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Le Correcteur typographe (Brossard)/volume 2/19/01

La bibliothèque libre.
Imprimerie de Chatelaudren (2p. 581-602).


I

GÉNÉRALITÉS


1. Il ne semble pas utile, au point de vue strictement professionnel qui seul nous occupe, d’accorder au mécanisme de la composition littéraire de la poésie plus d’importance que celle d’une brève mention.

La poésie a été classée en six genres principaux :

a) Lyrique (propre, à être chanté) : l’ode, l’élégie (souvent classée à part : genre élégiaque), la cantate, les chœurs de tragédie, la chanson ;

b) Épique, avec l’épopée héroïque, badine, héroï-comique, burlesque ou travestie, et le poème héroïque ;

c) Dramatique, pour la tragédie et les trois genres de comédie : de mœurs, de caractère et d’intrigue ;

d) Didactique, dans le poème didactique, la satire, la fable, l’épître et l’apologue ;

e) Pastorale, avec l’idylle et l’églogue ;

f) Fugitive : le sonnet, le rondeau, le triolet, le sizain, le dizain, la ballade, le madrigal, l’épithalame, l’acrostiche, l’énigme, le logogriphe, la charade et tout ce qui a rapport à la fantaisie.

2. Le vers français est un assemblage de mots mesurés et cadencés, dont le dernier se trouve toujours en rapport — par une consonance nommée rime, — avec un autre mot placé à la fin d’un vers correspondant.

3. Cette rime est appelée masculine quand sa dernière syllabe est sonore ou à prononciation pleine :

… De ses aïeux on a beau faire cas,
La naissance n’est rien où la vertu n’est pas.
 
Ce Dieu, maître absolu de la terre et des cieux,
N’est point tel que l’erreur le figure à nos yeux.

Elle est féminine, si elle se termine par un e muet ou par un équivalent, es, ent :

La satire ne sert qu’à rendre un fat illustre ;
C’est une ombre au tableau qui lui donne du lustre.

4. Les rimes sont dites :

a) Plates, suivies ou jumelles, quand deux vers à rimes féminines de même consonance viennent l’un après l’autre et sont suivis immédiatement de deux autres vers à rimes masculines, ou inversement, les rimes se succédant dans cet ordre régulier du début à la fin de la pièce de poésie :

Seigneur, la vérité doit ici s’exprimer :
J’avais fait ce dessein avant que de l’aimer ;
A mes plus saints désirs la trouvant inflexible,
Je crus qu’à d’autres soins elle serait sensible.

b) Croisées, ou entrelacées, si un vers à rime masculine suit un vers à rime féminine, ou réciproquement, la correspondance de la rime se trouvant établie de deux en deux vers :

J’ai vu mes tristes journées
Décliner vers leurs penchants ;
Au midi de mes années,
Je touchais à mon couchant.

c) Redoublées, lorsque deux vers à rimes de même consonance sont intercalés entre deux autres vers terminés tous deux par une rime semblable, mais de genre contraire à celles qu’elles enserrent :

Quel astre à nos yeux vient de luire ?
Quel sera, quelque jour, cet enfant merveilleux ?
Il brave le faste orgueilleux,
Et ne se laisse pas séduire

d) Mêlées, si les vers à rimes semblables ne se succèdent dans aucun ordre régulier, plus de deux vers avec rimes de même nature ne devant en aucun cas se suivre immédiatement.
xxxx Les autres genres de rimes, d’un emploi beaucoup moins fréquent, ne sauraient trouver place ici.

5. Les vers de 12, 11, 10 et 9 syllabes sont partagés plus ou moins également en deux fractions, ou hémistiches (moitiés de vers), par un repos, ou césure, obligatoire.

6. La réunion d’un nombre déterminé de vers donnant un sens complet s’appelle stance.
xxxx Dans l’ode, la stance a reçu le nom de strophe ; et dans la chanson, celui de couplet.
xxxx Les stances sont : régulières, quand elles se succèdent toujours semblables, aussi bien pour le nombre et la mesure des vers que pour la disposition des rimes ; — irrégulières, lorsqu’elles n’ont aucune ressemblance entre elles, aux divers points de vue qui précèdent ; — mixtes, si elles alternent sous deux formes différentes, la première stance servant de modèle à la troisième, la deuxième à la quatrième, etc. — D’ailleurs les stances, ou strophes, peuvent encore être combinées d’une infinité d’autres manières[1].

On appelle tercet 3 vers formant un sens complet ou, du moins, un membre entier de période.
xxxx  Une stance de 4 vers se nomme quatrain ; — de 6 vers, sizain ; — de 8, huitain ou octave ; — de 10, dizain.

7. La poésie grecque et la poésie latine, ainsi que certaines poésies étrangères modernes, sont essentiellement métriques : elles se comptent par longueur ou temps de prononciation des syllabes, divisées en longues, brèves, douteuses (ces dernières étant tantôt longues, tantôt brèves, suivant la place qu’elles occupent).
xxxx Les vers grecs et latins ne sont pas astreints à l’obligation de la rime.

8. Le vers français est syllabique, c’est-à-dire composé d’un nombre déterminé de syllabes : brèves ou longues, peu importe.
xxxx Pour désigner ou, si l’on veut, pour cataloguer, étiqueter un vers, il ne faut donc point compter les mots dont il se compose, mais bien les syllabes qu’il contient, car elles seules en déterminent la mesure et aussi le nom.

9. On sait — et il paraît superflu de le rappeler ici — qu’on appelle syllabe une voyelle seule, ou une voyelle jointe à d’autres lettres (consonnes ou voyelles) dont l’ensemble se prononce alors d’une seule émission de voix.

