Le Conte du tonneau/Tome 2/07

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PROJET
Pour l’Avancement de la Religion,
& pour la Reſormation des
MOEURS,
Adreſſé à Madame la Comteſſe
de Berkeley.
L’an 1709.
MADAME,



E N plaçant le Nom de Votre Grandeur devant ce Diſcours, je n’ai pas l’intention de vous prier de le protéger. Je croirois cette priere fort déraiſonnable, puiſque vous ne ſauriez recommander, ſans être ſoupçonnée de quelque partialité, un Ouvrage qu’on vous dedie, quoique ce ſoit ſans votre aveu, & qu’il vienne d’une perſonne qui ne ſe nomme pas. Mon deſſein veritable eſt celui-là même, que j’ai ſi ſouvent cenſuré dans d’autres Préfaces ; & j’ai reſolu de faire votre Eloge. Je ne m’arrêterai pas à Votre Naiſſance, il y a d’autres perſonnes auſſi Nobles que vous ; ni à la grandeur de votre fortune, il y en a qui ſont bien plus riches encore ; ni à cette charmante famille, image parfaite de ceux, à qui elle doit ſa naiſſance ; peut-être que d’autres ſiécles, & d’autres païs, en ont produites de ſemblables. D’ailleurs, aucun de ces avantages ne donne une perfection réelle à ceux qui les poſſedent ; ils ne font que donner plus d’éclat au merite réel. Ce que je veux louer en vous, Madame, c’eſt la pieté, la candeur, le bon-ſens, l’heureux naturel, l’affabilité, & la charité. Je voudrois, que, par raport à toutes ces excellentes qualitez, il y eut beaucoup de perſonnes, qui vous égalaſfent, & qui vous ſurpaſſaſſent même. Peut-être qu’en ce cas Votre Grandeur échaperoit à l’importunité de cette Epitre. Mais, puiſque ces vœux ſont aſſez inutiles, je crois qu’il eſt avantageux pour la Vertu, & pour la Religion, que tout le Roïaume connoiſſe votre Caractere, & qu’il ſache, que la politeſſe la plus aiſée, jointe à la pieté la plus ſolide, brille en votre Grandeur, d’un éclat auſſi naturel, que celui qu’on admire le plus dans chacune de ces qualitez ſeparées, lorſqu’on les trouve dans le caractere d’autres perſonnes. Malgré les traverſes de la fortune, votre prudence a conſervé la ſplendeur de l’illuſtre Maiſon, dans laquelle vous étes entrée ; ſplendeur, qui avoit été ſi fort éclipſée, par la prodigalité exceſſive de pluſieurs générations. Vous vous acquittez avec toute l’exactitude poſſible des devoirs differens, que la Providence vous impoſe ; témoin l’Education de vos deux incomparables filles dont la conduite eſt ſi généralement admirée ; témoin ce ménagement judicieux, ſi convenable à une épouſe circonſpecte, complaiſante, & tendre ; & ces ſoins exacts, qui s’étendent juſque ſur le moindre de vos Domeſtiques ; témoin enfin cette bonté, & cette charité pour les pauvres, dirigée par la raiſon la plus ſure.

Il eſt utile au public, dis-je, d’être informé de ces grandes qualitez, qui entrent dans le Caractere de Votre Grandeur : il lui ſeroit utile encore de le connoitre entierement ; mais, par malheur il ne voudroit pas ajouter foi à celui qui ſe hazarderoit à l’en inſtruire, & il le traiteroit ſans doute d’Adulateur.

Pour éviter un reproche ſi odieux, je declare que ceci n’eſt pas une Dédicace, mais uniquement une Introduction à un petit Diſcours, qui traitte de l’Avancement de la Religion & de la Morale : rien n’eſt plus naturel, que d’entamer cette matiere par quelques traits du Caractere d’une Dame, dont la conduite a le même but, que ma Diſſertation. Je remarque avec une grande mortification, que, parmi tous les plans qu’on a propoſez au public, dans cet Age ſi fécond en projets, il n’y en a pas un ſeul, qui concerne l’Avancement de la Religion, & de la Vertu ; quoique, ſans parler ici des conſequences avantageuſes d’un tel Projèt pour la vie à venir, ce ſoit le moïen le plus naturel & le plus facile d’avancer le bonheur de tout l’Etat, & la felicité temporelle de chaque particulier. Il eſt bien vrai, que la foi & les bonnes mœurs ſont prodigieuſement alterées parmi nous ; & néanmoins je croi que, ſans beaucoup de peine, on pourroit les mettre bientôt dans le plus haut degré de perfection, où elles puiſſent atteindre, dans l’eſprit & dans le cœur de tout un Peuple. La methode m’en paroit ſi aiſée, que, pour la mettre heureuſement en pratique, il ſuffit, à mon avis, d’en donner une idée à ceux qui y ſont le plus intereſſez, par l’Honneur, par le Devoir, & par l’Amour-propre.

Comme il ſeroit abſurde de propoſer des Remedes, avant que d’être aſſeuré qu’il y a des Maladies qui les demandent, & de s’effraïer, ſans être convaincu de quelque danger ; je commencerai par faire voir en general, que la Nation eſt extraordinairement corrompuë, tant par raport à la Religion, que par raport aux Mœurs : enſuite, je tracerai d’une maniere auſſi abregée, qu’il me ſera poſſible, un plan de reforme, à ces deux égards.

Je ſais bien que les Plaintes des Théologiens, ſur la corruption du ſiecle, ne paſſent que pour des Phraſes favorites, deſtituées de ſens ; mais, je ne ſuis nullement de cette opinion : & je croi fort, qu’en comparant ſans partialité les vices de nos compatriotes d’à préſent, avec ceux d’autres siécles, & d’autres Nations, on ne ſauroit que trouver ces plaintes très-fondées.

Je n’alleguerai ici que des faits denuez de toute exaggeration, & de tous traits de Satyre ; & je croi que tout le monde m’accordera ſans peine ce que je vais avancer. Il eſt d’abord certain, que parmi nos Nobles, & nos Gens aiſez, il y en a à peine un ſeul entre cent, qui paroiſſe reconnoître la Religion pour le Principe de ſa Conduite, & que la plus grande partie en eſt tout prête à avouër naturellement, dans les converſations ordinaires, ſon Irreligion, & ſon Incredulité.

Il en eſt de même à peu près à l’égard du petit Peuple ; ſur-tout dans nos grandes Villes, où la profanation & l’ignorance des Artiſans, des Marchands du plus bas ordre, & des Domeſtiques, ſont montées au plus haut degré qu’on puiſſe s’imaginer.

On remarque encore dans les Païs étrangers, qu’il n’y a pas dans tout l’Univers une Race de Créatures raiſonnables, qui paroiſſe auſſi peu ſuſceptibles de Sentimens Religieux, que nos Soldats Anglois ; & j’ai entendu aſſeurer à des Officiers de diſtinction, que parmi tous ceux de notre Armée, qu’ils avoient frequentez, ils n’en avoient pas connu trois, qui, par leurs diſcours, & par leur conduite, paruſſent croire un ſeul mot de l’Evangile. On peut hardiment avancer la même choſe, par raport à nos Forces Navales.

Les Actions de ces Incredules ne repondent que trop juſte à leurs Sentimens. On ne ſait plus ce que c’eſt que d’affecter du moins la Sageſſe, & de pallier les Vices. On les expoſe hardiment aux yeux de tout le monde, comme les choſes les plus indifferentes de la vie humaine, ſans le moindre remord de conſcience, & ſans craindre de s’attirer par-là une mauvaiſe reputation. Tout homme vous dira, qu’il a été ivre le jour précedent, ou qu’il va s’enivrer dans le moment même ; & même il vous le dira d’un air auſſi Cavalier, que s’il vous diſoit, qu’il va faire un tour de promenade. Il vous racontera, qu’il s’en va dans un lieu infame, ou qu’il en eſt revenu en fort mauvais état, avec la même indifference, dont il vous débiteroit une nouvelle : vous l’entendrez jurer, renier, profaner, blaſphemer, ſans être animé par la moindre paſſion.

