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Le Corset (1908)/08

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A. Maloine (p. 124-160).


CHAPITRE VIII


Parmi les divers appareils qui concourent à la nutrition de l’organisme, l’appareil digestif est un de ceux dont le rôle est le plus considérable. Avec l’appareil respiratoire, il a pour fonction d’introduire dans l’économie les principes qui sont nécessaires à l’entretien de la vie et que renferme le monde extérieur.

Non seulement il reçoit et conduit les substances aptes à la nutrition, mais encore il les transforme en principes assimilables avant de les transmettre au milieu intérieur chargé de les distribuer aux éléments anatomiques. Enfin, il sert de voie d’excrétion non seulement pour les résidus non utilisés des aliments, mais aussi pour un certain nombre de substances éliminées par les glandes qui lui sont annexées et notamment par le foie (Achard).

Fig. 60. — L’estomac et les premières parties de l’intestin grêle

Chez l’homme, Le tube digestif est constitué par la bouche, le pharynx, l’œsophage, l’estomac, l’intestin grêle et le gros intestin.

L’œsophage n’est qu’un simple conduit contractile. Par son rôle mécanique, il achève la déglutition des aliments qui viennent rapidement s’accumuler dans l’estomac.

L’estomac est une vaste poche où les aliments sont brassés et en partie transformés par les contractions de sa musculature et l’action du suc gastrique qu’il sécrète.

L’estomac est situé dans la partie supérieure de la cavité abdominale au-dessous du foie et du muscle diaphragme qui le recouvre dans la plus grande partie de son étendue ; au-dessus du paquet intestinal. Il occupe à la fois une grande partie de l’épigastre et presque tout l’hypochondre gauche.

L’estomac est maintenu en position par sa continuité avec l’œsophage auquel il fait suite, par sa continuité avec le duodénum qui le continue, par plusieurs replis du péritoine qui le relient au foie, au diaphragme et à ta rate et par la masse intestinale sous-jacente.

La forme de l’estomac est celle d’un cône incurvé sur lui-même, un peu aplati d’avant en arrière et à base arrondie. C’est à juste titre qu’on l’a comparé à une cornemuse.

L’estomac est dirigé de haut en bas, de gauche à droite et d’avant en arrière ; pour quelques anatomistes : Luschka, Henlé, Betz, Lesshaft, Tillaux, Beaunis et Bouchard, la direction de l’estomac n’est pas sensiblement horizontale, mais fortement oblique en bas, à droite et en arrière, c’est-à-dire que son axe est vertical. La direction de celui-ci se déduit de la situation respective clé ses deux orifices : cardia ou orifice supérieur de l’estomac, pylore ou orifice inférieur du même viscère.

Le cardia situé à l’extrémité supérieure de la petite courbure, se trouve au niveau des sixième ou septième cartilages costaux gauches et du corps de la onzième vertèbre dorsale.

Le pylore ou orifice duodénal, est à la hauteur de la septième ou huitième côte droite ; il occupe l’extrémité inférieure de la petite courbure.

La face antérieure de l’estomac est convexe ou supérieure ; elle présente trois rapports fort intéressants pour cette étude ; ce sont : le diaphragme, le foie, la paroi antérieure de l’abdomen. Le diaphragme sépare l’estomac de la cavité thoracique, le foie recouvre une partie de la face antérieure de l’estomac et suivant l’étendue que recouvre le foie, l’estomac présente une surface plus ou moins grande qui est en rapport direct avec la peau de l’abdomen.

La face postérieure ou inférieure de l’estomac est en rapport avec la partie du gros intestin appelé côlon transverse, avec la portion terminale du duodénum, avec les vaisseaux de la rate et avec une glande appelée pancréas.

Je laisse de côté le détail des autres rapports qui sont inutiles pour ce travail, ainsi que la description des lignes d’Obrastzow, qui répartissent le champ d’exploration de l’estomac en une série de repères, et je termine cet exposé anatomique par l’étude des moyens de fixation de l’estomac.

Ceux-ci ont été décrits d’une façon très méticuleuse par le Dr F. Glénard, dans son travail sur la Dyspepsie nerveuse et l’Entéroplose. Je rappellerai simplement d’après lui, ce qui a quelque utilité pour cette étude.

Le point le plus fixe de l’estomac est le cardia, bien que les Allemands le croient capable de quelques déplacements dans la dislocation en masse de l’organe. La grosse tubérosité participe à cette fixité ; elle est solidement unie au muscle diaphragme « par l’adhérence, dit Boas, de la séreuse de l’estomac avec le revêtement péritonéal du diaphragme. »

Fig. 61. — Le foie et l’estomac dans leurs rapports avec la paroi antérieure de l’abdomen.

La masse du foie est indiquée par des hachures obliques de gauche à droite. La partie de l’estomac qui n’est pas recouverte par le foie et qui n’est pas en rapport avec la paroi abdominale est indiquée par des hachures obliques entrecroisées de droite à gauche et de gauche à droite. La partie de l’estomac qui n’est pas recouverte par le foie et qui est en rapport avec la paroi antérieure de l’abdomen est indiquée par des hachures obliques de droite à gauche.

Un second point relativement fixe, c’est le pylore ou plutôt, comme le dit M. Glénard, l’orifice gastro-duodénal, situé un peu après lui. En effet, d’après les plus récentes recherches, le pylore est un peu mobile. S’il est attaché au côté des corps vertébraux, c’est par l’intermédiaire de la portion du duodénum auquel il est immédiatement suspendu. D’ailleurs, le plus sûr moyen de suspension du pylore, c’est le ligament gastro-hépatique, s’étendant du cardia au pylore en formant une large lame solidement unie au sillon transverse du foie.

Ainsi donc, l’estomac et le foie adhérant au diaphragme, et par lui aux côtes, forment en quelque sorte un tout ; les déplacements de l’un retentissent sur l’autre.

L’estomac est très fixe, écrit Cruveilhier, on peut dire que la plupart de ses changements de rapport sont consécutifs aux déplacements et aux changements de volume des organes avec lesquels il est en connexion.

Le pylore est donc capable d’exécuter quelques excursions surtout en bas. Elles sont d’un avis unanime très modifiées par l’état de son contenu comme l’a bienobservé Braune sur des cadavres dont les organes étaient maintenus en place par la congélation.

Fig. 62. — Le sternum, les côtes, la colonne vertébrale, l’estomac, le rein gauche et la capsule surrénale du rein droit.

Pour mémoire, signalons les ligaments gastro-splénique, pancréatico-gastrique, gastro-colique qui réunissent l’estomac à la rate, au pancréas et au côlon.

C’est la grande courbure de l’estomac qui est la partie la plus mobile de ce viscère, elle pivote en quelque sorte autour d’un axe qui est sur la partie fixe de l’organe : cardia, petite courbure, pylore.

Quel est le rôle de l’estomac ?

Voici comment après avoir montré combien ce sujet présente d’obscurité, M. Hayem expose le mode de fonctionnement normal de l’estomac.

L’estomac est composé d’un appareil sécréteur et d’un appareil moteur ; sa cavité est le siège d’un travail chimique qui constitue l’une des phases principales de la digestion. Ces différents phénomènes sécréteurs, chimiques et moteurs ne sauraient être considérés séparément ; ils constituent à eux trois, un acte physiologique, ils marchent de pair et sont comme lies entre eux. L’étude des faits cliniques montre que l’appareil moteur (en dehors des cas d’occlusion mécanique) est sous la dépendance de la fonction sécrétoire et chimique et l’on doit admettre l’existence d’un système de régulation agissant sur les mouvements de la musculeuse et sur l’état des orifices et réglant son action sur la quantité et la constitution chimique du contenu stomacal.

Supposons l’estomac en place avec sa situation, ses dimensions et sa sécrétion normales. Décrivons d’une façon succincte, les phénomènes qui se déroulent pendant la digestion d’un repas d’une certaine importance.

Les aliments mastiqués, ayant subi l’influence de la salive arrivent dans la cavité gastrique et viennent se placer dans sa partie la plus déclive, l’antre prépylorique. Cette région, accessible à la palpation, se distend et la surface d’exploration augmente en même temps que la grande courbure s’abaisse entraînée par le poids des aliments. Dans la cavité même de l’organe le niveau du contenu déborde bientôt la valvule pylorique, celle-ci se ferme et empêche tout passage dans l’intestin. De son côté, le cardia s’il se laisse facilement ouvrir de haut en bas se contracte pour s’opposer au reflux de bas en haut. Les aliments sont pris dans une chambre, à double porte. Dans son ensemble l’estomac représente un vase clos qui se moule sur son contenu. Celui-ci est représenté "par la bouillie alimentaire plus ou moins épaisse quelquefois liquide et par une petite quantité d’air qui a été dégluti ou était enfermé dans les aliments. Normalement il ne se produit pas d’autre gaz. L’air forme une couche qui se déplace dans le grand cul-de-sac, sous le diaphragme ; peut-être est-il, dans certains cas, résorbé ou rejeté au dehors, mais il ne paraît faire défaut que d’une façon exceptionnelle. L’estomac peut ainsi être comparé à une bouteille légèrement entamée.

