Le Corset (1905)/07
CHAPITRE VII
[modifier]Après la mort d'Henri III le dernier des Valois tué par-le couteau d'un moine fanatique, Henri de Navarre, ayant abjuré la religion protestante, devint roi de France, sous le nom de Henri IV (1589-1598).
La paix étant assurée au dedans comme au dehors, tant par le traité de Vervins que par l'Edit de Nantes, Henri IV s'occupa de rétablir la prospérité dans son royaume ruiné par la guerre civile.
De son admirable et juste administration, je ne retiendrai, au point de vue qui m'occupe, que les édits somp-tuaires qu'il lança en 1601 et en 1606, et dont je cite quelques lignes : nous défendons expressément à tous nos sujets de quelque qualité ou condition qu'ils puissent être, dans tous lieux et terres de notre obéissance, de porter or ni argent, ni excès d'étoffes sur leurs habits de quelque manière et sous quelque prétexte que ce soit, excepté cependant aux femmes de joie et aux filous, en qui nous ne prenons pas assez d'intérêt pour leur faire l'honneur de donner notre attention à leur conduite.
Mais, si le luxe fut pour un temps moins opulent, la mode n'en fut pas moins ridicule.
Le corset prit un aspect véritablement grotesque, il reçut les noms de panse, fausse panse, panseron. Moins serré à la taille, il était fortement busqué par le bas en avant, si bien que hommes et femmes ne paraissent distingués que s'ils ont gros ventre, que toutes les femmes semblent enceintes et que les ventres postiches sont parfois indispensables.Sur le point de disparaître à la fin du règne de Henri IV cette fausse panse devint encore plus volumineuse et de saillie plus prononcée. Marie de Médicis est toujours représentée sur ses portraits avec cet attribut disgracieux accompagné du vertiïgadin qui, avant de se transformer en paniers, prit des proportions exorbitantes. (E. Léoty). La vertugade est en effet toujours de mode ; elle fait bouffer « en coupole » les jupes sur un large cerceau suspendu autour de la taille. Quant au corsage, il était plus serré que jamais et faisait l'effet, dit Quicherat, d'un cône tenu en équilibre sur sa pointe. Malgré sa vogue, le vertugadin avait des adversaires et l'un d'eux le ridiculise ainsi dans le discours sur la mode (1613) :
- Le grand Vertugadin est commun aux Françoises
- Dont usent maintenant librement les bourgeoises.
- Tout de mesure que font les dames, si ce n'est
- Qu'avec un plus petit la bourgeoise paraît;
- Car les dames en sont pas bien accomodees
- Si leur vertugadin n'est large, dix coudées.
Et en 1619, le Parlement d'Aix dut rendre obligatoires par un arrêté toutes les ordonnances antérieures contre l'emploi de cet attribut disgracieux, force fut alors aux femmes d'obéir à la loi.
Le lecteur a remarqué certainement que pour faire l'histoire du corset, j'ai depuis le début de la troisième période suivi pas à pas ce vêtement dans ses transformations à travers les diverses époques de notre histoire nationale Il m'a paru plus simple d'en user ainsi, car notre pays donnant si souvent et si loin ce qu'en matière de mode on appelle le ton, on peut dire que faire l'histoire du corset en France c'est le plus souvent faire l'histoire de ce vêtement chez tous les peuples civilisés.
Il ne faudrait donc pas croire que le corset ou que les vêtements en tenant lieu, que j'ai décrits précédemment, constituaient des modes propres à notre seule patrie, car le costume s'est rapidement unifié dans l'Europe occidentale.
C'est ainsi que je reproduis ici d'une part le portrait d'unjeune gentilhomme français du temps de Charles IX et d'autre part, celui d'une courtisane vénitienne à la fin du XVIe siècle.Homme et femme sont représentés l'un et l'autre avec la panse alors si fort en vogue.