Il eſt vrai que le Beau-Sexe eſt un peu plus reſervé, & qu’il ne renonce pas abſolument aux ſoins, qu’on doit avoir naturellement de la réputation ; néanmoins, ces ſoins n’inquietent pas beaucoup nos Dames, & elles ne paroiſſent pas trop convaincuës, que la Vertu & la Sageſſe ſoient des moïens neceſſaires, pour gagner l’eſtime du public. Elles n’ont pas grand tort, puiſque l’on voit des Femmes galantes auſſi bien reçûës par-tout, que celles, qui ſe diſtinguent par la Sageſte la plus auſtere, & qui ne ſont pas aſſez delicates, cependant, pour ne pas honorer les autres de leurs viſites. Cette maniere d’agir n’eſt à la mode parmi nous, que depuis peu d’années ; mais, elle eſt d’une très-dangereuſe conſequence : elle ſemble établir une eſpéce d’accommodement & de Capitulation entre le Vice, & la Vertu, & permettre aux femmes d’être vicieuſes juſqu’à un certain point, pourvu qu’elles ne ſoient pas abſolument proſtituées. On diroit, qu’il y a un certain point fixe, où la Galanterie finit, & où l’Infamie commence ; & que cinquante Intrigues criminelles ſont impardonnables dans une femme, mais qu’on peut bien lui en paſſer une douzaine.

Sans m’étendre d’avantage ſur ces ſortes de Vices, qui s’arachent effrontement le maſque à eux-mêmes, je prie le Lecteur de jetter ſeulement en paſſant la vue ſur les irregularitez & ſur les excès, qui ſortent du Jeu comme d’un goufre, & qui ſe repandent ſur les femmes auſſi bien que ſur les hommes. Parmi les derniers, il eſt fécond en fourberies, querelles, juremens, & blaſphemes ; parmi les autres, il produit la négligence des affaires du menage, une liberté ſans bornes, des paſſions indecentes, & fort ſouvent la débauche, quand la perſonne même eſt reduite à la neceſſité de ſuppléer aux défauts de la bourſe. Le Jeu, à cet égard, peut être mis en parallele avec la Juſtice, qui a pour maxime, quod non habet in crumenâ luat ia corpore.

Mais, ce ne ſont-là que des Bagatelles, en comparaiſon d’autres Crimes, qui ſont devenus familiers à notre Nation. Jettons les yeux ſur les fraudes & ſur les fourberies des Marchands ; ſur la Juſtice, cet abime d’injuſtices & d’extorſions ; ſur le trafic ouvert, qu’on fait des Employs Civils, & Militaires, & qui pourroit bien s’étendre en peu de tems aux Dignitez Ecclefiaſtiques ; ſur l’infame maniere, dont on exerce toutes les Charges ; ſur les abus déteſtables, qui ſe ſont gliſſez dans l’Election de ceux qui doivent repreſenter tout le Corps du Peuple, & ſur les factions & les brigues, qui ſemblent être l’unique objet de l’attention de ces Députez. J’oſe y ajouter l’Ignorance de quelques Membres du bas Clergé, la baſſeſſe & le cœur ſervil de quelques autres & la conduite bruſque & brouillonne de quelques jeunes Eccleſiaſtiques ridiculement bourſouflez d’un ſot orgueil. Je laiſſe-là d’autres particularitez trop odieuſes, qui influent extrémement ſur les irregularitez du Clergé, & qui ont attiré, quoiqu’à tort, les mépris du public ſur tout l’Ordre.

Voilà une eſpece de Sommaire des Vices, qui ſe font generalement répandus parmi nous ; & je n’aurois jamais fait, ſi je voulois entrer dans le détail. Néanmoins, quelque profondes racines, qu’ils paroiſſent avoir jettées dans les ames de nos Compatriottes, je ſuis le plus trompé des hommes, s’il n’eſt pas poſſible d’y aporter des remedes efficaces. Le Projet, que j’ai formé là-deſſus, n’eſt pas vague, ou uniquement propre pour la ſpéculation ; mais, je le crois fort aiſé dans la pratique.

Tant que le droit de diſpoſer de tous les Emplois reſte ataché à la Couronne, il eſt au pouvoir du Souverain de rendre la Vertu & la Pieté à la Mode, en les faiſant conſidérer comme des Qualitez neceſſaires, pour la faveur, & pour l’avancement.

Il eſt évident, par une éxperience que nous faiſons dans nos jours, que le ſeul exemple du meilleur des Souverains n’influe pas d’une maniere fort efficace ſur les mœurs des ſujets, dans un ſiécle extraordinairement corrompu. A-t-on jamais vu le Trone occupé par une Perſonne plus excellente que notre Reine. d’à-préſent ? Je ne m’étendrai pas ici, ſur ſon talent pour le Gouvernement des Peuples, ſur ſa tendreſſe pour ſes Sujets, en un mot ſur toutes ſes Vertus purement Roïales. Je ne parle que de ſa Pieté, de ſa Charité, de ſa Temperance, de ſon Atachement pour ſon Auguſte Epoux, en un mot de toutes ces Vertus, qui relèvent le caractere d’un particulier, & dans leſquelles on peut dire ſans flaterie, que perſonne ne la ſurpaſſe. Cependant, on peut avancer ſans ſe faire ſoupçonner d’un tour d’eſprit malin, & ſatirique, que notre corruption n’eſt pas beaucoup diminuée depuis ſon avenement à la Couronne ; & qu’il n’y arrivera aucun changement avantageux, ſi elle ne ſe ſert pas de meſures plus efficaces que ſon exemple.

Une preuve certaine de la perverſité de la Nature humaine, c’eſt que le ſeul éxemple d’un Prince vicieux entrainera en peu de tems la maſſe generale de ſes ſujets ; & que la Conduite exemplaire d’un Monarque vertueux n’eſt pas capable de les reformer, ſi elle n’eſt pas ſoutenuë d’autres expédiens. Il faut donc que le Souverain, en exerçant avec vigueur l’Autorité, que les Loix lui donnent, faſſe en forte, qu’il ſoit de l’interêt, & de l’honneur, de chacun, de s’atacher à la Vertu & à la Pieté ; & que l’infamie & la diſgrace ſuive toujours le Vice, & prive les vicieux de toute eſperance d’avancement. Pour établir ces utiles maximes avec ſuccès, il devroit commencer par les introduire, dans ſon Domeſtique, & dans ſa Cour. Ne pourroit-on pas, par exemple, obliger les Domeſtiques, & les Officiers ſubalternes de Sa Majeſté, d’aſſiſter une fois par ſemaine au Service divin, avec des manieres décentes, de communier quatre fois par An, d’éviter les imprécations & les diſcours profanes, & de ſe conduire, du moins en aparence, avec Sobrieté, & avec Sageſſe ? Ne pourroit-on pas les aſſujettir à ces devoirs, en puniſſant les Transgreſſeurs, par la ſuſpenſion, ou par la perte, de leurs Emplois ; & en établiſſant des Officiers honnêtes gens, pour prendre garde de près à leurs actions ?

Pour les perſonnes d’un rang plus élevé, qui exerçent les Emplois Domeſtiques de la Cour, & qui aprochent Sa Majeſté même, ne peuvent-ils pas recevoir de pareils commandemens de ſa propre bouche ; & ne recevoir des marques de ſa bonté, qu’à proportion qu’ils lui obéiſſent exactement à cet égard ? Elle pourroit d’ailleurs ordonner aux Evêques, & à dautres perſonnes d’une Pieté reconnuë, d’être attentifs à la conduite de ſes Officiers, & de l’avertir de leur libertinage, tant à l’égard des ſentimens, que par raport aux actions.