10. Afin de rendre ces lignes suffisamment démonstratives, voici plusieurs exemples de vers dont la numération a été établie d’après leur mesure ou la quantité de syllabes qu’ils renferment :

xx 1xxx2xxxx3xxx4xxx5xxx6xxxx7xxx8xx9xx10xx11xxx12

Le jour n’est pas plus pur que le fond de mon cœur ;

xxx1xx2xx3xxx4xxx5xx6xx7x8x9xx10xx11xx12

Ce-lui qui met un frein à la fu-reur des flots ;

xxxxx1xxx2xxx3xxx4xxxx5xx6xxx7xx8xxx9xx10

Et dans la paix main-te-nir mes su-jets ;

xx1xx 2xx3x4xx5xxx6xxx7xxx8

Le Nil a vu sur ses ri-vages

xxx1xxx2xxx3xx4 xxx5xxxx6xxx7xxx8

Les noirs ha-bi-tants des dé-serts ;

xxxxx1xxxx2xxx3xxx4

Rom-pez vos fers,

xxxx1xxx2xxx3xxx4

Tri-bus cap-tives.

11. Outre le nom particulier que l’on donne à quelques-uns, et que nous verrons au fur et à mesure de leur étude, les vers sont encore désignés par le nombre des syllabes ou par celui de pieds qu’ils contiennent, un pied (ou mètre) comprenant deux syllabes[2].
xxxx Ainsi on dit : vers de 1 syllabe ou de 1/2 pied ; vers de 2 syllabes ou de 1 pied ; vers de 3 syllabes ou de 1 pied 1/2 ; vers de 4 syllabes ou de 2 pieds ; et ainsi de suite jusqu’à 12 syllabes ou 6 pieds, la mesure la plus longue qui ait été usitée dans la poésie française classique.

12. Le vers de 12 syllabes, ou grand vers, se nomme hexamètre (c’est-à-dire « mesure de 6 pieds ») ; il est dit encore vers alexandrin, vers héroïque ; c’est le plus beau et le plus complet, convenant presque à tous les genres ; il est coupé par un repos, ou césure, en deux parties égales de 3 pieds chacune :

x1xx2xxx3xxx4xxx5xx6xxx7xx8xx9xx10x11x12
Romains et vous, Sénat, | assis pour m’écouter,
Quel droit vous a rendus | maîtres de l’univers ?
Pourquoi venir troubler | une innocente vie ?

13. Le vers de 11 syllabes, ou endécasyllabe[3], est composé de deux parties inégales, la première de 5, la deuxième de 6 syllabes :

x1x 2x3xx4x5xxxx6xx7xx8xx9x10xx11
Un petit garçon | demandait à son père :
Faisait-il soleil | quand je n’étais pas né ?
Tous les jours on voit | l’ignorant étonné
Dater de son âge | un nouveau temps sur terre.

Cette mesure, rénovée par Nicolas Rapin, l’un des collaborateurs de la Satire Ménippée, n’obtint qu’un succès d’estime, à cause de son allure boiteuse. Quelques auteurs, pour remettre ce vers en honneur, ont cherché à lui donner une forme nouvelle en déplaçant la césure, en intervertissant les deux parties et en mélangeant les deux genres :

x1xx2xx3xx4xx5xxx6xxx7xx 8xxxx9x 10x 11
Malheureux le mortel | qui trouve importune
La présence des siens | frappés d’infortune,
Égoïste vil | qui, toujours plein de lui,
N’a jamais vécu | ni souffert dans autrui.

14. Le vers de 10 syllabes, ou décasyllabe, ou encore pentamètre (5 mètres), est l’ancien vers héroïque du moyen âge, celui des trouvères et des troubadours qui l’utilisèrent dans les chansons de geste. Il a un repos après la quatrième syllabe, sa deuxième partie étant composée de 3 mesures ou 6 syllabes :

 1x2xx 3xx 4xxxxx5xx6xx7xx 8xx 9x 10
Avec ses traits, | ses souris, ses appâts,
Ceci soit dit | sans nul soupçon d’amour,
Car c’est un mot | banni de votre cour.

On rencontre encore le décasyllabe coupé en deux hémistiches de 5 syllabes chacun :

 1xx 2xx3xxx4xx5xxxxx 6xxxx7xxx 8xx 9xx 10
Si quelque méchant | vous blesse ou vous nuit,
Si grande que soit | son impertinence…

15. L’ennéasyllabe, ou vers de 9 syllabes (composé de 3 et de 6 syllabes) est peu employé[4]. On ne rencontre guère cette mesure que dans de petits sujets lyriques destinés à être chantés :

x1xx 2xx3xxx 4xx 5x6xxx7x 8x 9
Des destins | la chaîne redoutable
Nous entraîne | à d’éternels malheurs ;
Mais l’espoir | à jamais secourable
De ses mains | viendra sécher nos pleurs.

16. Le vers de 8 syllabes, ou octosyllabe, est l’un des plus anciens mètres : les trouvères et les troubadours en firent un usage constant dans les romans, les contes, les fabliaux ; il convient particulièrement au genre léger, gracieux et attendrissant. N’étant plus soumis (ainsi que les suivants, d’ailleurs) à l’obligation du repos, ou césure, il acquiert une grande liberté d’allures :

 1 x2xx3xxx 4xx 5xx 6x7x8
Il marchait d’un pas dégagé
Et faisait sonner sa sonnette.

On l’unit fréquemment à l’alexandrin pour former des distiques (réunion de deux vers).

17. L’heptasyllabe, ou vers de 7 syllabes, a de nombreux points de contact avec le précédent, qu’il concurrence heureusement dans de multiples circonstances, surtout dans les poésies vives et légères (l’épître familière, l’ode, le conte et la chanson) :

 1 x2xx3xx4xx5xx6
De ta tige détachée,
Pauvre feuille desséchée,
Où vas-tu ?…
Je vais où va toute chose,
Où va la feuille de rose
Et la feuille de laurier.

18. Le vers de 3 pieds, ou 6 syllabes, léger et gracieux, est la moitié de l’alexandrin :

 1  2x 3xx4x 5xx6
Il est sur la colline
Une blanche maison ;
Un coteau la domine.

Toutefois, ce vers est rarement employé seul, car il présente souvent un inconvénient grave, difficile à éviter : deux vers peuvent se relier en un alexandrin, et l’oreille trompée supposer un distique à la place d’un quatrain. On trouve cette mesure plus fréquemment entremêlée avec d’autres d’étendue plus longue :

Par quel criHélas ! si jeune encore,
Par quel crime ai-je pu mériter mon malheur !
Par queJe tomberai comme une fleur
Par quel criQui n’a vu qu’une aurore.

