Le Corset (1905)/09

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A. Maloine (p. 102-117).

CHAPITRE IX[modifier]

A l'époque du Consulat (1799-1801), le corset ou le corsage serré faisant fonction de corset n'était donc pas, comme on pourrait le croire, banni du costume féminin, témoin ces deux citations : l'une de Mme d'Abrantès qui rapporte avoir vu dans un bal de l'année 1800 une femme portant « un corset bleu de velours ou de satin, la jupe en crêpe blanc sur une mousseline blanche, bordée de deux rouleaux de ruban... » l'autre) de la Mésangère qui fait tenir à un couturier à la mode et à une provinciale le dialogue suivant: « Citoyen, j'arrive de mon département. Indiquez-moi la mode afin que je m'y conforme. — Madame, c'est fort aisé en deux minutes je vais vous y mettre, si vous le voulez, — Très volontiers. — Otez-moi ce bonnet. — Le voilà. — Otez-moi ce jupon. — C'est fait. — Otez-moi ces poches. — Les voici. — Otez-moi ce fichu, ce corset, ces manches ! — Est-ce assez. — Oui, Madame, vous voici actuellement à la mode et vous voyez que ce n'est pas bien difficile, il suffit de se déshabiller. »

Sous le Consulat, les corsages sont toujours très échancrés ; on exhibe alors des « appas grenadiers ». Le décolletage est tellement exagéré en l'an VIII et IX qu'on imagine le fichu en X qui gaze sans rien cacher » ; aussi les rigueurs de l'hiver font-elles de nombreuses victimes : « rosés moissonnées avant d'être épanouies. » Mme de Noailles, morte à dix-neuf ans au sortir d'un bal ; Mlle de Juigné à dix-huit ; Mlle Chaptal, à seize ; la princesse Tufaïkis morte à dix-sept ans à Saint-Pétersbourg. Dans le cimetière de Vaugirard, on lit encore cette épitaphe :

22 Décembre 1802
LOUISE LEFEBVRE
âgée de 23 ans
Victime de la mode meurtrière
Et rosé elle vécut ce que vivent les rosés.

A combien d'autres jeunes imprudentes pourrait-on appliquer ce vers de l'ode fameuse de Malherbe à Dupérier, sur la mort de sa fille! (Dr Witkowski.)

Ces détails qui semblent nous éloigner de l'histoire proprement dite du corset ne sont nullement inutiles à la rédaction de ce travail, je montrerai leur valeur au cours de la deuxième partie de ce travail : Le Corset, étude médicale et physiologique. Au début de cette période, le corset était peu en, honneur, je n'en veux pour preuve que l'Hygie, poème en six chants et en vers familiers de huit syllabes du Dr J. Terre. De ce poème imprimé en 1807, j'extrais les vers suivants •

L'usage des corps de baleine
Enfin a cessé pour jamais.
Ces liens mettaient à la gêne
Le corps serré par des lacets;
Aux beaux jours de l'adolescence,
Empêchaient les accroissemens
Qu'une belle dès son enfance,
Promettait d'avoir à quinze ans;
Lorsque l'esprit philosophique,
Frondant les dangereux travers
De toute mode tyrannique,
Apprit enfin à l'univers
Que de la femme, la structure
Un jour doit se développer,
Quand la prévoyante nature
Lui commandera d'enfanter.
Aussi les skires, la chlorose,
Sont bien moins communs de nos jours;
Teint vermeil de lys et de rosé
Se rencontre presque toujours
Sur ces intéressans visages
Qui comptant à peine seize ans
N'ont pas de ces cruels usages
Senti les inconvénients.
Fig. 88. — Allons, serrez plus ! d'après Rowlandson 1791.

Et Napoléon n'aurait-il pas dit à Corvisart, en parlant du corset : « Ce vêtement est d'une coquetterie de mauvais goût. Il meurtrit les femmes et maltraite leur progéniture. Il n’annonce que des goûts frivoles et me fait pressentir une décadence prochaine. » Ce qui n’empêchera pas l’impératrice Marie-Louise de dissimuler sous un corset un embonpoint naissant.

