Le Correcteur typographe (Brossard)/volume 1/02/04

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§ 4. — LES CORRECTEURS EN PROVINCE DE 1473 À 1600


Ce n’est point seulement Paris qui rend aux correcteurs un tel hommage. Les villes de province elles-mêmes qui ont le rare privilège de voir s’établir en leurs murs un des disciples de Gutenberg apprennent à connaître et le titre et le nom de ces collaborateurs.


I. — Lyon.


Dès son apparition à Lyon, en 1473, et au cours du xvie siècle, l’imprimerie prit dans cette ville un rapide essor ; son développement fut tel que la réputation des travaux sortis des officines lyonnaises faillit un moment éclipser celle des ouvrages exécutés par les presses parisiennes.

Les traités de droit les plus érudits, les auteurs classiques latins et grecs, les livres de médecine, les sciences mathématiques et algébriques, maintes Bibles savantes ou populaires, les missels constituent les principales productions qui portent au loin la renommée de « la ville située entre Saône et Rhône ». Mais ce qui peut-être contribua non moins à établir le renom typographique dont Lyon devait jouir à cette époque est un fait d’ordre tout particulier : « On y imprimait en pleine liberté, loin de la férule de l’Université et de la censure de la Sorbonne, toute notre littérature populaire, des histoires de chevalerie, des pièces de poésie, des facéties, des gauloiseries et des joyeusetés… » Lyon fut aussi, il est utile de le dire, un centre, non loin de Genève, où la doctrine de Luther et de Calvin trouva dès ses débuts un terrain d’élection, sur lequel devait germer rapidement, pour la Réforme, une importante floraison de protagonistes, d’adeptes et de défenseurs dévoués.

Cet ensemble de circonstances ne pouvait certes qu’être un stimulant de plus pour les typographes lyonnais, et, de fait, nous voyons les libraires et les imprimeurs rivaliser de zèle, d’instruction et d’initiative : ils ne craignent pas d’engager des capitaux importants dans des œuvres de longue haleine ; ils s’adressent pour l’illustration de leurs livres à des maîtres renommés tels que Holbein ; après maints avatars dont nous donnerons ultérieurement un court aperçu[1], ils prennent la résolution de ne livrer au public que des éditions correctes, et à cet effet ils s’entourent de lettrés remarquables, de savants de premier ordre qu’ils rémunèrent largement ; ils vantent à l’envi la pureté littéraire de leurs œuvres : tel volume sorti en 1512 des presses de Simon Bevilaque porte cette mention[2] : maxima cum diligentia opus hoc castigavit ; tel autre, paru en 1516, cette appréciation : secundum veram orthographiam scribitur ; sur le titre d’un missel édité en 1530, par le libraire Michel Despreaux[3], est écrit : quod ab omnibus retro impressoribus evasit incastigatum : maxima lucubratione emendatum atque ornatum ; sur celui-ci, mis au jour en la même année, on lit : in quo ultra castigatissimam diligentissimamque emendationem… comperiet lector.

Ces exemples ne sont point exceptionnels, comme on pourrait le supposer : la plupart des volumes imprimés en latin, un très grand nombre d’ouvrages écrits en français comportent des expressions, différentes il est vrai, mais qui toutes ont le même but : persuader le lecteur qu’un soin scrupuleux a été apporté à la correction ; vanter, en même temps que les capacités et le désintéressement des libraires ou des imprimeurs, le mérite et les connaissances littéraires ou scientifiques remarquables des correcteurs qui, en fait, sont recrutés parmi les hommes les plus éminents de la Renaissance.

Suivant Claudin, Pierre Hongre, qui soit seul, soit en association avec Mathieu Husz et Antoine Doulcet ou Doulzet, exerça à Lyon à plusieurs reprises, commença à imprimer dans cette ville en 1482.

En 1498, Pierre Hongre publiait un petit Bréviaire lyonnais, Liber valde requisitus ad ministrandum sacramenta… Dans l’achevé d’imprimer, notre maître ès art typographique insiste sur le soin qui a été apporté à la correction de ce livre et fait l’éloge du correcteur et aussi, bien entendu, celui de… l’imprimeur : « Si jamais des livres qui ont été produits par l’art de l’imprimerie ont eu besoin de correction, celui-ci en est un, comme il est facile de s’en apercevoir en comparant les exemplaires imprimés auparavant du Bréviaire à l’usage de Lyon. Il est étonnant qu’on ait pu supporter jusqu’ici des livres aussi incorrects et corrompus. Maintenant ils ont été corrigés avec un soin rigoureux par vénérable homme maître Jean de Gradibus, licencié en chacun droit, et ont été imprimés par honorable homme maître Pierre le Hongrois, très habile dans l’art d’impression. »

La réputation de Jean Gradi, ou plutôt Jean de Gradibus, égale presque celle du fameux Pic de la Mirandole. Ce professeur en droit civil et canonique (utriusque juris professor) florissait de la fin du xve siècle au commencement du xvie. Quelques écrivains le font naître ou, plutôt, enseigner tout d’abord à Milan. Mais Prosper Marchand, auteur d’une Histoire de l’origine et des premiers progrès de l’Imprimerie, pense qu’il était français. Nous ne connaissons de manière précise aucun détail de son existence ; il semble qu’à l’époque où il vécut Jean de Gradibus possédait une notoriété telle que ses contemporains considérèrent comme inutile de transmettre à la postérité le moindre renseignement à son sujet. Quoi qu’il en soit, il est certain qu’il habita Lyon : à cette époque, cette ville offrait d’innombrables ressources aux savants qui aimaient à multiplier les livres, et Jean de Gradibus fut l’auteur de nombreux ouvrages de droit et de savants commentaires sur le Digeste et les Institutions romaines. L’explicit qui termine le volume de Pierre Hongre nous apprend que Jean Gradi fut correcteur d’imprimerie ; le libraire Hugues Fatot[4] nous dit qu’il remplit ces mêmes fonctions chez Thomas le Champenois (Thomam de Campanis) : Doctrinale florum artis notarie sive formularium instrumentorum novissime diligenti opera egregii viri magistri Johannis de Gradibus utriusque juris professori correctum ac emendatum. Au verso du dernier feuillet de la table : ( Impression habes candidissime lector doctrinale florum sine formularium instrumentorum nec non ars notariatus de novo addictus cum tabulis subjunctis nuperrime vero erroribus plurimis emendatum omnique solertia correctum quod facile cognoverit quicunque istam impressionem aliis prioribus comparavit hoc aut apud tanta castigatum diligentia. Impressum per Thomam de Campanis expensis vero Hugonis Falot bibliopolæ Lugdunensis anno Domini Mcccccx.