19. Le vers de 5 syllabes, ou 2 pieds 1/2, est surtout connu par l’idylle allégorique de Mme Deshoulières et par plusieurs cantates de Rousseau :

x 1xxx2xxx3xxx 4x5
Dans ces prés fleuris
Qu’arrose la Seine,
Cherchez qui vous mène,
Mes chères brebis.

20. Le tétrasyllabe, vers de 4 syllabes, est plus souvent mêlé à des vers d’autres mesures, bien que l’on rencontre quelques exemples de petites pièces fugitives composées sur ce mètre :

 1xxx 2xxx3xxx4
Rien n’est si beau
Que mon hameau !
Ô quelle image !
Quel paysage
Fait pour Watteau !

21. Les vers de 3 syllabes, de 2 syllabes et de 1 syllabe sont plutôt entremêlés avec d’autres vers de mètres ou de mesures différents :

La Cigale ayant chanté
DameTout l’été.
Dame Bergeronnette
Mire sa gorgerette
DameAu flot clair.

Cependant nos anciens poètes firent un usage assez fréquent du vers de 3 syllabes, et de nos jours on rencontre encore quelques exemples de poésies composées exclusivement sur ce mètre :

xx1xxx2xxx3
C’est un gnome
Si mignon
Qu’on le nomme
Champignon.

En voici un deuxième exemple dû à Victor Hugo :

Un vrai sire
Châtelain
Laisse écrire
Le vilain.
Sa main digne,
Quand il signe,
Égratigne
Le vélin.

Il en est de même pour le vers de 2 syllabes :

xx1xxxx2
Grand Être,
Qu’on sent,
Ô Maître
Puissant…

Elle garda la fleur fidèle,
Et, depuis, cette fleur s’appelle
Elle gardaSouviens-toi
Elle gardaDe moi.

Plus difficile et plus rare encore que les deux précédents, le vers de 1 syllabe, employé avec soin, produit d’heureux effets.
xxxx On connaît l’exemple si souvent reproduit de la fable la Mort et le Bûcheron. En voici un autre modèle non moins fréquemment cité :

Et l’on vit des commis
Qui jadis Mis
QuiComme des princes
Qui jadis sont venus
Qui jadis Nus
QuiDe leurs provinces.

22. Le compositeur connaît désormais les différents mètres employés dans la versification française et la manière de scander les vers ou, plutôt, de compter le nombre de syllabes dont sont formés ceux-ci.
xxxx Pour parfaire son modeste bagage poétique, il lui faut maintenant se familiariser avec la quantité syllabique des diphtongues, avec l’élision, avec les licences poétiques, etc., toutes choses que, malgré leur importance, on étudiera rapidement.

Le vers français se composant d’un nombre de syllabes bien déterminé, il est essentiel de distinguer les cas où deux ou plusieurs voyelles placées à la suite l’une de l’autre dans un même mot forment deux syllabes ou se réunissent en une seule.

23. En général, lorsqu’elles se trouvent après un l ou un r, précédé d’une autre consonne, presque toutes les voyelles agglomérées se prononcent en deux temps ou en deux syllabes :

cli-ent, cri-ons, meurtri-ers, pri-ant, publi-ons, sangli-ers.

Mais les exceptions et, d’un autre côté, les règles particulières sont nombreuses et fréquentes. Il est nécessaire de signaler les principales.

Ae, dans aérage, aération, aérer et leurs dérivés, est toujours dissyllabique, lorsque les deux voyelles ne se confondent point dans l’orthographe du mot.

Ai forme diphtongue (se prononce comme è ou è).

est dissyllabique.

Aie est aujourd’hui monosyllabique et, pour l’employer, il faut qu’il soit suivi d’une voyelle. — Au xviie siècle on en faisait usage devant une consonne, et on le comptait pour 2 syllabes (Mol., l’Étourdi, III, v, 7) :

Que j’aie peine aussi d’en sortir par après.

Ao est diphtongue dans le mot août (mois) ; mais il forme 2 syllabes dans les dérivés :

a-oûter, a-oû-teron, a-oûteux, etc.

Dans les mots faon et paon, ainsi que dans tous leurs dérivés, ao est monosyllabique.
xxxx Dans pa-our et fa-ourche, noms peu usités, d’ailleurs, ao est dissyllabique.

Ia, dans les noms et dans les verbes, forme généralement deux syllabes :

confi-a, di-amant, di-adème, étudi-a, fili-al, glaci-al, oubli-a ;


cependant le» mots diacre, fiacre, diable, liard, se prononcent en une seule émission de voix.

Iai, au prétérit des verbes (se prononçant ) forme deux syllabes :

confi-ai, étudi-ai, publi-ai.

Il est, au contraire, monosyllabe dans bré-viai-re.

Dans le mot niais (où la présence de s donne le son ouvert), iai est également dissyllabe : ni-ais ; mais il est douteux dans bi-ais, bi-aiser, qui sont parfois monosyllabes : biais, biai-ser.

Ian et ien, iant, ient (employés avec le même son an) forment 2 syllabes :

fortifi-ant, li-ant, ri-ant, cli-ent, expédi-ent, pati-ent ;


seul le mot viande (monosyllabe) fait exception.

Ie (que l’e soit ouvert ou fermé : ié, ier, iez, ière) est généralement compté pour 1 syllabe, dans les noms et les adjectifs, quand la désinence (c’est-à-dire la syllabe finale) n’est pas précédée de deux consonnes dont l’une soit l ou r :

ciel, fiè-vre, barriè-re, ami-tié, pa-pier, troi-siè-me, pre-mier.

Au contraire, il est dissyllabe, si la désinence est précédée de deux consonnes dont l’une est l ou r :

baudri-er, ouvri-er, sangli-er, entri-ez, pri-ère.

Dans les verbes, il forme 2 syllabes, à l’infinitif, à la seconde personne plurielle du présent indicatif et impératif, au participe passé :

confi-er, étudi-er, mari-er, appréci-er, étudi-ez, mari-ez, déli-é, alli-é.

