Le Comte de Sallenauve/Chapitre 23

La bibliothèque libre.
L. de Potter (tome IIIp. 269-304).


XXIII

Le taureau par les cornes.


Il pouvait être quatre heures et demie du matin, quand le lendemain M. de Trailles faisait son entrée à Arcis.

Un homme moins préoccupé que lui aurait été frappé du calme et riant aspect de la petite ville encore endormie. L’épanouissement de tous les trésors de la végétation que quelques semaines avant il avait laissé encore maigre et souffreteuse, cette vague senteur de fenaison qui aux premières heures du jour embaume l’atmosphère ; les riches oppositions d’ombre et de lumières, dont à la splendeur de la clarté matinale se parent tous les objets, en un mot ce frais sourire du ciel par lequel une belle journée d’été s’annonce à la terre, dans tout autre moment, sans doute, n’eussent pas trouvé le Parisien insensible.

Mais, près de livrer une grande bataille, il n’avait pas le loisir de donner audience à ces émotions champêtres, et après s’être fait ouvrir la porte du Mulet, il se mit tout prosaïquement au lit, en intimant à madame Poupart la défense d’ébruiter d’aucune manière son arrivée et en recommandant qu’on vînt l’éveiller à dix heures, si avant ce moment il n’avait pas sonné.

À onze heures, Maxime avait déjeuné ; à l’abri des curiosités indiscrètes de madame Mollot, il avait achevé sa toilette et traversait le pont de l’Aube, en se dirigeant vers la maison de Grévin.

Pendant qu’il exécute ce trajet, un mot sur les dispositions vraies du vieillard relativement au projet de mariage dont le lecteur a été fréquemment entretenu.

Quand l’ancien notaire avait accordé son approbation à la recherche de M. de Trailles, c’était sous la condition tacite de la nomination de Beauvisage, laquelle, au moment du consentement donné, ne semblait pas faire question.

Grévin avait considéré que l’élection du compétiteur de Simon Giguet maintenait intacte la vice-royauté départementale de Gondreville ; qu’elle restaurait sa propre influence, peu à peu amoindrie et méconnue ; qu’elle cadrait avec les projets d’avenir qu’il arrangeait pour Séverine ; il n’avait donc point eu d’objection sérieuse contre l’homme qui semblait tenir dans sa main tous ces résultats.

La clause de séparation de biens, spontanément offerte par M. de Trailles, avait d’ailleurs paru pourvoir à sa fâcheuse renommée et à ses instincts dissipateurs ; et, grâce au crédit que toute l’attitude du prétendant permettait de lui supposer dans les hautes régions gouvernementales, on pouvait entrevoir pour lui une fortune politique arrivant à réparer les mauvais entraînements de son passé.

Mais du jour où l’étoile de Sallenauve l’avait emporté, tous les inconvénients du choix auquel il avait donné les mains étaient apparus dans un relief immense au grand-père de Cécile, et, n’était l’embarras de se dédire, il eût conseillé une rupture immédiate.

À tout le moins, il avait exigé un ajournement, et, sous prétexte que jusqu’au 15 juillet, époque à laquelle expirait le bail de l’hôtel Beauséant, les Beauvisage ne pouvaient pas penser à faire à Paris un établissement, il avait tenu le mariage en suspens.

L’affaire de la paysanne de Romilly n’avait eu en lui qu’un approbateur très peu déclaré ; son esprit droit et exact en avait tout d’abord saisi les côtés faibles. C’était donc également contre son avis que madame Beauvisage, en vue de suivre cette intrigue, avait fait le voyage de Paris, et s’il n’avait vu sa fille entrant au moins dans son idée de subordonner expressément les espérances de M. de Trailles au succès des soins qu’il promettait de continuer à la nomination de Beauvisage, le prudent vieillard se fût tout à fait prononcé contre un déplacement qu’il jugeait inutile et que la chance d’un contact journalier entre la belle-mère et le gendre laissé en question, pouvait amener à rendre dangereux.