Jehan Trechsell s’établit à Lyon en 1488. Au nombre des correcteurs qui furent chargés par cet imprimeur du soin de veiller à la pureté du texte des éditions publiées par lui, il faut citer en première ligne le fameux Josse Bade. Né à Aasche, en Belgique, en l’année 1462, Josse Bade professa d’abord à Valence ; puis, il enseigna le grec à Lyon. C’est au cours de son séjour dans cette dernière ville qu’il épousa Hostelye Trechsell[5], fille de l’imprimeur dont il était devenu le correcteur. Mais, s’il faut en croire les textes, Josse Bade ne travailla point exclusivement pour son beau-père Jehan Trechsell. E. Gueynard dit Pinet, qui fut libraire à Lyon de 1485 à 1530, était un érudit des plus avisés ; il se lia avec Josse Bade dès l’arrivée à Lyon de cet humaniste et l’employa comme correcteur en 1498, si nous en croyons mainte indication ; Josse Bade travailla également pour Jacques Ier Huguetan, qui fut libraire à Lyon de 1492 à 1523. En 1499[6], notre correcteur, sur les instances de Robert Gaguin, dit-on, se rendait à Paris où nous le voyons cité comme libraire dès l’année 1503 ; vers 1512, il fondait une imprimerie d’où sortirent des éditions de classiques fort estimées. Il fut peut-être le premier imprimeur qui encouragea et pratiqua à Paris la substitution, dans la typographie, de la lettre romaine au caractère gothique jusque-là employé en France[7]. Il mourut en 1535.

« Sébastien Gryphius[8] (1493-7 septembre 1556), qui s’établit à Lyon vers 1522 ou 1523, fut au xvie siècle l’un des imprimeurs les plus réputés de cette ville. S. Gryphius était un véritable érudit et un excellent latiniste : les louanges dont l’honorent Scaliger, Gesner, Macrin et tant d’autres savants le prouvent assez, comme les nombreuses préfaces et épîtres dédicatoires dans lesquelles, aussi bien pour le fond que pour la forme, il rivalise avec les meilleurs humanistes, ses contemporains, ses correspondants, ses clients et ses amis, auprès desquels son savoir et sa compétence jouissaient d’une honorable et légitime influence.

« En deux lignes condensées et précises, Gesner lui décerne le plus juste éloge : Innumeris, optimis libris, optima fide summaque diligentia, elegantiaque procusis maximam tibi gloriam peperisti, marquant ainsi les qualités essentielles d’un excellent imprimeur, le choix des livres, leur multiplicité, l’élégance des caractères et la correction du texte. Sous ce rapport, les éditions données par Gryphius méritent une entière approbation. La parfaite correction de ses impressions et l’habileté de son art sont prouvées par le premier volume in-folio des Commentaires de Dolet (1536), contenant 1708 colonnes, dont l’erratum signale seulement huit fautes. Dans la splendide Bible latine qu’il mit au jour en 1550, Gryphius, fier à juste titre de son exactitude, place son erratum, au verso du titre, en tête de son chef-d’œuvre typographique.

« Il serait injuste d’attribuer à Gryphius seul tous les mérites de ces soins attentifs et de la scrupuleuse correction de ses éditions : une bonne part, la plus grande part en revient aux savants collaborateurs et


correcteurs dont il savait s’entourer, tels que Rabelais, André Alciat, Sadolet, Hubert Sussanneau, Claude Baduel, François Hotmann, François Baudoin, Antoine de Gouvea, Claude Guillaud, Émile Ferret, Étienne Dolet, Hector Forest, Gilbert Ducher, etc., ses commensaux à l’ordinaire, lors de leur passage à Lyon, où, non contents de revoir et corriger les épreuves de leurs livres, ils se prêtaient volontiers à la réformation des œuvres d’autrui. Clément Marot, Jean Faciot alias Visagier, Nicolas Bourbon, Benoît Lecourt, Jean de Boysson, Jean Pellisson, Ortensio Landi, Jean de Vauzelles, Maurice et Guillaume Sceve, Salmon Macrin, Barthélemy Aneau, Émile Perrot et bien d’autres fréquentèrent cette maison hospitalière dont le maître, Mécène bienveillant et ami fidèle, ne se faisait point trop prier pour venir, à l’occasion, en aide aux lettrés en délicatesse avec la fortune. »

Florent Wilson, nommé Volusan dans les actes consulaires lyonnais, naquit en Écosse, dans le canton de Murray en 1500. Venu à Lyon, il fut en relations suivies avec la plupart des lettrés de son époque : en 1538, Gilbert Ducher, dont nous nous occuperons ultérieurement, lui dédie une pièce de vers latins[9] ; en 1540, Conrad Gesner lui rend visite et lui consacre ces lignes vraiment élogieuses : Nos hominem (Volusenum) Lugduni vidimus, anno 1540, juvenili adhuc ætate ; et magnam ab ejus eruditione perventuram ad studiosos utilitatem expectamus. Florent Wilson fut correcteur dans plusieurs ateliers d’imprimerie de Lyon, et notamment chez Sébastien Gryphius chez lequel il faisait imprimer en 1539 un volume intitulé : Commentatio quædam theologica, quæ eadem precatio est, de industria tanquam in aphorismos dissecta : Lectori, præsertim erudito et pio, multum sane placitura. En 1551, le Consulat de Lyon, n’ayant pu trouver aucun orateur lyonnais pour prononcer l’Oraison doctorale, s’adressa à Florent Wilson et lui fit verser la somme de 20 livres tournois pour le discours prononcé à cette solennité. Wilson mourut à Lyon, comme le révèle l’épitaphe que lui fit George Buchanan, son compatriote[10].

