Le Correcteur typographe (Brossard)/volume 2/12

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Imprimerie de Chatelaudren (2p. 309-323).


CHAPITRE XII

ESPACEMENT



1. La qualité primordiale à exiger d’une composition, celle à laquelle tout compositeur digne de ce nom doit apporter tous ses soins, est la régularité de l’espacement.

L’espacement doit être rigoureusement identique entre chacun des mots d’une même ligne.

2. Toutes les lignes d’une composition ne sauraient comporter, l’une par rapport à l’autre, le même espacement, cela est certain : mais, tout en se conformant aux règles qui régissent la division des mots, il est possible de présenter un texte dont l’ensemble offre à l’œil un aspect satisfaisant.

Il est dès lors indispensable d’éviter la rencontre de lignes dont les unes présenteraient un espacement porté au maximum, et les autres un espacement plutôt faible. Dans la grande généralité des cas, il suffira de remanier légèrement les lignes qui précèdent et celles qui suivent, soit en les espaçant, soit en les serrant, pour éviter tout inconvénient.

Lorsque, par exception, l’espacement d’une ligne aura été augmenté plus qu’il n’aurait fallu, on devra pallier à cet inconvénient en espaçant d’une façon normale la ligne qui précède et celle qui suit, et surtout éviter de les serrer. L’inverse aura lieu pour les lignes dont on aurait été forcé de trop restreindre l’espacement, c’est-à-dire que les lignes avoisinantes devront recevoir au plus l’espacement ordinaire.

3. Les espaces employées sont de 3 à 4 points, suivant la force de corps des caractères : pour les corps 7, 8, 9 et 10, l’espacement, en général, doit être de 3 points ; pour les corps 11 et au-dessus, d’au moins 4 points.

Les espaces de 1 point et demi sont les plus faibles dont on puisse, à moins de raisons rigoureuses, se servir ; celles de ¾ du cadratin du corps, les plus fortes que l’on doive utiliser.

4. Le blanc pourra être parfois quelque peu plus fort ou plus faible, suivant que l’œil du caractère sera plus serré ou plus large.

Les espaces employées doivent en effet être proportionnées à la force de l’œil, à la forme du caractère ; il doit être tenu compte du blanc porté par certaines lettres, afin qu’elles paraissent également distancées ; enfin, l’espacement des mots doit être proportionné, le cas échéant, à celui des lettres entre elles, pour que la ligne reste bien lisible et que chacun des mots se détache bien : ainsi, dans les lignes composées de mots espacés, on ajoute à l’espacement normal un blanc équivalent à celui jeté entre les lettres des mots.

5. Dans les mots espacés[1], certaines lettres, rondes, évasées ou creuses, reçoivent un espacement moindre que les lettres pleines ; d’autres, en raison de leur forme, ne prennent aucun blanc :

DOQU
VLA
FTJPY

6. Les signes qui, suivant les circonstances, se rencontrent dans ces mots ou les accompagnent, sont espacés ou non, selon leur forme propre et celle des lettres qui les précèdent ou les suivent. Chaque cas presque comporte une solution particulière sur laquelle le bon goût et les qualités techniques du compositeur ne doivent jamais hésiter :

L’ AMOUR DU PROCHAIN
L’HORREUR DE LA MORT !

7. Les lignes de titres en vedette, ou lignes perdues, comprenant généralement des grandes ou des petites capitales, des caractères gras ou encore italiques, de lecture difficile, prennent toujours un espacement fort, jamais inférieur au tiers du cadratin.

8. Dans les langues étrangères, lors de la rencontre de certaines lettres, telles que f et h, f et t, pour éviter de briser celles-ci, il est nécessaire de mettre entre ces deux lettres une espace de 1 point ; en français, un inconvénient qui serait de même ordre est évité avec l’emploi du groupe de lettres , , , .

9. Dans la poésie, la justification du texte est généralement donnée par le plus long des vers manuscrits à composer.

Le compositeur n’éprouvant pour la justification des lignes aucune des difficultés rencontrées dans la prose, l’espacement entre chaque mot et dans chaque ligne devra être rigoureusement régulier.