De plus, ceux, qui entreroient dans les charges domeſtiques de la Reine, pourroient être obligez de faire un ſerment parallele à celui dont on impoſe la neceſſité aux perſonnes, qu’on honore de quelque Emploi Eccleſiaſtique, & par lequel on défend l’Egliſe contre la Simonie. Si l’on obſervoit de pareils Reglemens, il eſt évident que la Religion, & les bonnes-mœurs, deviendroient des Vertus à la Mode, & qu’elles paſſeroient pour l’unique moïen de parvenir aux Emplois, & de les conſerver ; ce qui ne manqueroit pas de faire de ſalutaires impreſſions ſur la Nobleſſe, & ſur toutes les perſonnes de condition.

Si on mettoit en uſage la même methode, avec toute la ponctualité poſſible, à l’égard de ceux, qu’on honore des grandes Charges de l’Etat, il eſt évident, qu’avec le tems elle introduiroit dans la Nation une Réforme entiere & generale. Dès que la Pieté & la Vertu ſeroient une fois eſtimées comme des qualitez neceſſaires pour l’avancement ; ceux, qui, par des moïens ſi grands & ſi nobles, ſeroient parvenus aux premieres Dignitez, ne manqueroient pas d’imiter l’exemple de la Reine, dans la diſtribution des Emplois ſubalternes, qui ſeroient à leur diſpoſition ; ſur-tout, ſi la moindre faveur, ou la moindre partialité, pour des ſujets indignes, paſſoit pour un manque de devoir, propre à attirer au coupable la Diſgrace de la Cour.

Il y a un ſi grand nombre de petits Emplois répandus par tout le Roïaume, que ſi tous ceux, qui les exerçent, menoient une vie exemplaire, tout prendroit bientôt une face nouvelle parmi nous, & la Religion y ſeroit en peu d’années dans l’état le plus fleuriſſant.

Il ne faut pas s’imaginer que les Revenus de l’Etat ſoufriroient d’une pareille Reforme, puiſque de dix Emplois, qui ſont mal exercez, il y en a du moins neuf, dont il faut attribuer la mauvaiſe adminiſtration, à un manque de probité, plutôt qu’à un défaut de lumieres. Pour moi, je ne connois point de Charge, de laquelle la Pieté puiſſe rendre un homme incapable ; &, quand cela ſeroit, ce n’eſt pas la raiſon de faire contre mon projet une objection de cette nature ; à préſent, qu’en diſpoſant des charges, on ne ſe donne pas la peine de ſonger ſeulement aux qualitez qui rendent une perſonne propre à s’en acquiter comme il faut.

Je me ſuis imaginé fort ſouvent, qu’une Dignité, ſemblable à celle de la Cenſure chez les Romains, pourroit être introduite chez nous avec ſuccès, & renfermée dans les bornes néceſſaires, pour l’empêcher de tomber dans des excès pernicieux. Les Romains connoiſſoient auſſi bien que nous les avantages de la Liberté, & les moïens néceſſaires pour la maintenir. Ils en étoient auſſi jaloux que nous : dans toutes les occaſions ils s’en montroient auſſi hardis defenſeurs. Cependant, je ne me ſouviens pas d’avoir vu, dans leurs Hiſtoires, de grandes plaintes, ſur les inconveniens atachez à cette Dignité : elles nous ont informez, au contraire, de mille effets extraordinairement utiles de cette Charge ſalutaire.

Il s’eſt repandu dans notre Nation un grand nombre de Vices, qui ne ſont que trop connus de tout le monde quoi qu’ils échapent à la rigueur de toutes nos Loix. Tels ſont l’Atheïſme, l’Ivrognerie, la Fraude, l’Avarice, & pluſieurs autres de la même nature, qui pourroient être de la compétance de cette nouvelle Dignité. Suppoſons, par exemple, qu’on établit des Commiſſaires, pour aller dans tous les Cantons du Roïaume s’informer de la conduite, pour le moins, de ceux qui ſont dans les Emplois, & s’éclaircir de leurs mœurs, comme de leur capacité.

Ces perſonnes ſeroient obligées de recevoir toutes les informations, & toutes les plaintes, qu’on leur préſenteroit, & d’en faire leur raport, ſous ſerment, à la Cour, ou bien au Miniſtére, afin de leur fournir des moïens de couper la racine à ces ſortes de maux, par une diſtribution équitable, de peines, & de récompenſes.

Je n’entre point là-deſſus dans un plus grand détail de mon Syſtême, qui, venant d’un ſimple particulier, pourroit être ſujet à pluſieurs inconveniens, mais dont l’idée recevroit aiſement ſa forme néceſſaire de la Sageſſe de ceux qui ſont à la tête des affaires. Ce que j’oſe aſſeurer avec confiance, c’eſt que ſix mille livres ſterling ne ſeroient pas mal emploïées à l’entretien de ſix Commiſſaires dûement qualifiez pour cet Emploi, & qui ſeroient obligez d’aller deux à deux faire toutes les années le tour du Roïaume, dans le deſſein que je viens d’indiquer.

Mais, ce dernier Article ne touche pas directement l’intention que j’ai de faire voir, que, ſans le moindre effort du côté du Pouvoir Legiſlatif, la Reine ſeule eſt la Maitreſſe de réformer ſes Sujets ; ce qu’Elle eſt obligée de faire en conſcience, en y emploïant ſon Autorité, auſſi bien que ſa Conduite exemplaire.

On m’acordera, je crois, ſans peine, que l’exemple de cette grande Ville influë extrémnement ſur tout le Roïaume ; & que cette Ville eſt également dominée par les influences de la Cour, du Miniſtere, & de tous ceux qui en dépendent par leurs Charges, ou par leurs Eſperances. Or ſi, ſous une auſſi excellente Princeſſe que la nôtre, nous voions tous les Officiers de la Cour reglez dans leur conduite, & un Miniſtre qui ſe diſtinguật par la pieté ; ſi nous voions toutes les Charges de l’Etat & de la Robbe remplies de perſonnes du même caractere, ſoigneuſes à ne placer dans les emplois ſubalternes, que des gens de mérite, & obligées de faire de pareilles choſes, & par l’exemple de notre Souveraine, & par la crainte de perdre leurs Dignitez ; ne m’avouera-t-on pas, que l’Empire du Vice, & de l’Irreligion, ſeroit bientôt détruit dans notre Capitale, & qu’il chancelleroit en peu de tems dans tout le Roïaume, qui a avec elle de ſi grandes liaiſons, & qui affecte ſi fort d’en ſuivre les manieres ?

Si l’on ſe met une fois fortement dans l’Eſprit, que la Religion eſt un degré neceſſaire, pour parvenir à la faveur & à l’avancement, peut-on comprendre, que des perſonnes devouées à leur leur réputation, & à leur fortune, ôſeroient ſe déclarer contre les maximes, & ſe conduire comme ſi elles les mépriſoient ? Il n’y a point de qualité ſi contraire au naturel de l’homme, qu’il ne ſe l’aproprie, pour ménager ſes intérets, ou pour favoriſer les paſſions dominantes. Le mortel le plus fier devient humble, l’Eſprit le plus farouche s’adoucit, le plus pareſſeux ſe rend induſtrieux & actif, quand il s’agit d’ateindre l’objet de ſes vœux les plus ardens. Avec quelle vivacité, par conſequent, n’entreroit-on pas dans les routes de la Vertu, & de la Pieté, ſi elles menoient infailliblement à la faveur, & à la fortune ?