Comme Clément Marot, un autre familier de Sébastien Gryphius devait remplir le xvie siècle du bruit de ses misères, de l’éclat de ses aventures et de la gloire de sa renommée. En 1532, Rabelais — pour la vie duquel même, une courte esquisse biographique paraît inutile — était à Lyon où, dès son arrivée, il se liait d’amitié avec le malheureux Étienne Dolet ; puis il se mettait en rapports avec Sébastien Gryphius et François Juste, également imprimeur. À cette époque, Rabelais est tour à tour auteur, prélecteur ou collationneur et correcteur d’imprimerie : en cette année 1532 en effet, le terrible satirique Tourangeau fait paraître chez Gryphius le tome second des Épîtres de Manardi et la première édition des Aphorismes d’Hippocrate et de Galien dont il revise la traduction latine, et qui furent réimprimés en 1543 et 1545 ; en même temps il livre à François Juste le manuscrit de l’Histoire de Gargantua dont il assume la correction. Après un voyage à Rome, avec son ami et protecteur le cardinal du Bellay, Rabelais est de nouveau à Lyon en 1534 : il signe l’épître dédicatoire de la Topographia antiquæ Romæ de J. Marlianus et fait imprimer chez Juste le Pantagruel ; en 1535, c’est le tour de la Vie du Grand Gargantua que précède une édition d’Almanach ; de cette date à 1545, il retourne successivement à Rome, puis à Montpellier (où, ayant choisi comme sujet de thèse les Pronostics d’Hippocrate qu’il explique en grec, il est reçu docteur), et enfin à Lyon où il est nommé médecin du grand hôpital. En 1546, il donne à Paris une édition du Pantagruel chez Chrestien Vecchel, rue Saint-Jacques (À l’écu de Basle) ; en 1547, on le sait à Metz ; en 1549, il fait paraître sa Sciomachie et festins faicts à Rome ; en 1550, il est nommé curé de Meudon ; et, en 1553, qui fut, croit-on, l’année de sa mort, il donne le quatrième livre de Pantagruel.

Jacques Frachet, de Saligny-en-Bourbonnais, fut, en 1552, directeur du collège de la Trinité à Lyon où, dit le bail passé à cet effet, il « ne sera parlé aulcune langue que grecque et latine ». Parmi les travaux publiés par cet érudit, il faut signaler : en 1552, une traduction française de la République de Xénophon et Dix Dialogues sur la grammaire latine, en latin, chez Michel du Bois ; puis, en 1553, une nouvelle édition du Donat. Comme tous les lettrés de l’époque, Frachet fut correcteur dans plusieurs ateliers d’imprimerie, et principalement dans celui de Michel du Bois. Ce correcteur, sans doute, ne s’efforça point d’amender sa vie autant qu’il s’essaya de corriger les travaux qui lui furent confiés : il finit mal ; pour payer ses dettes, il vendit les meubles du collège qui ne lui appartenaient point et disparut[11].

Guillaume Ier Rouillé, originaire, de Dolus, au pays lochois (Touraine), serait né vers 1518. Possesseur d’une fortune assez élevée, il séjourna, jeune encore, pendant plusieurs années en Italie où il fit son apprentissage de libraire. Arrivé à Lyon vers 1542-1543, il épousa Madeleine fille de Dominique de Portonariis, libraire en cette ville, où il s’établit lui-même en 1544, peut-on croire.

G. Rouillé était un érudit, connaissant parfaitement sa langue, parlant et écrivant également l’italien et le latin, comme le prouvent incontestablement son Promptuaire des Médailles, imprimé en ces trois langues en 1553, sa traduction des œuvres de Cicéron, les épîtres-dédicaces des volumes qu’il édita, et la nombreuse correspondance qu’il entretenait avec ses clients, ses amis et la plupart des lettrés qui habitaient alors Lyon. Au nombre de ces derniers, il faut compter Charles Fontaine[12], correcteur d’imprimerie, qui travailla pour notre Tourangeau et lui dédia quelques vers dans ses Ruisseaux de Fontaine. Guillaume Rouillé mourut à Lyon, dans les derniers jours de juin 1589 : à la tête d’un commerce florissant, il avait acquis en sa ville une situation de tout premier ordre ; échevin, administrateur de la Grande Aumône, il fut « piteux » à tous, envers les membres déshérités de sa famille, comme à l’égard des pauvres de sa patrie d’adoption[13].

Nous avons déjà signalé les critiques qui maintes fois s’élevèrent sur la qualité littéraire des productions lyonnaises. En voici un exemple typique qui rappelle par quelque côté et la concurrence peu courtoise des ateliers parisiens du Soleil d’Or et du Chevalier au Cygne, et les efforts, plus méritoires certes, tentés pour donner satisfaction à des plaintes amplement justifiées.

« Alde l’Ancien employa pour la première fois les caractères italiques dans son Virgile, de format in-8o, daté d’avril 1501. Ces caractères, imités, dit-on, de l’écriture de Pétrarque, furent gravés par l’habile orfèvre François de Bologne ; longtemps appelés testo d’Aldo ou Aldino, ils eurent, de même que le format des ouvrages auxquels ils étaient destinés, une vogue considérable ; mais, par deux privilèges, l’un du Sénat de Venise en date du 13 novembre 1502, l’autre du pape Alexandre IV du 17 décembre de la même année, Alde s’en assura l’emploi exclusif. Aussi, en Italie, quelques imprimeurs seulement, parmi lesquels, en 1503, Philippo de Giunta, de Florence, se risquèrent à courir les chances de la contrefaçon. En France, loin des foudres de la justice vénitienne, Balthazard de Gabiano, installé comme libraire à Lyon depuis 1493 et renseigné par Jean Barthélémy de Gabiano, de Venise, reproduisait avant la fin de 1502 les éditions aldines de Virgile, Horace, Juvénal et Perse, Martial, Lucain. Ces premières contrefaçons lyonnaises sont fort inférieures aux éditions aldines pour la correction du texte ; par contre, l’italique de Gabiano, plus nourri que celui d’Alde, lui est supérieur et se lit beaucoup plus facilement. Le texte d’Alde Manuce est reproduit page pour page par Gabiano ; la marque et la suscription de l’imprimeur vénitien sont supprimées, et aucune indication ne figure sur les contrefaçons lyonnaises ; en 1510, toutefois, certaines de ces dernières comportent une fleur de lys florentine imprimée en rouge.