On a encore : impi-étè, inqui-et, hardi-esse, matéri-el, essenti-el, et les autres mots de plus de 1 syllabe terminés en el.
xxxx Hier fut employé parfois en 1 syllabe, puis en 2 syllabes ; il est resté dissyllabique, au contraire de avant-hier où il est toujours compté pour 1 syllabe.

Ien (son approchant de celui de i-in ou i-en ; cf., plus haut, le son ian) est ordinairement monosyllabe dans les noms substantifs, les pronoms possessifs, les verbes et les adverbes, comme :

bien, chien, tien, mien, rien, je tiens, je viens, combien, appartient.

Quand il termine un nom-adjectif d’état, de profession ou de pays, ien est formé de 2 syllabes :

indi-en, grammairi-en, comédi-en, magici-en, etc.

De même, lien qui vient du verbe li-er est dissyllabique :

li-en.

Mais dans chrétien, ien est monosyllabe.

Iau forme toujours 2 syllabes :

mi-auler, besti-aux, impéri-aux.

Ieux est dissyllabique dans les adjectifs :

pl-eux, odi-eux, furi-eux ;


et monosyllabique dans :

cieux, dieu, épieu, essieu, lieu, lieu-tenant, mi-lieu, mieux, vieux, yeux, etc.

Io est composé de 2 syllabes :

vi-olon, vi-olence, di-ocèse, etc.,


sauf dans fio-le et pio-che, monosyllabes.

Ion forme diphtongue dans les premières personnes plurielles des verbes, où cette diphtongue n’a pas avant elle les lettres l ou r précédées d’une autre consonne :

ai-mions, sa-vions, sau-rions, sor-tions.

Dans le cas contraire, ion est dissyllabique :

voudri-ons, sembli-ons, promettri-ons, entri-ons, etc.

Ion est encore formé de 2 syllabes dans les premières personnes plurielles des verbes qui ont l’infinitif en ier :

étudi-ons, confi-ons, déli-ons, pari-ons,


dans :

ri-ons (de rire) ;
et dans les substantifs :
créati-on, religi-on, vocati-on, li-on, passi-on, etc.

Oe est monosyllabique :

poê-le, moel-le,


excepté dans :

po-ème, pp-ésie, po-ète.

Oi ne forme toujours que 1 syllabe :

roi, loi, emploi.

Oue (avec e fermé et e ouvert) forme 2 syllabes :

jou-et, lou-er, avou-é,


sauf dans :

fouet, fouet-ter.

Oin est toujours diphtongue :

coin, loin, té-moin, poin-te.

Oui (excepté dans l’adverbe oui, monosyllabe) est composé de 2 syllabes :

ou-ïr, éblou-ir, etc.

Ouin ne comporte que 1 syllabe :

ba-bouin, baragoui-ner, mar-souin, tin-touin.

Ua, ue (e ouvert ou e fermé), ueur sont toujours dissyllabiques :

attribu-er, conspu-é, du-el, effectu-é, mu-et, lu-eur, nu-ée, su-er, tu-er,


sauf dans écuelleuel est monosyllabe.

Ui (sauf dans rui-ne, rui-ner, brui-ne) ne comporte que 1 syllabe :

appui, dédui-re, fuir, construi-re, aigui-ser.

Uin est, de même, monosyllabique :

ar-le-quin, quin-tai-ne, quin-con-ce, quin-tal.

Y et ï ne forment 1 syllabe distincte que dans :

pa-y-san, ab-ba-ye, ha-ï, sto-ï-que ;

ils disparaissent dans :
pay-able, effray-ant, foy-er, moy-en, ci-toy-en, voy-ons,


et aussi dans :

voy-ions, voy-iez.

Non moins important que le paragraphe de la quantité syllabique des diphtongues, celui de l’élision et de l’e muet est, toutefois, moins complexe, car les règles qui le régissent paraissent appuyées sur des principes mieux définis.

24. Dans le corps d’un vers, à la fin d’un mot suivi d’un autre mot commençant par une voyelle ou par une h muette, l’e muet s’élide, ou, mieux, ne compte pas dans la mesure du vers :

xx1xxx2x3xx4x 5x6xxxxx7x8xxx9xxx10x11x12
C’est, dit-il, un cadavre ; ôtons-nous, car il sent.
x1xx 2xxxxx3xxx4xxxxx5xx 6xxx7xx8xx9xx10x 11x12
Un souffle, une ombre, un rien, tout lui donnait la fièvre.
xxxxxxx 1xx2xx3x4x5xxx6x7x8
Un soufLe mélancolique animal…
x1xx2x3x4xx5xx 6xx7xx8xx9x10x11x12
Cet animal est triste, et la crainte le ronge…

25. Une syllabe muette (e, es, ent), à la fin d’un vers, ne compte pas dans la mesure :

  1xx 2x3x 4xx 5xx6xx 7x 8x 9x 10x11x12
S’il dépendait de moi, je passerais ma vie
Mercures1xx2xx3xx4xx5xx6xx7xx8
MercureEn plus honnête compagnie.
MercureIl nous prend avec des tonnelles,
Nous loge avec des coqs et nous coupe les ailes.
Mercure en fit l’annonce, et gens se présentèrent,
MercureFirent des offres, écoutèrent.

26. Au milieu du vers, les syllabes muettes es, ent de fins de mots, même placées devant une voyelle ou une h muette du mot suivant, comptent dans la mesure :

  1xx 2xx 3xx4x5x 6x 7x 8xx9xx10xx11xx12
Grenouilles aussitôt de sauter dans les ondes
  1xx2xx3xx4xxx5xx6xx7x8xx9xx10x 11xx12
Ils conviennent du prix et se mettent en quête.

27. Toutefois, la syllabe muette ent des troisièmes personnes plurielles de l’imparfait de l’indicatif et du présent du conditionnel n’est jamais comptée :

  1xxx 2xxx3xx4x 5xxxx6xxx7xx8xx9xx10 11 12
Mes yeux ne voyaient plus, je ne pouvais parler.
Nos ennemis communs devraient nous réunir,
En vain ils s’uniraient pour lui faire la guerre.

