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Le Corset (1908)/09

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A. Maloine (p. 161-182).


CHAPITRE IX


L’estomac au niveau de la valvule pylorique se continue par l’intestin grêle continué lui-même au niveau de la valvule ilœo-cœcale par le gros intestin.

L’intestin grêle est un conduit musculo-membraneux qui a chez l’homme six à huit mètres de longueur ; quand il est vide, il est plus ou moins aplati, il prend au contraire une forme assez régulièrement cylindrique quand les aliments ou les gaz le distendent.

On a longtemps divisé l’intestin grêle en trois portions qui sont, en allant de l’estomac vers le gros intestin : le duodénum, le jéjunum et l’iléon ; ces deux dernières portions sont réunies maintenant par beaucoup d’anatomistes sous le nom de jejuno-ilœon.

Ces différentes parties de l’intestin sont maintenues en place par divers organes : canal cholédoque, canaux excréteurs du pancréas, etc., et surtout par plusieurs replis du péritoine.

Malgré ces moyens de fixité, les nombreuses circonvolutions de l’intestin grêle qui remplissent la plus grande partie de l’abdomen inférieur peuvent accomplir sur place toute espèce de mouvements. « Cette grande mobilité est un des traits caractéristiques du jéjuno-iléon. Toujours en équilibre instable, il est pour ainsi dire flottant dans la cavité abdominale, se déplaçant à la moindre sollicitation et sous les influences les plus diverses : contraction de ses propres parois, contraction du diaphragme ou des muscles abdominaux, changement d’attitude du sujet, réplétion et déplétion alternatives des organes creux de l’abdomen, ampliation de l’utérus dans la grossesse, production d’une tumeur, etc. Le jejuno-ilœon devient ainsi le plus mobile de tous les viscères. »

Le gros intestin est le segment terminal du tube digestif. En haut, il fait suite à l’intestin grêle dont il est séparé par une valvule, la valvule ilœo-cœcale. En bas, il s’ouvre dans le milieu extérieur par un orifice muni d’un sphincter l’orifice anal.

Le gros intestin a, comme l’intestin grêle, la forme d’un conduit cylindroïde, mais il s’en distingue par sa longueur qui est beaucoup moindre, car il ne mesure que 1m, 40 à 1m, 70 de long, par son calibre qui est plus considérable, par sa situation qui est plus régulière et plus fixe.

Envisagé au point de vue topographique, le gros intestin occupe à son origine la fosse iliaque droite. De là, il se porte verticalement en haut dans le liane droit. Arrivé au-dessous du foie, il se recourbe à angle droit (coude droit ou hépatique) et se porte transversalement de droite à gauche jusqu’à la rate. Là, il se recourbe de nouveau (coude gauche ou splénique) pour devenir descendant et gagner la fosse iliaque gauche qu’il parcourt obliquement de haut en bas et de dehors en dedans. Tour à tour ascendant, transversal, et descendant, le gros intestin décrit dans son ensemble un cercle à peu près complet dans lequel se trouve inscrite et comme encadrée, la masse flottante de l’intestin grêle.

Fig. 81. — Le gros intestin (figure demi-schématique).

Le gros intestin se divise en trois parties : 1° une portion initiale très courte en forme de cul de sac, le cœcum ; 2° une portion moyenne remarquable par sa longueur et la multiplicité de ses courbures, le colon (côlon ascendant, côlon transverse, côlon descendant) ; 3° une portion terminale presque droite, le rectum.

Le cœcum est la portion initiale du gros intestin, celle dans laquelle s’abouche l’intestin grêle. Cet abouchement réciproque ne se fait pas bout à bout comme celui du duodénum et du jejuno-ilœon. L’intestin grêle s’ouvre presque à angle droit sur la paroi latérale gauche du gros intestin et cet orifice rétréci par la valvule ilœo-cœcale est justement la limite supérieure du cœcum. Nous pouvons donc définir le cœcum, toute la portion du gros intestin qui est située au-dessous d’un plan transversal passant immédiatement au-dessus de la valvule ilœo-cœcale.

Le cœcum se trouve situé dans la fosse iliaque droite et c’est de lui que se détache le prolongement cylindrique dit appendice vermiculaire cœcal et dont l’inflammation constitue la maladie appelée appendicite.

C’est surtout par les différents replis faits à son niveau par le péritoine, que le gros intestin se trouve maintenu en place. Sa fixité n’est pas absolue, mais sa mobilité n’est pas aussi grande que celle de l’intestin grêle.

Quant aux rapports de l’intestin en général, la description anatomique que je viens de donner du tube intestinal comme aussi les descriptions que j’ai faites des autres viscères, les ont indiqués suffisamment pour qu’il soit inutile d’y revenir ; j’ajouterai seulement que chez la femme, le paquet intestinal vient appuyer sur la vessie, l’utérus, les trompes et les ovaires ; la connaissance de ces rapports, les seuls importants qui n’aient pas été indiqués précédemment, est des plus intéressantes, j’y reviendrai en parlant de l’influence du corset sur les organes génito-urinaires.

J’ai montré comment la constriction de la taille agissait sur l’estomac, que résulte-t-il de cette constriction pour l’intestin ?

L’influence de la constriction thoracique sur l’intestin écrivent les Drs Dieulafé et Herpin, se manifeste surtout par la chute de l’un ou l’autre segment de cette portion du tube digestif en particulier par des déplacements du côlon transverse et des angles coliques. Les cas de sténose relevés par Buy dans son importante étude sur le tube intestinal (thèse Toulouse 1901) sont nombreux ; on peut en trouver en tous les points du côlon transverse. Buy explique un certain nombre de cas de sténose par la constriction thoracique ; ce sont ceux où le rétrécissement siège au point où le côlon transverse est en rapport avec le bord costal, il leur applique la théorie donnée par Charpy pour expliquer les cas de biloculation gastrique liée à la contracture musculaire.

Nous croyons, continuent les auteurs précités, qu’il est possible d’expliquer par la construction thoraco-abdominale un très grand nombre de cas de sténose, et ceux-ci peuvent se grouper en deux séries :

1° Ceux où l’agent constricteur a provoqué une pression directe sur le point rétréci ;

2° Ceux où, par refoulement d’une partie de la masse intestinale, une portion du gros intestin s’est trouvée comprimée.