« Dans son Monitoire du 16 mars 1503, Alde se plaint amèrement des contrefaçons dont on lui a signalé l’existence, mais dont il paraît ignorer encore les auteurs. Ces éditions véritablement frauduleuses, remplies de fautes et mal imprimées, nuisent à sa réputation et à ses intérêts, car on s’efforce de les lui attribuer, mais elles ne sont nullement siennes, dit-il : Ad hæc hisce : quæ inibi visuntur : incorrectionibus : non esse meos, facile est cognoscere ; puis, relevant les erreurs les plus grossières commises par les correcteurs de Gabiano, Alde indique avec minutie le moyen de distinguer les ouvrages édités à Lyon de ceux imprimés à Venise.

« Les plaintes d’Alde n’étaient que trop justifiées. Cherchant le bon marché et la rapidité de production, les Gabiano et les imprimeurs à leurs gages produisirent, tout d’abord, des œuvres en général médiocres, tant au point de vue du texte que de l’impression. Mais, prenant à cœur les reproches mérités d’Alde, ils donnèrent aussitôt une nouvelle édition des ouvrages aldins bien supérieure à la première ; puis, par la suite, ils s’efforcèrent de ne plus donner prise à semblables remarques. C’est ainsi que, au cours des années ultérieures, on peut citer d’eux quelques excellentes impressions, entre autres le Pétrarque et le Dante, sans date, le Suétone et le César de 1508, dont l’exécution est supérieure, et de beaucoup, aux meilleures éditions aldines[14]. »

Cette courte digression terminée, rappelons rapidement les mérites littéraires de quelques autres correcteurs qui, au xvie siècle, contribuèrent si vivement à la réputation de la typographie lyonnaise.

L’un des meilleurs amis et des confidents de Josse Bade, à Lyon, fut Hervé Bésine, « libraire, imprimeur, correcteur d’imprimerie et jurisconsulte ». D’après M. Baudrier[15], « en 1493, Hervé Bésine, correcteur de livres, tient à louage au prix de 10 livres tournois par an partie d’une maison en rue Bourgneuf, appartenant à Jean Thibaud, docteur en médecine ». Dans ce logis habitait aussi Jean Syber, maître imprimeur, dont Bésine était, suppose-t-on, le correcteur. D’une érudition remarquable, jurisconsulte réputé, Hervé Bésine est maintes fois cité par ses contemporains et ses collègues qui lui dédient nombre de leurs productions littéraires. Ce correcteur s’établit, vers 1479, d’abord rue de Bourgneuf, puis, à l’exemple des autres imprimeurs et libraires lyonnais, ses collègues, en la rue Mercière en 1494 ; il décéda en 1506.

Antoine de Gouvea, né à Béjà (Portugal), vers 1505, est connu aussi sous le nom de Gouveau. Après avoir fait ses études à Paris et à Avignon, il s’adonna à la littérature, puis professa le droit à Toulouse, à Cahors, à Valence, à Grenoble, à Lyon. Pendant son séjour en cette dernière ville, il fut un des familiers de Sébastien Gryphius, logea chez lui et participa à la correction de plusieurs publications. Lui-même, en 1540, faisait paraître chez cet imprimeur un travail dont il était l’auteur : Antonii Goveani epigrammata, Ejusdem epistolæ quatuor. Antoine de Gouvea était lié d’une amitié toute particulière avec Émile Ferret, professeur de droit à Avignon ; il était en même temps en relations avec les lettrés de son temps auxquels il adressa ou dont il reçut de nombreuses pièces de vers latins et plusieurs épîtres intéressantes pour l’histoire de sa vie. Sur la fin de sa carrière, de Gouvea se retira en Piémont, où il devint conseiller du Conseil secret et maître des requêtes de Philibert, duc de Savoie ; il mourut en 1565[16].

Bourbon Nicolas dit l’Ancien[17] naquit à Vendeuvre, près de Bar-sur-Aube, en 1503. Fils d’un maître de forges, il se rendit si habile dans les belles-lettres et surtout dans la langue grecque que Marguerite, reine de Navarre, lui confia l’éducation de sa fille Jeanne d’Albret, mère de Henri IV. En 1536, Bourbon était peut-être correcteur aux gages de Philippe Rhoman[18] (alias Romain), chez lequel il faisait imprimer son travail Nicolai Borbonii Vandoperani Lingonensis ΙΙαιδαγωγεἲον. Il était d’ailleurs en relations avec tous les lettrés de son temps, Érasme, Macrin, Clément Marot, François de Thou, et particulièrement avec Sébastien Gryphius, l’imprimeur lyonnais, chez lequel il travailla et qui lui imprima, en 1538, Nugarum libri octo. Ce travail fut diversement apprécié, si l’on en juge par le quatrain suivant de Joachim du Bellay, qui eut quelques rapports d’amitié avec l’auteur :

Bourbon dans ses œuvres nouvelles
Ne montre pas un grand talent,
Mais, en les nommant Bagatelles,
Il fait preuve de jugement.

Après quelques années de séjour à la cour de Navarre, Nicolas Bourbon se retira à Candes, en Touraine, où il mourut en 1550.