Si dans nos Armées on mettoit quelques bornes aux imprécations, aux diſcours profanes, à la débauche dont on tire vanité, au jeu exceſſif, & à l’intemperance, je ne vois pas, que les conſequences d’une telle Réforme pourroient être dangereuſes. Je ſuis très-perſuadé, que la corruption n’y ſeroit, ni ſi générale, ni ſi exorbitante, ſi on obligeoit du moins les Militaires à quelque bienſéance extérieure dans leur conduite, ſi leur libertinage n’étoit pas un moïen de s’avancer, & ſi la pieté ne leur ſervoit pas d’un obſtacle preſque inſurmontable, pour faire leur chemin. J’ai été informé par des Officiers d’une très-grande diſtinction, que, dans toutes les Armées des Alliez, il n’y a point de troupes auſſi mal diſciplinées, que les nôtres ; & je comprends fort bien, qu’il eſt impoſſible, qu’elles le ſoient mieux. Les Soldats ont continuellement devant leurs yeux le mauvais exemple de leurs Chefs ; & ils ne ſauroient donner dans aucun Crime, dont leurs Officiers ne ſoient infiniment plus coupables qu’eux, ſans y être portez par des tentations également fortes.

On accuſe généralement nos Officiers d’avoir rétabli parmi nous le vice brutal de boire avec excès, qui étoit diſparu preſque entierement en Angleterre, il y a quelques années. Il eſt certain, qu’ils ont réüſſi merveilleuſement bien. Pluſieurs jeunes gens de Famille, & même un grand nombre de Nobles du premier ordre, ont fait de grands progrès, ſous de ſi habiles Maîtres : ils n’ont pas le moindre ſoin de cacher leur talent ; &, s’ils n’en ont aucune honte, c’eſt qu’ils ſont perſuadez, qu’il ne les expoſera à aucun reproche.

Ce mal ſeroit bientôt deraciné, ſi la Reine trouvoit bon de déclarer ouvertement, qu’aucun jeune homme, de quelque qualité qu’il pût être, adonné à un vice ſi honteux, ou à quelqu’autre également infame, n’auroit accès à ſa faveur, ni même à ſa preſence ; & ſi elle ordonnoit poſitivement à ſes Miniſtres, & à tous ceux qui poſſedent les premieres Dignitez de l’Etat, de les traiter avec le même mépris. Dès que cette déclaration ſeroit généralement connuë, tous ceux qui ont le moindre atachement pour leur réputation, & pour leur fortune, éviteroient avec ſoin le Commerce de pareils débauchez. Par-là le Vice deviendroit tellement infame, que ceux, qui ne voudroient pas ſe donner la peine de l’aracher de leur cœur, s’efforceroient du moins de ſauver les aparences.

Cette même methode pouroit arêter dans ſa courſe la coutume impetueuſe de bruſquer ſa ruine, en jouant des ſommes immenfes. La cauſe, qui fait faire tant de progrès dans la Nation au Jeu immoderé, c’eſt qu’on le ſoutient, & qu’on paroit l’animer, par une conduite toute opoſée à celle que je recommande ici ; ce qui ôte abſolument l’autorité aux Loix qui ont été faites pour le tenir en bride.

On ne ſauroit me nier encore, que le défaut de diſcipline exacte & ſevere, dans nos Univerſitez, n’ait été d’une dangereuſe conſequence pour notre jeuneſſe, qui y eſt preſque entierement abandonnée à ſa propre conduite : ſur-tout, la Nobleſſe, qui, ne conſidérant pas l’Erudition comme néceſſaire à ſa ſubſiſtance, y vit à ſa Fantaiſie, & y prend ſes degrès, ſans qu’elle ſoit obligée de faire quelques progrès dans les Siences ; ce qui eſt le plus grand, & le plus pernicieux, de tous les abus. Si l’on ne gagne pas dans les Univerſitez quelques notions du Savoir, & des belles Lettres, il eſt certain qu’on y perd abſolument ſon tems ; puiſque tout ce qui ſert d’ornement à une belle éducation eſt infiniment mieux enſeigné par-tout ailleurs. Le ſéjour, que les jeunes gens y font, ne ſauroit ſervir à les détourner de la route du vice, ou à les éloigner des occaſions de ſe débaucher : ils s’y trouvent enſemble en trop grand nombre, & ils ſont trop Maitres de leurs Actions, pour qu’une ſemblable intention puiſſe promettre la moindre réuſſite.

Cependant, de quelle nature que puiſſent être les abus qui ſe ſont gliſſez dans les Univerſitez, par la négligence, & par la longue ſuite des tems, qui a fait perdre aux anciens Statuts toute leur vigueur, on peut y remedier, par des Ordres ſeveres de la Cour, adreſſez aux Chefs & aux Inſpecteurs des Colléges ; ſans parler ici de l’Autorité particuliere de Sa Majeſté dans quelques-unes de ces Maiſons, fondées par ſes Prédéceſſeurs.

Au ſortir des Univerſitez, la jeune Nobleſſe, & d’autres Ecoliers d’une Fortune conſidérable, ſont d’abord envoïez dans la Ville, de peur de contracter des Airs de Pédanterie, par un trop long ſéjour dans les Colléges. Pluſieurs jeunes Gentilshommes ſont placez dans les Apartemens de la Cour[1], où ils ont toute liberté de ſuivre aveuglement leurs paſſions, & leurs caprices.

Les mauvaiſes conſequences de tous ces relâchemens dans l’éducation paroiſſent évidemment, en ce que de dix perſonnes, qui parviennent, & qui ſe diſtinguent, dans l’Egliſe, dans la Cour, dans la Politique, & dans les Armées, il y a neufs Cadets de Famille, ou gens ſans naiſſance, qu’une Fortune bornée a animez au travail, & à l’application.

Pour ce qui regarde ces Appartemens de la Cour, à moins que de ſupoſer qu’ils ſont fort dégénérez de leur inſtitution primitive, il faut avouer que jamais aucun Seminaire n’a été plus mal reglé dans un Païs Chrêtien. Si l’on peut y remedier ſans l’interpoſition du pouvoir legiſlatif, c’eſt ce que je ne ſaurois déterminer, faute d’avoir fait des recherches aſſez exactes là-deſſus. Ce que je ſai très-bien, c’eſt que toutes les Nations éclairées ſe ſont acordées, en établiſſant des Seminaires, à obliger la jeuneſſe à l’obſervation exacte de certains devoirs moraux ſur-tout de la Juſtice, de la Temperance, & de la Sageſſe ; & de n’en pas borner les obligations aux Sciences, & aux exercices du corps : au lieu que, chez nous, on ſe moque ouvertement de cette partie eſſentielle d’une bonne éducation.

On me permettra de dire ici, ſans avoir le moindre deſſein de choquer le Clergé, que, par une prévention auſſi commune que pernicieuſe, les Eccleſiaſtiques eux-mêmes détruiſent les Services, qu’ils pouroient rendre à la Religion, & à la Vertu : ils affectent de n’avoir aucun Commerce, ſinon les uns avec les autres, & de ne ſe point meler avec les Laïques ; ils ont leurs Societez particulieres, leurs Caffez particuliers, où ils paroiſſent toûjours pour ainſi dire en troupe. Un Miniſtre tout ſeul oſe à peine ſe montrer dans une Compagnie de gens polis : &, s’il s’y trouve par malheur, il eſt taciturne, la défiance eſt peinte ſur ſon viſage, il eſt dans des apprehenſions continuelles d’être turlupiné, & d’être en butte à des railleries offenſantes.