Toutefois la reproduction du costume vénitien est en cela particulièrement intéressante qu'elle nous montre l'apparence extérieure et les parties cachées du même costume. Cet exemple est emprunté à Pétri Bertelli, le premier peut-être qui ait imaginé un moyen de démonstration spéciale consistant à exposer en feuillets superposés, les diverses pièces d'un costume comprises sous l'habillement de dessus d'une figure unique. Ce moyen de démonstration permet de se rendre très bien compte de la double supercherie que présente le costume que je reproduis : allongement et développement extrême du buste d’une part, d’autre part augmentation de la stature du sujet. Le premier .point seul nous intéresse. On voit que « le corsage n’a plus eu pour objet de marquer la taille plus ou moins haut avec plus ou moins d’étroitesse, mais bien d’en dissimuler la véritable place et d’en créer une nouvelle beaucoup plus bas que la naturelle. Usant du plastron en saillie, du panseron porté par les hommes enleur pourpoint, appareil « rebondy, estoffé comme un bast de mulet à coffres » ainsi que le décrit Blaise de Vigenère, bosse allongée avec laquelle on se procurait une belle panse, un des desiderata de l’époque, les femmes firent leur corsage, qui était un pourpoint, si long qu’il comprenait la naissance des hanches et marquait sur le côté la taille à cette hauteur…… »La réforme du costume français, déjà très nette sous Henri IV, s’accentue davantage sous le règne de Louis XIII, qui publia en 1620, 1629, 1634, divers édits somptuaires, non pour réformer le luxe de la toilette mais afin de remettre en faveur les produits de l’industrie nationale et afin de retenir dans le royaume l’argent que les folies de la mode faisaient passer à l’étranger. Le corset lui aussi se modifia à cette époque, car les corps à baleine reprirent leur aspect primitif après la mort de Marie de Médicis. On aura une idée exacte deila transformation de la mode en examinant la toilette de Christine de France, fille de Henri IV et de Marie de Médicis, et le costume de Françoise Bertaud, dame Langlois de Motteville.
Christine porte un justaucorps de couleur jonquille,
brodé d'or enrichi de pierres précieuses et une robe également jonquille ; le justaucorps est remarquable par sa forme et s'applique sur le buste sans que la taille soit marquée et il présente au bas de ses basques des échancrures profondes, il ressemble presque à une armature.Françoise Bertaud a une robe de dessus en velours noir, la jupe de dessous est de damas blanc ; le corset à basques découpées et de damas blanc orné de passements laqué rosé, avec des dessins d'or.....»
Une gravure signée Le Blond excudit et reproduite ici permet de mieux juger encore de ce qu'était alors la forme du corset. Cette gravure représente « une dame en train de passer sa chevelure au petit fer : elle est en corset et en mari-ches de chemise, ses seins étroitement rapprochés, sont découverts.... »
Au XVIIe siècle, le corset était devenu plus que jamais d'un emploi général.
Suivant les pays, la forme du corps, du corsage, du corset variait quelque peu, tantôt retardant sur la mode française, tantôt marchant avec elle, mais la façon et surtout les ornements dont on le revêtait variaient beaucoupsuivant les diverses classes de la société. J'ai, pour établir cette universalité de la mode et cette diversité des modèles, rapproché quatre figures de l'époque.La première représente des paysannes françaises d'après Stella; la deuxième, une noble bénédictine de Bourbourg en habit ordinaire dans la maison, d'après les ouvrages du père Hélyot de Schoonebeck et de Bar, sur les costumes religieux et militaires.
La troisième représente une femme d'Augsbourg, d'après des gravures du temps ; la quatrième, la femme du Lord-Maire de Londres, en 1649, d'après l'Ornatus muliébris anglicanus de Hollar.
- Puis nous livrant l'assaut vous laschez vos boutons
- Afin de nous montrer vos estranquez tétons,
- Que vous faites enfler au moyen d'une sangle.
En France, à cette époque, la femme de qualité portait naturellement, elle aussi, le corset.
A la mort de Louis XIII, Anne d'Autriche s'étant fait nommer régente avec un pouvoir absolu, donna-toute sa confiance au ministre étranger, Mazarin. Celui-ci, en 1644 et en 1656, rendit des édits contre les passementeries et les accessoires de la toilette féminine,et Louis XIV lui-même, vers 1664, peu après le début de son gouvernement personnel, renouvela ces décrets.
Néanmoins le costume fut, tant pour les hommes que pour les femmes, d'une richesse extrême et le corset figurait au nombre des accessoires indispensables de la toilette
des grandes dames de l'entourage de Louis XIV qui pendant quarante années, de 1660 à 1700, fit de Versailles une cour dont l'éclat n'avait pas d'égal en Europe.
C'est ainsi que nous voyons dans les œuvres dues au talent de J.-B. de Saint-Jean, le fin portraitiste qui traça les effigies en pied des gens de la cour, « une femme de qualité, en déshabillé, sortant du lit ». La scène se passe dans le grand appartement, la dame est en robe de chambre, en ju-- ...un riche corset,
- Entrouvert par devant à l'aide d'un lacet,
- ...il rend la taille et moins belle et moins fine.
