
Mais la mort n’a jamais étonné l’innocence ;
Et si pour contenter quelque ennemi secret,
Vous souhaitez mon sang, je l’offre sans regret.

Élisabeth.

Va, c’en est fait, il faut contenter ton envie.
À ton lâche destin j’abandonne ta vie ;
Et consens, puis qu’en vain je tâche à te sauver,
Que sans voir… Tremble, ingrat, que je n’ose achever ;
Ma bonté, qui toujours s’obstine à te défendre,
Pour la derniere fois cherche à se faire entendre.
Tandis qu’encore pour toi je veux bien l’écouter,
Le pardon t’est offert, tu le peux accepter ;
Mais si…

Le Comte.

Mais si…J’accepterois un pardon ? Moi, Madame ?

Élisabeth.

Il blesse, je le voi, la fierté de ton ame ;
Mais s’il te fait souffrir, il falloit prendre soin
D’empêcher que jamais tu n’en eusses besoin ;
Il falloit, ne suivant que de justes maximes,
Rejetter…

Le Comte.

Rejetter…Il est vrai, j’ai commis de grands crimes,
Et ce que sur les mers mon bras a fait pour vous,
Me rend digne en effet de tout votre courroux.
Vous le savez, Madame, & l’Espagne confuse
Justifie un vainqueur que l’Angleterre accuse.
Ce n’est point pour vanter mes trop heureux exploits
Qu’à l’éclat qu’ils ont fait j’ose joindre ma voix.

Tout autre pour sa reine employant son courage,
En même occasion eût eu même avantage ;
Mon bonheur a tout fait, je le crois, mais enfin
Ce bonheur eût ailleurs assuré mon destin ;
Ailleurs, si l’imposture eût conspiré ma honte,
On n’auroit pas souffert qu’on osât…

Élisabeth.

On n’auroit pas souffert qu’on osât…Hé bien, Comte,
Il faut faire juger dans la rigueur des loix
La récompense dûe à ces rares exploits.
Si j’ai mal reconnu vos importans services,
Vos juges n’auront pas les mêmes injustices,
Et vous recevrez d’eux ce qu’auront mérité
Tant de preuves de zéle, & de fidélité.



Scène VII.

LA DUCHESSE, LE COMTE.
La Duchesse.

Ah ! Comte, voulez-vous en dépit de la reine,
De vos Accusateurs servir l’injuste haine,
Et ne voyez-vous pas que vous êtes perdu,
Si vous souffrez l’arrêt qui peut être rendu ?
Quels juges avez-vous pour y trouver asyle ?
Ce sont vos ennemis, c’est Raleg, c’est Cécile ;
Et pouvez-vous penser qu’en ce péril pressant,
Qui cherche votre mort, vous déclare innocent ?

Le Comte.

Quoi, sans m’intéresser pour ma gloire flétrie,
Je me verrai traité de traître à ma patrie ?
S’il est dans ma conduite une ombre d’attentat,
Votre hymen fit mon crime, il touche peu l’état ;

Vous savez là-dessus quelle est mon innocence,
Et ma gloire avec vous étant en assurance,
Ce que mes ennemis en voudront présumer,
Quoi qu’ose leur fureur, ne sauroit m’alarmer.
Leur imposture enfin se verra découverte ;
Et tout méchans qu’ils sont, s’ils résolvent ma perte,
Assemblés pour l’arrêt qui doit me condamner,
Ils trembleront peut-être avant que le donner.

La Duchesse.

Si l’éclat qu’au palais mon hymen vous fit faire
Me faisoit craindre seul un arrêt trop sévere,
Je pourrois de ce crime affranchir votre foi,
En déclarant l’amour que vous eûtes pour moi.
Mais des Témoins ouïs sur ce qu’avec l’Irlande
On veut que vous ayez…

Le Comte.

On veut que vous ayez…La faute n’est pas grande,
Et pourvû que nos feux à la reine cachés
Laissent à mes jours seuls mes malheurs attachés…

La Duchesse.

Quoi, vous craignez l’éclat de nos flammes secrettes,
Ce péril vous étonne, & c’est vous qui le faites ?
La reine qui se rend sans rien examiner,
Si vous y consentez, vous veut tout pardonner.
C’est vous, qui refusant…

Le Comte.

C’est vous, qui refusant…N’en parlons plus, Madame,
Qui reçoit un pardon, souffre un soupçon infame ;
Et j’ai le cœur trop haut pour pouvoir m’abaisser
À l’indigne priere où l’on me veut forcer.

La Duchesse.

Ah, si de quelque espoir je puis flatter ma peine,
Je vois bien qu’il le faut mettre tout en la reine.
Par de nouveaux efforts je veux encor pour vous
Tâcher, malgré vous-même, à vaincre son courroux.

Mais si je n’obtiens rien, songez que votre vie
Depuis long-temps en butte aux fureurs de l’envie,
Me coûte assez déja pour ne mériter pas
Que, cherchant à mourir, vous causiez mon trépas.
C’est vous en dire trop. Adieu, Comte.

Le Comte.

C’est vous en dire trop. Adieu, Comte.Ah, Madame !
Après que avez désespéré ma flamme,
Par quel soin de mes jours… Quoi, me quitter ainsi ?



Scène VIII.

LE COMTE, CROMMER.
Crommer.

C’est avec déplaisir que je parois ici ;
Mais un ordre cruel dont tout mon cœur soupire…

Le Comte.

Quelque fâcheux qu’il soit, vous pouvez me le dire.

Crommer.

J’ai charge…

Le Comte.

J’ai charge…Et bien, de quoi ? Parlez sans hésiter.

Crommer.

De prendre votre épée, & de vous arrêter.

Le Comte.

Mon épée ?

Crommer.

Mon épée ?À cet ordre il faut que j’obéisse.

Le Comte.

Mon épée ? Et l’outrage est joint à l’injustice ?

Crommer.

Ce n’est pas sans raison que vous vous étonnez ;
J’obéis à regret, mais je le dois.

Le Comte lui donnant son épée.

J’obéis à regret, mais je le dois.Prenez.
Vous avez dans vos mains ce que toute la terre
A vû plus d’une fois utile à l’Angleterre.
Marchons ; quelque douleur que j’en puisse sentir,
La reine veut se perdre, il faut y consentir.