Le contact de l’aliment avec la muqueuse gastrique a fait entrer immédiatement en jeu l’appareil, sécréteur. Le bol alimentaire subit peu à peu la transformation en chyme ; on admet, d’après les expériences faites sur les animaux, qu’il est constamment remué par les mouvements inconscients, vermiculaires de la paroi stomacale, mouvements qui restent inappréciables à nos moyens d’investigation. Pendant que ces phénomènes se produisent, le cardia reste fermé, mais il n’en est pas de même du pylore qui semble devoir s’ouvrir ou s’entre-bâiller d’une façon intermittente pour laisser passer une partie du contenu. Puis, après un temps variable avec la quantité et la qualité des aliments, l’estomac se vide définitivement et entre en repos.

Tels sont, esquissés à grands traits, les phénomènes physiques qui se passent dans l’estomac pendant l’acte digestif. Parmi ces phénomènes, il en est que nous pouvons constater à l’aide des moyens d’investigation cliniques et dont il importe de fixer les termes physiologiques. C’est ainsi que nous devons essayer de déterminer : 1° dans quelles limites l’estomac se laisse distendre à la suite d’un repas copieux, celui de midi par exemple ; 2° combien de temps il met dans ces conditions à se vider et à revenir à sa situation normale. Ces deux points ont été et sont encore fort discutés.

La limite inférieure de la distension de l’estomac siégerait, d’après Wagner, à un peu plus de 2 centimètres au-dessus de d’ombilic, l’organe occuperait alors les 6/7 de la distance qui sépare l’appendice xiphoïde de l’ombilic, cette distance mesurant 15 centimètres.

Pour M. Bouchard, elle ne dépasserait pas normalement une ligne allant de l’ombilic au rebord des fausses côtes gauches, et d’après M. Hayem, dans les conditions les plus normales, le point le plus abaissé de l’estomac après le repas de midi resterait un peu au-dessus de l’ombilic.

À ce propos, M. Hayem fait remarquer que le choix de l’ombilic comme point de repère laisse beaucoup à désirer. Si, en effet, ce point est fixe chez les individus dont la conformation corporelle est normale, il est très fréquemment-déplacé chez ceux dont la forme générale du ventre a été altérée par une cause quelconque telle que les grossesses multiples ou simplement l’obésité. Il faudrait, pour avoir des mesures rigoureuses, déterminer la longueur et la direction du grand axe de l’estomac.

La durée de la digestion est naturellement variable avec la nature du repas. Elle est de sept heures pour un repas copieux d’après Leube. M, Hayem fixe à cinq ou six heures celle d’un repas comme celui de midi. (Dr G. Lion. Les signes objectifs des affections stomacales (in Archives générales de médecine 1895.)

La topographie de l’estomac ainsi fixée et son fonctionnement normal exposé, il est de la plus indispensable utilité de pouvoir sur le vivant déterminer les contours et la situation de cet organe.

L’inspection est déjà capable : de fournir à elle seule des renseignements intéressants. C’est elle, écrivent MM. Hayem et G. Lion, qui permet de relever les différentes déformations de la cage thoracique et spécialement celles qui sont occasionnées par le corset. Il ne faut pas seulement rechercher les déformations du thorax, mais encore essayer de se rendre compte des points sur lesquels s’exerce la compression du corset. Pour cela, on doit en quelque sorte surprendre la malade en flagrant délit. Dès le premier examen, alors que n’étant pas prévenue elle se présente au médecin sans avoir modifié ses habitudes, il faut la prier de retirer son corsage et examiner avec attention comment le corset est mis, sur quels points il exerce sa compression, quel aspect prend le ventre sous son influence. On assiste alors dans bien des cas à un spectacle invraisemblable dont aucune description ne saurait donner l’idée.

Fig. 63. — Évasement de l’abdomen par en haut

La malade est d’ordinaire couchée sur le dos, le tronc légèrement relevé, les jambes étendues ; on la prie de respirer avec calme et de relâcher ses muscles abdominaux. L’examen doit être fait successivement de face et de profil. (Voir les fig. 68 à 67 empruntées à MM. Hayem et G. Lion.)

De face, on peut constater quatre aspects différents de l’abdomen : 1° L’évasement par en haut. Le ventre apparaît élargi dans sa partie supérieure sus-ombilicale. C’est ce qui se produit chez les gros mangeurs, les diabétiques par exemple qui ont un estomac agrandi transversalement (fig. 63.)

2° L’évasement par en bas. Le ventre est élargi dans sa moitié inférieure sous-ombilicale. Pareille déformation se montre dans des conditions assez diverses : elle caractérise le ventre amaigri et tombant des femmes qui ont eu des grossesses répétées, des anciens obèses débilités, des individus atteints d’entéroptose qu’elle qu’en soit l’origine (fig. 64.)

Fig. 64. — Évasement de l’abdomen par en bas

3° La saillie médiane. Saillie étendue de l’extrémité inférieure du sternum à un point quelconque de l’abdomen un peu au-dessous de l’ombilic, effaçant le creux épigastrique. Cet aspect est celui qu’on a l’occasion d’observer le plus souvent. Il se montre à la suite des repas, chez les malades atteints de dilatation prononcée sans ptôse (fig. 65).

4° L’aplatissement épigastrique avec ballonnement hypogastrique. Lorsque l’estomac est à la fois dilaté et ptôse il fait bomber, en se distendant à la suite des repas, la partie inférieure de l’abdomen, tandis que la région sus-ombilicale semble déprimée. Souvent, en pareil cas, on constate au niveau de la région épigastrique inférieure une légère saillie transversale qui correspond à la petite courbure abaissée (fig. 66).

Fig. 65. — Ventre à saillie médiane
Fig. 66. — Aplatissement épigastrique avec ballonnement hypogastrique

De profil, trois dispositions principales peuvent être notées.

1o L’enfoncement sous-sternal. Le ventre est excavé dans la région épigastrique, plat dans le reste de son étendue.

L’inanition, les vomissements répétés amenant la vacuité et la rétraction de l’estomac, la contraction des muscles abdominaux, telle qu’elle se produit pendant les crises douloureuses intenses qui forcent le malade à rester immobile, recroquevillé dans son lit ou chez certains gastropathes nerveux sujets à des éructations continuelles, sont les conditions dans lesquelles se produit cette déformation (fig. 67, A).

2° La saillie anormale. Le plus souvent partielle, sous-sternale ou épigastrique, conséquence du ballonnement de l’estomac. Quelquefois généralisée (fig. 67, B).

Fig. 67. — Différents aspects de l’abdomen vu de profil

3° L’aplatissement de la région sus-ombilicale avec ballonnement hypogastrique.

La dépression épigastrique s’étend plus ou moins bas, quelquefois au-dessous de l’ombilic.

Cet aspect appartient aux cas de dilatation avec ptôse (fig. 67, C).

Ajoutons pour terminer ce qui a trait à l’inspection que, chez les sujets maigres, à paroi abdominale mince, se moulant sur les organes abdominaux, on peut, dans certains cas, constater l’existence de saillies anormales formées par les tumeurs.

Après l’inspection de la région abdominale on passe à la palpation.

Le point essentiel dans la palpation est d’obtenir un relâchement aussi complet que possible des parois abdominales, ce qui s’obtient en plaçant le patient sur le dos, les jambes et les cuisses fléchies et en distrayant la pensée du sujet de l’examen qu’on lui fait subir.

La palpation doit être faite légèrement, en ayant soin que les mains qui explorent ne présentent pas une trop grande différence de température avec la peau de l’abdomen examiné.

Fig. 68. — Estomac normal insufflé.

La recherche du bruit de clapotage est faite par une sorte de palpation.

Avec l’extrémité des doigts réunis, ou mieux avec le rebord cubital de l’extrémité de la main, on imprime à la paroi abdominale de brefs mouvements, c’est une sorte de fustigation faite sur l’estomac sans détacher la main de la paroi.