- . . . . . . . . . . .
- Un beau nœud de brillants dont le sein est saisi
- S'appelle un boute-en-train ou bien un tatez-y.
C'est sous Louis XIV que réapparaissent les robes fermées, justes-au-corps. Le juste-au-corps est une sorte de corsage finissant en pointe, bombé à partir du creux de l'estomac au moyen de baleines et cambré par un buse sur le ventre.
L'usage du corset est à cette époque encore affirmé par une lettre de Mme de Sévigné, qui écrit le 6 mai 1676 : « Il faut lui mettre un petit corps un peu dur qui lui tienne la taille ».
De plus, on ne se contentait pas de faire porter aux jeunes filles des corps bien roides lacés devant et derrière, on leur infligeait un collier de fer recouvert de veloursnoir, sorte de minerve chirurgicale, pour redresser la tête. Il fallait, du reste, une certaine résistance à ces corps qui étaient appelés à supporter les trois jupes des femmes ; celle de dessus, la modeste ; celle de dessous, la secrète ; celle du milieu, la friponne.Avec Mme de Montespan (1641-1707), le corset tend à disparaître, les robes ballantes imaginées par la favorite royale pour dissimuler ses nombreuses grossesses, deviennent à la mode. Elles étaient dénuées de ceinture et flottaient sur le corps ; de là leur autre nom, de flottantes, on leur donnait encore l'appellation euphémique d'innocentes. Boursault en parle dans sa comédie des Mots à la Mode (1694) :
- Une robe de chambre étalée amplement
- Qui n'a point de ceinture et va nonchalemment
- Pour certain air d'enfant qu'elle donne au visage
- Est nommée innocente et c'est d'un bel usage.
Mais, dès que la Montespan fut en disgrâce, le corset réapparut ; Mme de Maintenon (1635-1719), n'avait pas les mêmes raisons pour n'en pas vouloir.
Dans un recueil finement enluminé, appartenant à M, Avigneur, de Lille, se trouvent des documents des plus exacts, retraçant avec le plus grand détail le costume à la mode à cette époque, ce sont des portraits dus à H. Bonnart, Trouvain, Mariette, Berey, etc., qui en faisaient alors un grand commerce.
Ces publications précédaient les journaux de mode et en tenaient lieu. C'est d'après ces documents que j'ai fait reproduire ici le portrait de Charlotte, landgravine de Hesse-Cassel, reine de Danemark ; elle porte un costume qui est sans contredit de la meilleure manière de ceux mis à la mode sous le règne de Mme de Maintenon ; le bonnet à la Fontange, ses engageantes ou larges manchettes de lingerie, son manteau troussé et sa gourgandine sont garnis de dentelles. Malgré la sévérité affectée par Mme de Maintenon la toilette des femmes resta somptueuse, variée à l'infini, couverte de dentelles et de broderies ; la chemise apparaissait au haut du corsage, et le corset, suivant le caprice, était ouvert ou fermé. Du même recueil que je viens de citer j'extrais le portrait de Madame la comtesse de Mailly, elleporte la gourgandine, et le portrait de Madame la comtesse de Conti, vêtue d'un corset fermé.On ne s'étonnera pas de la richesse de ces costumes, car « Louis XIV, élève de Colbert protecteur de nos industries nationales, donnait le ton de la mode en adoptant tel drap, telle dentelle, telle soierie, tel parement. Cette protection fut si efficace, que non seulement elle soutint en France des industries qui se fondaient, mais qu'elle les y rendit prospères, grâce aux exportations qui résultèrent de l'extension du goût français en Europe. » Le luxe était immense à la cour et la même recherche présidait à toutes les parties du costume, je n'en veux pour preuve que le corset reproduit ici. C'est un magnifique corset Louis XIV, en satin brodé de fleurs en chenille et or ; il appartient à Mme Fulgence (fig. 67).
Le corset qui suit contraste avec la richesse du précédent, mais il démontre l'universalité de la mode : c'est un corset hongrois du XVIIe siècle, il fait partie du Musée de Budapest.
Ces deux types furent envoyés, en 1892, à l'Exposition des Arts de la femme, au Palais de l'Industrie.