Dans la première série de cas le rétrécissement siège nettement au point de la constriction et est provoqué dans un cas par le rebord costal ; dans un autre cas, par l’agent constricteur lui-même, puisque la sténose est-placée dans l’intervalle costo-iliaque. Le rétrécissement est nettement constitué par un refoulement des tuniques muqueuses et musculeuses formant une valvule à la manière de la valvule ilœo-cœcale, mais, dans la constitution de laquelle entre aussi la couche musculeuse longitudinale. Ce plissement des tuniques est maintenu, fixé par les couches péritonéale et sous-péritonale qui ne participent pas à l’invagination.

Dans la deuxième série d’observations ce sont les circonvolutions et flexuosités imposées à la masse intestinale par la compression qui provoquent l’apparition de points rétrécis au niveau des angles de coudure et nous voyons, en outre, le refoulement à gauche de l’intestin grêle et de son meso, donner lieu aux sténoses les plus accentuées sur le segment du gros intestin qui est soumis à leur pression.

À l’aide de moules reproduisant la configuration de l’estomac chez des femmes de divers âges, Ziemssen a bien mis en évidence La situation de plus en plus vicieuse que donne à cet organe la constriction exagérée et prolongée de la taille par l’abus du corset : le grand axe tend à devenir vertical, l’estomac prend une forme cylindroïde qui rappelle celle du gros intestin dilaté et la région pylorique s’abaisse de plus en plus dans l’abdomen. De cet abaissement résulte un obstacle au passage de la masse alimentaire du pylore dans le duodénum ; de là l’exagération du péristaltisme stomacal, qui devient douloureux quelques heures après le repas, de là la dilatation de l’estomac et l’entéroptose consécutive. Aussi, dans tous les cas d’atonie gastro-intestinale neurasthénique de la femme, faut-il conseiller à la malade d’éviter cette constriction de la taille et, dans les cas graves, lui faire comprendre la nécessité de supprimer le corset.

En paralysant la tonicité des muscles de l’abdomen, le corset a évidemment une grande importance pathogénique dans la production de l’entéroptose et des autres ptôses consécutives et aussi de la neurasthénie qui les accompagne souvent (Dr Butin).

Le corset, agent étiologique de la neurasthénie et de l’entéroptose, voilà, certes, qui mérite l’attention !

Qu’est-ce que la neurasthénie ?

Qu’est-ce que l’entéroptose ?

« La neurasthénie est une maladie beaucoup plus vieille que son nom qui lui a été donné en 1880 par Beard (de New-York) et l’on peut en retrouver des descriptions plus ou moins complètes ou tronquées dans les auteurs anciens (Hippocrate, Galien). Les symptômes de la neurasthénie sont extrêmement variés et les modes divers suivant lesquels ils se groupent pour constituer les formes cliniques de la maladie, sont également fort nombreux. Cependant, parmi eux, il en est quelques-uns dont la constance et l’importance prépondérants sont manifestes : ce sont les stigmates neurasthéniques.

On peut en distinguer six : la céphalée, l’insomnie, l’état cérébral, l’asthénie neuro-musculaire, la rachialgie et la dyspepsie gastro-intestinale. »

Je ne donnerai certes pas une description de chacun de ces symptômes, es serait sortir du cadre de cet ouvrage, je m’arrêterai seulement à parler de la dyspepsie gastro-intestinale.

Les troubles digestifs par atonie gastro-intestinale, manquent rarement chez les neurasthéniques ; mais ils se manifestent avec une intensité éminemment variable, suivant les cas, et à ce point de vue on décrit une forme légère et une forme grave (Dr Bouveret).

Chez certains malades, ils tiennent une place tellement prépondérante, que tous les autres accidents semblent en dériver. La forme légère est commune à presque tous les cas, même les plus bénins, dans lesquels il est rare de n’en pas retrouver quelque vestige. On constate dans cette forme un manque d’appétit plus ou moins prononcé ; une difficulté ou une lenteur de la digestion gastrique caractérisées par une sensation de poids, de barre au niveau de la région épigastrique, de brûlure, de tortillement au creux de l’estomac. À cela s’ajoute un certain degré de ballonnement, le ou la malade est obligé de déboutonner son pantalon, d’enlever ou de desserrer son corset après le repas. Ou bien la formation exagérée des gaz qui se produisent dans l’estomac donne lieu à des éructations plus ou moins abondantes.

Très souvent, cet état s’accompagne d’un certain degré de gêne de la respiration, de congestion de la face et de somnolence.

Du côté de l’intestin, dans la forme légère, on observe du ballonnement, quelques coliques, sensations de barre, de corde, des borborygmes, mais le phénomène le plus important dans cet ordre d’idées, est certainement la constipation, habituelle dans la majorité des cas (Dr Georges Guinon).

Dans la forme grave, les troubles digestifs dominent complètement la scène et les symptômes nerveux sont souvent relégués au second plan. Il y a des vomissements, de la diarrhée souvent ; le malade maigrit progressivement et dépérit parfois au point que le médecin peut penser à l’existence de quelque cancer de l’estomac ou de l’intestin.

Quelles sont les causes qui provoquent la neurasthénie ? Il y a des causes prédisposantes vraies et des agents provocateurs.

Il faut citer parmi les causes prédisposantes : l’hérédité, l’arthritisme ; et parmi les agents provocateurs : le surmenage, les excès génésiques, les intoxications, les maladies infectieuses, les chagrins, etc.

Mais comment expliquer par ces causes, l’apparition de la maladie ?

Plusieurs théories ont été mises en présence : la théorie gastrique (Bouchard), la théorie de l’entéroptose (Glénard), la théorie nerveuse (Beard, Gharcot). Je reviendrai plus loin sur la discussion de ces théories, car il faut d’abord répondre à la seconde question :

Qu’est-ce que l’entéroptose ?

Je laisse la parole au Dr Frantz Glénard, de Lyon, qui a exposé à maintes reprises la théorie et les symptômes de cette maladie.

Le corset, imaginé tout d’abord pour dessiner la taille et maintenir dans une juste proportion les lignes ondoyantes du torse féminin, il lui est surtout demandé bientôt d’accentuer ces lignes et d’en affirmer la jeunesse.