10. Dans la prose, les exigences de la justification, l’observation de nombreuses règles typographiques, enfin et surtout les divisions en fin de ligne sont la cause de nombreux ennuis.

11. Outre l’espacement irrégulier, les principaux défauts qui peuvent se rencontrer au cours de la composition sont les lézardes, les rues, les lignes à voleur, les cages à poules, etc.

a) Les lézardes sont des raies blanches, obliques à droite ou à gauche, « occasionnées par la rencontre fortuite d’espaces placées les unes au-dessous des autres dans plusieurs lignes consécutives. Presque inévitablement, ce défaut se produit dans les compositions largement espacées. On y remédie au moyen de légers remaniements qui déplacent les espaces et, en ramenant ou rejetant un mot, une syllabe, à la ligne supérieure ou à la ligne inférieure, rompent cet alignement malencontreux. »

b) Les rues, raies verticales blanches, sont dues à une sorte d’alignement vertical de l’espacement, dans un certain nombre de lignes successives. Même dans les compositions les plus soignées cet inconvénient peut survenir. On y remédie, comme pour les lézardes, par une légère modification de l’espacement ou un minime remaniement de mots ou de syllabes reportés en avant ou rejetés en arrière.

c) Les lignes à voleur contiennent, seulement une ou, très rarement, deux syllabes, rejetées d’une ligne précédente, afin de terminer un alinéa par une ligne creuse ou à cadrats.

Payés suivant le nombre de lignes qu’ils fournissent, certains compositeurs ont la déplorable habitude de « tirer à la ligne », c’est-à-dire d’espacer fortement les deux ou trois dernières lignes de chaque alinéa, afin d’en composer une ne comprenant, que quelques lettres et presque exclusivement des cadrats : ce qui leur occasionne moins de travail et, par suite, un gain illicite. Le correcteur devra casser, c’est-à-dire supprimer et faire regagner ces lignes qui sont pour l’espacement une cause d’irrégularité vraiment blâmable. Parfois, cependant, on est obligé, au cours de la mise en pages, d’avoir recours à une ligne supplémentaire creuse, soit pour éviter un rejet malheureux, soit pour terminer une page, soit, enfin, pour toute autre raison. Mais on ne saurait attribuer le même caractère de nécessité à une ligne creuse, à voleur, rencontrée au cours d’une lecture d’épreuves en premières.

12. L’alinéa s’indique :

a) Pour les justifications jusqu’à 22 douzes environ, par un renfoncement de 1 cadratin de blanc devant le premier mot commençant le texte.

b) Au delà de 22 et jusqu’à 27 douzes, certains manuels typographiques recommandent d’ajouter 1/2 cadratin de blanc au renfoncement du premier mot, afin de conserver une proportion convenable entre la longueur de la ligne et le blanc initial de l’alinéa.

c) Après 27 douzes le blanc est porté à 2 cadratins.

d) D’autre part, quelques auteurs, raisonnant par a contrario, ont émis cette idée : si le blanc initial de l’alinéa augmente en raison d’une plus grande longueur de ligne, il doit, de même, diminuer avec une justification moindre ; — et, au-dessous de 10-12 douzes, ils ont proposé de ramener le blanc distinctif de l’alinéa à 1/2 cadratin.

e) Sans contester le bien-fondé des raisons invoquées à l’appui de cette manière de voir, il faut reconnaître, que cette méthode a rencontré peu de partisans : elle paraît, sans grand profit d’esthétique et sans aucun surcroît, de clarté, compliquer une règle, fort simple :

f) Jusqu’à 22 douzes le renfoncement de l’alinéa est indiqué par 1 cadratin de blanc ; au delà de celle justification le renfoncement est porté à 2 cadratins.

13. Le renfoncement de l’alinéa n’a pas lieu, si cet alinéa commence par une lettre de deux points, soit simple, soit ornée, ou par une gravure[2].