28. Il en est de même, au pluriel du subjonctif, pour les auxiliaires qu’ils aient, qu’ils soient, et pour la deuxième personne du singulier que tu aies :

Que mille adorateurs, dans Sidon, autrefois
  1xxxx2xx3xx 4xx 5xx6xxxx7xxxx8xxx 9x10 11x 12
Aient brigué vainement l’honneur de votre choix,
Quelque rang où jadis soient montés mes aïeux.

29. Mais ces mêmes lettres ent doivent être comptées pour une syllabe au présent de l’indicatif et du subjonctif dans les verbes suivants :

pai-ent, voi-ent, emploi-ent, avou-ent, pri-ent.

30. Un certain nombre de mots de la langue française comportent un e muet intérieur :

remerci-e-ment, dévou-e-ment, gai-e-ment, fé-e-rie, etc.

Cet e muet est toujours précédé d’une voyelle simple ou composée qui l’absorbe par synérèse et l’empêche d’être prononcé. Il ne compte pas dans la mesure :

  1x 2xx3 4xx 5xx6xxx 7xxx8xx 9xx10x11x12
Notre style languit dans un remerciement.
Vos hôtes agréeront les soins qui leur sont dus.

Cette nullité de l’e muet intérieur (dont la prononciation ne tient aucun compte[5] et que, de nos jours, l’orthographe a cherché à remplacer, dans bon nombre de cas, par un accent circonflexe : gaîté) n’était pas encore nettement établie au xviie siècle. Précédé d’un y grec, l’e muet intérieur avait une valeur syllabique ; on en trouve plusieurs exemples dans les grammairiens de l’époque et même dans Molière (Don Garcie de Navarre, acte V, sc. vi) :

   1xxx2xx3xxx4xx5xxx6xx7xxx8x9x10 1 12
Mais je vous avouerai que cette gayeté.

Enfin, une dernière question reste à examiner, celle des licences, c’est-à-dire des permissions, des autorisations que prennent, que s’octroient si largement les poètes de déroger à certaines règles grammaticales ou orthographiques.
xxxx Quelques exemples suffiront, car il serait difficile, pour ne pas dire impossible, et surtout fastidieux, de dresser une liste même approximative des licences poétiques, variables d’ailleurs, avec chaque auteur. Il en est, au reste, un certain nombre qui n’ont aucun point de contact avec les règles typographiques et qui, à ce titre, n’intéressent que peu le compositeur, telles celles de l’inversion, du pléonasme, de l’anacoluthe[6], etc.

31. S est fréquemment retranché à la première personne du singulier du présent de l’indicatif de certains verbes et de leurs composés : voi, croi, reçoi, averti, etc.[7] :

 
Portez à votre père un cœur où j’entrevoi
Moins de respect pour lui que de haine pour moi.
Tantôt, cherchant la fin d’un vers que je construi,
Je trouve au coin d’un bois le mot qui m’avait fui.

Mais cette suppression n’est pas autorisée dans tous les verbes : elle ne l’est pas dans je puis, je suis, je fuis, je sens et dans beaucoup d’autres ; elle n’est non plus jamais autorisée à la deuxième personne du singulier et à l’impératif.

32. Certains noms propres perdent également leur s final : Apelle, Charle, Athène, Mycène, Versaille, Londre, etc.

33. Au contraire, pour éviter une élision gênante ou répondre aux exigences de la rime, un s peut être ajouté à la fin de quelques mots. Ainsi les poètes peuvent choisir entre certe et certes, grâce et grâces, guère et guères, jusqu’à et jusques à, naguère et naguères, etc.

34. Parfois, la lettre finale de certains mots disparaît : encor au lieu de encore, remord au lieu de remords.

35. En disparaissant ou en s’ajoutant, la dernière lettre oblige parfois à une modification de la voyelle précédente : pié au lieu de pied, bled au lieu de blé, dîné au lieu de dîner (Alf. de Musset, André del Sarto) :

A-t-on sonné déjà deux coups pour le dîné…

36. Le subjonctif présent du verbe dire prend à la première personne du singulier, au lieu de : que je dise, la forme : que je die.

37. Aie étant, au xviie siècle, dissyllabique, fréquemment la première personne du singulier du subjonctif présent du verbe avoir perdait son e muet final : que j’ai, au lieu de : que j’aie.

38. Tous les poètes classiques de la grande époque (Corneille, Racine, Molière, La Fontaine, etc.) emploient, à maintes reprises, pour la préposition avec, non point l’orthographe actuelle, mais l’ancienne forme augmentée d’une syllabe, avecque :

Après, ne me répondQuatre mots seulement ;
Après, ne me réponds qu’avecque cette épée.

39. Le nom commun amour, au singulier, est fréquemment employé avec le genre féminin :

Adieu : servons tous trois d’exemple à l’univers
De l’amour la plus tendre et la plus malheureuse.

Ce Dieu qui, nous aimant d’une amour infinie,
Voulut mourir pour nous avec ignominie.

40. D’ailleurs, sans raisons apparentes autres que les exigences de la mesure ou les nécessités de la rime, certains mots, au gré du poète, changent de genre ; la licence poétique n’est plus, dans ces cas, qu’une faute d’orthographe qu’il est nécessaire de tolérer.
xxxx Ainsi dans Agathocle (acte V, sc. iii), Voltaire emploie le nom argile au masculin :

L’argile par mes mains autrefois façonné
A produit sur mon front l’or qui m’a couronné… ;


et, après lui, Alfred de Musset répète (Poésies nouvelles : Sur une Morte) :

Elle aurait pleuré, si sa main,
Sur son cœur froidement posée,
Eût jamais dans l’argile humain
Senti la céleste rosée.

41. Jusqu’au xvie et même au xviie siècle, le participe présent prit l’accord du nombre[8]. La Fontaine, Racine, Boileau écrivent fort correctement, pour leur époque :

Ces rats qui, les livres rongeants,
Se font savants jusques aux dents…

Et les petits, en même temps
Voletants, se culebutants,
Délogèrent tous sans trompette…

Vaincus cent fois et cent fois suppliants,
En leur fureur de nouveau s’oubliants

42. Au xviie siècle, l’adverbe même prenait fréquemment la marque du pluriel (usage qui s’est conservé) et l’adjectif même était parfois invariable :

Que si mêmes un jour le lecteur gracieux.
Mais il est des mortels favorisés des dieux
Qui sont tout par eux-même et rien par leurs aïeux.