Comme c’est un agent de constriction, on résistera difficilement à la tentation de pousser jusqu’à la limite où elle est supportable, au moins pendant quelques heures, cette constriction apparemment si peu nuisible.

Mais voilà le médecin qui intervient, il sait combien la compression est funeste aux organes, soit en diminuant leur volume, soit en modifiant leur forme, soit en les refoulant les uns contre les autres, soit en s’opposant au libre jeu que leur fonction nécessite ; il a observé quelles maladies provoque, quelles maladies entretient la constriction habituelle de ces organes et au nom de la conservation de la santé, il ne peut faire autrement que de proscrire le corset dont l’abus suit de si près l’usage.

Le foie et l’estomac sont déformés, allongés dans leur sens vertical, étranglés au niveau de la taille ; l’intestin est comprimé et ces organes sont entravés dans l’expansion ou les mouvements nécessaires à leur jeu physiologique. C’est une cause permanente de troubles circulatoires, respiratoires, digestifs. Les vapeurs dont se plaignent si souvent les femmes et dont on parlait tant sous Louis XV, à une époque où les femmes devaient avoir la taille fine, n’ont pas d’autre cause. La pauvre femme ne peut manger à sa faim ou bien elle étouffe. Il lui serait impossible de remettre son corset si elle le quittait après un repas. La constriction qu’elle supporte à la condition de rester bien droite parce que la moindre inclinaison du buste l’augmente encore, à condition de peu manger, de ne pas marcher, surtout de ne pas monter trop vite, serait intolérable si le repos de la nuit ne permettait à la femme d>e s’y soustraire. Les conséquences sur la forme et le jeu des organes deviennent à la longue, irréparables.

Je n’insiste pas : les méfaits du corset ont été de tout temps signalés par les médecins et pourtant jamais les médecins n’ont été écoutés, non seulement ceux qui proscrivaient absolument le corset, mais ceux mêmes qui comme Bouvier, dont le remarquable rapport à l’Académie de Médecine en 1853 fait autorité en la matière, ont reconnu que le corset pouvait être utile à la parure et à la santé et se sont élevés seulement contre ses abus.

Si donc le médecin veut être écouté, ce n’est pas la suppression du corset qu’il doit exiger, ce sont les règles de sa construction et de son application qu’il doit poser. Que le médecin formule ces règles, que ces règles soient déduites d’une théorie vraie et facilement vérifiable, que la limite entre l’usage et l’abus soit désignée par des signes précis, que cette limite, s’il est possible, soit rendue difficile à franchir et le médecin sera écouté.

Or, c’est ce qui est arrivé. Une théorie nouvelle a été proposée. C’est la théorie connue sous le nom de l’entéroptose que j’ai proposée et désignée ainsi en 1885.

L’entéroptose est une maladie, et c’est la théorie de cette maladie qui permet d’expliquer et de prévenir, sans supprimer le corset, les méfaits causés par la constriction du corset.

Vous avez toutes, parmi vos relations ou vos amies, de pauvres jeunes femmes, constamment souffrantes, malades depuis plusieurs années, qui ont en vain changé cinq ou six fois de médecin, sans trouver encore celui qui les guérisse ; elles se plaignent de tout, ont été sans succès traitées, tantôt pour une maladie intérieure, tantôt pour une maladie d’estomac ou d’intestin, ou bien comme anémiques, comme rhumatisantes, ou enfin dont on dit, en désespoir de cause, qu’elles sont des névropathes, des neurasthéniques, et que le temps seul finira par les guérir ; vainement elles suivent des cures thermales ou hydrothérapiques, vont à la montagne ou à la mer, toujours elles sont malades. Elles se soumettent aux régimes les plus variés, ne peuvent se nourrir, maigrissent, suspendent toute relation mondaine, et passent la plus grande partie de leur vie au lit ou sur la chaise longue.

Il est évident que ces malades, qui ne guérissent pas et qui tout de même ne meurent pas, ne reçoivent pas le traitement qui convient à leur maladie ; il est donc évident que cette maladie n’est pas comprise. C’est à l’expliquer que je m’attachai par ma théorie de l’entéroptose.

Je remarquai tout d’abord que, sous toutes les variétés d’allure qu’elle revêt, il s’agit toujours de la même maladie ; en effet, dans toutes les phases de cette maladie, on retrouve constamment les mêmes symptômes, par conséquent fondamentaux. Ce sont : la faiblesse, l’amaigrissement, l’insomnie, la dyspepsie, avec sensation de tiraillement, de creux, de vide, de délabrement dans la région de l’estomac, enfin l’atonie opiniâtre de l’intestin.

Mon attention étant ainsi appelée sur les fonctions digestives, je notai que, chez ces malades, l’abdomen est distendu et que la masse intestinale est réduite de calibre ; cherchant encore, je trouvai, signe absolument imprévu, que leur rein était mobile, et constatai que cette mobilité du rein était méconnue chez elles parce qu’on ne pensait pas à la chercher et qu’on ne savait pas s’y prendre pour la trouver. Il en résulta que cette mobilité du rein, considérée comme très rare et se rencontrant tout au plus chez une femme sur cent, était au contraire très fréquente ; c’était à ce point qu’on la trouvait chez une femme sur cinq et que j’ai pu, en moins de vingt ans, en voir plus d’un millier de cas, alors que jusque-là le médecin le plus occupé n’en avait jamais vu plus de 10 ou 12 cas dans toute sa carrière. C’est cette constatation, vérifiée ensuite par tous les médecins, qui bientôt devait mettre à la mode la maladie du rein mobile.

La cause de la maladie était donc trouvée, c’était parce qu’on ne combattait pas la mobilité du rein que mes malades ne guérissaient pas, et je n’avais qu’à leur appliquer la ceinture usitée contre la maladie du rein mobile. Ma joie de médecin fut de courte durée. L’immobilisation du rein soulageait les malades, mais ne les guérissait pas et surtout ce qui était décevant, c’est que je trouvai des femmes atteintes de la même maladie et qui pourtant n’avaient pas de rein mobile !