Cette conduite du Clergé me paroit auſſi ſenſée, que le ſeroit celle des Médecins, s’ils mettoient tout leur tems, à viſiter leurs Apoticaires, ou à ſe viſiter les uns les autres, ſans ſe mettre en peine de leurs malades. A mon avis, le Commerce avec les Laïques eſt l’afaire principale des Gens d’Egliſe ; & je ne crois pas, qu’ils puiſſent trouver un moïen plus efficace de ſauver les ames, que de ſe rendre propres à plaire dans la Converſation des gens du monde : leur érudition pourroit y contribuer beaucoup, s’ils s’apliquoient à la polir, & à la débaraſſer de la Rudeſſe, & de la Pédanterie. Il eſt ordinaire à préſent, que ceux qu’on apelle bons-vivans, qui ne vont jamais à l’Egliſe, & qui ne s’amuſent point à parcourir les Livres de dévotion, forment leur idée de tout le Clergé, ſur quelques pauvres Miniſtres vagabonds, qui ſe crottent dans les rues, ou qui ſemblent ſe dérober de quelque Maiſon de Qualité, où ils font l’Office de Chapelain pour dix Shellings par mois. Cette idée n’eſt pas rectifiée par la vuë d’autres Eccleſiaſtiques, qui ont des talens plus relevez, & une figure plus revenante.

Que certains Raiſonneurs penſent ce qu’ils trouvent à propos, il eſt certain qu’il faut porter la maſſe generale des hommes à aimer & à eſtimer les Gens d’Egliſe, ſi l’on veut leur inſpirer de la tendreſſe pour la Religion. On fait d’ordinaire fort peu de cas d’un Remede, quelque excellent qu’il puiſſe être, s’il eſt donné par un Médecin, qu’on hait, ou qu’on mépriſe.

Or, ſi les Eccleſiaſtiques avoient autant de penchant à frequenter les bonnes Compagnies, qu’en ont d’autres honnêtes gens ; s’ils vouloient étudier un peu l’Art de la Converſation, ils ſeroient les bien-venus par-tout, où l’on a quelqu’égard pour le bon-ſens, & pour la politeſſe ; &, par conſequent, ils previendroient mille diſcours impertinens & prophanes, & mille actions du même caractere. Il ne ſeroit pas à craindre même, que des gens, qui auroient la moindre idée du ſens-commun, ſe plaigniſſent d’être génez par la Compagnie d’un Homme d’Egliſe, parce qu’ils n’oſeroient prononcer devant lui des blaſphemes, & des railleries obſcenes.

Pendant que le Peuple eſt ſi jaloux de l’Autorité & de l’Ambition des Eccleſiaſtiques, qu’il ne ſauroit penſer qu’avec horreur au Rétabliſſement de l’ancienne Diſcipline de l’Egliſe, je ne vois pas, pour le Clergé, d’autre methode de reformer le monde, que de faire tous les efforts, que la vertu avouë, pour ſe rendre agréable aux Laïques. C’eſt-là ſans doute une partie de la Prudence du Serpent, recommandée dans l’Evangile ; & c’eſt préciſement le procedé dont ſe glorifie St. Paul, qui devenoit tout à tous, Juif aux Juifs, & Grec aux Grecs.

Je ſuis perſuadé, qu’il ſeroit difficile de faire gouter cet expedient aux Gens d’Egliſe, qui ſe font mis généralement dans l’Eſprit, que cette coutume de ſe bannir de la Societé des gens du monde eſt une partie eſſentielle de leur devoir. Je ſai même, qu’on s’eſt efforcé de leur inſpirer cette idée, dans pluſieurs Lettres Paſtorales des Evêques. Il y a même un de ces Prélats diſtingué par ſes lumieres & par ſon mérite, qui leur a donné de pareils préceptes, quoique, pendant toute ſa vie, il ait pris lui-même un chemin tout opoſé ; mais, je me trompe fort pourtant, ſi ces Conſeils ſont les motifs les plus forts d’une telle conduite, & ſi les Eccleſiaſtiques n’y ſont pas portez plus efficacement, par une certaine honte atachée à une mauvaiſe éducation, & par la crainte d’être inſultez par les gens du monde.

Ces deux motifs perdroient bientôt toute leur force, ſi la Vertu, & la Religion, ſoutenuës par la Cour, étoient en vogue parmi tous ceux, qui ocupent les grandes Charges, & qui les briguent, ou qui ſe flatent d’y parvenir un jour. Une eſtime, extérieure du moins, pour le Clergé, ſeroit la conſequence infaillible d’une telle Réforme ; & les Gens d’Egliſe auroient aſſez de bon ſens, pour trouver leur devoir & leur intérêt à ſe rendre propres à une converſation polie, dès qu’ils ne craindroient plus d’être offenſez & choquez par des obſcénitez & des profanations.

J’ai une autre Conſidération encore à communiquer au Public, ſur le même ſujet ; mais, je crains bien qu’elle ne paſſe pas pour orthodoxe.

Le Clergé eſt parmi nous le ſeul ordre de perſonnes, qui porte conſtamment un habit diſtingué du reſte des hommes. Une experience, fort contraire à la raiſon, nous en fait voir cette pernicieuſe conſequence ; que, tandis qu’il ſe trouvera des perſonnes d’une conduite ſcandaleuſe ſous cet habit diſtingué, il ſera mépriſé par-tout où on le trouvera. Un homme du monde, voïant par hazard un faquin, qui, couvert de cette robbe, tache au milieu de la nuit de regagner ſa maiſon d’un pas chancellant, (ſpectacle, qui n’eſt pas extrémement frequent parmi nous, mais qui ne tient pas pourtant du miracle,) aura d’abord mauvaiſe opinion de tout le Clergé ; & il ſera par cela même confirmé dans ſes propres vices. On y pouroit remédier en quelque ſorte, ſi l’on avoit ſoin d’envoïer ces Théologiens vagabonds dans les Indes Occidentales, où il y a pour eux de l’Ouvrage de reſte, & plus de moiens de faire fortune qu’ici. Mais, un Remède plus général, & plus efficace, ſeroit de ne permettre l’uſage de la Robbe, qu’à ceux, qui auroient quelques bénéfices, ou aſſez de bien pour ſe tirer du mépris ; & il vaudroit encore mieux, à mon avis, qu’excepté les Evêques, tous les Eccleſiaſtiques s’habillaſſent modeſtement, comme les autres hommes, hormis dans les occaſions, où ils ſeroient obligez d’exercer leur miniſtere.

Il s’eſt gliſſé dans cette Ville un autre abus, qui contribue extrémement aux progrès du vice. On donne ſouvent la Charge importante de Juge de Paix ou de Commiſſaire, à des gens, dont l’intérêt eſt de bannir la Vertu d’au milieu de nous ; à des gens, qui ſubſiſtent, & qui s’enrichiſſent, en ſoutenant les excès les plus afreux, & en vendant leur protection à toutes les femmes de médiocre vertu, qui ravagent leurs differens quartiers. C’eſt ainſi, que ces dignes Magiſtrats, au lieu de mettre des bornes aux crimes les plus énormes, les redoublent, & cauſent dix fois plus de debauches, qu’il n’y en auroit ſans leur Magiſtrature. Non hoc inventum munus in uſum.

Rien n’eſt plus évident. Ces femmes pernicieuſes, aïant une double charge à ſoutenir, leur propre ſubſiſtance, & celle du Juge, doivent redoubler leur induſtrie criminelle, & leurs infames artifices.

Il eſt certain, que la Reine, & le Miniſtere, pouroient facilement redreſſer ce deteſtable abus de la Juſtice, en augmentant le nombre de ces Commiſſaires, en ne choiſiſſant que des gens vertueux & integres, en ne donnant cet emploi qu’à des perſonnes riches, & peut-être en mêlant parmi eux quelques Ecleſiaſtiques du premier rang, ſans permettre à qui que ce fût de refuſer cette Charge, quand elle lui ſeroit offerte.

La Reforme du Théatre dépend abſolument de Sa Majeſté : &, par les impreſſions, qu’il fait ſur l’eſprit de la jeuneſſe, il merite bien qu’on y prête la plus grande attention. Je ne parlerai pas ici de certains Paſſages de nos Comedies, indecens, ou profanes ; ni des turlupinades, dont on accable la dignité même du Clergé ; ni d’autres irregularitez criantes, dont on accuſe avec raiſon nos Piéces de Théatre, & ſur-tout les plus modernes.