43. Une autre licence, rarement autorisée, mais que l’on rencontre cependant, est le non-accord du participe passé (accompagné de l’auxiliaire avoir) avec le nom ou pronom qui le précède :

Vous faire le récit de toutes les misères
Que durant notre enfance ont enduré nos pères.

44. L’orthographe elle-même (cette austère déesse si chère aux correcteurs !) n’est point, on le voit, à l’abri du caprice poétique. C’est ainsi encore que (dédaignant d’avoir recours à l’apostrophe) La Fontaine ne craint pas d’écrire :

C’étaient deux vrais tartufs, deux archipatelins,
Deux francs pattes-pelus, qui, des frais du voyage…

45. Au reste, nos anciens poètes, tels Ronsard, Malherbe, Régnier, etc., faisaient un fréquent usage de l’élision, non seulement quand l’e muet était précédé d’une voyelle, mais aussi d’une consonne :

Passant, je te suppli’ d’arrêter pour entendre…
Quitte-moi, je te pri’, je ne veux plus de toi…
xxxxxxxxA vu’ d’œil mon teint jaunissait…

On trouve fréquemment devant une consonne : jeunesscell’, ell’, hontmill’, pour celle, elle, etc.[9].

L’élision ne se bornait point exclusivement à la voyelle e ; elle affectait la plupart des voyelles et même parfois certaines syllabes : les poètes du moyen âge, de la Renaissance et même du siècle de Louis XIV écrivaient volontiers m’amie, m’amour, s’amour, s’elle, pour mon amour, mon amie, son amour, si elle :

Caquet bon bec, m’amie, adieu ! je n’ai que faire,


dit La Fontaine.

Après avoir usé de l’élision, nos chansonniers et poètes légers actuels en abusent, au point de n’être plus compréhensibles parfois.

46. Plus encore que dans la prose, en poésie l’ellipse (retranchement de certains termes nécessaires à la construction, mais inutiles au sens) donne à la phrase une allure vive, légère et aussi énergique et fière :

Le crime fait la honte, et non pas l’échafaud.

À cet exemple emprunté à Th. Corneille (Essex, IV, v) il faut joindre le suivant où l’absence d’une ellipse supposée obligerait à l’emploi du pluriel pour le verbe va (vont), enlevant ainsi au texte ce qui en fait le charme, la simplicité, la douceur et l’harmonie :

Je vais où va toute chose,
Où va la feuille de rose
Et la feuille de laurier.

47. La poésie présente de nombreux exemples de syllepse : accord, en genre et en nombre, d’un mot non avec celui auquel il se rapporte grammaticalement, mais avec celui que l’auteur a en vue :

Entre le pauvre et vous, vous prendrez Dieu pour juge,
Vous souvenant, mon fils, que, caché sous ce lin,
Comme eux vous fûtes pauvre, et comme eux orphelin…

Racine rapporte le mot eux non à pauvre qui est au singulier, mais à l’idée de pauvres, qu’il a en vue. — Voici un autre exemple, fort osé, de syllepse (de Musset, Premières Poésies : À quoi rêvent les jeunes filles) :

Pourquoi pas comme tous ? Leur étoile est guidée
Vers un astre inconnu qu’ils ont toujours rêvé :
Et la plupart de nous meurt sans l’avoir trouvé.

Le verbe meurt s’accorde ici avec le mot la plupart, alors que grammaticalement il devrait être employé au même nombre que le complément nous.


§ 1. — Vers libre


48. Les lignes qu’on vient de lire n’ont eu jusqu’ici pour objet que l’examen de la poésie régulière, et l’exposé qui précède n’a été que le résumé des règles généralement observées par les poètes auxquels le monde littéraire accorde le nom de classiques : Corneille, La Fontaine, Boileau, Molière, Racine, Voltaire, Florian, etc., etc.

Il est cependant nécessaire d’accorder, dans une courte note, l’honneur d’une simple mention au vers libre, mis en pratique de nos jours par certaine école prétendue rénovatrice[10].

Débarrassé des prescriptions gênantes et des répétitions d’une même forme fixe, un poème en vers libres ne se compose plus que d’une suite de vers aux mètres les plus divers, allant jusqu’à 13, 14 et même 15 syllabes :

MaiL’avenue comme un lit de fleuve aux berges plates
MaiEntre des pentes aux gazons tins et miroitants
MaiEt jusqu’aux bois, aux lignes là-bas, de mers lointaines
MaiEntre des arbres et des corbeilles écarlates,
MaiL’avenue, tel un cours de fleuve intermittent,
Roule et roule les sombres flots de ses ondes lumineuses.

À quelques poètes le vers libre est apparu comme le vers idéal, pouvant, sans fatigue pour le lecteur, sans gêne pour l’auteur, suivre la pensée dans ses manifestations et dans toutes ses transformations ; à leurs yeux il a paru se plier à toutes les souplesses voulues.

49. Les rimes sont indéfiniment variées et entrelacées sans aucun ordre, suivant les exigences du vers ou la fantaisie de l’auteur :

Du souffle versLa pie jacasse…
Du souffle versSa voix poursuit
Du souffle versLes flots passants
Du souffleDes groupes d’âmes basses,
Du souffleQui vont, qui vont, qui vont
Du souffle versDans tous les sens
Du souffle versatile et du mesquin esprit.
Du souffle versLa pie jacasse…

50. D’une manière générale, toutes les règles de la composition typographique proprement dite, qui seront exposées dans un instant, sont applicables aux vers libres.

Seules, quelques prescriptions particulières de mise en pages ne sauraient être mises en pratique, en raison de l’enchevêtrement indéfini des rimes.