En même temps, on maintient avec la main gauche la partie opposée de l’estomac pour qu’elle ne fuie pas devant la main qui palpe.

Cette petite opération est répétée sur les diverses régions de l’estomac, principalement au niveau de sa grande courbure et de son grand cul-de-sac dans l’hypochondre gauche. Les résultats obtenus sont les suivants :

Toutes les fois que l’estomac contient une quantité déterminée de liquide, la palpation faite suivant les règles que nous venons d’indiquer provoque un bruit de clapotage caractéristique.

Quand l’estomac est normal (la paroi abdominale est supposée suffisamment souple pour se prêter à l’exploration), le clapotage ne descend pas jusqu’à l’ombilic, tout au moins ne le dépasse pas. S’entend-il au-dessous de l’ombilic ? Il s’agit d’une anomalie de position, de forme, ou de dimensions de l’estomac.

D’autre part, celui-ci étant primitivement vide, si l’on fait ingérer, d’après Boas, une centaine de grammes d’eau à un homme ayant un estomac normal, on ne produit pas le clapotage « même, dit-il, si la paroi abdominale est amaigrie. Il se produit au contraire, même avec une moins grande quantité de liquide, s’il y a ectasie. »

Il est bon de rappeler que le côlon transverse peut clapoter ; si l’on ne peut déterminer à quel organe, estomac ou côlon, appartient le clapotage, on a une dernière ressource : gonfler artificiellement l’estomac ; s’il lui appartient, le clapotage cesse par cette opération et réciproquement. Laissant ensuite échapper l’air insufflé, on voit reparaître le clapotage.

« La recherche du bruit de clapotage est utilement complétée par celle du bruit de succussion. On saisit à deux mains le tronc au niveau des dernières côtes ou quelquefois plus bas au niveau de la taille et on lui imprime des secousses plus ou moins violentes. On produit ainsi un bruit de flot à tonalité d’autant plus élevée et métallique que la cavité stomacale renferme plus de gaz et l’on peut se faire une idée exacte de la quantité de liquide qu’elle contient. Ce bruit prend également naissance quand le malade se déplace d’une façon brusque. Il peut être constaté dans les cas où la plénitude de l’organe ou la tension gazeuse excessive empêchent d’obtenir le bruit de clapotage, à condition toutefois que la quantité de liquide soit suffisamment grande. »

Aux renseignements fournis par l’inspection et par la palpation viennent s’ajouter ceux que l’on peut obtenir par la percussion.

Pour pratiquer la percussion de l’estomac, dit Chapotot, il est bon de commencer par un des bords de cet organe. Percutant, par exemple, d’abord le poumon gauche sur la ligne mamelonnaire, on descend peu à peu ; et l’oreille peut percevoir le changement de ton entre le poumon et l’estomac. Puis on percute une zone dont la sonorité ne se modifie plus, et enfin, descendant toujours, on trouve la sonorité du côlon plus sourde, plus grave en général. On reprend la percussion du côté droit, de haut en bas, puis de droite à gauche horizontalement. Par une percussion légère, une oreille exercée peut saisir les changements de tonalité.

« En s’aidant de la palpation et de la percussion, OP arrive avec un peu de soin à délimiter le contour de la portion de l’estomac en contact avec la paroi et à dessiner ce contour sur la peau à l’aide du crayon dermographique. »

Ces procédés d’exploration sont complétés par l’étude des bruits anormaux qui peuvent être entendus à distance ou reconnus par l’auscultation et par l’insufflation. L’insufflation est une méthode qui fut introduite en Allemagne par Frerichs et Mannkopf et qui a été étudiée spécialement par Schreider, Rosenbach, Ewald, Jaworski, etc.

Son but, dit Boas, est de dessiner les contours de l’estomac et surtout la grande courbure. On lui demande, en outre, actuellement, la détermination de la situation, de la grandeur, de la capacité de cet organe.

L’insufflation se pratique en faisant absorber au patient une certaine quantité de bicarbonate de soude et d’acide tartrique dissous séparément et dont la combinaison produit dans l’estomac un dégagement d’acide carbonique. On utilise aussi des appareils basés sur le déplacement de l’air contenu dans un flacon par l’eau qu’y déverse un autre flacon placé à un niveau plus élevé. L’air déplacé est introduit dans l’estomac par une sonde. Par l’insufflation on voit la paroi épi-gastrique se soulever et les contours de l’estomac se dessiner. On peut alors percuter, même palper l’organe et en marquer les limites au crayon dermographique.

À tous ces modes d’investigation il convient d’ajouter l’étude chimique des sécrétions gastriques, l’examen de l’estomac par l’éclairage de sa cavité et enfin la gastroradiographie.

Que va devenir, sous l’influence du corset, cet estomac dont les diverses méthodes d’investigation que je viens d’esquisser brièvement ont permis de fixer la situation ? Il semble fort simple d’établir l’action de la compression du corset sur les organes abdominaux. Le problème est plus complexe qu’il ne le paraît.

À côté de l’action pathogène de ce vêtement, viennent en effet se placer des causes adjuvantes, prédisposantes pour mieux parier : ce sont les causes de débilitation des parois abdominales et de la tonicité du tractus intestinal : les grossesses, la neurasthénie, la maladie de Glénard…

Je m’occuperai de la ptôse gastrique dans ce chapitre, mais non pas complètement, car j’en parlerai à nouveau quand je traiterai d’une façon détaillée de l’influence du corset sur l’intestin et que je traiterai de la ptôse des viscères en général.

« Toute cause qui diminue la tonicité abdomino-intestinale facilite l’action spéciale du corset. Celui-ci ne vient alors qu’en seconde ligne, il ne provoque pas, il exagère un état préexistant. Comme tel, il est déjà dangereux. Or ces conditions se trouvent d’abord dans la grossesse, surtout dans le cas de grossesses répétées dont l’influence est trop connue pour que l’on y insiste.

La dislocation abdominale et viscérale peut donc être primitive, le corset est ici une cause adjuvante, il continue ce qu’un autre agent a commencé. Mais souvent aussi c’est lui qui commence, lui qui est la cause première des dislocations splanchniques. C’est ce qu’il faut prouver. »

Ainsi s’exprime M. Chapotot et dans des pages très intéressantes que je vais reproduire en partie, il continue son argumentation. Il faut la lire, parce qu’elle montre tout le danger pour l’estomac d’un corset montant haut, cambré, trop serré.

Il est en effet parfois aussi utile de connaître ce qu’il ne faut pas faire dans tel ou tel cas que ce qu’il faut faire ; or, argumenter pour l’estomac contre le corset haut, cambré, trop serré, n’est-ce pas par cela même dire qu’il ne faut pas serrer le corset à la taille, qu’il ne faut pas porter un corset haut et que le corset ne doit pas présenter des courbures dangereuses ? Mais, comme le lecteur va le voir, l’auteur semble considérer qu’il n’y a que des femmes exagérément serrées et qu’il n’y a que des corsets cambrés mal faits.

Je souscris à tout ce qu’il reproche à de telles élégantes et à de tels vêtements, mais je montrerai quand j’en viendrai à étudier comment le corset peut ne pas nuire, qu’il est des cas où l’estomac, comme les organes thoraciques, s’accommode d’un corset bien compris et bien placé.

Quelle est donc l’action mécanique par laquelle le corset déplace les organes situés dans les hypochondres ? (Et je le répète, par corset je ne veux entendre ici, pour accepter la démonstration qui suit, qu’un corset trop montant, trop haut placé, trop serré).

Les résistances du thorax ne sont pas égales sur toute sa circonférence ; en arrière, il est absolument rigide, (colonne vertébrale), latéralement se trouve le maximum de sa souplesse, de sa flexibilité ; en avant, il n’y a qu’une échancrure : elle joue son rôle en permettant aux côtés de se rapprocher davantage de l’axe du corps ; c’est aussi une sorte d’issue offerte aux organes qui, chassés de leur loge, tendent à s’ouvrir un chemin en avant dans la partie de la paroi dépourvue de côtes.

La compression va donc agir en déplaçant surtout les parties latérales du thorax. Elle peut se faire de deux manières différentes, suivant la nature des liens.