Cet ostracisme était loin, en effet, d’être absolu, il suffit pour s’en convaincre de rappeler que c’est pendant les premières années du XIXe siècle que parurent les corsets dits : à la paresseuse, à l’humanité ; le corset à poulies renouvelé du corset à combinaison inventé avant 1789 par la célèbre modiste Beaulard pour dissimuler les grossesses ; et que c’est à cette époque que fut employé le corset élastique, ceinture d’apparence orthopédique que l’on portait sur la chemise transparente.

Déjà à cette époque les inventeurs ne chômaient pas et l’année 1803 donne le jour à un corset spécial de Moreau de la Sarthe. Ce corset était construit de telle façon, qu’un ressort maintenait les seins écartés. « Dans la suite, on se contenta de petits tampons d’ouate interposés pour empêcher la réunion des seins volumineux ; pendant la durée du premier Empire, en effet, bien que la taille remontât haut, les robes mettaient à nu la gorge refoulée sous le menton par la ceinture qui passait sous les aisselles. Quant aux professionnelles, elles continuaient comme devant, à exhiber en public, à la promenade ou en boutique, leurs attraits provocants. »

Fig. 89. — Corset élastique d’après la Vie Parisienne.

En 1810, les corsets à lacets ont repris tous leurs droits surtout pour réprimer les tailles exubérantes, comme le démontre l'amusante caricature qui suit. Bientôt toutes les femmes en portent et se serrent à l'envie ; c'est une véritable « fureur ».

Fig. 90. — Corset de Moreau de la Sarlhe (1803)

Les élégantes adoptent le corset dit à la « Ninon », dont le buse seul maintenait la rigidité ; peu après, les baleines reparaissent.

Fig. 91. — Effets merveilleux des lacets (1807)

« Vers la fin du premier Empire, les corsets étaient devenus presque aussi courts du bas que du haut. Le buse arrivait à peine au-dessus de l'ombilic, le bard inférieur, échancré suivant le contour supérieur de la hanche, se prolongeait en arrière jusqu'au milieu des reins sur lesquels il était maintenu par les baleines des œillets ; en haut les goussets arrivaient au tiers de la poitrine qui se trouvait cependant soutenue par un baleinage serré à la fois souple et résistant ; des baleines obliquement placées de bas en haut et de dedans en dehors maintenant l’écartement des seins, reçurent le nom de « divorces ».

Fig. 92. — La fureur des corsets (1809)

Un porteur d’eau lace une cuisinière avec un billion. — Le vieux mari se sert de ses lunettes pour lacer sa jeune femme. — L’amant emploie l’amour pour lacer son amie. — Un jeune jockey lace sa vieille maîtresse bossue.

Sur les côtés, le corset n’avait guère plus de 10 à 12 centimètres de, hauteur et portait un montant vertical très simple composé de baleines minces et étroites. Un auteur nous apprend que Lacroix, dont la renommée était universelle, ajoutait au corset un, petit coussin, recouvert de taffetas
Fig. 93. — Corset à la « Ninon » (1810).
blanc qui s’attachait par derrière pour donner à la taille un aspect plus cambré ; l’écrivain ajoute que les élégantes ne reculant pas devant le prix de cent francs, relativement élevés pour l’époque, accouraient en foule chez Lacroix.

Ce corselier était l’émule, du fameux Leroy, que les gazettes de la mode célébraient sur tous les tons et que l’auteur du poème : l’Art de la Parure et de la Toilette des dames interpellait ainsi en 1811 :

Viens, Leroy, viens ; écoute et suis mes lois
...... Observe chaque belle,
Que ce corset emprisonne et modèle
Les deux contours de ses naissants appas,
................
Tout reconnaît ta voix, ta volonté,
Pour embellir l’orgueilleuse beauté,
Comme une fée ordonne à la nature
De se plier aux lois de la parure.
Fig. 94.
L’impératrice Joséphine, d’après le portrait de Lethière (1814).