J’obſerverai ſeulement la Juſtice diſtributive de Meſſieurs les Auteurs, qui ne manquent jamais de punir la Vertu, & de recompenſer le Vice, contre les regles de critique les plus ſenſées, & contre la pratique conſtante, de tous les ſiécles, & de tous les autres Peuples.

On verra d’ordinaire ſur la Scene un Gentilhomme Campagnard, qui n’a d’autres défauts, que de l’Impoliteſſe, & un accent Provincial, qu’il n’eſt pas le maître de quitter, condamné à épouſer une Courtizane uſée, ou une Fille de Chambre, qui a fait banqueroute à ſon honneur. En recompenſe, un Scelerat de profeſſion, à qui on donne pour qualitez brillantes la Prodigalité, la Profanation, l’Intemperance, & la Débauche la plus exceſſive, devient l’Epoux d’une riche Heritiere, propre à reparer les bréches qu’il a fait dans ſon Patrimoine, par les excès les plus honteux. Comme, dans une Tragedie, on releve & on embellit le Caractere d’un Heros dans l’Eſprit des Spectateurs, en lui attribuant pluſieurs grandes Victoires, nous repreſentons les Heros de nos Pieces Comiques chargez des Dépouilles de pluſieurs Femmes conquiſes, par la Ruſe, & par l’Effronterie.

Je ne me ſouviens pas que nos Auteurs Dramatiques aïent jamais donné ſur le Théatre un Succès avantageux à une Intrigue criminelle, avant Charles II. ; mais, depuis ſon Regne, un Echevin ne manque jamais d’être cocu ſur la Scene, ni une Vierge innocente d’être dupée, dans le tems que le Spectateur eſt obligé de ſuppoſer, que la Fornication & l’Adultere ſont commis derriere les Couliſſes, & de garder pour ainſi dire les manteaux.

Ces Irregularitez criminelles du Théatre, & pluſieurs autres particulieres à notre Age, & à notre Païs, ne ſubſiſteront, que tant que la Cour voudra bien les tolerer, & y conniver ; &, certainement, une Penſion ne ſeroit pas mal emploïée à quelque homme vertueux, ſavant, & ſpirituel, à qui on donneroit la commiſſion de retrancher les paſſages ſcandaleux des Piéces, qui ont déja cours parmi nous, & de celles qu’on offre de tems en tems, pour être repréſentées. Par-là, & par d’autres Reglemens ſenſez, le Théatre pouroit devenir un Divertiſſement innocent & utile au lieu de jetter du ſcandale ſur notre Patrie & ſur notre Religion.

Les Propoſitions, que j’ai faites juſqu’ici, pour l’Avancement de la Religion, & de la Vertu, ne ſont pas vagues, & de pure ſpeculation : elles peuvent être miſes en uſage, par un Prince pieux & actif, fermement réſolu à en profiter, & à y donner toute ſon attention. Je ne croi pas même, qu’on puiſſe faire contre elles les moindres Objections, ſi-non, qu’en faiſant de la Religion un degré vers les Dignitez & vers la Fortune, on augmenteroit le nombre des Hypocrites parmi nous. Je le crois effectivement ; mais, pourvu que, par les Methodes que j’ai indiquées, une ſeule perſonne d’entre vingt devint réellement vertueuſe, je penſe pourtant que notre Roïaume y gagneroit. D’ailleurs, la ſimple Affectation de la Vertu vaut mieux que le Vice demaſqué, & que le Libertinage qui marche à decouvert : elle porte du moins les livrées de la Religion, en reconnoît l’autorité, & évite le ſcandale. Je m’imagine même, qu’un deguiſement continuel gêne trop la Nature humaine, & ſur-tout le temperamment Anglois.

Il eſt probable que nos Compatriotes abandonneroient leurs vices, par pure laſſītude, plûtôt que de s’ocuper toûjours à ſauver les aparences, & à chercher des biais, pour s’y livrer en particulier, & pour les dérober aux yeux du public. Je crois, que bien ſouvent il eſt de la Religion, comme de l’Amour, qui, à force d’affectation, peut devenir réel. Par raport aux ſentimens, il n’y a qu’un pas de la fiction à la réalité.

Tous les autres Projets, qui tendoient au même but, on été juſqu’ici inutiles. Toutes les Loix, contre les mauvaiſes mœurs, ont manqué du coté de l’exécution ; & les Edits, qu’on a faits de tems en tems, pour leur donner une nouvelle force, n’ont paſſé, que pour de ſimples formalitez.

On dit même que certaines Societez Religieuſes, établies dans la meilleure intention du monde, & par des perſonnes d’une Pieté exemplaire, ſe ſont changées avec le tems en Aſſemblées factieuſes, ocupées à un Commerce honteux, uniquement propre à enrichir d’infames Délateurs.

Cependant, par raport à la Politique, même, il eſt d’une plus grande neceſſité, qu’on ne penſe d’ordinaire, de prendre des meſures vigoureuſes & efficaces, pour executer une pareille reforme. La ruine d’un Etat eſt ordinairement précédée, par une corruption generale, & par un mépris univerſel de la Religion ; & c’eſt-là par malheur notre triſte cas.

Dîs te minorem quod geris, imperas.

Ce Projet n’eſt pas d’une nature à être differé juſqu’à un tems de Paix & de Loiſir : une heureuſe réforme dans les ſentimens, & dans la conduite, eſt le meilleur moïen, que la Nature, & la Religion puiſſent nous fournir, pour finir avantageuſement la préſente Guerre ; car ſi ceux, qui rempliſſent les Charges, s’acquittoient de leurs devoirs, par un Principe de Conſcience, nos affaires n’auroient rien à eſſuïer de la fraude, de la négligence, de la corruption. D’ailleurs, ſi nous croiïons en Dieu & ſa Providence, & ſi nous nous conduiſions conſequemment à cette perſuaſion, nous pourrions nous attendre à l’aſſiſtance du Ciel, aïant une cauſe auſſi juſte qu’eſt la nôtre.

Jamais auſſi la Majeſté de la Couronne de la grande Bretagne ne pourroit ſe revetir d’une plus grande ſplendeur, aux yeux des Sujets & des Etrangers, que par l’exécution d’un projet, qui, produiſant des effets ſi admirables, donneroit la plus grande idée du pouvoir de nos Souverains. Le Pouvoir eſt le centre des Vœux de tous les Princes ; & un Monarque d’une puiſſance limitée ne peut jamais mieux ſatisfaire à une Ambition reglée, qu’en faiſant valoir des Loix ſalutaires.

Il faut remarquer encore, que tous les differens partis s’acorderoient à pouſſer une fi excellente entrepriſe, pour ſe donner de la Réputation. Il eſt même naturel de croire, que ce ſeroit le meilleur expédient pour calmer leurs animoſitez. J’ai obſervé, que les Eſprits les plus factieux ſont préciſement ceux qui font voir, dans toutes leurs actions, le moins d’atachement pour la Religion, & pour la Vertu. Si de telles gens, du moins ceux qui ſont les plus incorrigibles entr’eux, ne veulent pas reconnoitre l’utilité de nos meſures, & reſter en proie aux inquietudes de leur propre naturel, le mal ne ſera pas grand ; & il ne ſera pas fort dificile de gagner les autres, & de les reconcilier.