14. Si dans un manuscrit, dont le texte est à composer en caractères de corps différents, se rencontrent de courts alinéas, tous les alinéas doivent être renfoncés d’un nombre, égal de points.

Soit, par exemple, un texte composé en corps 10 ; les intercalations sont en corps 8. À chaque alinéa de celles-ci le compositeur ajoutera 2 points de blanc en plus du cadratin de 8 points : un blanc régulier de 10 points se trouvera ainsi précéder le premier mot de tous les alinéas.

15. Si la dernière ligne d’un alinéa comporte, en fin de justification, après le dernier mot, un blanc inférieur à 1 cadratin, ce blanc doit être réparti également entre chacun des mots de la ligne.

16. D’après certains auteurs, il ne serait pas bon de terminer un alinéa par le rejet en ligne creuse de la fin d’un mot divisé.

Si l’espacement le permet, les dernières lignes seront remaniées pour obtenir un rejet convenable, c’est-à-dire le report du mot entier à la ligne suivante, en évitant toutefois de faire considérer ce rejet comme une ligne à voleur. Si, au contraire, l’espacement est suffisamment large, il vaudra mieux casser la ligne à cadrats et terminer par une ligne pleine : ce qui est aussi un défaut, mais moins grave que le premier.

Si l’une de ces dispositions donne trop à la dernière ligne l’apparence d’une ligne de blanc, l’autre a l’inconvénient de ne pas rendre l’alinéa assez sensible à l’œil. Il faut donc éviter ces deux extrêmes.

17. Dans le texte courant, la virgule (,) se colle au mot, à la lettre ou au signe qu’elle suit immédiatement.

Pendant de très longues années, ce fut une règle typographique de placer avant la virgule une espace fine ; de nos jours, cet usage est de plus en plus abandonné.

Bien que, dans son édition de 1903, le Traité de la Typographie[3] de Fournier dise : « Les différents signes de la ponctuation doivent être séparés du mot qui les précède par des espaces moins fortes de moitié que celles qui les suivent », et ne fasse d’exception que pour le point, en 1880, Daupeley-Gouverneur écrivait[4] : « Nous ne considérons pas cet espacement comme absolument indispensable dans les lignes moyennement espacées. On s’en abstiendra dans les lignes serrées. »

En réalité, l’espacement de la virgule a simplement lieu (et encore !) lorsque « la justification requiert un espacement plus large que la moyenne ». C’est l’opinion de Leclerc[5] et de la plupart des auteurs modernes.

D’ailleurs, les manuels qui hésitent encore à se ranger à cet avis sont obligés de reconnaître, avec M. L. Chollet[6], que, « lorsque les lignes sont très serrées, par exemple dans les petits formats à deux colonnes, et que la composition a lieu en caractères au-dessous du 8, l’espacement sera diminué ou supprimé, à l’exception de celui des deux points »…

18. Le point final, comme le point abréviatif (.), se colle au mot, à la lettre ou au signe qui le précèdent.

Dans les imprimeries de langue anglaise et allemande, les typographes, après un point, emploient le cadratin de blanc pour mieux marquer la fin d’une phrase et le début d’une autre. Cet usage, acceptable dans les caractères à œil large, est disgracieux dans un texte serré. En France, d’ailleurs, on n’a jamais songé à le recommander ; et les exemples que l’on rencontre de cette disposition typographique ne peuvent être estimés que fantaisies d’auteur ou d’éditeur.

19. Les points de réticence ou de suspension, précédant ou suivant un texte dans lequel ils indiquent une lacune, prennent avant et après eux l’espace forte de la ligne où ils sont employés :

Je soussigné, …, demeurant à …, arrondissement de …, dépar-tement de …, déclare :

Dans ce cas, la ponctuation qui suit les points de réticence ou de suspension — virgule, point et virgule, point d’exclamation, point d’interrogation — se colle à ces points sans espace ; le deux-points garde son espacement habituel ; le point se confond (et par conséquent est supprimé) avec les points de réticence.