S’agit-il de cordons de jupes comme cela se passe chez beaucoup de femmes du peuple ou de la campagne ; s’agit-il de la ceinture dont se servent bien des hommes ou encore du ceinturon ? Dickinson et quelques autres auteurs affirment que ce mode de striction agit exactement comme le corset. Nous ne le croyons pas. La compression porte, en effet, immédiatement au-dessous de la dernière côte. Le foie, l’estomac, la rate sont donc refoulés vers la partie supérieure de la cavité abdominale et pris entre les liens et le diaphragme. Qu’il en résulte des malaises, surtout de l’estomac, chacun le sait ; quel est l’homme porteur d’une ceinture ou d’un ceinturon qui n’est pas obligé de les desserrer après un repas même peu copieux ? Mais qu’il en advienne un abaissement de l’estomac et du foie, nous ne le saurions admettre. »

Certes je pense avec l’auteur qu’un corset placé comme les cordons des jupes, une ceinture ou un ceinturon, ne saurait abaisser l’estomac puisqu’il serait situé au-dessous de ce dernier organe, mais je pense, contrairement à M. Chapotot, que le corset agit souvent comme ces cordons, ceintures ou ceinturons. Dans ce cas alors, ce n’est pas seulement parce qu’il peut amener des malaises du côté de l’estomac, mais encore et surtout parce qu’il gêne la fonction respiratoire, que le corset est dangereux.

Par son action directe sur la cage thoracique et sur les viscères qu’elle renferme, j’ai démontré précédemment que le corset, à moins d’être très serré, ne gênait pas d’une façon sensible et appréciable la fonction respiratoire. Quand la gêne respiratoire devient appréciable et dangereuse, ce n’est pas tant parce que les côtes et les poumons sont comprimés directement, que parce que indirectement leur fonctionnement est entravé ; le corset serre au-dessous de l’estomac et du foie, relève ceux-ci, les repousse sous la voûte diaphragmatique et en empêchant l’abaissement du diaphragme, empêche l’expansion dés poumons.

Si, au contraire, non content de serrer fortement son corset, la femme place très haut un corset cambré, il advient que :

Le corset commence au niveau de la neuvième côte (face supérieure du foie) la striction du thorax qui se rétrécit de plus en plus et rapidement jusqu’au-dessous de la douzième pour aller s’évasant jusqu’à la crête iliaque latéralement. En avant, le buse s’infléchit en suivant la courbe abdominale et, selon le genre de corset, descend plus ou moins bas au-dessous de l’ombilic.

Fig. 69. — Coupe transversale du thorax au niveau de l’épigastre d’après Dickinson.

Les organes situés dans les hypochondres : foie, raie, sont pris entre trois forces expulsives : deux latérales, une antérieure ; en même temps qu’elles agissent perpendiculairement à la paroi, elles agissent aussi verticalement ; la résultante est oblique en bas et en dedans. :

Au milieu de tout cela, que devient l’estomac ?

Considérez la figure qui représente une coupe transversale du thorax au niveau de l’épigastre. L’estomac est saisi entre la rate et le foie, tous deux plus résistants que lui ; il est forcé de s’aplatir plus ou moins et pour récupérer son volume normal, il s’effile et bascule en bas, cherchant de l’espace dans la cavité abdominale en même temps qu’il est refoulé à gauche par le foie plus lourd et plus volumineux que la rate.

L’estomac, dont la statique est modifiée, tend à reprendre une situation qu’il avait dans l’enfance et surtout pendant la vie intra-utérine ; il s’adapte à l’espace qui lui est laissé libre. On s’abuserait étrangement si l’on pensait qu’une constriction intense est nécessaire pour provoquer ces ptôses viscérales. Une pression minime est souvent suffisante, surtout quand elle est prolongée. La constriction de la taille au moment de la période de croissance est plus funeste encore ; elle prépare les grandes dislocations.

Ouvrez un cadavre en laissant soigneusement en place tous les organes ; serrez le thorax en imitant la compression du corset ; vous voyez sous le moindre effort le foie, mécaniquement chassé de sa loge, se diriger en bas et en dedans, pousser la petite courbure et le pylore ; le tout en bloc se déplace à gauche. L’estomac oscille autour du cardia qui demeure fixe.

Fig. 70. — Schéma représentant la marche progressive de la déviation de l’estomac (in Thèse Chapotot).
O ombilic — I colonne vertébrale

Le fait se produit quand l’estomac est vide, à plus forte raison s’il est alourdi par la masse alimentaire. Tel est le fait fondamental de l’abaissement de l’estomac par le corset. Tous ceux qui se sont occupés de cette question l’ont dû comprendre ainsi. Cruveilhier puis Corbin en parlent. Plus près de nous, on trouve la notion de la verticalité de l’estomac, due au corset, dans les travaux d’Arnould, Lévy, Dickinson, Charpy, Bouveret, etc., et enfin en Allemagne dans ceux de Engel, Boas, Ewald Ziemssen, Rosenheim, etc. Tous ont vu, sous l’influence du corset, l’estomac devenir vertical, le pylore s’abaisser, la grande courbure descendre plus ou moins au-dessous de l’ombilic.

Donc en résumé, ou le corset trop serré et trop cambré est placé au-dessous du thorax et alors il gêne la fonction respiratoire, ou trop serré et trop cambré il est placé haut sur le thorax et il abaisse l’estomac.

De cet abaissement, Rosenheim distingue deux sortes : la situation verticale (Verticalstellung) et le déplacement par en bas et il ajoute qu’à l’origine, ils se confondent et souvent se combinent.

D’après les dernières recherches de MM. Bouveret et Chapotot, les données cliniques permettraient d’établir que l’abaissement de l’estomac se présente sous trois aspects différents. Premier degré, le grand axe simplement dévié, se rapproche de plus en plus de la verticale ; le pylore s’abaisse un peu et se porte à gauche. Deuxième degré : la verticalité se complète ; l’abaissement du pylore augmente ; à son union avec la petite courbure, il peut exister un coude plus ou moins accentué gênant déjà l’évacuation de l’estomac ; le pylore peut descendre très bas. Troisième degré : le pylore peut ne pas s’abaisser davantage, mais il se forme peu à peu au-dessous de son niveau une dilatation, poche pylorique ou sous-pylorique, qui grandira progressivement, descendant de plus en plus dans l’abdomen jusqu’à pendre derrière le pubis.

Fig. 71. — Estomac vertical en place. Commencement de pèche sous-pylorique (Ziemsen).

Ces trois degrés de déformation, de dislocation de l’estomac se traduisent par des signes physiques et par des troubles fonctionnels.

Les phénomènes physiques sont peu appréciables dans les premier et deuxième degrés ; dans le troisième, on constate une dépression entre le sternum et l’ombilic, la présence de la grande courbure de l’estomac fort au-dessous de l’ombilic, le bruit de clapotage qui s’entend très bas.

Les troubles fonctionnels tiennent à plusieurs causes : les unes d’ordre purement mécanique, les autres d’ordre nerveux ; d’autres enfin ont trait aux modifications du chimisme et aux désordres de la nutrition générale. Aussi observe-t-on chez les malades un sentiment de gêne, de plénitude à l’épigastre, des coliques plus ou moins violentes, des contractions pénibles de l’estomac, des vomissements, des douleurs dorsales, lombaires, iliaques, un bruit de glouglou, des fermentations acides, de l’amaigrissement, etc., etc. ; tous symptômes qui se montrent avec des formes et une intensité très variables suivant les sujets et surtout suivant le degré de la dislocation et qui deviennent encore plus graves quand il y a, par suite de la formation de la poche pylorique, de la rétention gastrique, de la stase prolongée des aliments dans l’estomac.

Fig. 72. — Position verticale de l’estomac distendu, d’après Rosenheim Sa situation pendant le gonflement. Bord inférieur du foie.

Le corset peut donc produire de graves désordres dans le fonctionnement de l’estomac, mais le corset est-il coupable et la femme qui l’emploie mal à propos et hors de propos n’est-elle pas la plus coupable ? Je veux pour l’établir, rapporter ici une observation de la thèse du Dr Chapotot dont j’ai plusieurs fois déjà cité le travail.

Mlle J…, dix-sept ans, portait à l’âge de dix ans une simple brassière qu’elle se faisait fortement serrer. Elle garda souvent cette ceinture ainsi serrée pendant plusieurs jours sans l’enlever même la nuit. À douze ans, elle portait un vrai corset, qu’elle serrait beaucoup plus qu’on ne le fait à cet âge. Elle était gênée, éprouvait déjà le besoin de se desserrer après les repas, car elle avait du gonflement épigastrique et un point douloureux au niveau des dernières fausses côtes droites.

Fig. 73. — Estomac vertical cylindrique.

Elle n’en continua pas moins de se serrer de plus en plus. C’est de quatorze à quinze ans qu’elle fit un véritable excès de constriction ; elle s’obstinait malgré ses souffrances à se faire une taille très fine. Au bout de peu de temps, les phénomènes pénibles s’accrurent ; survinrent à l’épigastre de violentes douleurs que la malade compare à un sentiment de torsion.