A préſent, les corruptions exceſſives, qui ſont répandues dans l’adminiſtration de nos affaires, paſſent l’Imagination. Des perſonnes d’une grande habileté ont fait voir par un calcul exact, que de ſix millions, qu’on leve tous les Ans ſur le Peuple, pour le bien public, un bon tiers s’abime dans les differentes Claſſes & Subordinations de ceux qui adminiſtrent nos Deniers avant que le reſte puiſſe être emploïé pour l’utilité de la Patrie. C’eſt-là un inconvenient accidentel de notre Liberté : &, tandis qu’on confiera nos affaires à des gens, qui ne ſont ſuſceptibles d’aucun remords, & qui n’ont d’autre vuë qu’un vil intérêt, la ſeule choſe, qui pouroit nous défendre, contre leurs rapines, ce ſeroit le pouvoir arbitraire d’un Prince, qui les feroit pendre, dès que leurs Fraudes ſeroient découvertes. Mais, chez nous, le Souverain ne peut rien ſans les Loix ; & le ſeul danger, où ces Scelerats s’expoſent, en cas qu’on découvre leurs vols, c’eſt la perte de leurs emplois ; danger, qu’on peut éviter de mille differentes manieres. Quand la fourberie eſt parvenue au plus haut point, elle tire de ſon propre ſein des armes pour ſe défendre. Tout ce qui peut arriver de plus chagrinant à ces malhonnêtes gens, c’eſt que, quand leurs crimes ſont ſi énormes, & ſi généralement connus, que les Miniſtres ſont obligez, par pure honte, de les priver de leurs charges, ils en ſortent accablez des dépouilles de la Nation, & fruuntur Diis iratis. Je pourrois nommer ici une Commiſſion, dans laquelle pluſieurs perſonnes, n’aïant pour toute penſion que cinq cens livres ſterling, ſans autres revenus conſiderables, ont vecu comme s’ils en avoient deux mille par an, & ont acheté des Terres, & des Annuitez, pour plus de quarante ou de cinquante mille livres.

Il ne ſeroit pas dificile de citer cent autres exemples de la même nature. Quel remede peut-on trouver à de pareilles mal-verſations, dans une Conſtitution comme la nôtre, que de mettre la Religion en vogue, & de remplir les Charges de perſonnes portées, par l’eſperance d’une recompenſe éternelle, & par la crainte d’une punition ſans bornes, à ſe conduire avec Juſtice, & avec Integrité ?

Le Souverain, comme je l’ai déja dit, en eſt abſolument le Maître : il n’a qu’à regler exactement ſes Miniſtres, & les perſonnes honorées des plus grandes Dignitez du Roïaume, & les favoriſer ſelon que leur atachement pour la Pieté, & pour les bonnes mœurs, les en rendra dignes ; afin que, par leur exemple, & par leur autorité, ils reduiſent à la même reforme tous ceux, qui dépendent d’eux, & qui ſont intereſſez à chercher leur protection.

Il eſt certain, qu’une telle reforme executée avec ſuccès ſe répandroit bientôt dans tout le Roïaume, puiſque la plûpart de la Jeuneſſe de quelque diſtinction paſſe dans cette capitale la partie de la vie la plus ſuſceptible de fortes impreſſions, & qu’elle s’y aſſemble de tous cotez, pour atraper de belles manieres, ou pour faire fortune. Ceux de ces jeunes gens, qui retournent enſuite dans leurs Provinces, y ſont imitez comme les plus parfaits modéles d’eſprit & de politeſſe.

Si une fois on étoit en train de conſidérer la Religion, & la Vertu, comme des qualitez neceſſaires pour la réputation, & pour l’avancement ; ſi le Vice & l’Irreligion n’étoient pas ſeulement chargez d’Infamie, mais encore un obſtacle invincible à toutes les eſperances de fortune ; notre devoir, devenant la même choſe que notre intérêt, jetteroit de profondes racines dans nos Ames. Il ſeroit tellement enté ſur le Génie de toute la Nation, qu’il ſeroit difficile à un Prince peu vertueux de nous faire retourner à notre prémiere corruption.

Je me ſuis borné aux moïens d’avancer la Pieté, qui ſont au pouvoir d’un Souverain limité dans ſa puiſſance, comme le nôtre, & qui conſiſtent dans une exécution vigoureuſe des Loix établies. En voilà aſſez pour un Projet qui n’eſt pas recommandé par un nom illuſtre. Si l’on en voïoit une fois le ſuccès, je ne doute point, qu’on ne mit encore en œuvre d’autres meſures, qui ne dépendent pas entierement du Prince, & que le Pouvoir Legiſlatif ne négligeroit rien, pour y mettre la derniere main. J’indiquerai ſeulement ici un petit nombre de moïens, dont il pourroit ſe ſervir avec fruit.

Pour reformer les Vices de la Ville, qui ont une ſi grande influence ſur tout le Roïaume, il ſeroit fort utile de faire une Loi, pour ordonner à tous les Cabaretiers de renvoïer leur chalands chez eux, & de fermer leur porte à minuit ; & pour défendre à toute femme, quelle qu’elle pût être de mettre jamais le pied dans un Cabaret, ſous quelque prétexte que ce fût. On comprend facilement, qu’une pareille Loi préviendroit un tres-grand nombre d’Inconveniens, comme Querelles, Débauches, Vols, Maladies infames, & un grand nombre d’autres maux, qu’il eſt inutile de mentionner. Il ſeroit bon même d’enjoindre aux Maîtres de ces maiſons, ſous des peines ſeveres, de ne donner à chaque Compagnie qu’une certaine quantité de boiſſon, & de leur refuſer tout ce qui pourroit les jetter dans des excès.

Je croi qu’il y a à peine dans toute la Chrétienté une ſeule Nation, où toutes ſortes de Fraudes ſont pratiquées dans un auſſi haut degré que chez nous. L’Homme de Robbe, le Negociant, & l’Artiſan, ont trouvé chacun dans ſa vocation tant de moïens de tromper, & tant d’artifices ſubtils, qu’ils paſſent la portée de la prudence humaine, incapable de ſe précautioner contre tant de piéges. Nos Legiſlateurs ne pouroient jamais rendre un plus important ſervice au Public, qu’en apliquant un remède efficace à ce mal, qui, dans pluſieurs cas, mérite des chatimens plus rigoureux, que certains crimes, que nos Loix puniſſent par la mort du coupable. Le Marchand de Vin mêle du Poiſon à ſes liqueurs frélatées, & tuë par-là plus de ſujets, qu’une maladie contagieuſe. L’Avocat vous perſuade d’entrer dans un Procès, dans lequel il prévoit votre ruine, & celle de toute votre Famille. Le Banquier prend tout votre capital, & il vous en promet des rentes conſiderables, reſolu de faire banqueroute le jour après. Tous ces Scelerats meritent infiniment mieux la Potence, que ce Malheureux qu’on y atache, pour avoir volé un Cheval.

On ne ſauroit gueres répondre devant Dieu, & devant les Hommes, de ce qu’on ne fait point quelque Loi ſevere, contre la Liberté exceſſive de la Preſſe. Du moins devroit-on prévenir l’Impreſſion de ces Ouvrages, qui, ſous prétexte de la Liberté de Penſer, renverſent tous les Articles de la Religion, qui ont toujours paſſez pour inconteſtables parmi tous ceux qui ſe ſont fait une gloire de porter le nom de Chrétiens. Par conſequent, ces Dogmes ne doivent point être regardez, comme des Matieres de Controverſe, ou comme des Sujets de ſimple Spéculation. Les Dogmes de la Trinité, de la Divinité de J. Chriſt ; l’Immortalité de l’Ame, & même la Verité de toute la Révélation ; ſont tous les jours combattus, & niez ouvertement, dans des Livres faits exprès dans ce deſſein : quoiqu’il n’y ait point de Secte parmi nous, qui admette les principes, qu’on poſe dans ces dangereux Ouvrages, ou qui les croïe néceffaires à ſon Syſtême.