La virgule et le deux points qui précèdent les points de suspension sont séparés de ceux-ci par une espace forte ; le point final et le point abréviatif se confondent (c’est-à-dire disparaissent) avec les points de suspension, qui se collent au point et virgule, au point d’exclamation et au point d’interrogation placés avant eux.

20. Les points de suspension s’emploient généralement en nombre impair : 3, 5, 7 ; on dépasse rarement ce chiffre, lorsque les points sont collés sans espace : au delà il est préférable de les espacer 1 cadratin et de les conduire jusqu’à la fin de la justification.

— Et Pravdine ?… Il n’a donc pas voulu venir, s’écria-t-elle d’un ton de reproche. Il m’a trompée !…
xxxxL’instant, fatal était arrivé.
xxxxL’œil du capitaine ne s’était point trompé sur le degré du danger.
xxxxLe songe du pilote devait se réaliser ! .........

Les points de suspension peuvent, toutefois, être employés en nombre variable, lorsqu’on veut indiquer la quantité de lettres supprimées dans une expression ou de mots manquant dans une phrase :

a) Si la première lettre ou une fraction importante du ou des mots tronqués est exprimée, il est préférable de mettre autant de points que de lettres supprimées lorsque le nombre en est connu :

Il n’est bruit, en ce moment, dans la colonie anglaise pari-sienne, que du différend qui s’est élevé entre lord B........... (lord Beaconsfield) et l’ambassadeur de Grande-Bretagne.

b) Si la lacune est entière, sans aucune initiale ni fraction du ou des mots supposés, on emploie les points de suspension en nombre impair ; ceux-ci, au début d’un alinéa ou d’une phrase, sont isolés, par une espace forte, des mots qui les suient :

… Il importe aux Grecs que la puissance des Bulgares soit abaissée, mais nullement qu’elle soit détruite.

21. Lorsque le texte indique une hésitation, une surprise, un doute, dans le langage d’un interlocuteur, une phrase incomplète dans la narration, les points de suspension se collent au mot, à la lettre ou au signe qui précèdent :

Avant la fin du jour… on verra qui de nous…
xxxx Doit…; mais sortons, Nabal.

xxxx Que ne puis-je…! — Se peut-il que…?

D’après Daupeley-Gouverneur, à qui ces exemples sont empruntés, le point-virgule, le deux-points, le point exclamatif et le point d’interrogation se placent après les points de suspension lorsqu’un ou plusieurs mots sont supprimés dans la phrase, suivant l’exemple précédent : au contraire, ils se placent avant, si le membre de phrase est complet :

Avez-vous dépouillé cette haine si vive ?…

22. Les points de suspension formant une ligne entière et indiquant la suppression d’une longue partie du texte s’espacent 1 cadratin ; si la ligne de texte qui précède comporte également, en fin de justification, des points de suspension, ceux-ci sont, de même, espacés 1 cadratin.

L’œil du capitaine ne s’était point trompé sur le degré du danger. Le songe du pilote devait, hélas ! se réaliser..... .........................

23. Dans les tables des matières, les alignements, les tableaux, les gros points (c’est-à-dire les points fondus sur demi-cadratin du corps), employés comme points de conduite, se collent sans espace : au contraire, les points ordinaires sont séparés par 1/2 cadratin de blanc : L’alignement des points, obligatoire, s’obtient en plaçant l’espace dite justifiante entre le dernier mot et le premier point de conduite.

24. Les points employés dans les nombres pour séparer les tranches de trois chiffres se collent de chaque côté aux chiffres, sans aucune espace :

La France a une population totale de 40.590.850 habitants, tandis que l’Angleterre est habitée par 65.851.452 personnes.
xxxx Il possède 50.000 francs de revenus annuels.