M. de Trailles était trop clairvoyant pour ne pas s’être aperçu, lors de la visite de congé qu’il avait été faire à l’ex-notaire, d’une nuance très marquée de refroidissement ; les Beauvisage, il avait toujours pensé en avoir bon marché, mais sentant chez Grévin une plus grande force de résistance, il avait bien deviné que là serait le sérieux obstacle, et c’est pour cela, qu’armé de la pièce dont la malveillante étourderie de madame Mollot l’avait mis en possession, nous le voyons sonnant a la porte de la maison habitée par le difficile adversaire qu’il s’agissait de neutraliser.

Suivant sa coutume, lorsque le temps le permettait, Grévin, après son déjeuner, était assis sur la terrasse de son jardin, à l’ombre d’une touffe de lilas et occupé au passif travail de sa digestion.

Prenant pour l’aborder une forme abrupte et solennelle qui devait tout d’abord le mener au cœur de la question :

— Monsieur, dit Maxime, aussitôt que le vieillard, après l’avoir fait asseoir auprès de lui sur une chaise de jardin, lui eut demandé par quel heureux hasard il était ramené à Arcis, j’ai l’honneur de venir vous demander la main de mademoiselle Cécile Beauvisage votre petite-fille.

Grévin le regarda avec étonnement et répondit :

— Mais il me semblait que, dans votre voyage matrimonial, ce cap se trouvait déjà doublé.

— Quand une question, dit M. de Trailles, est restée dans des termes vagues où elle se trouve en quelque sorte engravée, le mieux est, à ce qu’il me paraît, de la reprendre à neuf et tout entière. L’élan qu’alors on lui imprime peut servir à lui faire franchir les obstacles par lesquels elle est accrochée.

— Je partage assez votre avis, repartit l’ancien notaire, mais d’un autre côté je ne vois pas trop l’utilité de remettre sur le tapis une affaire si l’on n’y apporte pas des arguments nouveaux.

— Ainsi fais-je, reprit Maxime. Jusqu’ici mon dévouement pour la famille Beauvisage a été auprès d’elle toute ma recommandation. Je ne me suis donc pas beaucoup étonné lors de la dernière visite que j’eus l’honneur de vous faire, en croyant m’apercevoir que la stérilité de ce dévouement lui avait fait perdre auprès de vous, monsieur, une partie de son mérite.

— Mais vraiment non, repartit Grévin, j’ai parlé d’un ajournement qui me paraissait convenable et s’expliquait par la nécessité de certains arrangements.

— Quoi qu’il en soit, reprit Maxime, je me trouve en mesure de restituer à mes titres, menacés d’être prochainement périmés et prescrits, une façon de jeunesse nouvelle. L’occasion se présentant de donner à la famille dans laquelle j’ai la prétention d’être admis une preuve plus immédiate et plus personnelle de ma sollicitude, j’avais d’autant plus le devoir de venir mettre à vos pieds, avant tous autres, l’hommage de mon zèle, qu’il a, comme vous le verrez dans un instant, tout le caractère d’une très délicate confidence.

— Je vous suis d’avance obligé, dit Grévin, et j’écoute.

— J’oserai vous demander quelle a été votre impression relativement à certains bruits qui auraient attribué, il y a quelques années, à madame Beauvisage une liaison de cœur ; liaison donnant à comprendre que, dans le mari qu’elle avait reçu de votre main, ne se rencontrait pas la somme entière des perfections qu’elle pouvait désirer ?

— Mais j’ai toujours aimé à me persuader que les malicieux propos d’une petite ville ne méritaient que peu ou point d’attention.

— En règle générale, oui ; mais, dans le cas particulier, la petite ville n’aurait pas eu tout à fait tort.

— Comment ! vous pensez, monsieur ?

Cette forme si peu indignée de doute laissa comprendre à M. de Trailles que le vieillard avait au moins deviné beaucoup de choses, et qu’il avait fermé les yeux.

— Malheureusement, reprit-il, je ne pense pas ; je suis sûr et j’ai sur moi des preuves qui n’admettent pas la réplique.

Maxime tira alors de son portefeuille le billet de M. Chargebœuf ; et, après en avoir donné lecture à Grévin, tout en prenant le soin assez significatif de le replacer dans l’endroit où il l’avait pris :

— Le hasard seul, continua-t-il, ne m’a pas seul rendu possesseur de ce compromettant écrit.