Gilbert Ducher, né à Aigueperse, en Auvergne, étudia le droit à Toulouse. En 1522, alors qu’il était correcteur à Paris chez Pierre Vidoue, Ducher fut chargé de diriger l’édition des Commentaires de César. Ce travail, annoté par Pierre Danès, professeur au Collège de France, était publié par Pierre Petit, de Fontenay-aux-Roses ; c’est ce dernier qui, dans sa dédicace à Georges Cognet de Lyon, professeur au Collège des Bourguignons, nous révèle le nom du correcteur et fait le plus grand éloge de son savoir. En 1526, Ducher revise une édition de Martial qui lui vaut les félicitations de Nicolas Bourbon, lequel lui adresse à ce sujet deux pièces de vers fort élogieuses[19]. Secrétaire du Parisien François Lombard, le lieutenant du Roi en Bugey, doté en cette circonstance d’un traitement fort honorable « dont il n’avait point lieu de se plaindre » (stipendiis haud quaquam pœnitendis), Ducher resta à Belley, avec son maître, pendant près de dix-huit mois. En cette ville existait alors une société de lettrés fort instruits dont Ducher, pendant son séjour, goûta vivement le charme et les qualités. Notre correcteur-secrétaire était encore très lié avec Jean Renier (Rænerius), originaire d’Angers, auteur de l’Oraison doctorale publiée en 1532, à Lyon, chez Trechsell, où sans doute il était correcteur. Ducher dédia à Jean Renier de nombreuses pièces de vers ; dans l’une il le remercie de l’avoir mis en relations avec Claude Bigotier, de Bresse, et Claude Roux, de Trévoux, deux érudits fort remarquables. Professeur au Collège de la Trinité à Lyon, Ducher fut, en même temps, correcteur à l’imprimerie de Sébastien Gryphius, chez lequel il fit paraître, en 1538, Gilberli Ducherii Vultonis Aquapersani Epigrammaton libri duo[20].

Sur la chaude recommandation de son ami Jean de Boysson, Sébastien Gryphius accueillit avec sa bienveillance habituelle Étienne Dolet. Né à Orléans en 1509, Étienne Dolet se rendait à Paris vers sa douzième année, pour y continuer ses études ; puis, après un long voyage en Italie, il revenait étudier le droit à Toulouse. Doué d’un caractère agressif, aussi violent dans ses ripostes qu’il était prompt à la critique, adepte des idées nouvelles, il dut s’enfuir de Toulouse, à cause de ses attaques contre le Parlement et le « fanatisme » des étudiants ; il se réfugia à Lyon, où, nous l’avons déjà dit, les doctrines de Luther et de Calvin avaient rencontré un accueil favorable. Dès son arrivée en cette ville, il faisait imprimer chez Gryphius, qui toutefois refusait d’imposer sur ces éditions et son nom et sa marque, Orationes duæ in Tholosam habitæ, violente diatribe contre Toulouse et les Toulousains que l’imprimeur ne voulut pas réimprimer dans la suite. Étienne Dolet, que ses œuvres placent au premier rang des humanistes de la Renaissance, à côté de Robert Estienne et de Guillaume Budé, fut un des correcteurs de Sébastien Gryphius, ainsi que nous l’apprend une pièce de Faciot à son livre Epigrammatum libri IIII :

Ioannes Vulteius[21] ad librum
I, juge Lugdunum sine me, liber, i, fuge in urbem ;
Excipiel prompta Gryphius ille manu.
Te castigandum docto dabit inde Dolcto,
Cujus censuram sit libi dulce pati ;
Postluce nasutos contemnes denique nasos,
Alque canum rabiem, Zoïleasque notas
.

Dolet semble avoir été employé à plusieurs reprises par Gryphius qui, en 1535, imprimait de son correcteur le dialogue De Imitatione Ciceroniana adversus Erasmum et, en 1536, le premier tome des Commentaires de la Langue latine. En reconnaissance des services qu’il lui avait rendus, Dolet, en 1538, dédia à son imprimeur le quatrième livre de ses poésies : Id tu etiam mecum tua arte laudabiliter conaris, dum Autorum antiquorum et æqualium nostrorum libros (quibus eorum vivit jama) typis tam pulchris in omnem posteritatem transmittis. Eam ob rem quartum hunc, librum tibi dicatum volo, utriusque tam honesti conatus documentum : et amicitiæ, quæ tibi mecum jamdudum intercedit, pignus æternum, atque perpetuum. Vale. Entre Dolet et Gryphius, les relations restèrent, comme le souhaitait le premier, toujours bonnes — grâce surtout à l’excellent et bienveillant caractère du second, — même après que Dolet se fut établi imprimeur[22].

Jean Faciot, dit aussi Visagier ou encore Voulté (Vulteius), naquit en 1510, à Vandy, près Vouziers (Ardennes) ; il fut professeur et correcteur d’imprimerie à Lyon et à Toulouse, et mourut assassiné le 30 décembre 1542. Protégé par Robert de Lenoncourt, archevêque de Reims, et le cardinal Jean de Lorraine, successeur de celui-ci, Visagier connut tous les lettrés qui, à son époque, habitaient Lyon, et fut en relations littéraires avec la plupart des humanistes de son temps. Comme nombre d’érudits, Faciot aurait été correcteur chez Sébastien Gryphius ; il aurait travaillé également pour Michel Parmentier (libraire vers 1523 à 1558 environ), chez lequel, en 1537, il faisait paraître la seconde édition des Epigrammatum libri IIII, dont S. Gryphius en 1536 avait imprimé la première. En 1538, Simon de Colines, imprimeur à Paris, mettait au jour un travail dont l’auteur était Jean Faciot.

Bien que spécialement attaché à l’officine de Payen, éditeur moins lettré que ses savants confrères et incapable de corriger lui-même toutes ses productions, Charles Fontaine[23] travailla en même temps pour plusieurs ateliers. S. Gryphius, Th. Payen, Pierre de Tours, Jean de Tournes restent muets sur ses bons offices dont cependant ils profitèrent largement. Les cordiales relations qui s’étaient établies dès 1547 entre Payen et Rouillé amenèrent ce dernier, en 1549, à faire appel aux talents de Fontaine, sans doute alors aux gages de son confrère, pour reviser sa nouvelle édition des Œuvres de Clément Marot. Publiée en 1550, cette édition, précédée d’un huitain signé « Hante le Françoys », anagramme du correcteur reviseur, fut plusieurs fois réimprimée dans la suite par le même libraire. Rouillé, plus équitable que ses confrères qui s’en tenaient à une honnête rémunération, s’empressa, dans un avis préliminaire, de rendre justice à Charles Fontaine en signalant les améliorations apportées au travail par ce dernier. Cette façon d’agir, malheureusement rare, était, il faut en convenir, tout à l’honneur du caractère de l’éditeur et du savoir du correcteur[24].