Ces douleurs n’apparaissaient qu’après le premier déjeuner du matin et ne cessaient plus de tout le jour, augmentant après les repas surtout deux ou trois heures après et ne cédant qu’au moment précis où elle enlevait son corset. Elle éprouvait alors un véritable soulagement.

En même temps, elle avait de la gêne respiratoire, ne pouvait faire un effort, marcher vite, monter un escalier sans avoir non pas l’essouflement des chlorotiques, mais une suffocation, une angoisse qui l’obligeaient à s’arrêter. Le point douloureux au niveau du foie s’exaspérait ; elle éprouvait la douleur que l’on ressent au niveau de la rate après une course forcée. Elle avait aussi quelques points douloureux à gauche et quelques-uns sous le sein gauche, profondément. Après les repas, outre la sensation de plénitude, elle éprouvait encore des tiraillements, de la pesanteur ; elle était obligée de dégrafer son corset.

Sa santé s’altéra : elle pâlit, perdit l’appétit, eut des dégoûts, des perversions, quelques signes d’anémie. Elle digérait mal les aliments liquides, mieux les solides, sous un petit volume.

Il semble que son estomac réduit de volume, se refusait à recevoir une grande quantité d’aliments à la fois. Elle avait des soifs vives. Elle ne vomissait pas, ne maigrissait pas. Jamais de constipation.

Après un an de cette folle constriction, elle fut obligée, souffrant trop, de tenir plus lâche son corset. Elle n’a pourtant jamais cessé de le serrer un peu. Placée comme ouvrière, elle ne pouvait le garder pendant son travail, mais le remettait dès qu’elle sortait, ce qu’elle fait encore. Nous l’avons vue, après un repas, rougir, puis pâlir, avoir quelques sueurs, éprouver un sentiment de violente tension et des douleurs telles qu’il lui fallut enlever ses vêtements et dégrafer son corset. Alors, elle se trouva mieux. Il lui est impossible d’ailleurs de se passer complètement de son instrument de torture ; habituée à avoir le buste serré, dès qu’elle n’a plus ce tuteur rigide, elle éprouve une lassitude lombaire qui l’oblige à le remettre. C’est un fait que nous avons plusieurs fois constaté ; malgré cela, chaque fois qu’elle enlève son corset, elle ressent un grand bien-être.

Les côtes n’ont qu’un sillon peu accusé, le baril thoracique mesure, au niveau de la quatrième côte, 78 centimètres ; de la huitième, 71 centimètres : de la dernière, 66 centimètres (51 avec le corset) ; c’est donc une différence de 12 centimètres entre la quatrième et la douzième côte (de 27 centimètres avec le corset !) alors que d’après nos mensurations, il n’y a qu’une différence moyenne de trois centimètres.

Ajoutons que la malade a coutume, comme d’ailleurs la plupart des femmes, après avoir agrafé son corset, de l’abaisser, de le faire glisser en bas pour le mettre en place, augmentant encore de la sorte le refoulement des organes sous-diaphragmatiques.

À ces phénomènes franchement dus au corset se sont ajoutés, depuis quelques mois, d’autres phénomènes dyspeptiques (vomissements, etc.) que l’on peut mettre sur le compte du nervosisme qui s’est peu à peu développé chez cette jeune fille.

Son estomac est vertical, mais nous n’avons pu en préciser la forme et la situation par l’insufflation, la malade n’ayant pu supporter la sonde.

Fig. 74. — Estomac dilaté, insufflé, ne présentant pas de dislocation d’après Rosenheim.

Le foie déborde un peu les fausses côtes. Le rein droit se laisse facilement énucléer.

Cette observation se passe de commentaires, dit son auteur en la terminant. Je me permettrai au contraire d’en faire quelques-uns. Que prouve cette observation, que le corset serré à l’excès peut amener des lésions de l’estomac, mais qui soutient le contraire ? De l’avis même du narrateur, cette jeune personne était atteinte de la folie de la constriction, est-ce donc un sujet normal qui est en cause ? Non. Comparerait-on le chauffeur sérieux qui dirige une automobile avec sagesse et prudence sur une belle route droite libre d’obstacles et le maniaque dangereux qui se lance à toute vitesse dans les rues d’une ville populeuse ?

Non seulement cette jeune fille se serrait à l’excès, mais elle mettait maladroitement son corset, puisqu’elle l’abaissait sans d’une main empêcher que les organes abdominaux fussent entraînés par la descente du corset déjà agrafé. C’est cependant d’observations analogues que certains auteurs ont conclu pour faire du corset la cause de toutes les maladies d’estomac.

Fig. 75. — Schéma de la formation de la poche sous-pylorique.

Et pourtant que de femmes bien ou mal construites, ont porté longtemps un corset mal fait, maladroitement placé, sans jamais ressentir le moindre trouble dans leurs fonctions digestives.

Il est bon d’indiquer les fautes d’une coquette imprudente pour instruire les autres des dangers qu’elles courent, mais il ne faut pas que l’imprudence d’un sujet permette de généraliser et de dire que toutes les femmes sont imprudentes et que tous les corsets sont dangereux.

Au fond, c’est l’opinion du docteur Chapotot lui-même qui veut condamner surtout l’abus et qui, après de si noirs tableaux pathologiques, formule ainsi le diagnostic et le pronostic : les deux premiers degrés de dislocation stomacale ne présentent aucune gravité, souvent même ils passent inaperçus ou ne se révèlent que par des symptômes de peu d’importance qui disparaissent quand les femmes consentent à se serrer moins.

Il n’en est pas ainsi quand la poche sous-pylorique est formée. L’affection est alors presque irrémédiable ; la poche persistera toujours ; c’est un estomac forcé. On peut améliorer la situation d’une semblable gastrectasie ; on ne peut songer à la guérir. Si par malheur, les femmes n’ont pas le courage de renoncer à se faire une taille fine, même à l’âge où elles ne songent plus à plaire, les désordres iront croissant jusqu’au jour où, épuisées par les troubles de nutrition engendrées par leur folie, d’elles-mêmes elles quitteront leur instrument de supplice et se rangeront parmi les femmes raisonnables.

Fig. 76. — Dislocation totale d’un estomac normal. — Gonflement artificiel. — Le cardia est abaissé. — Vaste poche sous-pylorique due au mouvement de bascule de l’estomac en bas et plutôt à droite qu’à gauche
(D’après Rosenheim).

Il est donc urgent, lorsqu’on assiste au début d’une dislocation de l’estomac par abus du corset, de prévenir la patiente et sans tarder de prendre toutes les précautions nécessaires pour écarter le danger et ne pas permettre à la poche sous-pylorique de se former.

« Les plus grands dangers viennent, en premier lieu, de ce que souvent on fait porter aux jeunes filles un corset beaucoup trop tôt, et plus tard, beaucoup trop serré. C’est un non sens. Ce n’est pas au moment où les organes prennent leur essor, qu’on doit les comprimer outre mesure et prêter la main à la chlorose en provoquant des troubles dyspeptiques. D’ailleurs, filles ou femmes serrées au point d’avoir cette taille de guêpe qui soulevait si fort l’indignation de J.-J. Rousseau, n’excitent que la pitié, jamais l’admiration. Peut-être, si elles le savaient, donneraient-elles un peu plus de liberté à leur estomac. »

Fig. 77. — Déformation du thorax et de l’estomac, dessinée d’après nature par E. Chapotot.

Quand la maladie est arrivée au troisième degré, le traitement comporte trois indications :

1° Supprimer la cause : le corset ;

2° Diminuer la capacité de l’estomac et surtout la poche pylorique ;

3° Fournir à la malade un régime en rapport avec les modifications de son estomac.

Une autre déformation de l’estomac vaut qu’on s’arrête à la décrire, si elle n’est pas d’observation fréquente comme actuellement les dislocations, au moins a-t-elle été depuis longtemps décrite et — ce qui fait qu’elle doit attirer notre attention — depuis longtemps attribuée au corset ; je veux parler de la division de l’estomac en deux poches, de la biloculation de l’estomac.

L’estomac bilobé a été décrit par Sappey et par Cruveilhier. Les prétendus estomacs doubles ou triples observés dans l’espèce humaine, écrit ce dernier auteur dans son Traité d’anatomie, sont des exemples d’estomac unique rétréci circulairement en un ou deux points de son étendue : ce qui caractérise un double estomac, ce n’est point un rétrécissement congénital ou accidentel, mais bien une différence de structure. Au reste, rien de plus fréquent que les estomacs biloculaires, mais cette disposition (en forme de gourde de pèlerin) que l’on observe souvent sur les animaux vivants au moment de la digestion et qui est, quelquefois extrêmement prononcée sur des estomacs vides, disparait au moins en grande partie lorsque cet organe est fortement distendu par l’insufflation.