Et il raconta la perfidie de madame Mollot, et la manière dont il s’était assuré qu’elle en était réellement coupable.

Comme Grévin n’avait pu se dispenser de manifester une douloureuse surprise :

— Mon premier soin, reprit M. de Trailles, a été de couper court à l’ébruitement de ce scandale.

Et l’ancien notaire fut encore mis au fait de la démarche comminatoire par laquelle il était à croire que la langue de la greffière serait solidement enchaînée.

— Mais vous comprenez, monsieur, ajouta le chevalier de la vertu de madame Beauvisage, que, pour faire sentinelle auprès du secret dont nous voulons rester maîtres, j’ai besoin que, dans votre famille, ma situation soit nettement et publiquement définie ; car ce n’est que dans la déclaration publique du titre auquel j’ose prétendre que peut être puisé mon droit d’intervention.

— Votre raisonnement, répondit Grévin, me paraît au moins très spécieux.

— J’ajouterai, continua Maxime, que la fatalité qui me fait dépositaire d’un égarement si regrettable, semble me désigner d’une façon si impérieuse à entrer définitivement dans votre alliance, car vous ne sauriez prudemment laisser en dehors un homme dont la discrétion ne vous serait pas assurée par une solidarité parfaite et évidente de considération et d’intérêts.

— Jamais de vous, monsieur, je pense, nous ne saurions avoir à redouter.

— Mon Dieu ! je suis homme ; je m’expliquerais difficilement qu’accueilli à une autre époque, je dusse subir un refus au moment précis où le hasard aurait voulu paraître accroître mes chances ; la mauvaise humeur, vous le savez, est une fâcheuse conseillère, et je trouverais toujours plus sage qu’on s’empressât de me relier officiellement à la cause dont provisoirement, je me suis fait le défenseur officieux.

Grévin témoigna que, sous la doucereuse argumentation de M. de Trailles, il apercevait très bien la gueule du pistolet qu’on lui mettait sur la gorge, car, cessant de se défendre au fond, il aborda la ressource des fins de non-recevoir ; il fit remarquer qu’après tout, ce mariage ne dépendait pas absolument de lui, et il eut l’air de demander conseil relativement à la manière dont la question devait être posée à madame Beauvisage, qui, en définitive, y avait voix prépondérante.

— Il est évident, répondit Maxime, que, pour l’avenir de mes relations avec ma belle-mère, elle ne doit jamais se douter de la connaissance malheureusement trop complète que j’aurai eue de son fâcheux entraînement ; mais, sans avoir l’air d’être renseigné aussi directement que vous l’avez été par moi, vous pouvez, il me semble, monsieur, avoir reçu de Paris, quelques indications moins précises, parler de certains bruits vagues déjà répandus ici dans le public. Je dois même vous avouer que le lit est déjà fait dans ce sens, car, en partant, j’ai écrit à madame Beauvisage une lettre dont les termes très nébuleux ont dû cependant lui laisser comprendre que son secret n’était plus entier, et je me suis donné l’air de me rendre à Arcis, mandé par vous. Madame Beauvisage de retour ici, toutes les raisons que j’ai eu l’honneur de faire valoir en faveur d’une solution immédiate peuvent se retrouver dans votre bouche, et elles y prendront une autorité que la déférence dont vous êtes entourée par madame votre fille fait facilement présumer.

— Vous me paraissez, monsieur, dit Grévin avec une pointe imperceptible d’ironie, avoir très profondément réfléchi à votre position et à la nôtre. Je vais donc écrire à Séverine, et à son arrivée je lui ferai comprendre que ses légèretés ont rendu nécessaire ce mariage, sur lequel je crois savoir qu’elle n’avait pas encore un parti absolument pris.

— Vous sentez, monsieur, repartit Maxime, qu’il ne pourrait me convenir de paraître exercer une violence morale dont la pensée n’est pas même venue à mon esprit ; j’ose donc espérer que c’est au compte de votre prudence que sera mise la nécessité dont vous arguerez.

— Parfaitement, monsieur, dit Grévin, vous serez présenté à ma fille comme un auxiliaire dont j’ai invoqué le concours, et non comme le détenteur d’un secret à haute pression.