25. L’apostrophe (’) ne prend, avant elle ou après elle, aucune espace :

a) Lorsque l’élision a lieu à l’intérieur d’un mot :

M’sieur, Mam’zelle ;

b) Lorsque l’élision porte sur un ou même sur plusieurs mots d’une seule syllabe :

L’âme ; j’promets ; j’n’veux pas.

c) Mais, si le mot élidé se composait avant son élision de deux, trois, en un mot de plusieurs syllabes, on met une espace forte après l’apostrophe :

Not’ maître.

d) Toutefois, fait exception à cette règle l’adjectif grande, dont la réunion avec un autre mot constitue un nouveau nom commun :

Grand’mère ; grand’messe ; grand’rue ; grand’place.

e) Dans quelques caractères italiques, les apostrophes placées près de certaines lettres, telles que f, l, doivent être précédées d’une espace fine, pour éviter que ces lettres soient brisées ou que, l’apostrophe elle-même soit cassée, en raison des deux pentes contraires qui se rencontrent.

26. Le point et virgule (;), le point d’exclamation (!), le point d’interrogation (?) se séparent du mot, de la lettre ou du signe qu’ils suivent, par une espace de 1 point et demi, ou 2 points au plus, suivant l’espacement de la ligne.

27. Le deux-points (:) (anciennement appelé comma) prend avant et après lui l’espace forte de la ligne où il se rencontre, c’est-à-dire s’espace comme un mot.

28. Dans les publications latines d’ouvrages diplomatiques, l’usage s’est établi, lorsqu’on ne veut tenir compte que de la fonction du personnage dont on parle, de remplacer le nom de celui-ci par deux points suspensifs collés, sans espace, mais prenant avant et après eux l’espace forte de la ligne où ils se trouvent[7].

29. Dans le texte courant, les guillemets (« ») sont séparés des mots auxquels ils se rapportent par une espace d’un tiers plus faible que les espaces régulières de la ligne : ainsi les mots étant espacés à 3 points, on emploiera, entre le guillemet et le texte qu’il embrasse, l’espace de 2 points : de 2 points et demi, si la ligne est espacée à 4 points ; etc.

30. Le guillemet placé après l’élision du mot que, avant les expressions il, elle, avec, avant, etc., est espacé, de chaque côté, 1 point et demi au plus :

Tout en se rendant compte qu’« il n’a ni ordre, ni pouvoir, ni communication…

31. Dans un alinéa comportant une citation guillemetée au début de chacune des lignes, le demi-cadratin est obligatoire après le guillemet, afin d’obtenir un alignement parfait de chaque premier mot du texte :

« En feuilletant ce livre, je me suis trouvé dans ce pays que
« j’aime : la France.

« Je l’aime comme on aime une femme, à ses heures de
« gaîté et dans ses plaisirs ; je l’aime dans ses angoisses et dans
« ses larmes ; je l’aime, permettez-moi de le dire, pour ses dé-
« fauts autant que pour ses qualités… »

Cette règle a été l’objet de discussions et d’observations nombreuses.

Certains auteurs recommandent en effet, dans ce cas, l’usage de l’espace forte régulière[8], afin d’éviter, dans les lignes moyennement espacées, l’anomalie que présente le blanc du demi-cadratin après le guillemet, comparé avec l’espace moyenne séparant chaque mot.

Le remède est, il faut le reconnaître, insuffisant : pour tenter d’éviter toute « anomalie », il serait nécessaire, de ramener à l’espace moyenne le blanc, du guillemet ; cela ne pourrait avoir lieu parfois qu’au détriment de l’alignement et n’empêcherait point, pour les lignes à espacement faible, l’irrégularité dont il est question.

32. Dans les dialogues où le changement d’interlocuteur est indiqué par un moins, ou tiret (—), le demi-cadratin de blanc est également obligatoire après le tiret :

Vera remarqua :
---- — Ils ne savaient que la première moitié de leur chance.
---- — Je crois, dit la duchesse, qu’ils ont apprécié aussi la seconde.
---- Se retournant en riant vers Vera :
---- — Tu as risqué, ma sœur…
---- — Vrai !
---- — Ah ! cela, non, protesta Alexis.

