Le Correcteur typographe (Brossard)/volume 2/30/11

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Imprimerie de Chatelaudren (2p. 815-821).


XI

VIGNETTES ET FILETS


Les vignettes et les filets sont non seulement des motifs d’ornementation, mais aussi des signes typographiques utilisés soit au début ou au cours, comme en fin de la composition, soit en tête des pages, soit encore pour séparer les titres des diverses divisions d’un volume.

Il semble que, de tous temps, le typographe ait cherché à donner à la matière parfois un peu aride du manuscrit dont la composition lui était confiée un aspect agréable, plaisant, par l’emploi d’ornements dont, aux premiers âges de l’imprimerie, les graveurs et les fondeurs même les plus célèbres créèrent les types. Ces ornements, d’ailleurs, devaient, et par leur forme et par leur genre, varier avec le style des temps et, suivant J’opinion de Frey[1], être parfois entièrement négligés.
xxxx De nos jours les filets sont fondus soit un plomb, soit en cuivre ; ils sont livrés, par les Fonderies, selon les types, sur justifications systématiques, ou en lames, de 1 mètre et de 0m,50, susceptibles d’êtres coupées par le compositeur suivant ses besoins.
xxxx L’œil peut se trouver au milieu du corps ou être reporté d’un côté, lorsque le type de filet le permet ; l’imprimeur doit donc, pour ses commandes, toujours spécifier, d’après les catalogues, le numéro du filet dont il a besoin.

1. Les filets sont fondus, au point de vue corps, souvent en proportion de l’œil, de l’approche et aussi de la résistance aux efforts de la presse que nécessite leur gravure :

a) La plus petite force de corps du filet maigre fondu sur matière paraît devoir être de 1 point ; fondu sur cuivre, de 1/2 point. L’épaisseur augmente de 1 point à 1 point et demi, puis à 2 points, à 3 points, à 6 points, à 9 points, à 12 points, à 18 points, à 24 points, etc. :


Filet maigre

b) Les forces de corps des autres types de filets sont proportionnelles aux types envisagés, qui sont nombreux :
xxxx Quart gras, c’est-à-dire dont l’œil occuperait, en théorie, un quart du corps sur lequel il est fondu :

Filet quart gras

2° Demi-gras, l’œil étant, par définition, égal à la moitié du corps sur lequel le-filet est fondu :

Filet demi-gras

Mat, le filet gravé sur toute l’épaisseur du corps et portant alors la dénomination de mat 3 points, mat 6 points, etc. :

Filet mat

Pointillé, constitué par une série de points juxtaposés, dont toutefois l’approche et l’œil diffèrent selon le corps et aussi suivant les fondeurs :

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Filet pointillé

Ondulé, dont l’œil est composé de sinuosités régulières plus ou moins accentuées suivant la force de corps ; le filet ondulé peut être maigre, quart gras, demi-gras, mat. Suivant la force de corps, il est composé d’un ou de plusieurs filets dont l’œil est en rapport avec la force de corps et le type du genre d’ornement auquel il appartient ;
xxxx Tremblé, d’une forme qui le fait proche parent du précédent, dans la catégorie duquel nombre d’auteurs le classent sans distinction spéciale :

Filet tremblé

Toutes ces catégories sont généralement combinées entre elles pour former des genres fort différents. On a ainsi les filets :
xxxx Double maigre, appelé aussi gouttière, fondu sur 2 points, 3 points, 6 points, avec œil dont l’approche, calculée d’après la force de corps sur lequel le filet est fondu, est fort variable suivant les fondeurs et souvent chez un même fondeur :

Filet double maigre

Cadre, constitué d’un filet maigre et d’un filet gras, soit 3 points, soit 6 points, etc. ; dans ce cas encore, le gras est d’œil variable, comme l’approche existant entre le maigre et le gras :

Filet cadre

Triple, composé d’un filet maigre, d’un filet gras, puis enfin d’un filet maigre, ou d’un filet gras, d’un filet maigre et encore d’un filet gras, le tout fondu sur 6, 9, 12 points, etc., avec œils et approche différents suivant les fonderies :

Filet triple

Ombré ou azuré, comprenant une série de filets maigres ; le nombre de ceux-ci varie avec la force de corps sur laquelle l’azuré est fondu : 6 points, 9 points, 12 points, etc. ; et son approche est différente d’après chaque fondeur :

Filet ombré ou azuré

Anglais, auquel on donne plus couramment et indistinctement le nom de couïllard ; le filet anglais a des formes multiples, chaque fonderie s’étant constitué à elle-même un stock considérable très divers comme œil, forme, longueur systématique et force de corps :