— Je n’attendais pas moins de votre prudence et de votre loyauté, repartit Maxime ; maintenant, ajouta-t-il d’un ton léger, j’ai à vous entretenir d’un accessoire de médiocre importance ; mais qui veut la fin veut les moyens.

— De quoi s’agit-il encore ? demanda l’ancien notaire, et ici, encore, selon la définition bourgeoise, était bien un mot de reproche.

Quelqu’aguerri que fût Maxime à toute espèce de rencontre et quelle que fût sa confiance dans le levier dont il disposait, il fit comme les gens qui ont à s’accoucher d’un aveu difficile, et prit la chose de très loin.

— À l’époque, dit-il, où le ministère jeta sur moi les yeux pour venir ici essayer de faire triompher son influence, je commis une lourde faute. Il allait sans dire que cette mission électorale serait pour moi l’occasion d’assez fortes dépenses, et croyant mieux ménager mon importance, lorsque Rastignac me parla de me faire allouer un crédit sur la caisse des fonds secrets, quoique n’étant pas dans le moment très en argent, je déclinai ce subside puisé en si mauvais lieux et lui dis que je préférais prendre dans sa bourse les avances nécessaires : je pense que cette délicatesse ne peut qu’avoir votre approbation.

— Hum ! fit Grévin, vieux navigateur qui sentait de loin venir les orages.

— Rastignac, reprit Maxime, soit que réellement il ne pût pas dans le moment disposer de la somme que j’avais estimée nécessaire, soit qu’il n’eût pas une confiance entière dans ma solvabilité, aima mieux me faire prêter cette somme par le banquier du Tillet qui, la chose dans les mœurs commerciales allant d’elle-même, me fit souscrire une lettre de change.

Évidemment un certain trouble venait d’être apporté à la digestion de Grévin ; sa figure s’allongea, un accès de toux le prit ; enfin tout, dans son habitude extérieure, indiqua le malaise le plus prononcé.

— Cette somme, reprit négligemment Maxime, était d’une médiocre importance : vingt-cinq mille francs.

— Vingt-cinq mille francs ! dit l’ancien notaire, mais c’est quelque chose.

— Si l’élection d’Arcis eût bien tourné, continua M. de Trailles, Rastignac n’aurait pas été embarrassé de me rembourser de cette avance sur le chapitre des dépenses électorales ; mais il a pris de l’humeur en voyant la mauvaise campagne que nous avions faite, et laissera certainement la somme à mon compte ; faut-il, pour cette bagatelle, courir la chance de se brouiller avec lui ? Ce n’est pas mon avis, et je suis décidé à acquitter la lettre de change que j’ai souscrite.

— Il me semble pourtant que, si la dépense a été faite au profit du gouvernement…

— Mon Dieu ! il est des occasions où il faut savoir s’exécuter ; j’ai souvent remarqué que les ministres se buttent à ne pas solder certaines dépenses, et qu’ils vous savent un gré infini de ne pas les presser à ce sujet. Mon parti est donc bien pris de ne point soulever ce débat ; seulement je reste dans quelque préoccupation de savoir comment je ferai honneur à ce titre, dont la très prochaine échéance vient en ce moment me prendre au dépourvu.

— C’est une raison de plus pour que vous ne procédiez pas avec ce désintéressement que je trouve déplacé.

— Mais non, mon cher beau-père, répondit Maxime, je conserve ainsi mon crédit et sème pour récolter plus tard ; maintenant, pour parer à mon embarras momentané, voilà le moyen dont je me suis avisé.

Grévin ne montra aucun empressement de connaître ce moyen.

— Mon mariage, reprit M. de Trailles, étant arrêté en principe, et la dot devant prochainement m’être comptée, je ne puis tarder d’être en mesure…

— Cela dépend. Marié, à votre demande, sous le régime de la séparation de biens, vous ne disposerez pas, sans l’aveu de votre femme, d’aucune portion de l’apport conjugal.

— Il faudrait que j’eusse, du caractère de mademoiselle Cécile, une bien triste opinion pour ne pas espérer qu’elle acquittât une dette contractée précisément au service des intérêts paternels.

— Cela la regarde, dit Grévin ; elle sera sa maîtresse, et fera comme elle l’entendra.