33. Si on emploie en même temps le guillemet et le tiret, le demi-cadratin de blanc se met après chacun d’eux :

— Je tiens à vous rapporter la conversation qui s’établit entre nous :
---- « — Je me porte très bien, répondis-je à, son interrogation.
---- « — Je le savais, répliqua-t-il.
---- « — Comment vous fut-il donné de l’apprendre ? répliquai-je étonné.
---- « — Peu vous importe !… »

34. Dans le cours du texte, le tiret prend, de chaque côté, l’espace régulière de la ligne où il est employé :

La vie sur une planète — affirme l’abbé Th. Moreux — de-mande des conditions privilégiées qui se réalisent rarement…

35. Les parenthèses ( ), les crochets [ ], sont collés intérieurement aux mots qu’ils renferment ; l’espace régulière sépare la première parenthèse et, le crochet initial du mot qui précède, la deuxième parenthèse et le crochet final du mot qui suit :

La grosse planète [Jupiter] en est encore au stade de sa for-mation, si l’on en croit certains astronomes.
---- L’un d’eux, dans un livre qui a suscité l’étonnement du monde, savant (les Merveilles de la Création), affirmait que sur ce monde géant la condensation n’a pas encore eu le temps de parfaire son œuvre.

Toutefois, entre la parenthèse et la lettre intérieure qui la touche, il faut avoir soin de mettre une espace fine, surtout dans les caractères genre elzévir italique, lorsque la lettre qui suit immédiatement la parenthèse ouverte est une lettre à queue j, g, f, ou que la parenthèse finale est précédée des lettres l, f, i, h, k, qui sont infailliblement brisées sans cette précaution.

36. Employés à l’intérieur d’un mot, dans la restitution d’inscriptions ou de manuscrits antiques, le crochet et la parenthèse ne prennent l’espace ni avant ni après ; ils sont collés aux mots ou aux lettres qui suivent et qui précèdent :

COHORT(is) II GEMIN[ac Ligurum] ET CURSORUM CVI [pr]AE(e)ST…

37. Les paragraphes (§), les répons, les versets, les croix, les pieds de mouche, les signes symboliques ou abréviatifs[9] prennent la même espace que les mots de la ligne où ils sont employés.

38. Les signes algébriques (+, –, =, etc.) reçoivent avant et après eux un espacement analogue à celui qui sépare chacun des mots de la ligne où ils se trouvent.

39. Lorsqu’ils sont employés, en inférieures ou en supérieures, dans des expressions d’arrangements ou d’exposants, ces mêmes signes se collent aux lettres ou aux chiffres dont ils dépendent, ou, pour éviter un effet disgracieux, s’espacent, au plus, 1 point et demi.

40. Le point, le deux-points employés comme signes algébriques suivent pour l’espacement les règles précédentes.

41. Dans les formules algébriques, les expressions cos, log, sin, tang, tg, cotg[10], sont séparées des chiffres ou des lettres qu’elles précèdent par une espace de 1 point et demi à 2 points au plus :


---- 

42. Dans les formules algébriques ou chimiques, d’une manière générale, toutes les lettres ou chiffres d’une formule se groupent sans espace :

,
,
Ag------+----------HS----------=-----H-----+-----AgS
---(argent)--------(acide sulfhydrique)------(hydrogène)--(sulfure d’argent)

Il est, toutefois, d’assez nombreuses exceptions à cette règle, quand il s’agit non de quantités, mais de coefficients, de symboles, etc.

43. Si dans la formule il existe une parenthèse ou un crochet renfermant un nombre ou une partie de cette formule, on met, avant la parenthèse initiale et après la parenthèse finale, une espace de 1 point ou, au plus, de 1 point et demi :

.

44. Lorsque la parenthèse finale est accompagnée de chiffres, de lettres ou de signes supérieurs ou inférieurs, l’espace est reportée après ces chiffres ou lettres :

.

45. Dans les mathématiques, la chimie, la physique, l’algèbre, les exposants, ou lettres supérieures, se collent sans espace au terme auquel ils appartiennent ; les arrangements, ou lettres inférieures, de même :

,-----,----.

46. Dans les indications d’opérations, lorsqu’il existe une minute, une seconde, etc., et un arrangement (lettre inférieure), l’arrangement se met immédiatement à côté du chiffre, de la lettre ou du signe qui précède ; la minute, ou lettre supérieure, après l’arrangement :

,----.