Toutefois, un fait curieux, c’est que, chez ces femmes sans rein mobile, l’application d’une ceinture apportait tout de même du soulagement ; ce qui était plus curieux encore, c’est que cette même maladie, avec ou sans rein mobile, se rencontrait parfois chez l’homme et que, chez lui aussi, l’application d’une ceinture rendait service.

Fig. 82.
Schéma (profil) de la suspension du côlon transverse à l’estomac.

Cinq coupes antéro-postérieures suivant cinq plans verticaux successifs et parallèles dont le premier passe un peu à droite du pylore, le dernier au niveau de la grosse tubérosité de l’estomac. — E, estomac ; C, côlon ; D, duodénum ; I, iléon ; Ac, arrière-cavité de l’épiploon ; Gc, épiploon gastro-colique ; W, hiatus de Winslow.

I. Le plan passe au niveau du duodénum à sa naissance. — II. Au niveau de la portion prépylorique de la grande courbure, le poids montre que le côlon (c′) est suspendu à l’estomac (E). — II′ Mct, mésocôlon transverse (doctrine de Meckel. Müller) ; les 4 feuillets étant soudés en Mct, le résultat est le même. (F. Glénard. De l’entéroptose. Lyon médical 1885).


La maladie était donc due, en partie au moins, à une cause que l’on combattait en serrant le ventre à l’aide d’une ceinture, et cette cause n’était pas la mobilité du rein, n’était pas spéciale à la femme.

Il me fut donné de faire alors ces remarques que, plus la ceinture est placée bas, plus elle soulage ; pareil soulagement était procuré même aux femmes que la moindre pression du corset faisait souffrir ; toutes caractérisaient la sensation de mieux-être constatée, en disant qu’elles se sentaient plus fortes, mieux soutenues, moins délabrées. Leur faiblesse si caractéristique n’était donc pas causée par l’anémie.

Enfin, un fait significatif me mit sur la voie. Si, au moment où la malade constate ce soulagement, on enlève brusquement la ceinture qui la rendait plus forte, elle dit éprouver une sensation de faiblesse générale, de délabrement à l’estomac comme si son ventre tombait, n’était plus soutenu comme s’il tirait sur l’estomac. Si l’on rapproche de ce fait l’observation que ces mêmes malades, lorsqu’elles souffrent, ne trouvent pas de meilleur soulagement que de s’étendre, l’hypothèse suivante devient vraisemblable : si elles souffrent, c’est que leurs organes abdominaux sont mal soutenus et ce défaut de soutien est d’autant plus marqué, que d’après les lois de la pesanteur, les organes s’abaissent davantage dans la station debout. Et précisément deux conditions anormales favorisent cette action de la pesanteur : l’intestin qui, à lui seul, remplit la plus grande partie de la cavité abdominale est plus lourd, puisque son calibre est réduit et que par conséquent l’intestin renferme moins d’air qu’à l’état normal : la cavité abdominale est devenue trop grande pour cet intestin réduit de calibre et son contenu se déplacera en masse vers les points les plus déclives. Cette hypothèse s’accordait d’ailleurs avec les sensations de creux, de vide, de tiraillement, de délabrement, dont se plaignent les malades. De telles sensations ne seraient donc peut-être pas des phénomènes purement nerveux Gemme on le croyait jusque-là, mais pourraient bien reconnaître une cause en quelque sorte mécanique.

Il ne restait-donc plus qu’à vérifier si réellement le défaut de soutien des organes digestifs peut être une cause de maladie, dans quelles conditions les organes cessent d’être mal soutenus et quelles en sont les causes. Or, la doctrine de l’entéroptose apporta successivement les démonstrations suivantes.

Le défaut de soutien de l’intestin est une cause directe de troubles digestifs. En effet, l’intestin qui mesure de 5 à 6 mètres, dont la longueur est dix fois plus grande que le trajet entre son orifice d’entrée et de sortie, est relevé de distance en distance à la manière de baldaquin ou de guirlandes qui se recouvrent les uns les autres, tantôt de droite à gauche, tantôt de gauche à droite de l’abdomen. Si l’intestin est mal soutenu, il tirera sur les points par lesquels il est relevé, ces points se trouvent tous dans le même plan sur une ligne transversale, passant au milieu du corps, précisément dans cette région du corps où le malade souffre le plus ; de cette traction à ses points de suspension résulteront donc, pour l’intestin, autant d’obstacles au libre parcours des aliments ou de leurs résidus.

Le défaut de soutien de l’intestin, dès qu’il ne remplit plus suffisamment la cavité abdominale, peut être dû, soit à ce que le contenant est devenu trop grand, soit à ce que le contenu est devenu trop petit, ce qui se traduit par la diminution de tension de l’abdomen.

Fig. 83.
III. — De suite après la portion prépylorique de la grande courbure, l’épiploon Gc ne tombe pas encore plus bas que le côlon, mais forme déjà un repli qui ne permet plus à l’intestin de tirer sur l’estomac. — IV. Au niveau de l’orifice duodéno-jéjunal, l’épiploon forme un sac suspendu en avant du côlon et descendant plus bas. La mésentérique sup. (Ms), née de l’aorte (A) et les ligaments qui l’accompagnent et qui suspendent l’Iléon (I), écrasent le duodénum lorsque le poids les place en I′. (F. Glénard, de l’entéroptose. Lyon médical (1885).

S’il est une cause spéciale à la femme qui permette d’attribuer certains cas de la maladie dont nous nous occupons à la distension primitive de l’abdomen suivie d’une trop brusque décompression, cette cause ne paraît pas la plus fréquente. Dans un grand nombre de cas, c’est la diminution du calibre de l’intestin, qui semble être la cause de la disproportion entre le contenant et le contenu. La diminution du calibre de l’intestin reconnaît deux causes : ou bien la chute brusque, sous l’influence d’un effort, d’un des points par lesquels l’intestin est soutenu, et en particulier du point intermédiaire au côlon ascendant et au côlon transverse, où le coude formé a les plus faibles moyens de fixation, dans ce cas la dislocation de l’intestin, par les troubles qui la suivent, devient une cause de réduction de calibre. Ou bien, et c’est l’étude de cette maladie chez l’homme qui nous l’apprend, la diminution de calibre de l’intestin a pour cause une affection du foie. En raison des intimes relations qui existent par les vaisseaux si les nerfs entre le foie et l’intestin, ces deux organes varient ensemble de volume avec la masse sanguine dont ils sont irrigués ; cette diminution de la masse sanguine est due au trouble profond apporté à la nutrition par l’affection du foie. Quant à cette affection du foie, elle reconnaît une des causes habituelles aux maladies de cet organe.