Sous Louis XV (1715-1774), la mode des paniers régna en maîtresse. L'origine des paniers, dit Quicherat, est obscure comme toutes; les origines. Ils furent d'importation anglaise suivant les uns, allemande suivant les autres et une troisième opinion les fait venir du théâtre où les héroïnes de tragédie avaient conservé la tradition du vertugadin ». C'est vers 1718 que la mode s'en répandit en France.
Le panier était une espèce de moule composé de cercles ou de cerceaux en baleine, en jonc ou en bois léger rattachés ensemble par des rubans ou du filet fabriqué, dit le Nouvelliste Universel de 1724. sur le modèle des cages à poulets. D'Alembert, dans l'Encyclopédie, les décrit ainsi : c'était une espèce de jupon fait de toile cousue sur des cerceaux de baleine, placés les uns au-dessus des autres, de façon que celui du bas était le plus étendu et que les autres al-laient en diminuant à mesure qu'ils s'approchaient du milieu du corps. Ces cerceaux étaient généralement au nombre de cinq ; il y en avait huit dans les paniers dits à l'anglaise. Le prémier, par la manie qu’on avait de baptiser toute chose s’appelait le traquenard. Ces paniers étaient d’autant plusvastes que le corsage était plus serré ; là encore les femmes ne voulurent pas lutter contre la mode ; elles se rattrapèrent, il est vrai, sur le décolleté de ces corsages dont l'ampleur devait les tenir plus à l'aise (L. Roger-Miles).Plus tard, ces paniers furent faits d'une toile formant jupon, sur laquelle on cousait simplement les cerceaux de baleine ; Mlle Margot se fit, à cette époque, une spécialité de cette fabrication.
« Avec ces paniers, on portait un corsage ouvert, rappelant toujours, dans sa raideur, l'ancienne gourgandine. »
Pour faire valoir le contraste entre ces paniers démesurément larges et la partie supérieure du buste, le corset très résistant était en plus très serré. Echancré sur les hanches, il était lacé par derrière et muni devant d'un buse quelquefois en bois, plus souvent en fer et descendant très bas.
L'usage des baleines dans les corsets devint de plus en plus général et la consommation qui s'en fit, à cette époque, pour les corps et les paniers, fut si considérable, que les États généraux des Pays-Bas autorisèrent en juin 1722, un emprunt de 600.000 florins afin « de soutenir la campagne formée dans l'Ost Prise pour la pêche de la baleine dont le commerce s'étend chaque jour par la consommation ordinaire des fanons de baleine ». Cette consommation devait, en effet, être excessive, s’il est vrai que l’on vit mettre jusqu’à 104 baleines dans un même corset.
À cette époque où la mode s’épuise en variations sur le thème ingrat du corsage baleiné, de la robe à dos flottant, du panier à large envergure, du soulier à haut talon ; alors que la forme du corps humain disparaît sous un ajustement de plus en plus chiffonné et confus et que, pour le dire comme M. Quicherat, il semble que cette forme n’existe pas, on est heureux de rencontrer, sans le dévergondage trop habituel, une portraiture propre à faire ressortir la nature corporelle, la complexion de la femme, telle que la voulait la mode en plein cœur du XVIIIe siècle. C’est à Baudouin, gendre de Boucher, l’un des peintres de l’époque qui, comme le disent MM. de Goncourt « avait l’indécence bien apprise » que nous devons la bonne fortune de cette rencontre.
Dans la scène que nous représentons -— La Toilette — presque naïve lorsqu’on se reporte à l’époque, cet artiste agréable s’est élevé jusqu’à la véritable peinture des mœurs. Lu jeune femme se fait habiller pour la sortie ou le dîner... une fille de chambre ajuste le corps échancré, serré des deux côtés, lacé dans le dos. La dame, qui se contemple dans l'éclat de son décolleté,est une créature de formes élégantes ; mais l'opulence de son buste est un adroit mensonge, car cette femme n'a pas plus les seins de la maternité que ne les avait naturellement la Pompadour. Le corsage est long, de ceux qui, avec l'ample panier (encore sous le rideau du porte-manteau) donnaient au corps fluet l'aspect d'un oranger en caisse... Dans un coffre ouvert, on aperçoit les nombreuses fanfioles de la toilette. (Racinet).
Si la belle s'admire en se disant : « Me voilà telle que la nature m'a faite » elle se trompe ; elle est aussi près de la simplicité primitive que la petite chienne assise à ses pieds ; aussi est-ce bien faussement que le chevalier de Nisard, écrivait, en 1727, dans une satire sur les cerceaux, paniers, criardes, et manteaux volans des femmes et sur leurs autres ajustements :
- Est-il rien plus beau qu'un corset
- Qui naturellement figure,
- Et qui montre comme on est fait
- Dans le moule de la nature. Le ravissant tableau : L'essai du corset, par P.-A. Wille 1798-1815 est aussi un gracieux démenti aux vers qui précèdent.