C’est de Leroy qu’un mauvais plaisant disait : « Il a dans se clientèle toutes les telles couronnées de l’Europe. »

La sceptique Louis XVIII (1814-1824) était un fervent admirateur des épaules blanches et étoffées, en particulier de celles de sa, favorite en titre, la comtesse Zoé du Gayla, sur lesquelles il aspirait avec, volupté sa prise de tabac, comme il l’aurait fait dans le « cœur d’une rosé », dit M. de Vitrolles ; aussi pour accentuer encore par l’exiguité de la taille l’opulence d’un décolletage savant, on ne craignait pas de serrer son corset outre mesure. Cette tendance s’accentua si bien que Charles X (1824-1830) disait : « Il n’était pas rare autrefois de trouver en France des Diane, des Vénus, des Niobé ; aujourd’hui, on n’y rencontre plus que des guêpes. » De 1815 à 1830, écrit M. Léoty, les corsets furent graduellement rallonges du haut au bas. Les goussets de gorge

Fig. 95. — Le coucher, d’après Devéria (1829)
Fig. 96. — Mode de 1830.

emboîtaient la poitrine», ceux de la hanche descendaient très bas ; mais les montants latéraux s’arrêtaient à la hanche. Le baleinage était résistant, l'étoffe presque toujours double, enfin le buse, ordinaire' long et épais.

Ce corset trop dur et trop lourd, se complétait par de larges épaulettes.

Fig. 97. — Corset ordinaire vu de dos et corset de grossesse (1830).

Il n'empêche pas toutefois les corsages fermés religieusement par un grand nombre de femmes, sous le règne du roi très chrétien Charles X, de s'émanciper d'abord avec réserve, puis avec audace sous le règne de Louis-Philippe (1830-1848), « le révolutionnaire à l'eau de rosé ».

Fig. 98. Corset de danseuse de l'Opéra, montrant le laçage à la paresseuse.
De cette époque date la réponse d'une jeune fille à qui sa mère recommandait de placer toujours avec soin son fichu sur son sein, lui disant qu'une.jeune personne ne
PATRONS DE CORSETS Louis XV (3e planche)
devait jamais se montrer la gorge découverte. — « Mais, maman, avec quoi voulez-vous donc que je me pare ? »

Cette anecdote a été souvent versifiée :

Agnès, d’un œil content, voyait déjà paraître
Ses jeunes et tendres appas;
Quinze printemps l’avaient vu croître
Et son cœur soupirait pour le jeune Lucas.
Un jour à sa maman austère,
Agnès parut le sein à demi-nu.
Pourquoi n’avoir point de fichu?
Lui dit-elle d’un ton sévère.
Agnès répond en soupirant tout bas,
De beaux habits pour moi vous êtes trop avare,
Et si je cache mes appas,
Avec quoi voulez-vous que je me pare ?
Fig. 99. — Le lacet.

Cette période nous a laissé mieux que cette réponse topique, elle a doté le corset d’un mode de laçage que les corsetières ont conservé depuis ; je veux parler du laçage à la paresseuse.

Jusque-là pour retirer le corset, il fallait d’abord le délacer complètement et la femme ne pouvait s’habiller qu’avec l’aide d’une autre personne, tandis qu’avec ce nouveau mode de laçage la féminité, sauf lorsqu'elle veut se serrer plus que de raison, n’a pas besoin d’aide pour placer comme pour enlever son corset. Toutefois cependant, avant les buses ouverts imaginés par Nollet, le corset à la minute pouvait se délacer instantanément en tirant par en bas une de ses baleines latérales de la laçure. Vers 1877, les Brésiliennes portaient un corset à roulettes sur lesquels le lacet glissait aussitôt dénoué et qui s’ouvrait aussi rapidement (Bouvier et Pierre Bouland in Dict. Dechambre). C'est aussi de cette époque, en 1832 que date l'invention des corsets faits au métier ou corsets sans couture. Jean Werly établit à Bar-le-Duc la première manufacture de corsets tissés.

Fig. 100. — Fine taille... d'après Gil Baër.

« Sous le second Empire (1852-1870), les corsets s'échancrent du haut et se raccourcissent du bas ; ils dégagent les

Fig. 101. — ... Horribles détails... d:après Gil Baër.

seins et font valoir la, taille. L'impératrice Eugénie avait de trop belles épaules pour ne pas les montrer au grand jour. Les anecdotes abondent qui prouvent que les dames de la cour ne se firent pas prier pour imiter leur souveraine. » Je n'en citerai qu'une, tirée des Mémoires de M. Claude. Une nuit que le baron Dupin admirait à sa manière la foule bigarrée d'un des grands bals des Tuileries, il avisa une duchesse étrangère, au front superbe, vaguement entourée de flots de gaze verte, décolletée jusqu'à l'équateur du corsage, coiffée d'algues, de perles et de corail.