§ 2. — Vers blancs


51. Peut-être, en terminant cet exposé préliminaire, est-il permis de dire quelques mots des vers blancs, que tentent d’acclimater en France certaines écoles décadentes désireuses de s’affranchir de toute règle poétique, et que l’on ne saurait en rien rapprocher, quoique leurs auteurs s’en réclament hautement, de nos épopées nationales du moyen âge.

52. De même que pour l’ancien vers héroïque (tel celui de la Chanson de Roland), dans le vers blanc « l’oreille doit se contenter de syllabes où tantôt les voyelles se ressemblent, mais non les articulations, et tantôt les articulations sont semblables, mais non les voyelles » (Littré).
xxxx La rime est remplacée par une sorte d’assonance ; la mesure du vers n’existe plus, et le nombre de pieds et de syllabes est à la fantaisie de chaque versificateur. La poésie est devenue prose rythmique, dont le texte tient souvent en une ligne seule, mais quelquefois, et par exception, en deux lignes :

Oh ! combien attrayante est la pensée de Dieu !
Comme elle est, capable d’arracher les cœurs à la terre,
de les rendre indifférents à tant de biens périssables,
de leur faire détester tant de joies coupables !

53. La grande capitale de chaque commencement de ligne est remplacée par une lettre bas de casse ; le renfoncement n’a jamais lieu, et le compositeur se borne à terminer par des cadrats les lignes dont le texte ne remplit pas entièrement la justification.

54. Lorsque le texte à composer ne tient pas dans la longueur de justification donnée, l’excédent du texte est, comme dans la composition régulière de la poésie, rejeté, suivant le blanc libre, dans la ligne de dessus ou dans celle de dessous et précédé d’un crochet ; si on ne peut recourir à l’un ou à l’autre de ces artifices, l’excédent de texte est ramené au début de la ligne et précédé de 1 cadratin (c’est alors une composition en sommaire) ; le reste de la ligne est rempli de cadrats.

55. Le texte qui suit, bien que ne réunissant pas toutes les conditions que nous venons d’énumérer, peut cependant être donné comme un exemple typique de vers blancs (P. Fort, Coxcombe ; Mercure de France, édit.) :

Chante au cœur du silence, ô rossignol caché ! Tout le
jardin de roses écoute et s’est penché !

L’aile du clair de lune à peine glisse-t-elle. Pas un souffle
en ces roses où chante Philomèle.

Pas un souffle en ces roses, dont le parfum s’accroît de ne
pouvoir jeter leur âme à cette voix !

Le chant du rossignol est, dans la nuit sereine, comme un
appel aux dieux de l’Ombre souterraine,

mais non, hélas ! aux roses dont le parfum s’accroît, de
ne pouvoir mourir, d’un souffle, à cette voix !…

Non seulement l’assonance, mais aussi la rime donnent à ce texte une allure poétique incontestable, et, comme pour compléter l’illusion, l’auteur a indiqué la séparation en strophes avec une ligne de blanc ; mais, au contraire de ce qui est dit ci-dessus, la composition est faite en alinéa ; les strophes commençant une phrase prennent seules à leur début la grande capitale.

56. La plupart — presque toutes, pourrait-on dire — des règles qui précèdent, ainsi que de celles qui suivent, ne sauraient — on le comprend aisément — être applicables à ces vers ; ils ne figurent dès lors ici qu’à titre documentaire.

  1. Bien que ces détails puissent paraître un peu oiseux, ils ne sont cependant pas inutiles, principalement pour la mise en pages, qui, suivant les cas, peut offrir des difficultés particulières.
  2. Quelques lecteurs estimeront sans doute que ces lignes vont à l’encontre de toutes les idées reçues et acclimatées dans le monde de l’imprimerie par les auteurs typographiques.
    xxxx Il semble bien cependant que cette définition soit la plus rationnelle ; elle est surtout conforme à l’étymologie et à la tradition :
    xxxx Dans la métrique grecque et latine, le vers héroïque, l’alexandrin, qui correspond à notre vers de 12 syllabes, est appelé hexamètre, ou vers de six mètres, de six mesures (pieds). Le pied de l’hexamètre ne pouvait comporter, soit obligatoirement, soit facultativement, plus de deux longues ou plus d’une longue et de deux brèves (deux brèves équivalant ainsi à une longue, et réciproquement) ; le total, des longues obtenu ne devait pas être alors supérieur à douze. On avait 6 mètres ou 6 pieds : 12 longues, d’où nous avons fait : 6 mètres ou 6 pieds : 12 syllabes.
    xxxx Au xvie siècle, les poètes de la Pléiade, particulièrement Jodelle et Baïf, qui tentèrent de transporter en français la métrique latine, copièrent servilement l’ordonnance de l’hexamètre latin, dont ils conservèrent soigneusement la désignation. Malgré l’échec de l’adaptation du rythme gréco-latin à notre poésie nationale, à laquelle le moyen âge avait déjà si fortement imprimé une empreinte personnelle, certaines caractéristiques du vers latin restèrent, que les siècles suivants ont détournées de leur signification primitive, ainsi que le constate Littré dans la préface de son Dictionnaire de la langue française : « … Le nom de pied qui, dans l’antiquité gréco-latine, désignait, entre autres, une certaine combinaison de syllabes, longues ou brèves, ne peut plus se dire qu’abusivement de chacune des syllabes qui le constituent (le vers). » — Et encore au mot Pied : « Terme de versification française. Un pied, 2 syllabes ; ainsi notre alexandrin qui a 12 syllabes est un vers de 6 pieds, et le vers de 7 syllabes est un vers de 3 pieds et demi. » — Aussi la plupart des traités de versification française emploient encore le mot pied dans son acception primitive.
  3. Le plus ancien traité de versification romane que l’on connaisse, Las Flors del Gay Saber, date de 1356. Il mentionne, sans aucune remarque, le vers endécasyllabe avec les deux césures facultatives.
  4. La césure en deux parties inégales produit dans ces mètres une allure en quelque sorte boiteuse. Ce fait, déjà signalé à propos de l’endécasyllabe, explique sans doute la défaveur qu’a montrée à l’égard des vers à césure inégale le public littéraire, défaveur qui n’est point nouvelle au reste, particulièrement pour les vers de 9 syllabes. Las Flors del Gay Saber, cité plus haut, parlant des ennéasyllabes, remarque qu’ « on n’en doit point faire, car ils n’ont point une consonance agréable, à moins qu’ils n’aient un repos avec consonance à la 5e ou 6e syllabe. Et encore, même avec cela, c’est à peine si leur cadence ne déplaît pas, excepté quand les rimes sont multipliées ». — Rapin, Jean Passerat, Baïf, Étienne Pasquier se sont essayés non sans succès au vers de 11 syllabes. — On attribue à Malherbe la facture, en mètres de 11 syllabes, d’une chanson délicieuse. — Scarron, Voltaire, puis Béranger, et, enfin, plus près de nous, Th. de Banville, dans le genre satirique, ont usé du vers de 11 syllabes. — Verlaine a tenté de rénover tous les vers de mètres impairs, notamment ceux de 9, 11 et aussi 13 syllabes. — Il n’est donc point inutile de les mentionner, au même titre que les vers de rythmes différents. Aussi faut-il s’étonner de la remarque de M. Jean Dumont, disant dans la deuxième édition de son Vade-Mecum du Typographe (p. 97) ; « Les vers de 11 et de 9 pieds sont inusités. »
  5. Autre que celui de la longueur de temps de prononciation.
  6. Une simple mention suffira pour l’hiatus : choc, difficulté de prononciation produite « par la rencontre, sans élision possible, de deux voyelles dont l’une finit un mot et dont l’autre commence le mot suivant » :