Un portrait peint par Nattier et reproduit ici, constitue aussi un document des plus intéressants de cette époque, 1720 à 1725.
« La coiffure est un véritable caprice, mais la robe d'un satin uni, sans garniture, est de coupure historique ; ainsi que la fine collerette et l'ouverture de la robe où la rigueur du corset est dissimulée sous la lingerie sans apprêt ».
Le port du corset était de rigueur non seulement pour les femmes adultes, mais aussi pour les enfants. C'est ainsi que sur une des gravures que Lépicié et Lebas ont exécutées d'après les tableaux de Chardin, nous voyons une toute jeune fille « vêtue d'une fausse robe à queue, dont le corps ou corsage consiste en un appareil en forme de gaine qu'un antique usage avait consacré comme une chose indispensable pour empêcher la taille de se gâter dans le jeune âge. »
En 1759, le sieur Doffémont, maître et marchand tailleur de corps,publie un Avis très important au public sur différentes espèces de corps et de bottines de nouvelle invention il nomme modestement son corset : corps de santé. Voici, dit-il, ce qui m'en a donné la première idée. J'ai sçu que M. Fagon, premier médecin du roi Louis XIV,
avait conseillé à Mme la Dauphine de faire usage de corps aisés, qui lui soutinssent l'estomacn, le ventre et les reins, pour remédier à différentes douleurs dont elle se plaignait dans les parties et qu'en effet, Mme la Dauphine en avaitété considérablement soulagée, en ayant fait usage ; j'ai travaillé sur les moyens d'entrer dans les vues de ce célè-bre médecin et je crois pouvoir avancer avec certitude que mes corps de santé ont toutes les conditions qu'il exige. Ils maintiennent la taille dans son état naturel et soutiennent l’estomach, la poitrine, le ventre et les reins dans un état si parfait, qu’aucune partie ne se trouve gênée, pas même du dessous ou du devant des bras.Reisser, l’aîné, le « tailleur pour femmes », établi à Lyon, publia, en 1770, L’avis important au sexe ou Essai sur les corps baleinés pour former et conserver la taille aux jeunes personnes.
Il répond avec adresse aux critiques des philosophes et des médecins de l’époque en faisant l’éloge non pas du corset, mais de son corset qui, dit-il, ne présente que des avantages.
Le corset était donc plus que jamais à la mode, il semble, cependant, qu’il y eût, à cette époque, une différence entre le corps à baleine et le corset. C’est ainsi qu’à propos de la tenue exigée, pour être présentée à la Cour et dont une femme devait respecter le protocole, on lit dans un ouvrage daté de 1773 « le jour qu’une dame est présentée à la Cour, son corps, ses bas, sa robe et son jupon doivent être noirs, mais tous les agréments sont en dentelle à réseau. Tout l'avant-bras, excepté le haut, vers la pointe de l'épaule, où le noir de la manche paraît, est entouré de deux manchettes de dentelle blanche au-dessus l'une de l'autre, jusqu'au coude. Au-dessous de la manchette d'en bas, on place un bracelet noir formé de pompons. Tout le tour du haut du corps se borde d'un tour de gorge de dentelle blanche sur lequel on met une palatine noire étroite, ornée de pompons qui descend du col et qui accompagne le devant du corps jusqu'à la ceinture. Le jupon et le corps sont aussi ornés de pompons faits 'avec le réseau ou de la dentelle d'or. Le lendemain du jour de la présentation, on se pare d'un habit semblable au premier, excepté que tout ce qui était noir se change en étoffe de couleur ou d'or.
Lorsqu'une dame ne peut point endurer un corps, il lui est permis de mettre un corset et par dessus une mantille. » Ainsi l'étiquette consacrait la torture du corset baleiné qui se confond de plus, en plus avec le corset ; c'est que le corset était un vêtement indispensable même lorsque la femme se vêtait en négligé de la polonaise, du caraco ou de la lévite.
Toutefois, d'après la citation qui précède, il y a lieu de penser que le corset était un diminutif du corps à baleine et qu'il était constitué par un corsage d'étoffe plus ou moins résistante,et plus ou moins légèrement baleinée; cet appareil devait être une sorte de corps à baleine de repos, si toutefois ces mots peuvent être accolés l'un à l'autre.