Je n’aurois jamais fait, ſi je voulois entrer ici dans le détail de tous les Inconveniens, où le Pouvoir Legiſlatif ſeul eſt en état de remédier. Peut-être ceux, dans lequel ce pouvoir réſide, feront peu de cas de quelques Propoſitions, qui ne ſortent pas de leur propre Corps. Cependant, quoique perſuadé de la foibleſſe de mes lumieres, je ſuis ſûr, que les penſées ſinceres d’un homme éclairé & intègre, qui n’a en vuë que le bien de ſa Patrie, peuvent aller plus au fait, que les Déliberations d’une Aſſemblée nombreuſe, où la faction, & l’intérêt, ne prévalent ſouvent que trop. Un ſeul guide montrera mieux le chemin, que cinq cens, qui ont des idées differentes, ou qui marchent à tatons, en ſe fermant les yeux.

Dans la défiance où je ſuis touchant la reception qu’on fera à mes Propoſitions, je ne ferai encore qu’une ſeule Remarque, qui mérite, ce me ſemble, toute l’attention du Parlement.

N’eſt-ce pas une honte pour notre Païs, & un ſujet de ſcandale pour toutes les Nations Chrétiennes, que dans pluſieurs Villes, où le nombre des Habitans augmente tous les jours, on ait ſi peu ſoin de bâtir de nouvelles Egliſes, qu’il eſt impoſſible à la cinquiéme partie du Peuple d’aſſiſter au Service Divin ? Dans notre Capitale même, un ſeul Miniſtre, aſſiſté de deux chetifs Vicaires, eſt ſouvent chargé du ſoin de plus de vingt mille Ames. Ce manque d’égards & de reſpect pour la Religion me paroit ſi abominable, que je ne croi pas, qu’aucun Siécle, ou aucun autre Peuple, en puiſſe fournir des exemples.

En voilà aſſez pour ce qui regarde les nouvelles Loix qu’on pouroit faire pour reformer le Genre-Humain. J’en reviens à mon Sujet principal, l’exécution exacte & rigoureuſe des Loix déja faites, qui dépend abſolument du Souverain, en vertu d’un droit ataché à la Couronne. Je conclus de tout ce que j’ai avancé à cet égard, que ſi les Poſtes d’Autorité, de Pouvoir, d’Honneur, & de Profit, devenoient les Recompenſes de la Vertu, & de la Pieté, un établiſſement ſi falutaire influeroit puiſſamment ſur les Mœurs, & ſur la Foi de tous les Sujets. C’eſt alors, que des gens éclairez, & habiles, feroient tous leurs efforts, pour exceller dans la pratique des devoirs de la Religion, afin de ſe mettre en état de parvenir aux plus grandes Dignitez.

Je pourrois bien me tromper, par raport à quelques moïens, que j’ai propoſez comme néceſſaires à l’exécution d’un ſi grand deſſein ; mais, on ne ſauroit tirer de-là aucune Objection eſſentielle contre le deſſein même. Que ceux qui ſe trouvent à la tête des affaires prennent des meſures plus juſtes ; rien ne leur eſt plus aiſé. Il ſuffit, que tout le monde m’acorde, que le mal, dont il s’agit, eſt réel, & d’une très-dangereuſe conſequence ; qu’il exige de prompts remedes ; & que tous ceux, qu’on y a apliquez juſqu’à préſent, n’ont produit aucun effet ſenſible.

Ces veritez inconteſtables autoriſent ſuffiſamment un Amateur de ſa Patrie & qui n’a pas d’autre but que le bien public à communiquer à la Nation les penſées ſur un ſujet ſi important.

Notre Reine eſt une Princeſſe auſſi reſpectable par ſes vertus, qu’aucun Souverain qui ait jamais rempli le Trone. De quel nouvel éclat ne brilleroit pas ſon admirable caractere aux yeux de ſes contemporains, & de la poſterité la plus reculee, ſi Elle emploïoit toute ſon autorité à communiquer une partie de ſes vertus à ſes ſujets trop abatardis, pour devenir meilleurs, par ſon ſeul exemple ? Qu’il me ſoit permis de dire, avec toute la vénération que l’on doit à cette Princeſſe incomparable, que les efforts qu’elle peut faire, pour parvenir à ce grand but, ſont une partie eſſentielle de ſes devoirs, de ſon intérêt, & de ſa gloire.

A préſent, un homme croit avoir tout le mérite neceſſaire, pour prétendre aux plus éminentes Dignitez, pourvû qu’il ait crié pluſieurs fois contre ceux, qui forment de pernicieux deſſeins contre le Gouvernement. Il eſt vrai que c’eſt un homme devoué à ſes plaiſirs, & un Eſprit fort, c’eſt-à-dire un Débauché dans les formes, & un Ennemi de la Religion. Qu’importe, c’eſt un homme utile, propre à ſoutenir le Parti qu’il a embraſſé ; il en mérite toute la confiance. Il eſt vif Defenſeur de la Liberté & des Droits du Peuple : il déclame contre le Papiſme, contre le Pouvoir Arbitraire, contre les Fourberies du Clergé, & contre la Haute Egliſe ; en voilà aſſez : c’eſt un Perſonnage dûment qualifié, pour quelque charge que ce ſoit, à la Cour, dans l’Armée, dans la Flotte, ou dans la Politique ; & bientôt il ſe voit en état de pouſſer, juſqu’aux derniers rafinemens, les Fourberies, la Fraude, la Corruption, l’Oppreſſion, l’Injuſtice, & tous les Crimes, qu’il eſpere de pouvoir commettre avec impunité. Faut-il s’étonner, que de pareilles gens s’atachent ſi fort à un Gouvernement, où la Liberté eſt ſi exceſſive, & où les Sujets ſont ſi ſurs de la Proprieté de leur Bien, de quelque maniere, qu’ils l’aïent acquiſe ? Ils ne pouroient jamais choiſir une autre Conſtitution, ſans y perdre conſiderablement.

Une exacte Fidélité pour un Gouvernement établi eſt en effet le moïen principal de le défendre contre les entrepriſes des ennemis de dehors ; mais, ſi elle n’eſt acompagnée d’autres vertus, elle ne préviendra jamais les vices, qui en ſappent les fondemens, & qui ruinent plus ſurement un Etat, que ne fait l’Ambition des Princes voiſins.

Si mes Propoſitions, qui tendent à réformer le Roïaume, ſont les plus ſenſées, & les plus convenables ; c’eſt ce qui peut être traité comme une Queſtion problematique : mais, il eſt inconteſtable, qu’une telle Réforme eſt abſolument néceſſaire ; parce qu’on peut conclure de la nature des choſes mêmes, que des abus, auxquels on n’aporte point de remede efficace, s’augmentent de jour en jour, juſqu’à ce qu’ils aïent renverſé entierement la Societé. Comme il n’eſt pas poſſible, qu’il n’y ait dans le cœur des hommes des ſemences de Corruption, il faut dans un Etat bien reglé, que ceux, qui ſont armez du pouvoir d’exécuter les Loix, s’ocupent continuellement à s’opoſer à ſes progrès, & à reduire tout à ſes premiers Principes, comme s’exprime Machiavel. Ils ne doivent jamais permettre, que les abus vieilliſſent, & ſe multiplient, d’une maniere à rendre les remedes inutiles.

Celui, qui veut empêcher la ruïne de ſa maiſon, doit prendre garde à chaque fente, & la boucher dans le moment. A moins d’y veiller ſans relache, le tems ſeul la fera crouler, ſans le ſecours des orages, & des tremblemens de terre ; il ſera dans un danger perpetuel d’être envelopé ſous les ruines de cet Edifice. Il n’eſt plus tems de ſonger à l’étaïer, & à le raffermir : il lui en coutera moins à l’abbatre, & à en conſtruire un Nouveau, qui ne ſera peut-être, ni ſi ferme, ni ſi commode, que celui qu’il a laiſſé dépérir par ſa négligence.

  1. C’eſt un Endroit à Londres où les jeunes Juriſconſultes prennent d’ordinaire des Chambres.