Filet anglais

Orné, dont la forme, le dessin, l’œil et la force de corps n’ont de limites que l’imagination des artistes, des fondeurs et aussi des typographes :

Filet orné

2. Les emplois des divers types de filets sont nombreux ; il est impossible d’assigner une limite bien définie aux circonstances dans lesquelles on doit les utiliser. Toutefois, on peut donner la classification suivante :

a) Le filet maigre sert, pour l’arithmétique, l’algèbre, la physique, la chimie, dans les indications d’opérations à effectuer : total, fractions, divisions, etc. ;

b) Parfois, le total d’une opération (addition ou soustraction) est suivi d’un filet cadre ;

c) Dans les tableaux, de manière générale, le compositeur suit les règles suivantes :
xxxx 1° Le texte du tableau est enfermé entre des filets cadre 3 points ou 6 points, suivant le format du volume ou du travail ;
xxxx 2° Chaque colonne est séparée de celles qui l’avoisinent par un filet maigre, dont la force de corps — 1 point, 2 points, 3 points, rarement 6 points — est choisie par le typographe d’après les exigences et la nature du travail, comme aussi d’après la clarté à donner au texte ;
xxxx 3° Lorsque plusieurs colonnes dépendent étroitement, l’une de l’autre en raison du texte d’une tête générale chevauchant ces colonnes, le typographe se sert, pour séparer ces dernières d’avec les colonnes indépendantes, du filet double maigre ; à l’intérieur de la tête générale, il utilise le filet maigre ou, s’il existe un certain nombre de colonnes secondaires dépendant encore les unes des autres, le filet quart gras pour marquer les subdivisions, puis le filet maigre pour les colonnes isolées ;
xxxx 4° Le filet demi-gras remplace parfois le filet quart gras ;
xxxx 5° Au lieu du filet de cadre, pour l’encadrement des tableaux, on se sert encore du filet maigre, du filet quart gras et aussi du filet demi-gras ; mais cette habitude résulte de conventions spéciales ou de demandes de la clientèle, rarement du matériel dont dispose le maître imprimeur ;

d) Tous les genres de filets énumérés précédemment — à l’exception des filets ombré ou azuré, anglais et orné — sont utilisés pour souligner dans les annonces, les avis, les affiches, etc., le texte sur lequel l’auteur ou le client désire appeler l’attention du lecteur ;

e) Les filets ondulés et tremblés se rencontrent surtout dans les catalogues où ils soulignent, de concurrence avec les filets gras, les termes formant titres ou indiquant les spécialités recommandées.
xxxx Ce type de filets se voit également dans les volumes où les pages de texte sont toutes encadrées : il possède plus de légèreté que le filet gras ou le filet de cadre et est d’aspect plus agréable que le filet maigre ou double maigre ;

f) Le filet ombré ou azuré est destiné à recevoir l’inscription d’un numéro d’ordre, d’un nombre en chiffres ou encore l’énoncé en toutes lettres d’une somme portée sur un effet de commerce ou sur un mandat ; son but est de s’opposer au grattage du texte ou des chiffres ;

g) Les filets anglais ou ornés s’emploient dans toutes les espèces de travaux et pour des fins aussi nombreuses que sont différents leurs types[2].

3. Les filets maigres séparent les notes du texte, qu’ils soient employés sur la justification entière ou simplement sur une fraction de celle-ci.
xxxx Ces mêmes filets séparent le texte lorsque la composition a lieu sur plusieurs colonnes[3].

4. Les filets accompagnent la composition des folios ou titres courants[4] et séparent du texte les titres constituant les divisions du volume.

5. Les filets anglais ou ornés, comportant une partie éclairée et une partie pleine, se placent la partie pleine en bas.

6. Les filets cadre, utilisés pour l’encadrement des tableaux, s’emploient le gras à l’extérieur.

7. Les filets cadre isolés se mettent le gras en dessous.

8. Les filets dont on se sert dans les diverses divisions ou coupures d’un volume doivent être uniformes et de force décroissante de la division la plus importante à la subdivision la plus faible [5].

9. Comme les filets anglais et cadre, les vignettes ayant une partie pleine et une partie éclairée s’emploient la partie pleine en bas, à moins que le dessin — ce qui est exceptionnel — n’exige une disposition différente.

10. Le typographe exécutant, à l’aide de filets ou de vignettes, une composition fantaisie, évitera — même sous prétexte de style moderne — un mélange de types qui serait une faute de goût.