Fig. 84 — Schéma du mode de suspension de l’intestin.
I. Le trajet du tube digestif, représenté par deux points d’interrogation.
II. Le tube digestif décrit 6 anses : 1, anse gastrique ; 2, anse duodénale ; 3, anse iléo-colique ; 4, anse costo sous-pylorique ; 5, anse sous pylori-costale ; G, anse côlo-sigmoïdale. — Il y a six angles de soutènement : a, gastro-duodénal ; 5, duodéno-jejunal ; c, sous-costal droit ; d, sous-pilorique : e, sous-costal gauche ; f, sigmoïdo-rectal. (F. Glénard, 1885.)

Quelle que soit la cause de la réduction de volume de l’intestin, cette réduction de volume devient à son tour une cause de maladie, non seulement parce qu’un intestin dé-calibré fonctionne mal, non seulement parce qu’il tire sur ses points d’attache, et que les angles ainsi formés nuisent à la circulation intestinale ; mais aussi parce que l’intestin soutient mal les organes situés au-dessus de lui. Le petit intestin en effet soutient le gros intestin, le gros intestin soutient l’estomac, le foie, la rate, les reins. En outre, l’intestin abaissé exerce sur ces organes des tiraillements nuisibles à leurs fonctions, et, en les abaissant, les rend mobiles. Cette traction est particulièrement nuisible au foie qui est un des points d’attache de l’estomac, à l’estomac qui est un des points d’attache du baldaquin formé par le gros intestin, et au duodénum dont l’orifice de sortie est écrasé par le ligament qui supporte le petit intestin. Ainsi existe le cercle vicieux qui explique pourquoi la malade ne guérissait pas.

Les figures 82, 83, 84 montrent comment le gros intestin est dans un point de sa partie transverse soutenu par l’estomac et peut ainsi le tirer par en bas.

Telle est, dans ses grandes lignes, la doctrine de l’entéroptose ; c’est cette théorie qui a fait donner à la maladie elle-même le nom d’entéroptose ou encore, suivant l’usage, qui fait désigner une maladie par le nom du médecin qui l’a expliquée, le nom de « maladie de Glénard » sous lequel la décrivent tous les auteurs[1].

L’entéroptose est donc une maladie d’allure névropathique ou dyspeptique, caractérisée par la chute, l’abaissement, la « ptôse » de l’intestin et comme conséquence, par la ptôse des autres organes abdominaux : rein, estomac, foie, rate ; comme la ptôse de ces organes s’accompagne toujours de leur mobilité anormale, les maladies qu’on décrivait jadis comme autant de maladies différentes, telles que le rein mobile, le foie mobile, la rate mobile, rentrent donc aujourd’hui dans le cadre de l’entéroptose ; il en est de même pour un grand nombre de cas classés jadis sous le nom de dilatation de l’estomac et qui sont dus à ce que l’estomac est atonique et abaissé du fait de l’entéroptose.

Les figures permettent le parallèle entre l’état normal et l’entéroptose (Glénard).

Quels sont les moyens de guérir et de prévenir l’entéroptose ? J’en parlerai au chapitre consacré à l’étude des desiderata que doit réaliser un bon corset ; il faut, avant d’arriver à cette partie de mon travail, examiner tour ce qui est reproché au corset et discuter si ces reproches sont, fondés ou non. J’ai agi de cette manière pour les poumons, le foie, etc., je vais user du même procédé pour l’intestin.

J’examine donc si vraiment le port du corset peut provoquer la neurasthénie et l’entéroptose. Des nombreuses théories, mises en avant pour tâcher d’expliquer la subordination des symptômes dans la neurasthénie, trois, ai-je écrit déjà, restent en regard : la théorie gastrique (Bouchard), la théorie de l’entéroptose (Glénard), la théorie nerveuse (Beard, Charcot).

D’après la première, tous les troubles seraient subordonnés à la dilatation et à la stase gastrique et à l’auto-intoxication qui en résulte. D’après la seconde, tout dépendrait d’un changement dans la situation des viscères abdominaux : intestin, rate, foie, reins, etc. La troisième est celle qui nous paraît la plus rationnelle, étant donné qu’elle explique facilement tous les symptômes grâce à la présence d’une lésion dynamique primordiale du système nerveux cérébro-spinal. Ce n’est pas à dire pour cela que l’auto-intoxication et la viciation de la nutrition résultant des troubles gastro-intestinaux, que le relâchement des organes abdominaux atoniques ne jouent aucun rôle, tant s’en faut ; mais pour démontrer l’autre manière de voir, il faudrait prouver, dans tous les cas, la préexistence des troubles gastriques ou de l’entéroptose ce qui n’est nullement acquis. Et d’ailleurs, comment expliquer alors ces cas bien démontrés dans lesquels à la suite d’une émotion, d’un traumatisme, évoluent simultanément les troubles nerveux et dyspeptiques.

Enfin, en dernière analyse, les résultats de la thérapeutique dans les cas curables sont là pour montrer l’insuffisance du traitement exclusivement gastrique et de la ceinture de Glénard. Au contraire, là où la guérison est possible, le traitement nerveux réussit admirablement (Dr Georges Guinon).

Ainsi donc — c’est l’avis auquel je me range — on ne saurait attribuer d’une façon exclusive la neurasthénie à une cause unique ; le fonctionnement de l’estomac, la situation des viscères abdominaux, l’état nerveux peuvent concourir, dans des proportions diverses et variables, à engendrer la neurasthénie ; le corset ne saurait donc être le coupable unique.

Mais, s’il est coupable, en quoi l’est-il ? Il l’est en intervenant comme agent producteur possible de l’entéroptose, ce qui ne veut pas dire qu’il soit le seul agent producteur de l’entéroptose.