— Je compte tout à fait, dit Maxime, sur son bienveillant concours. Seulement, l’échéance de la lettre de change est très prochaine, et quelque diligence que nous pussions mettre dans la célébration du mariage, la dette serait antérieurement exigible. C’est ce qui m’avait fait penser qu’en avancement sur la dot, vous pourriez, vous, mon cher beau-père…

— Moi, fit vivement Grévin, j’ai eu toujours pour principe de ne m’immiscer d’aucune façon dans le maniement de la fortune de mes enfants.

— Pourtant, avoir reconnu le mariage nécessaire et vouloir le faire manquer, cela n’est pas logique.

— Qui, moi ? que j’aille payer les dettes du gouvernement ! vous savez le proverbe, mon cher monsieur : donner à plus riche que soi, le diable s’en rit.

— Soit, dit Maxime, d’un air mélancolique, vous aimez mieux que j’échoue au port, et la tranquillité de votre famille au prix d’une misérable avance de vingt-cinq mille francs vous paraît trop chèrement achetée, c’est à merveille ; madame Mollot aura ses coudées franches.

— Mais vous êtes venu me demander mon consentement à ce mariage ; je vous l’accorde ; que puis-je faire de plus ?

— Ainsi, monsieur, dit M. de Trailles, en se levant, au prix de tout ce qui peut en arriver, vous êtes bien décidé à me refuser le service que j’étais venu vous demander, au nom de la considération de votre fille ?

— Pourquoi aussi cette sotte, à quarante ans passés, s’avise-t-elle d’avoir des allures ?

Cette exclamation équivalait au fameux : Qu’allait-il faire dans cette galère !

— Une dernière fois, dit Maxime, veuillez considérer les déplorables extrémités que peut entraîner votre refus.

— Non, dit le vieillard, je n’entends pas payer les sottises de Séverine et vos désintéressements mal entendus.

M. de Trailles ouvrit son portefeuille, y prit le billet de M. de Chargebœuf, le lut encore une fois, et ajouta :

— Avec ce papier on peut faire rougir vos cheveux blancs et livrer en pâture à la malignité d’une petite ville votre vie jusqu’ici si digne et si honorée ; mais rassurez-vous, monsieur, ce n’est pas moi qui me chargerai d’un scandale dont le soin sera plus utilement laissé à madame Mollot. Je suis incapable de vouloir exploiter une situation, quelqu’autorisé que j’y fusse par certains procédés. Prenez ce billet, je vous le remets, et veuillez, je vous prie, vous rappeler qu’en le déposant en vos mains je n’ai fait aucune espèce de conditions.

Pour qui n’y eût pas bien regardé, Maxime avait l’air de se désarmer et on eût pu croire que, comme le lion amoureux venant de se couper lui-même les griffes, il s’exposait à être plus tard outrageusement éconduit.

Mais le soin qu’il avait eu, dans son allocution dernière, de démuseler madame Mollot, laissait a la situation presque tous ses périls ; et ce qu’il y avait au fond de vrai dans sa prétendue clémence, c’est qu’elle ouvrait à Grévin une issue honnête, en lui permettant d’avoir l’air de céder à la contagion d’un procédé généreux, au lieu de paraître subir une brutale extorsion.

La position fui ainsi comprise par l’ancien notaire ; il prit le billet, le serra dans la poche de sa redingote, et avec un déchirement intérieur qu’il dissimula du mieux qu’il lui fut possible :

— Attendez-moi ici un moment, dit-il à M. de Trailles.

Quelques minutes plus tard, il revenait auprès de son gendre et lui remettait un paquet de billets de Banque.

— Au moins, lui dit-il, j’ai le ferme espoir que vous rendrez ma petite-fille heureuse ; je vais écrire à Séverine, et d’une encre telle que sans doute elle ne tardera pas à réintégrer le domicile conjugal.

— Monsieur, dit Maxime en tourmentant une phrase de reconnaissance, l’exemple du modèle des pères ne sera pas inutile à m’apprendre à être le modèle des maris.

Et un quart d’heure après, il était sur la route de Troyes, s’étant d’avance informé d’un banquier chez lequel il pût prendre une traite sur Paris.