Dans son ouvrage Ruisseaux de Fontaine[25], paru en 1555, Charles Fontaine[26] nous fait connaître le cercle de ses relations : Sébastien Gryphius, l’imprimeur ; Benoist Montaudoyn, batteur d’or et bailleur ordinaire de fonds de maints libraires et imprimeurs lyonnais ; Thibaud Payen, le libraire qui vendait son livre ; Jean de Tournes, l’imprimeur lyonnais le plus réputé du xvie siècle ; Philibert Rollet, son imprimeur. En qualité d’excellent confrère, Fontaine n’eut garde d’oublier Guillaume Phylledier, le compagnon typographe prote de l’atelier chargé de reviser la correction de son travail, et il lui dédia ce quatrain flatteur :

En ton estat et en ta charge
Si tu as eu peine et affaire
Aussi ta patience large
S’y est monstree necessaire[27].

D’après le célèbre La Croix du Maine, Barthélémy Aneau, dont nous avons déjà à plusieurs reprises prononcé le nom, fut poète latin et français, auteur grec, historien, jurisconsulte, orateur. Né à Bourges au début du xvie siècle, Aneau devint, vers 1530, professeur de rhétorique au Collège de la Trinité à Lyon ; ses mérites lui firent, en 1542, obtenir la charge de « principal » de ce même établissement. En relations avec tous les lettrés qui vivaient alors à Lyon, surtout lié, semble-t-il, avec Clément Marot, Aneau, lui-même auteur de plusieurs ouvrages, fut, à l’exemple de ses amis, correcteur d’imprimerie : il travailla particulièrement pour Sébastien Gryphius, l’un des maîtres les plus réputés parmi ceux qui « œuvraient art d’imprimerie audict Lyon ». La carrière remarquable de ce correcteur devait avoir une fin lamentable : le 21 juin 1565, au cours d’une procession du Saint-Sacrement, le prêtre qui portait l’ostensoir fut atteint à la tête d’une pierre lancée par un inconnu. Barthélémy Aneau, suspect de protestantisme, fut accusé de cet acte et massacré par le peuple ameuté.

Guillaume Ramese[28], originaire de la ville épiscopale de Sées, devint successivement professeur et directeur du Collège Saint-Jean à Lyon. Cet érudit, qui en raison de sa situation devait jouer un rôle important dans la vie littéraire de sa cité d’adoption, accepta la revision et la correction de nombreux ouvrages classiques dont les éditions sont devenues fort rares à notre époque : il travailla pour Simon Vincent, libraire à Lyon, Pierre Maréchal et Barnabé Chaussard, imprimeurs et libraires, associés de 1492 à 1515, et, enfin, pour Louis Lanchart, libraire « en face l’enseigne À la Magdeleine[29] », puis sans doute près de Saint-Antoine[30], vers 1499 à 1515 environ.

Enfin, nous pouvons supposer qu’après Rabelais et Clément Marot[31] le célèbre Mélanchton lui-même ne dédaigna point de travailler pour maint imprimeur lyonnais son coreligionnaire. En 1556, François Gaillard[32] terminait un ouvrage intitulé Pub. Terentii Aphri comœdiæ sex, qu’il déclarait revu avec un soin extrême sur les toutes dernières éditions[33]. Avec une réelle humilité le reviseur déclarait : Ego vero tametsi non salis instructus essem veteribus exemplis, quibus in tali re opus erat ; et il ajoutait : tamen homini amico, in sanctissimo negotio nolui deesse. Il est plaisant de connaître le nom du correcteur qui, s’abaissant de la sorte, présentait non moins simplement son travail : Pedagogis Philippus Mélanchton S. P. D. Un tel aveu d’humble science de la part d’un tel homme, quelle leçon pour un correcteur ! Comme nous voici loin de ces épithètes louangeuses qui émaillent toutes les productions du xvie siècle, loin de ces compliments hyperboliques que se prodiguent à l’envi libraires, imprimeurs, auteurs et correcteurs : vir ingeniosus, inclytum virum, eximium virum, fidelissimi calcographi, calcographus fuit probus et humanus vir, doctorem utriusque juris, famosissimus unpressor !

Quelques contemporains de Mélanchton avaient cependant de la valeur de ce savant une opinion fort différente de celle qu’il possédait lui-même à son égard. Sur une édition des Dialogues de Lucien de Samosate, parue en 1535, l’imprimeur Sébastien Gryphius se contente d’écrire, peut-être à la sollicitation du traducteur : D. Erasmo Rot. et Thoma Moro interpretibus : His accessit ex Philippi Melancht. versione Oratio Luciani. Érasme, Thomas Morus, ces deux noms possédaient au xvie siècle une réputation mondiale ; ce fut, sans doute, un honneur jugé par Mélanchton suffisamment précieux de voir son nom accompagner ceux de ses émules en science. Mais Gryphius devait faire plus : au titre du Salluste édité la même année il ajoutait : His accesserunt Philippi Melanchtonis doctæ simul ac perbreves annotationes. Doctæ, dans ce simple mot quelle récompense pour la modestie du correcteur !