— Magnifique costume, s'écriei le pétillant procureur général ; comment 1'appelez-vous, duchesse ? — Je suis

Fig. 102.— L'impératrice Eugénie (d après Poliet).

Amphitrite, répondit-elle modestement. — A la, marée basse ! riposta le baron Dupin.

A copier leur souveraine, les élégantes créèrent la mode de la taille dite courte. « Cette expression n'est pas exacte, car la taille, à cette; époque, différait beaucoup- de celle que l'on faisait sous le premier Empire ; les corsets que l'on portait sous le règne de Napoléon III s'adaptaient parfaitement à la taille naturelle, c'est-à-dire au bas des côtes, mais ils étaient très échancrés du haut et courts du bas, ils laissaient de la sorte les épaules tombantes et, les goussets ne remontant pas la poitrine, la taille était moins élevée. Pour distinguer cette) mode de celle du premier Empire, on devrait plutôt l'appeler la taille basse, car elle n'avait rien de commun avec la taille courte du commencement du siècle, puisque les corsets se portaient audessous des seins et donnaient un tout autre aspect au costume d'alors. » (E. Léoty. )

Fig. 103. — Corset Léoty (1867).
Fig. 104. — Corset Léoty.

Ces lignes sont fort justes, et l'on se rangera certes à l'opinion qu'elles expriment, en comparant la femme vêtue d’un corset Léoty de 1867 à la figure représentant une héroïne du premier Empire. Celle-ci porte un zona placé certainement à la partie inférieure du tiers supérieur du thorax, celle-là porte un corset dont la partie cambrée est en rapport avec la partie inférieure du tiers inférieur du thorax.

Le buse en deux morceaux qui pouvaient s’accrocher et se décrocher à volonté, était l’œuvre d’un ouvrier horloger qui l’inventa quelques années avant le second Empire.

Fig. 105. — Corset Léoty (1878).

De 1850 à 1865 ce genre de buses s’employa, mais comme ils étaient mal faits, grossiers, mal recouverts et d’un poids de 800 à 1.200 grammes la douzaine, recouverts en peau ordinaire, mal cousus, larges de 28 m/m, ils étaient disgracieux et mal commodes.

Vers 1865 on commença à trouver des ouvriers spéciaux en buses ; ils travaillaient chez eux, aidés par leurs femmes et leurs enfants.

En 1867, parurent des buses plus élégants, moins larges ; on colla la peau qui garnissait l’acier ; l’intérieur fut garni de papier d'étain et de taffetas pour éviter la rouille par le contact de l'acier et dé la peau.

C'est alors que de petits ouvriers, s'intitulant fabricants, commencèrent eux-mêmes à employer des ouvriers, avec pour tout outillage un découpoir pour percer les lames de buses, un outil pour découper les agrafes et un tas pour river les boutons.

La guerre survint et ce n'est qu'à la reprise des affaires, en 1871, que l'on recommença à travailler.

«  Après les événements de 1870, la mode manque d'orientation ; on tâtonne pendant deux années et vers 1873, on voit la taille longue, qui amena l'usage du corset cuirasse orné de ce fameux et hideux busc-poire qui ne servait à rien, n'aplatissait rien et donnait au corset un aspect orthopédique qui enlève toute élégance féminine. Comme il n'est pas de mode sans exagération, on allonge la taille de plus en plus et l'on arrive bientôt à avoir la taille tellement longue, que les petites femmes sont tout en buste et n'ont presque plus de jupes. »

Puis la mode varie, copiant tantôt un style, tantôt un autre, mais finalement suivant dans l'ensemble une direction nouvelle toute particulière. En effet, soit que les corsetiers eux-mêmes aient reconnu le bien-fondé de certaines protestations du corps médical au sujet du corset, soit que les femmes elles-mêmes aient suivi les indications de leurs médecins, la mode ne s'attache plus exclusivement à reconstituer tantôt une époque, tantôt une autre cherchant toujours à rendre la femme plus attrayante, elle se préoccupe non seulement de son élégance, mais encore de sa santé.