« La première remarque qui frappe, dit M. Glénard, dans l’étude de l’entéroptose, c’est l’extrême fréquence de cette maladie chez les femmes. Sur trois femmes qui se plaignent, de dyspepsie ou de névropathie une est atteinte d’entéroptose. En outre, cette maladie est beaucoup plus fréquente chez les femmes que chez les hommes ; sur cinq malades atteints d’entéroptose, il y a quatre femmes et seulement un homme. Cette grande fréquence chez la femme, cette différence de proportions suivant les sexes, que j’avais indiquées, ont été trouvées les mêmes par tous les auteurs qui les ont vérifiées, aussi bien en Amérique qu’en Allemagne, en Suisse qu’en Belgique, en Russie ou en Angleterre.

Quelles sont donc les causes, plus spéciales à la femme, et, si fréquentes chez elle, qui la prédisposent à la maladie par l’abaissement de l’intestin ? Il en est deux, la grossesse et le corset. En réalité, il n’en est qu’une, le corset. La grossesse peut bien être fréquemment invoquée comme une cause déterminante d’entéroptose, soit par la décompression brusque de l’abdomen qui lui succède, soit par la maladie du foie dont elle est si souvent le point de départ ; mais comme la grossesse est un acte normal physiologique, il est vraisemblable que les troubles consécutifs doivent avoir pour cause prédisposante l’abus antérieur du corset ou sa reprise ultérieure trop précoce.

Fig. 85
Direction des lignes de la pression exercés par le corset dans la station debout et dans la station assise (d’après M. Auvard).

Le corset, en effet, qui étrangle la taille, agit sur les organes abdominaux et en particulier sur l’intestin dans le même sens que la maladie entéroptose.

Il ne peut comprimer la taille qu’à la condition de déplacer les organes situés à ce niveau et ces organes ne peuvent être déplacés qu’en étant refoulés en bas dans l’abdomen.

Il ne peut guère les déplacer en haut à cause de la cloison formée par le diaphragme. Alors, la masse intestinale refoulée tirera sur ses points de suspension et par leur intermédiaire tirera sur l’estomac, sur le foie ; ces organes déjà compromis par l’action constrictive qui les allonge comme à la filière et leur impose une forme semblable à celle qu’ils ont dans l’entéroptose, réagiront à leur tour sur l’intestin ; l’intestin dont la fonction est entravée par les déviations angulaires au niveau de ses points de suspension, cessera de remplir son rôle normal d’absorption et surtout son rôle d’expulsion. Que la moindre cause de perturbation survienne, la nutrition sera profondément troublée, et c’est la maladie entéroptose qui, finalement, s’installera dans l’organisme ainsi prédisposé, avec la diminution de calibre de l’intestin, la décompression de l’abdomen et l’atonie générale qui la caractérisent.

Les figures précédentes montrent bien, par la comparaison avec l’état normal, la nature des désordres produits par la constriction du corset et la frappante analogie de ces désordres avec les désordres caractéristiques de l’entéroptose.

C’est ainsi qu’on peut s’expliquer la grande fréquence de l’entéroptose chez la femme et sa bien plus grande fréquence chez la femme que chez l’homme.

Quel enseignement tirer de ce rapide parallèle entre les méfaits du corset et la maladie entéroptose ? Une première conclusion est imposée : Le corset est nuisible quand il refoule dans le bas-ventre la masse intestinale : Il serre trop haut.

Cette aptitude est en outre dangereuse parce que le champ de refoulement de l’intestin étant libre au-dessous de la zone de constriction, le corset pourra être serré et d’autant plus serré que ce champ sera plus libre. Aussi, les femmes qui se serrent beaucoup sont celles qui ont les corsets les plus courts.

Une deuxième conclusion est la suivante : Le corset est nuisible parce que sa constriction s’exerce sur une zone trop étroite. Il ne serre que la taille.

Enfin, la physiologie nous apprend que, pendant le travail digestif, les organes subissent des changements de volume, des changements de place en rapport avec leurs fonctions : le foie, l’estomac, augmentent de volume et se portent en avant, l’intestin redresse ses courbes et se porte en haut : il en, résulte qu’une ampliation de l’épigastre doit être possible au moment de la digestion. C’est bien ce que la nature a voulu en échancrant la base de la cage thoracique au niveau de l’épigastre.

En outre, dans le mouvement de flexion du tronc en avant, c’est surtout au niveau de l’épigastre que s’accroît le diamètre antéro-postérieur de l’abdomen aux dépens de son diamètre vertical ; or, le corset qui étrangle cette région dans un anneau inextensible, nuit également et à l’exercice régulier des fonctions digestives et à la mise en œuvre de certains mouvements ; le foie et l’estomac se développent trop peu et trop haut, immobilisant le diaphragme, gênant la respiration et les mouvements du cœur, faisant refluer le sang à la tête ; l’intestin se développe trop peu et trop bas, tous ces organes finissent par devenir atones. La femme ne peut se baisser parce que la flexion du torse en avant augmente encore la constriction du corset, ainsi que le montre la figure 85, toute grâce dans les mouvements de la t’aille lui est interdite.

La troisième conclusion est non moins formelle : Le corset est nuisible parce qu’il ne se prête pas aux variations physiologiques de volume de l’abdomen. Il est trop rigide.

Ces trois conclusions si nettement déduites, ces trois causes de danger du corset sont connues depuis longtemps. Mais pourquoi ces causes sont-elles dangereuses pour la santé, voilà ce que nous apprend l’étude de l’entéroptose : « Ce n’est pas tant parce qu’il comprime l’estomac ou le foie ou les autres organes que le corset est nuisible, ainsi que l’admettent les anciennes théories, c’est parce qu’il refoule en bas la masse intestinale. « 

Ainsi, d’après cette explication, le corset serait la cause de l’entéroptose, et l’entéroptose causant la neurasthénie, il en résulte que le port du corset engendre la neurasthénie.

J’ai indiqué plus haut que la neurasthénie relevait de plusieurs facteurs pathologiques. Sans nier le rôle que l’entéroptose pouvait jouer dans sa production et dans son existence, je répète qu’il n’y a pas lieu d’établir toujours et uniquement un rapport de cause à effet entre la neurasthénie et l’entéroptose.

Même si l’entéroptose était toujours la cause de la neurasthénie, il resterait à démontrer que l’entéroptose est toujours due à l’emploi du corset avant d’affirmer que le port du corset engendre la neurasthénie.