M. Laberde a démontré que tant que dure la digestion stomacale, l’estomac se divise en deux cavités par suite de la contraction des fibres musculaires obliques de l’estomac. Les aliments solides restent dans la cavité inférieure tandis que la cavité supérieure laisse les boissons passer librement dans l’intestin en longeant la petite courbure. M. Glénard dit à ce propos : j’admets jusqu’à démonstration du contraire, que cette biloculation est un temps normal de la contraction physiologique de l’estomac pendant la digestion.

Depuis, M. Trolard a publié à Alger une note où il conclut franchement à l’action évidente de la constriction de la taille pour produire cette biloculation. Le résultat que peut produire pareille constriction est bien prouvé par la radiographie qu’a bien voulu me communiquer M. G. Lion (P. IV), Sappey, Cruveilhier, M. Glénard ont toujours vu cette séparation en deux poches s’effacer par l’insufflation, mais Trolard jamais quand il a eu affaire à des estomacs ayant : « non des traces de séparation, mais une séparation bien nette ». Il ajoute : « le sillon de séparation des deux lobes de l’estomac correspond toujours exactement au sillon du foie (produit par le corset) dont il n’est en réalité que le prolongement.

M. Chapotot souligne cette description, en donnant dans son livre le schéma que nous reproduisons. Et c’est en l’examinant que je comprends plus encore pourquoi, ainsi que le dit le Dr Butin, les auteurs qui se sont occupés de ce point particulier sont en contradiction, c’est qu’il est probable que le terme biloculation ne désigne pas pour eux tous le même phénomène.

Il semble en effet, que certains ont entendu par biloculation la division physiologique stomacale et que d’autres aient voulu décrire un étranglement pathologique de l’estomac.

Fig. 78. — Figure schématique de la bilocution de l’estomac d’après Chapotot.


Fig. 79. — Fibres musculaires (obliques) de l’estomac (cravate de Suisse). Effet de la contraction de la cravate de Suisse.

Si en effet, j’ouvre le Cours de Physiologie de Mathias Duval au paragraphe où il traite de la musculature stomacale, je lis : « Il règne sur les faces antérieure et postérieure de l’estomac des fibres parallèles à la petite courbure, situées à quelque distance d’elle et se continuant d’une face à l’autre au-dessous du cardia et du pylore ; ces fibres forment donc une espèce d’anneau elliptique, de sphincter, dit cravate de Suisse, qui en se contractant, divise l’estomac en deux portions qui sont : la région de la grande courbure hermétiquement close, et la région de la petite courbure constituant un canal qui va du cardia au pylore ; ce canal se produit lors de la déglutition des liquides et ceux-ci le suivent, de sorte qu’on peut dire que leur déglutition se continue depuis le pharynx jusqu’au duodénum sans qu’ils entrent, à proprement parler, dans l’estomac. »

En expérimentant sur l’estomac des suppliciés aussitôt après la mort, Laborde (Société de biologie, 9 avril 1887), a vu que, quand on provoque une contraction énergique de la musculature, « il se produit un étranglement considérable entre le cul-de-sac et la petite courbure divisant la cavité de l’organe en deux loges dont l’une correspond et fait suite à l’ouverture cardio-œsophagienne et à la petite courbure, l’autre au cul-de-sac et à la grande courbure. Le siège de cet étranglement est exactement celui du faisceau de fibres elliptiques. »

Telle est la description de l’étranglement de l’estomac dû à un phénomène physiologique tandis que le schéma du Dr Chapotot représente un étranglement dû à une constriction anormale de l’estomac avec poche supérieure et poche inférieure, la première ne contenant que des gaz, la seconde contenant — à l’inverse de ce qui se passerait dans la biloculation physiologique — des aliments et des liquides.

Or, ainsi que je l’ai dit plus haut, nombre d’auteurs ont accusé le corset de produire la division en deux poches c’est-à-dire la biloculation et par là il faut entendre seulement la division pathologique en bissac. Cette division en deux poches produirait le bruit de glou-glou et voilà comment le corset aurait encore à sa charge la production de ce symptôme désagréable et pénible.

Les deux poches stomacales communiquant par une portion plus rétrécie, cette disposition fait que les mouvements respiratoires poussant les liquides et le gaz d’une poche dans l’autre, il se produit un bruit hydro-aérique. M. Clozier (de Beauvais) à qui il faut rapporter la paternité de cette conception originale, (Gazette des Hôpitaux, 30 octobre 1886), dit que ce bruit, perceptible à une distance de plusieurs mètres, est isochrone à la respiration.

Ce bruit de glou-glou est pour M. Butin symptomatique de la compression stomacale par le corset, c’est lui qui, bien souvent, guide le diagnostic.

Pour M. Chapotot, qui avoue cependant n’avoir sur la question qu’une expérience personnelle insuffisante, puisqu’il n’a vu que deux estomacs biloculaires, le corset est aussi le coupable.

« Sur les deux estomacs que nous avons vu bilobés, dit-il, la biloculation a cédé sous l’influence du gonflement par l’eau. L’un d’eux est représenté par la figure suivante. Notre dessin ne rend même pas avec assez de vérité la biloculation qui était plus nette, mais se trouve bien au niveau du sillon costal.

Sur cet estomac, on voyait après dilatation, une traînée blanchâtre persistante correspondant au sillon. On admettra sans peine avec nous, qu’une pression, un frottement constants sur le même point de l’estomac, puissent provoquer une irritation locale, une sorte de contracture musculaire, de spasme des fibres circulaires à ce niveau et enfin la biloculation. »

Fig. 80. — Estomac vertical avec biloculation, d’après Chapotot.

L’auteur, on le voit, fait intervenir habilement la contraction physiologique comme moyen de production de la déformation pathologique, il ne considère pas toutefois sa théorie mixte comme irréfutable, car il ajoute encore contre le corset : « Mais nous réfutât-on cette interprétation qu’importe ? En l’espèce, il est indifférent que la biloculation persiste, une fois le corset enlevé, si elle existe quand il est en place et de cela nous sommes convaincu par la lecture de deux observations de M. Bouveret.

Dans l’une celle d’une jeune femme de 26 ans, très serrée dans son corset, il y a un bruit de glou-glou dans l’hypochondre gauche : on enlève le corset, le bruit cesse.

Dans l’autre, celle d’une jeune fille de 21 ans, qui porte depuis très longtemps un corset trop serré, on constate une déformation considérable du thorax. Quand la malade est debout, on voit le ventre tomber en gourde. La malade étant debout ou assise, avec ou sans corset, on entend un bruit constant formé de deux bruits rythmés par la respiration. Pendant l’arrêt de celle-ci, cessation du bruit. Pendant l’inspiration, ce bruit se décompose en deux ou trois bruits se succédant rapidement ; pendant l’expiration, le bruit est plus long, se prolonge pendant tout le temps respiratoire. Dans la station horizontale, le bruit disparaît, même si la taille est serrée par le corset. Enfin le bruit disparaît quand on exerce une compression sous-ombilicale énergique faite avec les deux mains, compression qui refoule et remonte fortement le grand cul-de-sac de l’estomac qui est en prolapsus. »

Que prouve cette observation ? Peu de chose ; tout au plus permet-elle de penser que le corset exagérément serré est intervenu comme cause secondaire aggravante chez une jeune fille qui a présenté ce bruit anormal « à la suite d’une forte émotion causée par la mort de son père ; elle eut alors quelques troubles digestifs, du gonflement, du ballonnement et le bruit apparut ». Le docteur Chapotot ne dit-il pas lui-même en discutant ce cas : « Il est bien possible que la stricture de l’estomac soit en partie d’origine nerveuse et due à la forte émotion qu’a éprouvée la malade ». Alors pourquoi cette conclusion sévère : « Somme toute, le bruit de glou-glou est bien dû à l’action du corset qui provoque ou exagère la biloculation de l’estomac » et il termine en acceptant comme possible l’hypothèse que la biloculation stomacale favorise l’ulcère de la muqueuse gastrique, que, par conséquent, un corset serré peut provoquer ou favoriser la production de cette grave affection : l’ulcère rond de l’estomac.