    Gardez qu’une voyelle à courir trop hâtée
    Ne soit d’une voyelle en son chemin heurtée

    On a peine à haïr ce qu’on a tant aimé ;
    Ô haine de Vénus ! Ô fatale colère !


    pour l’enjambement : coupure, à la fin d’un vers, de l’alliance intime de deux ou plusieurs mots, dont l’un, au moins, est renvoyé au vers suivant :

    Est-ce un frère ? Est-ce vous dont la témérité
    S’imagine… ? — Apaisez ce courroux emporté… ;


    et pour le rejet : continuation, dans un vers, d’une pensée commencée au vers suivant :

    Je répondrai, Madame, avec la liberté
    D’un soldat qui sait mal farder la vérité… ;


    et le compositeur connaîtra, dans leur généralité, les principales règles de versification française.

  7. En cela les poètes ne faisaient d’ailleurs que conserver l’ancienne orthographe.
  8. La langue romane venue directement du latin (par la transformation du latin populaire) eut, à l’instar de la langue latine, deux participes en ant :
    xxxx L’un, tiré du gérondif (amandi, d’aimer ; amando, à aimer ou en aimant ; umandum, pour aimer), fut, dès l’origine, constamment et naturellement invariable comme la forme latine dont il dérivait ;
    xxxx L’autre, issu du participe présent, suivit la règle des mots formés par les adjectifs latins de la 3e déclinaison et fut très régulièrement variable (même lorsqu’il était suivi d’un régime) quant au nombre, l’accord du genre fut plus rare, surtout en prose, et finit par disparaître.
    xxxx Le xvie siècle ne dérogea point à ces usages qui lui furent transmis par le moyen âge, et écrivit constamment : les hommes craignants Dieu. Au xviie siècle, une certaine hésitation se produisit entre la tradition et les distinctions nouvelles des grammairiens, notamment celles de Vaugelas dès 1647 ; mais tous les écrivains, Bossuet, La Rochefoucauld, Mme de Sévigné, Boileau, Racine, Molière, etc., pratiquent encore l’accord du nombre pour le participe présent. — La suppression de l’accord du genre finit cependant par entraîner celle de l’accord du nombre. En 1660, Arnault et Lancelot enseignaient, à Port-Royal, que dans les formes en ant il fallait distinguer un adjectif verbal déclinable (ou variable) et un participe présent indéclinable (ou invariable), principe que l’Académie consacra le 3 juin 1679, et qui, admis peu à peu par l’usage, est aujourd’hui, pour l’orthographe, une règle fondamentale. — Des anciennes règles nous faisons cependant encore application dans certaines expressions juridiques qui nous sont parvenues avec des participes présents variables en nombre et en genre : les ayants droit, les ayants cause, toute affaire cessante, cour séante à Paris.
    xxxx L’accord du participe présent ne figure donc ici au nombre des licences poétiques qu’à titre documentaire et faute d’une rubrique plus convenable où il puisse être placé.
  9. On ne saurait rapprocher cette élision de celle du mot grand, dans les noms composés où il figure : à grand’peine, grand’mère, grand’messe, grand’rue… — À notre différence, le vieux français, dès le xie siècle, disait et écrivait : mère grand, chère grand (où l’on ne peut trouver la place d’une élision ni d’une apostrophe) ; une foule d’adjectifs, même placés devant un nom féminin, s’employaient de la sorte d’une manière invariable, gentil femme, naturel franchise, coutume cruel, une plaine vert, à l’exemple du latin où les adjectifs gentilis (gentil), naturalis (naturel), grandis (grand), crudelis (cruel), viridis (vert), n’ont qu’une terminaison pour les deux genres. — Au xvie siècle, les grammairiens crurent que grand était une abréviation de grande et, transposant l’adjectif (grand mère, grand rue, grand peine), ils lui adjoignirent une apostrophe (grand’mère) pour indiquer la suppression d’un e muet qui, en réalité, n’avait jamais existé.
  10. Il ne saurait nullement être question ici d’assimiler le vers libre, tel que l’entendit le xixe siècle, au vers libre tel que le pratiquèrent nos grands poètes du siècle de Louis XIV. — À cette époque, on appelait vers libres les vers dans lesquels on entremêlait différentes mesures ; les rimes étaient croisées, parfois redoublées. Les exemples les plus typiques et les plus remarquables que l’on puisse citer dans ce genre sont les Fables de La Fontaine et les chœurs d’Esther et d’Athalie de Racine. On voit qu’il y a loin de cette irrégularité régulière, à laquelle la liberté d’allure ajoute un charme nouveau, aux réformes prétendues novatrices de nos modernistes.