  1. Pour l’édification du lecteur, il parait, utile de rapporter ici ce que, dans le Nouveau Manuel complet de Typographie (édition de 1857), Bouchez, peut-être après Frey, disait des vignettes de son époque :
    xxxx « Avant Fournier le jeune, la vignette mobile était très défectueuse, et c’est à ce célèbre typographe (1764) que sont dus les premiers perfectionnements qu’elle a reçus. En fondant sans talus et sur des épaisseurs déterminées celles de son invention, il déchargea le compositeur du soin d’opérer les jonctions. — Les frères Gando, Jean-Pierre Fournier, Philippe Grandjean et Louis de Sanlecque, Joseph Gellé, Vibert, Frnnçois-Ambroise et Pierre-François Didot, ces célèbres graveurs qui, au xviiie siècle, jetèrent sur la typographie un si brillant éclat, nous ont aussi laissé de beaux types en ce genre. — Mais depuis 1789 l’ornementation des livres fut complètement négligée, jusqu’à ce qu’en l’année 1820 elle devint une mode, c’est presque dire une fureur.
    xxxx Parmi les artistes qui de nos jours se sont particulièrement distingués dans la gravure des vignettes, on doit citer MM. Didot, Molé, Laurent et de Berny, Petibon : tous entrèrent dans la voie de perfectionnement qu’avait ouverte devant eux leur confrère M. Laboulaye par l’importation des vignettes allemandes, dont la gravure aux fines hachures devait stimuler le talent de si dignes rivaux. — Bientôt M. Garnier se distingua par une combinaison nouvelle, et ses cadrats prismatiques produisirent une heureuse innovation dans cette partie de l’art du fondeur.
    xxxx En 1849, M. C. Derriey publia un spécimen de vignettes combinées avec des cadrats tournants, dont on a pu dire sans exagération : « D’un dessin riche et moderne, ces vignettes offrent de nouvelles combinaisons et une collection de traits élégants qui permettent au compositeur de rivaliser avec le crayon capricieux et hardi du lithographe. »
    xxxx Notre auteur condamnait les portiques, colonnades et autres dispositions de vignettes pour l’agencement desquelles M. Brun conseille de se conformer aux principes architectoniques de Vignole (V. Cadre). L’abus de ce genre d’ornementation est peut-être allé jusqu’au ridicule ; mais, pour avoir été maladroitement mises en œuvre, les jolies vignettes de M. Petibon ne méritent certes pas la réprobation : artistement combinées, elles reproduisent tous les membres de l’architecture religieuse : frises, entablements, clefs de voûte à pendentifs, colonnades, niches à saints, avec une précision telle que les gens les plus méticuleux s’en accommodent volontiers. — On peut en dire autant des vignettes rocailles, vignettes gothiques, arabesques, etc., des spécimens de M. Battenberg, remarquables surtout par leur élégante légèreté. — Les spécimens
    de MM. Renaud et Robeis offrent également à la typographie ornementale de précieux matériaux.
    xxxx Imprimées sans encre, dit M. Brun, les vignettes camées (fond noir) font l’effet d’une gaufre ou d’un timbre sec ; quand on sait les assortir avec goût et les faire tomber bien en registre, dans d’autres vignettes tirées à l’encre noire ou en couleurs, elles produisent un effet des plus gracieux. — Pour les bien faire venir, il faut mettre sur le tympan, entre deux marges, un morceau de cuir ramoiti, et, tirer ferme. La carte ou le papier seront un peu plus trempés que pour un tirage ordinaire. »
    xxxx On peut maintenant faire remarquer que, depuis et peut-être comme conséquence de l’Exposition des Arts décoratifs de 1925, un style prétendu nouveau s’est établi en l’imprimerie comme en diverses autres branches des arts. Ce style utilise la vignette ronde, carrée, triangulaire ou d’autre sorte, forte et épaisse, ainsi que le filet dans toutes ses formes, dans tous ses types gras et demi-gras, — avec une impression en couleurs, jaune, rouge ou bleue, qui atténue leur lourdeur en leur donnant parfois un cachet de réelle originalité. Mais on peut songer que certains des fondeurs et des typographes nommés ici par Bouchez pourraient volontiers se prétendre les ancêtres de ce style renouvelé des arts antiques.
  2. Voir page 184.
  3. Voir page 148.
  4. Voir page 149.
  5. Théotiste Lefevre indique à ce sujet des prescriptions qui ne sont plus observées, lorsqu’il écrit : « Le chapitre prendra le filet simple ; le livre, le filet double maigre ; et la partie, un filet tremblé. Si l’ouvrage a des notes séparées par le filet maigre, le chapitre prend le double maigre ; le livre, le tremblé ; et la partie, une vignette légère, mais supérieure d’œil au tremblé. » (Guide pratique du Compositeur et de l’Imprimeur typographes, p.. 96, § 89.)