Dans son livre sur les Ptôses viscérales, M. Glénard se posant cette question : L’étranglement indispensable à la production du bruit de glou-glou est-il réellement dû à la pression du corset, comme le pensent MM. Clozier, Bouveret, Chapotot, Trolard et Rasmussen, répond comme il suit : le corset peut tout au plus déterminer par l’intermédiaire du rebord costal une très légère dépression circulaire mais nullement cette atrésie nécessaire à la formation d’un bruit.

« Il est probable, d’ailleurs, que pour ces auteurs, le terme biloculation n’a pas la même signification que pour moi. Je n’ai pas le premier signalé l’existence, mais je crois être le premier à avoir proposé l’adoption de la biloculation comme un temps normal de la contraction physiologique de l’estomac. Que l’action du corset favorise ce qu’il peut y avoir d’ « anachrone » dans cette contraction, qu’il intervienne pour exciter les contractions et rendre bruyante par le fait d§ la respiration une disposition qui sans lui, resterait silencieuse ; c’est, à mon avis, tout ce dont on peut l’accuser, mais le corset ne peut pas lui-même causer la biloculation suffisante à la possibilité d’un bruit.

Le borborygme spontané est, causé par la biloculation gastrique « fonctionnelle » il est un signe de gastroptose. »

Je noterai encore ici un accident provoqué par le port du corset, il a été décrit par le Dr Albert Mathieu qui le signale comme heureusement rare. Dans la dislocation de l’estomac il y a, dit cet auteur, tendance à l’abaissement du pylore et en conséquence coudure du duodénum. Lorsque cette coudure se fait au-delà de l’embouchure du cholédoque, la bile pourrait de son poids directement tomber dans l’estomac par la première portion du duodénum et le pylore dilaté. De là, pénétration dans la poche gastrique d’une quantité considérable de bile (une malade de M. Weil en vomissait deux litres par jour) des troubles accentués de la digestion stomacale et des phénomènes d’épuisement.

Je ne saurais examiner l’influence du corset sur l’estomac sans parler des savantes recherches faites sur ce sujet par le Professeur Hayem et par le Docteur G. Lion, médecin des hôpitaux. Je tiens à rapporter ici les lignes que ces auteurs ont consacrées à cette question car celle-ci mérite que l’on s’y arrête longuement et s’il est vrai que l’excès de constriction soit de l’avis de tous considéré comme très dangereux, il faut que les femmes soient bien pénétrées de cette vérité que la constriction même non exagérée mais habituelle surtout avec un corset mal fait ou mal placé peut être désastreuse particulièrement pour l’estomac.

M. Hayem fait remarquer que toutes les causes de compression, toutes les augmentations de volume de la glande hépatique peuvent produire la dilatation de l’estomac par un procédé qu’il indique pour la première fois. Il suffit pour le comprendre de se rappeler la situation du pylore sur la partie latérale droite de la première vertèbre lombaire derrière le foie avec lequel il entre en contact au niveau du col de la vésicule biliaire. Refoulé par un lien constricteur, prenant on dedans un développement qui se trouve entravé au dehors par la résistance des côte ? lors d’hypertrophie, le foie vient comprimer le pylore ou l’anse duodénale contre la colonne rachidienne. On peut aisément, sur le cadavre, se rendre compte de cette occlusion et de la gêne à l’évacuation gastrique qui en résulte ; il suffit d’engager l’index de la main droite dans le pylore, par l’estomac sectionné, et de comprimer le foie avec la main gauche placée sur les dernières côte ? Un corset serré et portant sur le foie peut réaliser pareille compression.

Parmi les déformations thoraciques et les déplacement ? viscéraux d’ordre mécanique, écrivent MM. Hayem et Lion étudiant la maladie du corset (4e volume du Traité de Médecine} ce sont ceux que l’on rencontre chez la femme comme conséquence du port du corset qui présentent la plus grande fréquence.

Les méfaits du corset doivent être recherchés avec d’autant plus de soin qu’ils ne s’accompagnent pas toujours de déformation manifeste de la cage thoracique et peuvent passer inaperçus.

D’une manière générale il faut considérer le corset comme un instrument désastreux. Il est la cause d’un nombre considérable de gastropathies et on ne doit jamais négliger de déterminer avec la plus grande attention la part qui lui revient dans la création de l’état pathologique.

Il représente une sorte de gaine rigide inextensible qui tend à immobiliser tout le thorax inférieur et même une partie de la paroi abdominale, c’est-à-dire toute une région qui physiologiquement est soumise à des variations de forme et de volume en rapport, d’une part avec les mouvements respiratoires, d’autre part avec l’acte digestif. Dans certains cas, son action nocive dépend plutôt de l’immobilisation prolongée à laquelle il soumet ces parties que des déformations qu’il y détermine ; c’est ainsi que ses effets peuvent être nuisibles avec une cage thoracique presque normale et que, inversement, le thorax peut être très déformé par suite d’une altération pathologique telle que le rachitisme sans troubles prononcés du côté des organes digestifs.

Cet instrument est généralement appliqué chez la fera me à l’âge de douze à quatorze ans, à une époque où le développement corporel est loin d’être achevé. Il devient une habitude et ne gêne plus ou même paraît être un soutien quand il commence déjà à nuire. Les jeunes filles perdent facilement conscience de la construction qu’il exerce : elles sont de bonne foi quand elles affirment qu’elles ne sont jamais serrées, alors qu’elles portent sur le corps les stigmates d’une forte compression. L’action du corset sur le tronc est comparable à celle de cercles de tuteurs sur les arbres ; l’anneau rigide est débordé au-dessus et au-dessous par le développement du squelette et s’imprime sous forme d’un sillon plus ou moins complet. Ce sillon est surtout marqué en avant et latéralement au niveau des points les plus vulnérables, les plus tendres pourrait-on dire, de la cage thoracique.

Les résultats de la constriction sont assez variables car ils dépendent d’une part de la conformation générale de la poitrine, de l’autre, de la forme de l’appareil appliqué et de la manière dont il est posé. D’après les faits observés, Hayem rattache les déformations qui peuvent se produire à trois variétés de constriction dont les conséquences se trouvent résumées en quelques mots dans les formules suivantes :

1° Variété sus-hépatique : ptôse et refoulement des organes.

2° Variété hépatique : constriction des organes qui sont comme passés, à la filière, allongés, déformés sans être nécessairement ptôses.

3° Variété sous-hépatique : refoulement pectoral, gêne thoracique prédominance.

Ces différentes formes ne se rencontrent pas toujours à l’état isolé. Elles peuvent se combiner entre elles et l’on trouve réunies chez le même sujet les déformations des variétés hépatiques et sus-hépatiques et leurs conséquences. C’est la hauteur plus ou moins grande de la zone de compression qui règle ces combinaisons. Les corsets élégants ont une ligne de compression de 2 à 3 centimètres de hauteur, mais les corsets mal faits en ont une souvent beaucoup plus étendue. Aussi est-ce dans les hôpitaux que l’on observe le plus souvent les cas mixtes.

Il faut ajouter que rien n’est plus fréquent que de trouver à l’autopsie des femmes qui portent ces diverses déformations des brides de péritonite chronique allant de la face inférieure du foie ou de la vésicule biliaire au pylore, au duodénum ou à l’angle droit du côlon. Cette périhépatite peut encore augmenter la gêne à l’évacuation et entrer pour une part dans la production de la dilatation de l’estomac et des divers symptômes gastriques.

C’est aussi au corset qu’il faut rapporter de nombreux cas d’anorexie nerveuse. Incommodées par leur digestion qu’entrave le port d’un corset serré, les malades qui sont presque toujours dans ces cas des dégénérés héréditaires deviennent phobiques et réduisent leur alimentation à un degré extrême.

Comme on le voit, le travail du Pr Hayem et du Dr Lion trop brièvement résumé ici et qu’il faut lire en entier constitue un véritable réquisitoire contre le corset, mais il convient dans un travail où la recherche de la vérité doit être le premier souci, d’examiner avec impartialité toutes les opinions. La question en vaut la peine. C’est en effet sur l’estomac et sur l’intestin que le corset peut avoir fréquemment l’influence la plus nocive, influence qui agit directement sur l’estomac et indirectement sur les autres viscères.

