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Le Correcteur typographe (Brossard)/volume 2/06/04

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Imprimerie de Chatelaudren (2p. 117-119).


IV

CORRECTION SOUS PRESSE


La correction sous presse est celle qui de toutes les corrections exige le plus d’attention et le plus de soins, tout autant dans l’intérêt du travail lui-même que pour la sauvegarde de la responsabilité de l’ouvrier : aucune négligence n’est en effet à tolérer, aucune distraction n’est à excuser au cours de cette opération.

Dès que la vérification de l’imposition et la revision de la tierce sont terminées, cette dernière est remise par le correcteur au chef imposeur ou au corrigeur. Les corrections sont levées sur le composteur à corrections, par côté et en commençant par la fin. Le typographe, avant de se rendre aux machines, s’assurera que rien ne lui manque pour mener à bonne fin son travail ou lui éviter des démarches inutiles et renouvelées de l’atelier des presses à la salle de composition, et que les espaces — fines, moyennes et fortes — dont il est pourvu lui permettent de remédier aux défauts d’espacement possibles.

Dans le but d’éviter au conducteur un travail inutile, le compositeur s’assure tout d’abord s’il y a des corrections dans les deux côtés de la feuille ; dans la négative, le côté voulu est seul desserré.

Sous aucun prétexte, il ne faut tenter de corriger sans desserrer la forme : ou les lignes sont bien justifiées, et il est impossible d’en extraire une seule lettre ; ou elles ne le sont pas, et dans ce cas surtout, il faut desserrer pour justifier, afin d’éviter que les lettres, qui pourraient être, au cours du tirage, soulevées et cassées par les rouleaux, ne passent en pression sur plusieurs pages, occasionnant un accident aussi désastreux que long à réparer.

Le compositeur corrigeant sous presse est à l’entière disposition du conducteur de machine, pour ce qui regarde la composition, s’entend : il justifie les lignes que ce dernier lui signale, change les lettres qu’il lui indique comme défectueuses ou mauvaises, rectifie les blancs irréguliers, etc.

Le corrigeur doit considérer comme un devoir — devoir de bonne camaraderie, diront les uns ; plus réellement, devoir strict — de prévenir le correcteur, s’il voit ou s’il croit voir une faute échappée à celui-ci. Mais, dans tous les cas, le typographe ne modifiera rien, ne corrigera rien qui ne soit indiqué sur la tierce par le correcteur ou le prote, restriction faite des lettres cassées ou absentes ; il serait regrettable qu’un compositeur pris d’un zèle très louable, sans doute, sous prétexte de remédier à une erreur, crée une faute là où il n’y en avait pas : il convient que chacun reste dans son rôle…

Lorsque des raisons exceptionnelles obligent à exécuter sous presse un remaniement de quelque importance, toutes les lignes à remanier sont enlevées de la page et placées sur une galée ; ces lignes sont ensuite passées au composteur comme pour la correction en première.

Mais, si le remaniement ne porte que sur trois ou quatre lignes an maximum et si la composition est interlignée, il est préférable, le plus souvent, de remanier ces lignes sur le marbre de la machine, le temps employé à les enlever et à les remettre équivalant presque à celui du remaniement lui-même.

De même que pour la correction sur la galée, il ne faut pas négliger de justifier les lignes dans lesquelles on aura corrigé, les mots devant toujours être espacés régulièrement et normalement.

Les corrections d’une page exécutées, le compositeur revise lui-même cette page directement sur le plomb.

Au fur et à mesure que les corrections s’achèvent par fractions de côtés ou par côtés entiers, le corrigeur vérifie rapidement les bords des pages, rectifie les lettres qui chevauchent, redresse les lettres couchées, rapproche les garnitures ou les lingots de côté, met les biseaux en place et serre légèrement à la main. Le conducteur intervient alors pour examiner l’ensemble, taquer légèrement la forme, et serrer prêt à rouler.

Lorsque toutes les corrections sont terminées, il est utile, si plusieurs compositeurs se sont partagés le travail, que chacun d’eux signe de son nom la tierce, ou la fraction de tierce, qu’il aura corrigée, afin que soit laissée à l’un comme à l’autre la part de responsabilité qui lui revient.

Dans certaines maisons même, le corrigeur mentionne, sur la tierce l’heure à laquelle il a commencé, ainsi que celle à laquelle il a terminé la correction.

Un corrigeur soigneux et ordonné prend quelques précautions à l’égard de la feuille servant de tierce : il évite de la poser dans l’encre ou dans l’huile ; il a soin de ne point la bouchonner ou la laisser piétiner sur le sol ; il veille, si elle est pliée, à ce qu’aucun de ses feuillets ne se perde ; enfin il la classe avec soin : de la sorte, si cette feuille est demandée par le prote ou le correcteur pour une raison quelconque, ou pour une revision, ces derniers n’ont pas entre les mains une loque de papier maculée et graisseuse.

Le conducteur contribuera à cette conservation en nettoyant soigneusement les formes à l’essence avant la correction, et en évitant de répandre sur sa machine une quantité exagérée d’huile ou de pétrole.