Or, est-il vrai que le corset soit la cause, je ne dis pas unique, mais principale de l’entéroptose ? Cela semble découler des explications très claires du Dr Glénard ; qu’il me soit toutefois permis de ne pas les accepter, sinon comme très exactes, du moins comme très absolues.

Tout d’abord, je ne saurais faire jouer à la grossesse un rôle aussi peu important dans la production de l’entéroptose que celui qui lui est attribué par le Dr Glénard. De ce que la grossesse est un acte normal et physiologique, il ne s’en suit pas, et je le montrerai au chapitre suivant, qu’elle ne laisse pas et même normalement des traces profondes sur l’organisme féminin, et qu’elle n’est pas l’agent principal de distension de la sangle abdominale formée par les muscles grands droits, lesquels s’étendent verticalement de la pointe du sternum à la région pubienne des os du bassin et constituent la grande résistance aux constantes poussées des viscères et du produit de la conception. Le Pr Hayem, dans ses Leçons de thérapeutique, t. IV, estime les conclusions du Dr Glénard comme trop généralisées et il ne veut les admettre, en ce qui concerne l’estomac, que, pour certains cas de constipation ancienne et de chutes ventrales consécutives à la grossesse.

À la grossesse, il faut encore joindre les affections médicales ou chirurgicales qui, distendant la paroi abdominale, peuvent provoquer par elles seules l’entéroptose.

Pour expliquer par le port du corset la production de toutes les entéroptoses, il faudrait n’avoir jamais constaté de chute de viscères chez des femmes n’ayant jamais porté de corset, encore n’y aurait-il là, contre le corset, qu’une forte présomption.

Ce qu’il faut admettre, c’est l’influence d’un « abus antérieur du corset ou sa reprise ultérieure trop précoce » vis-à-vis non seulement de la grossesse, mais aussi des maladies qui peuvent atteindre le paquet intestinal. Ce qu’il faut admettre, c’est l’action adjuvante d’un corset mal fait, trop serré, action adjuvante qui sera d’autant plus nette et d’autant plus dangereuse pour l’intestin, que celui-ci sera prédisposé davantage à l’abaissement, à la ptôse.

Et j’insiste, encore faudra-t-il que ce corset mal fait et trop serré soit mail placé, et malgré ce qu’en dit le Dr Glénard, je pense que si le corset est placé assez bas, les organes pourront être déplacés vers le haut, refoulant le diaphragme et gênant, comme je l’ai exposé, la fonction respiratoire en gênant l’expansion pulmonaire ; certes le corset est plus souvent placé de façon à refouler l’intestin vers le bas, mais ce refoulement n’a pas lieu toujours, quelle que soit la femme et quel que soit le corset.

C’est au Dr Bouveret, qui estime, lui aussi, que le corset peut agir comme cause secondaire et encore seulement quand la femme le serre trop, que j’emprunterai la conclusion de ce chapitre : « Il est certain que l’affection de Glénard est beaucoup plus commune chez la femme que chez l’homme ; c’est que chez la femme, à deux des causes de la neurasthénie elle-même, la dilatation et l’amaigrissement, s’ajoutent deux autres causes extrinsèques plus communes encore et surtout bien plus efficaces, à savoir l’extrême distension de la paroi abdominale par les grossesses répétées et la constriction de la taille par l’abus d’un corset trop étroit et trop serré ».

Et non seulement le Dr Bouveret ne fait intervenir le corset comme cause secondaire que chez les femmes dont « le corset avait pendant de longues années comprimé et déformé la taille », mais il pense que l’entéroptose au lieu de causer la neurasthénie est précédée par elle. L’entéroptose serait le résultat précoce ou tardif de l’atonie gastro-intestinale qui procède elle-même de l’épuisement nerveux au même titre que tous les autres symptômes de cet état morbide.

La ptôse, en effet, écrit de son côté M. Burlureaux dans son livre si intéressant : La lutte pour la santé, la ptose n’est pas tout chez les ptosiques. Car enfin, pourquoi les malades ont-elles de la ptose ? C’est parce qu’elles étaient déjà déséquilibrées antérieurement, c’est parce que la sangle que forment les muscles du ventre n’avait pas la tonicité normale. Si on avait soigné la future ptosique en temps utile, alors qu’elle n’avait que des troubles vagues du système nerveux, de l’estomac, de l’intestin, elle ne serait pas devenue ptosique, elle n’aurait pas eu besoin de ceinture, elle aurait pu avoir des grossesses multiples sans avoir de ptôse. De sorte que la ceinture, comme un moyen thérapeutique d’attente. Ce qu’il faut, cet instrument si merveilleux, ne doit être considéré que c’est régénérer la malade et lui permettre de se passer de ceinture, ce à quoi on parvient quand la déchéance n’est pas trop avancée.

Ce n’est donc pas faire preuve de trop d’indulgence vis-à-vis du corset que de conclure que s’il peut, mal fait et mal mis, jouer un rôle indéniable dans la production de l’entéroptose, il ne crée pas seul toute l’entéroptose.

Toutefois cette question de l’entéroptose ne saurait être complète si je ne parlais du retentissement que cette maladie peut avoir sur la respiration. Au chapitre II étudiant l’influence du corset sur l’appareil respiratoire j’ai dit que je reviendrais sur cette étude à propos des viscères abdominaux car c’est maintenant seulement que le lecteur pourra saisir toute l’importance des considérations exposées par M. Glénard, dans un article intitulé : Mouvements diaphragmatiques des viscères abdominaux et publié en décembre 1905, dans la Revue des maladies de la nutrition.

La physiologie de la respiration nous a appris qu’il y avait deux types de respiration : la respiration thoracique, la respiration abdominale. Ces deux types se combinent suivant une loi et un mécanisme que l’auteur traduit par les propositions suivantes :

Les types abdominal et thoracique de la respiration se suppléent dans l’inspiration calme, se succèdent dans l’inspiration forcée.

L’exécution du mouvement inspiratoire d’un des deux types de respiration exige la mise en œuvre du mouvement expiratoire de l’autre type.