47. Toutefois, pour éviter l’effet disgracieux produit par cette disposition, dans les ouvrages de mathématiques on parangonne habituellement les minutes ou secondes au-dessus des inférieures :

,----.

48. Dans les degrés de longitude et de latitude, les mesures topographiques ou angulaires, les groupes de chiffres indiquant les degrés, minutes, secondes sont toujours séparés entre eux par une espace de 2 points :

.

49. S’il existe des décimales, celles-ci sont séparées du nombre entier par une virgule, sans aucune espace :

.

50. Les nombres indiquant les heures et leurs divisions, minutes, secondes, sont également, quand on ne peut les exprimer en toutes lettres, séparés par une espace de 2 points :

Le parcours a duré 2 h. 25 m. 45 s.

51. Les fractions ou les dixièmes qui accompagnent ces nombres en sont séparés par une virgule, sans espace :

Le record de durée en hauteur est de 8 h. 40 m. 40 s.,25.

52. Dans une expression numérale la virgule est exclusivement réservée pour séparer les fractions du nombre entier ; elle est obligatoire et se colle sans espace au chiffre qui la précède et à celui qui la suit :

10.350,25 ; 750,45.

53. Les lettres supérieures abréviatives sont toujours considérées comme faisant partie intégrante du mot qu’elles accompagnent et auquel dès lors elles sont jointes sans aucun blanc :

Mme, Mlle. 1er, no .

54. Les barres de fraction, ou barres transversales, se collent aux lettres ou aux chiffres dont elles indiquent, la division :

0/0, 1/3, 1/2.

55. La division, faisant fonction de trait d’union à l’intérieur d’un mot, se colle, sans espace, aux deux fractions qu’elle unit :

vis-à-vis, arc-en-ciel, chef-lieu.

56. À la fin de la justification, la division se colle à la fraction de mot qu’elle accompagne.

57. Les lettres abréviatives capitales, indiquant un pluriel, se groupent par deux, sans espaces ni point ; le point d’abréviation et l’espace forte sont placés après chaque groupe :

Les RR. PP. Didon et Lacordaire ont été, en France, la gloire de l’Ordre des Frères Prêcheurs.
xxxx LL. AA. II. le grand-duc et la grande-duchesse Michel Cons-tantinovich ont reçu hier à dîner MM. Hanotaux, ministre plé-nipotentiaire, et Herbette, ambassadeur de France.
xxxx LL. MM. le roi et la reine d’Italie ont quitté Rome pour une croisière…

58. L’appel de note, quel qu’il soit — 1, (1), (1), *, (*), Λ, (a), a, (a), etc., — n’est séparé du mot, de la lettre ou du signe qu’il accompagne, que par une espace de 1 point et demi au plus.

59. Parfois, dans les petites justifications, dans les habillages de gravures, dans les alignements, dans les tableaux, etc., pour éviter des blancs trop larges, ou pour compléter une ligne, on espace d’une espace fine les mots d’un texte.

Cet expédient ne saurait, hors des cas cités, être employé dans un travail soigné : ce n’est, d’ailleurs, qu’un pis-aller permettant d’obvier à un inconvénient plus grave qui ne saurait être supporté.

60. Les nombres fractionnaires, précédés ou suivis d’un nombre entier auquel ils appartiennent, prennent l’espace fine entre ce nombre et eux, qu’ils soient de la casse ou employés en supérieures :

Du nombre , si l’on déduit ,…
xxxxAu chiffre 75 il est nécessaire d’ajouter 24 , pour obtenir…



  1. La répartition égale et régulière des espaces est un des genres de mérite qui contribuent à la beauté d’un titre ; en conséquence, elle doit être l’objet de l’attention constante du compositeur. Mais, pour arriver à un bon résultat, il ne suffit pas de jeter entre les mots ou les lettres des espaces égales ; cette opération de l’espacement, exige un examen préalable. Parmi les lettres et, notamment, parmi les capitales, il s’en trouve qui, par leur forme arrondie, ou bien par leur rencontre avec certaines autres lettres, laissent soit devant, soit derrière, un blanc considérable, et, suivant l’expression typographique, « portent du blanc ». Lorsque les lettres peuvent être espacées, il est facile de remédier à ce vice originel : on diminue ou l’en supprime en pareil cas les espaces qu’on réserve pour séparer les lettres de forme carrée.