Parlant de l’action du corset sur le thorax, j’ai montré que ce vêtement ne gênait pas les mouvements de la cage thoracique et par conséquent la grande fonction de la respiration quand le corset était bien placé et n’était pas serré et quand Le bord inférieur du corset ne se trouvait pas trop haut situé, mais même avec un corset bas, si ce corset est serré la fonction pulmonaire sera entravée non parce que le corset opérera sur la cage thoracique une constriction exagérée, mais parce, que refoulant l’estomac sous le diaphragme il empêchera l’abaissement de ce muscle et par là la dilatation des vésicules pulmonaires. Si au lieu d’un corset cambré la femme porte un corset droit il y aura moins de chances que l’estomac soit serré et que par conséquent il soit lui et les autres viscères que j’ai déjà étudiés : rate, foie, reins, gêné dans son fonctionnement.

Est-ce à dire que Le corset droit soit la solution rêvée et qu’avec lui il n’y ait pas de gêne possible, non certes, il faudrait pour qu’il en fût ainsi que le corset droit n’ait pas de lacet qui permette, à défaut de cambrure antérieure, de former les deux cambrures latérales. De plus le corset droit agit directement sur l’intestin et il faut avant de conclure étudier l’action du corset sur l’intestin, c’est ce que je vais faire au chapitre suivant ; en outre, même droit, le corset s’il est haut, nuira au bon fonctionnement des poumons.

Qu’il soit droit ou cambré, le corset quand il est serré comprime l’estomac et le disloque, et cette action funeste se traduit par toutes les lésions ou troubles fonctionnels que j’ai exposés plus haut. Et ces lésions et troubles fonctionnels se traduisent, à leur tour sur le visage « sur la façade » comme dit M. Degrave par des rougeurs, de la couperose, des boutons, de l’acné, de l’eczéma, etc.

« Le visage est à la femme ce que la fleur est à la plante, ce que la rosé est au rosier. Or que diriez-vous d’un fleuriste qui en présence d’une mauvaise rosé pour en obtenir une plus belle au lieu de la cultiver et améliorer le rosier s’armerait d’une palette et badigeonnerait cette même rosé de couleurs postiches ? Vous le traiteriez de fou, de trompeur, de fraudeur. Les femmes n’agissent pourtant pas autrement quand pour obtenir un frais et joli visage, elles se livrent clandestinement aux opérations laborieuses du maquillage. Avec toute une gamme, combien riche et variée, de blanc, de noir, de rouge et de bleu, elles colorent leur visage se préoccupant avant tout de ce qui se voit ou si vous aimez mieux de leur façade.

Pour accomplir cette œuvre de vanité et de mensonge les femmes ont suscité tout un art à l’édification duquel ont contribué tous les arts et toutes les sciences. C’est ainsi que la chimie leur livre ses poudres et ses peintures, bases de tous leurs fards. La physique leur prête ses piles €t son électrolyse, auxquelles la chirurgie adapte habilement ses scarificateurs les plus fins et ses stylets les plus mignons pour extirper de leurs lèvres un duvet trop insolent ou effacer des taches importunes. Tant de combinaisons ingénieuses n’aboutissent à supprimer une tache, une ride, qu’au bout de trois ou quatre mois de soins assidus et de deux heures par jour de douloureux traitements.

De sottes indiscrétions nous ont même révélé que certaines coquettes du temps présent ne répugnent pas à plaquer sur leur figure, durant des nuits entières, des tranches de bœuf crues et saignantes. Aucune eau de beauté, aucune eau de Jouvence, n’égale paraît-il, cette recette-là. Pauvres maris ! Combien plus facilement que « la plus petite ride », de pareils masques doivent servir de fosse même au plus grand amour.

Toutes considérations morales mises à part, je ne vous étonnerai sans doute point en vous assurant que les femmes dépensent fort mal", et en pure perte, tant d’efforts d’énergie, d’endurance et de patience obstinée. Construite sur une base chancelante, leur éphémère façade se fane, se ride, s’écaille et s’effrite aussitôt. Le replâtrage, voire même remaillage, puisqu’il existe, est toujours à refaire. C’est un perpétuel recommencement, un vrai supplice qu’il n’est pas exagéré de comparer à celui de Sisyphe, car, comme son rocher, leur éclat emprunté, leur beauté artificielle retombe et leur échappe constamment.

Laissez-moi donc vous rappeler à ce propos que : « Rien n’est beau que le vrai et que le naturel, et que rien aussi n’est plus durable ». N’imitez donc pas le mauvais fleuriste et, pour obtenir de jolies fleurs, cultivez la plante, soignez votre rosier.

— En vertu de la loi de subordination des organes, de même que la fleur reflète le bon ou le mauvais état de la plante, de même le visage est le miroir fidèle de l’état de santé ou de souffrance de notre organisme. Mais de tous les organes de la vie végétative, il en est qui semblent posséder à cet effet une influence prépondérante. Ce sont les organes de la digestion. Le moindre trouble de leur fonction retentit sur le visage. Une digestion un peu pénible, une constipation passagère, le congestionne, le plaque de rougeurs, dont l’apparition répétée et de plus en plus prolongée, aboutit très souvent à la couperose si redoutée de nos élégantes. La dyspepsie favorisant le développement de la séborrhée, les boutons acnéiques, les taches, les eczémas, paraissent et s’installent. Enfin toutes les dermatoses éclosent et s’aggravent sur un mauvais terrain gastro-intestinal. Et toutes ces souffrances tirent les traits, les rident, les bistrent, les jaunissent, les stigmatisant d’un sénile cachet.

Si donc vous êtes jalouses de votre teint a lis et rosés », soyez autant jalouses de votre estomac.

— Il serait trop long d’énumérer les grandes causes de dyspepsie gastro-intestinale, mauvaise alimentation, excès, privations, tout autant de chapitres d’ailleurs connus de tous. Mais il est une de ces causes qui mérite d’attirer particulièrement votre (attention, et cette cause, c’est le corset ; non pas le vieux corset d’antan dont il serait oiseux de vous parler encore mais même le corset actuel, le corset droit. »

Tout ce que je viens de rapporter concernant l’influence du corset sur l’estomac ne me permet pas encore de donner des conclusions sur l’action que le corset peut avoir sur le tube digestif en général ; mais je crois avoir assez examiné comment le corset se comporte dans ses rapports avec l’estomac pour dire maintenant quelle est, au total, son influence sur ce viscère.

Ici encore, c’est l’abus qu’ont fait du corset certaines femmes qu’il faut incriminer, c’est le corset mal fait, et mal posé qu’il faut accuser des désordres gastriques observés.

Que le corset trop serré, et de forme défectueuse gêne considérablement la digestion, qu’il favorise la déformation de l’estomac, qu’il soit pour ce viscère un facteur important de dislocation, je l’accorde, et je crois ces faits exacts, je les ai plusieurs fois observés moi-même à des degrés divers, mais que faut-il en conclure, sinon que le port d’un mauvais corset est dangereux et que sa constriction exagérée est très dangereuse, pas plus. L’usage modéré ne doit pas être incriminé, et je ne saurais proscrire pour toutes les femmes l’emploi intelligent d’un vêtement utile, parce qu’il plaît à un certain nombre de jeunes filles ou de jeunes femmes d’en faire un emploi déraisonnable, car ne manquent-elles pas de raison ces pauvres jeunes filles qui, ainsi que le raconte le Dr A. Mathieu, se retiennent de manger soit pour conserver cette finesse de taille qui fait l’envie de leurs amies, soit parce qu’étant trop serrées elles éprouvent après le repas un malaise plus ou moins considérable d’autant mieux qu’elles ont souvent, à un degré plus ou moins marqué, de la dyspepsie flatulente.

Rien d’étonnant dès lors à ce que les médecins de tous les temps se soient appliqués à signaler les dangers que fait courir l’abus du corset. Les femmes admettent sans discussion, qu’on souffre pour être belle ; avoir gagné quelques centimètres de pourtour de taille les con-sole trop facilement des troubles dyspeptiques qui gâtent leur jeunesse et compromettent leur maturité.

Le médecin qui envisage la question du corset sans passion ne songe pas à supprimer le corset, mais il voudrait que ce vêtement ne fût pas nuisible.

« L’habitude du corset trop serré est le résultat et d’une mauvaise éducation et d’une coquetterie mal comprise. Les jeunes filles, même celles qui en ont le moins besoin, considèrent le corset comme un vêtement dont il est indécent de se passer ; elles prennent l’habitude d’être soutenues par lui, tout le haut du corps reposant sur les hanches par son intermédiaire.

Elles « placent bien à tort leur orgueil dans une taille aussi fine que possible : elles ont tendance à croire qu’une taille filiforme est le trait le plus achevé de la beauté féminine. Il ne serait pas mauvais de leur faire savoir qu’il n’y a guère que les jeunes filles et les jeunes femmes qui soient de cet avis. » (Gazette des Hôpitaux, septembre 1893).