La physiologie du diaphragme nous enseigne que ce muscle est l’organe, le rouage grâce auxquels ces types respiratoires peuvent se combiner, se suppléer, se succéder ; il doit cette remarquable propriété à sa nature musculeuse, à ses insertions au pourtour du thorax, à sa forme en dôme, mais surtout à son aptitude d’agir tantôt comme un levier, tantôt comme un piston (Fig. 44).

Le diaphragme agit comme un levier « mouvement de sonnette » dans la respiration thoracique, comme un piston dans la respiration abdominale.

Or, cette transformation, cette double adaptation est due tout entière au degré de résistance que présentent les viscères abdominaux à l’abaissement du diaphragme pendant le mouvement d’inspiration ; que la masse abdominale résiste, elle forme le point d’appui d’un levier, dont la puissance a son application à la colonne vertébrale (piliers) dont la résistance se trouve à la base du thorax ; le mouvement de levier, exécuté par le diaphragme, soulève et, par le fait de la disposition des côtes, élargit la cavité thoracique ; que la masse abdominale, au contraire, se dérobe sous la pression du diaphragme contracté, c’est le dôme qui s’abaisse, c’est le mouvement du piston qui s’exécute ; ce mouvement de piston abaisse les viscères et la capacité du thorax gagne en hauteur ce que perd la cavité abdominale. C’est cet abaissement des viscères qui, lorsqu’il est exagéré, cesse d’être physiologique pour devenir pathologique et constitue alors ce qu’on appelle l’organe mobile, la ptose. Alors les conditions df1 fonctionnement du diaphragme se trouvent complètement modifiées par la modification de son point d’appui.

Lorsque les viscères abdominaux sont ptosés, la première conséquence qui en résulte pour le diaphragme est l’abaissement de son point d’appui. Pour trouver ce point d’appui, le diaphragme doit donc s’abaisser, c’est ce qui arrive dans l’entéroptose.

Mais si le diaphragme s’abaisse le champ de ses excursions respiratoires se trouve d’autant réduit. Par quelle compensation obvier à cette lacune ? En substituant le type de respiration thoracique au type de respiration abdominale. Mais la respiration thoracique exige dans le cas d’entéroptose une intervention de la volonté d’autant plus nécessaire, que chez le ptosique fait défaut l’action du levier du diaphragme, indispensable au soulèvement et à l’élargissement inspiratoires de la base du thorax.

L’intervention de la volonté qui nécessite un travail supplémentaire et par conséquent une perte, est évitée par la nature grâce à un autre moyen de compensation. Chez les ptosiques, la base du thorax se rétrécit, par la suppression même de la poussée excentrique des organes contenus dans la coupole diaphragmatique, cette poussée est supprimée, tant par la diminution du volume des viscères que par la diminution de la tension abdominale. En effet c’est chez les ptosiques que l’on trouve l’angle xiphoïdien le plus réduit, le rebord costal le moins proéminent.

Le rétrécissement de la base thoracique s’accompagne nécessairement, et cela du fait de la disposition anatomique des côtes, de son abaissement. Or comme la coupole diaphragmatique s’insère par sa base à la base du thorax et que d’ailleurs le sommet de la coupole ne peut s’abaisser au delà d’une limite permise par ses organes de suspension susdiaphragmatique et en particulier le médiastin, il en résulte que la flèche de la coupole diaphragmatique se trouve augmentée et que par conséquent se trouve accru le champ d’excursion du diaphragme dans le rôle de piston qui désormais se substitue à son rôle de levier ; ce rôle de piston se trouve encore accru, suivant, Kerth, par le changement d’incidence des fibres costales du diaphragme.

N’est-ce pas ainsi qu’on doit expliquer ce soulagement si remarquable qu’éprouvent les femmes ptosiques, lorsque, dans les premières phases de la maladie, elles étreignent la base du thorax avec un corset ?

Le corset augmente la flèche de la coupole diaphragmatique non seulement parce qu’il abaisse et rétrécit la base de la cage thoracique, mais encore parce qu’il refoule de bas en haut, les organes contenus dans la coupole.

Krauss démontre en effet, à l’aide de radiographies prises sur une même femme sans corset, puis avec un corset que la constriction de la taille agit de la façon suivante sur le diaphragme : « Le diaphragme, dit-il est fortement refoulé en haut, le degré de refoulement n’est pas partout également grand, en voit à la radioscopie dorsale, que les dômes sont surélevés de plus de la hauteur d’un espace intercostal, et les parties costales de presque la hauteur de deux espaces ; dans une vue de profil, la partie du diaphragme qui s’étend des piliers au bord postérieur du centre tendineux est relevé de la hauteur de près de trois vertèbres. Dans la partie sternale, la poussée du diaphragme en haut est encore plus marquée. »

Naturellement, le foie et le cœur subissent les mêmes déplacements que le diaphragme. Cela confirme bien pour le foie, l’assertion émise que dans certains cas le corset relève le foie au lieu de l’abaisser. L’estomac, lui, est redressé et tiré, le côlon transversal est abaissé.

Le corset crée donc manifestement une condition prédisposante à l’entéroptose par l’action infra-propulsive qu’il exerce sur la masse intestinale et par la prédominance qu’il nécessite du mouvement de piston sur le mouvement de levier dans le jeu du diaphragme ; mais au début de la maladie, il soulage parce qu’il accroît la profondeur de la coupole thoracique et rend plus facilement réalisables les conditions préalables de tout effort.

Plus tard, la maladie étant plus avancée, l’entéroptosique ne pourra plus supporter son corset à cause de la ptose et de l’hyperesthésie du foie et c’est alors que la sangle hypogastrique viendra soulager une malade qui aurait pu éviter ses souffrances en usant à temps et intelligemment d’un bon corset soutenant l’abdomen.

De ceci Krauss conclut qu’il faut proscrire sans aucun ménagement le corset chez la femme normale. Ma conclusion sera celle de Glénard, à savoir que le médecin devant éviter de donner naïvement une prescription qui ne serait pas suivie, il était mieux de chercher à réformer le corset. De cette réforme je parlerai plus loin après avoir étudié l’influence du corset sur les organes génitaux.



  1. On lira avec intérêt sur cette question l’analyse faite par F. Helme dans la Revue de Médecine et de Chirurgie 1906 du travail du Dr Glénard : Phrénoptose et Cardioptose.