    À titre d’exemple, signalons le mot « AVIS », que l’on compose fréquemment en titre avec des caractères larges ; on voit qu’il existe un blanc assez prononcé entre l’A et le V, d’où aucune espace à mettre ; le blanc est moindre entre le V et l’I, donc espace de force moyenne ; enfin, entre l’I et l’S on devra, mettre une espace plus forte qu’entre les deux lettres précédentes ; le tout sera, ainsi proportionné de manière à présenter un aspect régulier à l’œil. — Prenons maintenant le mot « L’EUROPE » ; on devra, en espaçant ce mot, mettre une espace entre l’apostrophe et l’E, mais pas entre l’L et l’apostrophe, la lettre L portant du blanc. Si nous devions composer « L’ASIE », on ne devrait mettre aucune espace de chaque côté de l’apostrophe ; peut-être serait-il bon d’agir de même entre l’A et l’S, ou du moins n’employer qu’une espace très mince, moitié moindre que celle jetée entre les autres lettres du mot.

    Il est donc indispensable de tenir compte de la forme des lettres ; si les lettres n’étaient pas, quant à l’œil, également distantes, elles sembleraient appartenir à des mots différents : irrégularité pour l’aspect, confusion pour le sens, tels pourraient en être les effets.

    Telles sont les raisons pour lesquelles on espace souvent les lignes composées en grandes capitales ; autrefois, et pour les mêmes motifs, les titres courants composés en capitales étaient ordinairement espacés. On rendait ainsi les lignes plus lisibles en isolant les lettres et on dissimulait les irrégularités d’alignement qui sont plus visibles dans les capitales.

    Dans les lettres bas de casse, ce défaut est généralement insensible ; il ne sera visible et par conséquent ne devra être corrigé que dans quelques gros caractères.

    Il est nécessaire aussi de remédier parfois, par l’espacement, à des défauts de fonderie. Dans les bâtardes, certaines lettres présentent l’inconvénient de se coller contre les capitales sans aucun blanc d’approche ; dans les rondes, ce sont des lettres trop rapprochées qui rendent la lecture difficile ; d’autres fois, ce sont des accents, l’accent grave notamment, qui chevauchent sur la lettre voisine, occasionnant la rupture de celle-ci. Tous ces défauts doivent autant que possible être atténués ou corrigés, soit en espaçant légèrement, soit d’autre façon, afin de détruire le moins possible les proportions harmonieuses de la liaison des lettres entre elles.

  2. Voir sur ce sujet page 185, n° 6.
  3. H. Fournier, Traité de la Typographie, p. 100.
  4. G. Daupeley-Gouverneur, le Compositeur et le Correcteur typographes, p. 78.
  5. E. Leclerc, Nouveau Manuel complet de Typographie (éd. 1921), p. 162.
  6. L. Chollet, Petit Manuel de Composition à l’usage des typographes et des correcteurs, p. 20. — Il est difficile d’accepter entièrement l’opinion de M. L. Chollet : en effet, la suppression de l’espace fine avant le point et virgule, le point d’interrogation et le point d’exclamation n’a presque jamais lieu.
  7. A. Giry, Manuel de Diplomatique, Paris, 1894.
  8. Brun, p. 51 : « Quand on répète les guillemets au commencement de chaque ligne, dans une citation, il faut avoir soin de n’employer après eux que des espaces d’une égale épaisseur. »
  9. Voir au chapitre Abréviations une liste sommaire de ces différents signes.
  10. L’emploi de l’italique pour ces expressions a simplement pour but de retenir l’attention du lecteur ; on verra plus loin qu’elles doivent être composées en romain (Voir Abréviations).