Pendant le règne mouvementé de Louis XVI (1774-1789), dit Racinet, les modes françaises, sans compter leur mille nuances, passèrent par trois grandes phases fort distinctes. La première période offre l'excès d'un luxe, d'une frivolité, d'une extravagance qui furent comme l'explosion finale du carnaval commencé avec les dominos de la régence. C'est le temps des hautes coiffures. La seconde phase fut la révolution de la simplicité ; les femmes s'éprenant des batistes et des linons, parurent en « robes en chemise », en déshabillés appelés pierrots, avec la camisole encolinette, la chevelure à l'enfant, poudrée au naturel; la troisième période se caractérise par l'invasion des modes anglaises et américaines qui firent prendre aux femmes des robes en redingotes, des gilets, des chapeaux d'hommes, en même temps que, badine en main, elle affectaient la tournure masculine.Le goût de Marie-Antoinette pour la campagne fut l'origine de nos saisons de villégiature entrées aujourd'hui dans les habitudes non seulement des classes élevées, mais aussi dans celle des bourgeois ou des employés aisés. Cette sincérité de Marie-Antoinette pour son hameau de Trianon influença fort la mode et le maintien adoptés par les femmes de cette époque.
« Le moelleux est la marque de la femme qui devient alors folle de champêtre. Le moelleux était, en réalité, beaucoup plus dans l'attitude que dans la mode de l'habit même et que dans l'éducation qui formait la demoiselle. »
Ce moelleux n'atteignit pas jusqu'aux dessous, et n'effleura même pas le corset, car la dame en déshabillé voulant avoir une taille svelte, déliée, continuait à se serrer autant que possible dans le corps de la mise ancienne, en s'amincissant encore la taille avec excès. La jupe écourtée de la paysanne, qui a besoin d'être alerte, était avantageuse pour montrer dans sa mule légère, la mule faite pour être lancée du haut des escarpolettes, le joli et leste pied du XVIIIe siècle, le pied éduqué formé dès l'enfance par le maître de d'anse : Formez vos pas, —• car pour séduire, — il faut écrire — avec ses pieds. (Cabinet des modes 1788).
J'accompagne ces quelques lignes sur le règne de Louis XVI, de trois figures correspondant aux trois époques indiquées plus haut ; sur toutes trois, l'on voit nettement que le corset serré impose sa contrainte à la femme qui, de toute la mise ancienne, n'a conservé que le corps plus ou moins modifié.
Le corset ne jouissait pas alors en Autriche de la, faveur impériale et l'Empereur Joseph II (1765-1790), fils de Marie-Thérèse, essaya, sur les conseils de son médecin, d'înterdire l'usage du corset dans ses États par un décret applicable aux orphelinats, couvents et institutions de son empire. Pour le rendre odieux aux femmes honnêtes, il obligea les reprises de justice à le porter pendant toute la durée de leur peine.
Rien n'y fit, le corset abandonné un instant reprit bientôt au grand mécontentement du souverain.
En France, on fit aussi à cette époque campagne contre le corset, campagne qui eut pour résultat de rendre les corsets plus flexibles en diminuant le nombre des baleines et la longueur du buse. « Les tailleurs de corps, dit l'abbé Joubert (1773) faisaient des corsets blancs sans baleines et à deux buses. »
Il faut aussi reconnaître avec Bouvier que l'art du tailleur de corps s'était singulièrement perfectionné au XVIIIe siècle. On avait corrigé les grossiers défauts des premiers .corps de baleine; on les avait modifiés pour les femmes grosses, de manière à moins entraver le développement du fœtus ; il y en avait d'autres qu'on portait après les couches, on en faisait de particuliers pour monter à cheval ; enfin on imagina les corsets sans baleines afin de laisser aux femmes la faculté de se débarrasser de temps en temps de leur dure cuirasse. A la longue artistes et savants, tailleurs de corps et hygiénistes fussent parvenus par de raisonnables concessions, à s'entendre pour une sage réforme de l'habillement du beau sexe. Un épouvantable cataclysme ne leur en laissa pas le temps. La Révolution française renversant, bouleversant tout, balaya aussi les usages, les mœurs, l'élégance de ce qu'on appelait l'ancien régime et emporta du même coup les corps à baleines avec les paniers, l'habit français, la poudre et les perruques. (Bouvier-Poiseuille.)