Michel Servet, médecin et théologien, fut au xvie siècle un adepte fervent et passionné de la doctrine protestante, en même temps qu’un écrivain d’une rare vigueur. Né, vers 1509, à Villeneuve, en Aragon (d’où le surnom qu’il prit de Villanovanus), il étudia la théologie à Toulouse en 1525. Après de longs voyages, qui d’Allemagne le conduisirent en Italie, il revint en France, à Paris, où il professa un cours de médecine. Ses opinions religieuses lui avaient attiré de nombreux ennemis, et vers 1535 il dut se réfugier à Charlieu, près de Lyon, puis à Vienne en Dauphiné. En cette dernière ville, sous son nouveau nom Michel de Villeneuve, il sut tromper sur ses sentiments la vigilance de l’archevêque Pierre Palmier et du lieutenant général du roi au gouvernement de Dauphiné, qui lui accordèrent leur protection et leur confiance. Depuis son arrivée à Charlieu, Michel Servet avait occupé le temps qu’il ne consacrait point à la médecine à l’exercice de la profession de correcteur, tour à tour chez les Trechsell, chez les Frellon et autres imprimeurs lyonnais enclins aux nouvelles doctrines. La liste est nombreuse des ouvrages sortis, après 1535, des presses lyonnaises dans lesquels on rencontre le nom de Villanovanus. Pour le compte du libraire lyonnais Balthazar Arnoullet[34], du 25 septembre 1552 au 3 janvier 1553, Michel Servet assuma à Vienne en Dauphiné la correction de son ouvrage Christianismi Restitutio dont, pour des raisons particulières, il avait pris l’engagement et la responsabilité de revoir seul les épreuves. Le lecteur verra plus loin les déboires dont cette publication devait être la cause pour ses auteurs[35].


II. — Quelques autres villes.


Le souci de la pureté et de la correction des textes que le lecteur vient de constater à Paris et à Lyon se rencontre non moins vif dans toutes les villes du royaume au fur et à mesure que l’imprimerie se développe. Ici et là ce sont des membres du clergé, des lettrés, qui attirent et retiennent les typographes ; ici et là ce sont des abbés, des chanoines, des érudits qui revisent toujours avec un soin méticuleux les productions nouvelles ; ici et là l’imprimeur fier de son œuvre, heureux des concours qu’elle lui a valus, remercie ses collaborateurs, comme le firent les imprimeurs de Paris et de Lyon. Nous nous bornerons à quelques exemples.

En 1491, Pierre Alain et André Chauvin, installés à Angoulême, impriment en cette ville le traité classique des Huit Auteurs (Auctores octo), qu’ils signent ainsi : Correctorum impressorumque Engolisme die XVII mensis Maii, anno Domini MCCCCLXXXXI.

Le célèbre monastère de Cîteaux commande, en 1491, à Pierre Metlinger qui vient d’arriver à Dijon, la Collectio privilegiorum Ordinis Cisterciensis. L’imprimeur termine de la manière suivante ce livre, un in-4o gothique de 196 feuillets : Emendatissime et integerrime impressum Divione per magistrum Petrum Mellinger…

En 1494, Wensler exécute à Mâcon un Diurnal dont la suscription est conçue en ces termes : Magna cum diligentia revisum, fideliterque emendatum et impressum in civitate Matiscontnsi…

Simon Pourcelet, qui, suivant nombre d’auteurs, fut le prototypographe établi à demeure à Tours[36], imprime, de 1491 à 1494, un Bréviaire à l’usage de la basilique Saint-Martin de Tours, qu’il signe ainsi : Exaratum elaboratumque est perpulchre et artificiose Turonis, per Symonem Pourcelet…

Le colophon de ce Bréviaire — dont l’exécution fort coûteuse aurait, paraît-il, ruiné Pourcelet — ne nous donne point le nom des correcteurs qui assumèrent le soin de veiller à la pureté du texte. Le Cartulaire de l’abbaye de Saint-Martin comble cette lacune : Ad communicandum cum eodem domino confessore et reperiendum exemplar correctum juxta cujus litteram hujusmodi breviaria imprimantur, venerabilem dominum cantorem, dum redierit a sua commissione, nec non præfatos dominos, subdecanum, granicurium, camerarium vocatis ex dominis canonicis semiprebendatis et vicariis quos viderint in hujus modi esse peritos et doctos commiserunt. Le nom du « confesseur » dont il est question ici est donné par le même acte : Eadem die (5 julii 1491) dicti domini mei gratias referentes præfatos magistro Johanni de Rely, confessori Regis de et super devotione quam habet ad cultum divinum ecclesiæ hujus, ac modo aperuit ad imprimendum breviaria ad usum ejusdem ecclesiæ, ut unusquisque suppositorum ipsius eo melius deserviat ecclesiæ. Jehan de Rély, docteur en Sorbonne, ancien recteur de l’Université de Paris, député du Clergé aux États généraux tenus à Tours en 1484, était confesseur de Charles VIII. En cette dernière qualité, il accompagnait fréquemment le roi au château de Plessis-lès-Tours. Il accepta de fournir la copie corrigée du Bréviaire ; mais, doyen de la basilique de Saint-Martin le 16 juillet 1491, il était en février 1492 nommé évêque d’Angers : de ce fait, l’impression subit un retard considérable.

En 1509, un autre imprimeur tourangeau du nom de Latheron termine un Missel à l’usage du monastère de Marmoutier près Tours : il est intéressant de faire remarquer les soins exceptionnels dont la correction de ce travail fut l’objet et que l’explicit énumère longuement : Ingenio cura solertisque studio venerabilis religiosi viri litteralissimi Valenlini de Lodieriis ejusdem monasterii Elemosinarii, magno cum labore variis ex codicibus excerptum et per venerabiles et religiosos viros Joannem Jauffre priorem claustri, Symonem de la Fosse senescalum, Petrum de Planis cantorem, Anthonium Chauvin infirmarium et Jacobum Joen armarium dicti monasterii, auctoritate et speciali commissione totius capituli ejusdem cenobii occulatim inspectum, visitatum et secundum sui omnimodam formam laudatum, approbatum et conclusum in civilate Metropoli Turonensi.

De ce même Latheron nous citerons un autre Bréviaire à l’usage de l’église de Saint-Martin qu’il nous a été donné d’examiner attentivement. Ce petit in-8o gothique, à deux colonnes, de 35 lignes à la page, nous a surtout paru précieux, pour notre travail, à cause des renseignements que contient l’explicit placé au cours du texte, avant le Commun des Apôtres : Ad laudem Dei omnipotentis ejusque intemerate Dei Pare. Necnon beatissimi Martini totiusque curie celestis. Exaratum elaboratumque est hoc presens Semibreviarium pro hyemali tempore. Per Magistrum Matheum Latheron impressorie artis expertum. In Martinopoli urbe commorantem e regione Fratrum Minorum. Expensis fabrice ecclesie ejusdem Beatissimi Martini correctum per Io. Brunet canonicum semiprebendatum et Benignum Allot vicarium ejusdem ecclesie, Anno a partu virgineo quingentesimo decimo nono supra millesimum.

En 1501, l’évoque de Toul confie à Martin Mourot, prêtre, curé de Longeville, le soin d’établir dans sa résidence une imprimerie. Martin Mourot prend lui-même la direction de l’atelier et imprime un Missale Tullense, puis d’autres ouvrages de liturgie.

D’après Dominique Fertel[37], « dans la ville de Bordeaux, un imprimeur très-sçavant, nommé Simon Milange,… après avoir régi des Collèges et des Universités dans cette partie d’Aquitaine, que l’on nomme communément la Guienne, et après avoir parfaitement instruit la jeunesse, dans toutes sortes d’arts et de sciences », avait « enfin été privé de son emploi à cause de la religion. Il pratiqua continuellement dans son exil l’Imprimerie, qu’il avoit appris dans sa jeunesse, et par là, il gagna de quoi s’entretenir, lui et les siens, en mettant au jour, de têms en têms un grand nombre de livres. Il n’est jamais sorti de son imprimerie aucun livre qu’il ne l’ait soigneusement revû et corrigé lui-même… »

Mais il ne servirait de rien d’allonger encore ces exemples : la preuve paraît amplement administrée de l’importance qu’en notre pays l’on attacha à la correction dès les débuts de l’imprimerie et de la valeur des travailleurs intellectuels auxquels fut confié le soin d’apurer le texte des manuscrits et l’œuvre du typographe.

  1. Voir pages 61, 442 et 456.
  2. Bibliographie lyonnaise, 2e série, p. 12. — Bevilaque s’établit libraire à Lyon en 1515.
  3. Libraire à Lyon de 1492 (?) à 1553 (?) (Bibliographie lyonnaise, 2e série, p. 40).
  4. Libraire à Lyon (Bibliographie lyonnaise, 1re série, p. 150).
  5. Parmi les gendres de Josse Bade, il faut citer : Jean de Roigny, libraire à Paris (1529-1565) ; Robert Estienne, dont nous avons antérieurement parlé ; et Michel Vascosan, imprimeur (né à Amiens en 1500, mort à Paris en 1576), qui compte parmi ses descendants Frédéric Ier Morel (voir page 441).
  6. Nous disons 1499 ; mais, suivant certains auteurs, Josse Bade s’était rendu à Paris dès 1495 ; cette dernière date nous paraît erronée, puisque, d’après quelques documents, en 14988, nous l’avons dit, Josse Bade était encore, à Lyon, correcteur chez le libraire Pinet. — Voir aussi p. 187. note 1.
  7. Voir encore, sur cette question, page 44 (Geoffroy Tory) et page 435, note 1.
  8. Baudrier, Bibliographie lyonnaise, 8e série, p. 17-18.
  9. Epigrammaton libri duo, p. 50.
  10. Bibliographie lyonnaise, 8e série, p. 124.
  11. Bibliographie lyonnaise, 8e série, p. 243.
  12. Voir, sur Charles Fontaine, page 66.
  13. Bibliographie lyonnaise, 9e série, p. 13.
  14. Bibliographie lyonnaise, 7e série, p. 2-3.
  15. Ibid., 10e série, p. 172.
  16. Bibliographie lyonnaise, 8e série, p. 131.
  17. Ibid., 5e série, p. 6, et 8e série, p. 98 et 118.
  18. « Philippe Rhoman, dont la véritable profession était celle de correcteur d’imprimerie, a aussi travaillé comme compagnon imprimeur, et n’a été qu’accidentellement éditeur. » (Bibliographie lyonnaise, 10e série, p. 388.)
  19. Nugaram libri octo, p. 364-365.
  20. Bibliographie lyonnaise, 8e série, p. 114.
  21. Jean Faciot, Epigrammatum libri IIII (voir ci-après, même page).
  22. Bibliographie lyonnaise, 8e série, p. 24-25. — On sait que Dolet, en relations d’amitié avec Rabelais, fut l’un des imprimeurs de notre grand satirique de la Renaissance.
  23. Bibliographie lyonnaise, 3e série, p. 93.
  24. Ibid., 9e série, p. 30.
  25. Ibid., 4e série, p. 263.
  26. Jean Citoys, qui exerçait à Lyon, en 1557, imprima en cette même année quatre volumes des œuvres de « Charles Fontaine Parisien ». (Bibliographie lyonnaise, 2e série, p. 25.)
  27. Bibliographie lyonnaise, 9e série, p. 30.
  28. Ibid., 2e série, p 147.
  29. Le Lapidaire en françoys…, vers 1515 : Commorantis ante intersignium Magdalene.
  30. Carmen Egregii Pylade Scolasticum…, sans date : … Commorantis prope divum Anthonium.
  31. Voir page 58.
  32. Lugduni excudebat Franciscus Gaillardus, 1556.
  33. Post omnes omnium editiones summa denuo vigilantia recognitæ.
  34. Imprimeur, puis libraire à Lyon ; né vers 1517, mort en 1556.
  35. Voir page 459.
  36. Nous avons vu (p. 31) que Maittaire, le savant auteur des Annales typographiques, émet l’opinion que Tours aurait été, en France, la première ville ayant eu connaissance (en 1467) de l’art de Gutenberg. Cette opinion a été ardemment combattue ; les adversaires de l’opinion de Maittaire ont reculé jusqu’à l’année 1493 la date à laquelle l’imprimerie fit son apparition dans la capitale de la Touraine. Mais, à l’encontre de cette prétention, il paraît certain qu’en 1485 — par conséquent bien avant Simon Pourcelet — des typographes étrangers à la ville imprimèrent à Tours, à l’aide du matériel qu’ils transportaient dans leurs pérégrinations, un Missel déjà publié par eux, à Chartres, deux années plus tôt.
  37. La Science pratique de l’Imprimerie. — Nullum unquam ex officina sua codicem emisit, quem non ipsemet recensendo accuratissime correrisset…