Le Corset (1908)/15

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A. Maloine (p. 274-306).


CHAPITRE XV


Quel corset la femme doit-elle porter ?

Ce travail serait incomplet si avant de répondre à cette question je n’indiquais pas comment certains auteurs ont voulu solutionner le problème du vêtement féminin. Si leur théorie, si mieux la mise en pratique de leur théorie est acceptable, il ne sera plus utile de chercher quel corset la femme doit porter puisqu’elle aura alors pour plaire d’autres armes que le corset et que les robes modernes.

En mars 1904 paraissait dans l’Illustration un article intitulé : Une ennemie du corset, et relatant les expériences publiées dans une revue anglaise par une femme médecin, Mme Arabella Kenealy : « Un savant anglais a fait récemment une série d’expériences assez curieuses. Il a eu l’idée de faire porter des corsets à des singes, de petits corsets faits à leur taille, mais d’ailleurs exactement pareils à ceux que portent aujourd’hui les femmes. Et il a noté d’abord, chez tous les singes soumis à l’expérience, un mécontentement manifeste, — et certes bien excusable — de l’épreuve qu’il leur imposait. Puis, au bout de quelques jours, d’autres résultats se sont produits. Ceux d’entre les singes dont les corsets avaient été serrés étroitement dès le début moururent d’asphyxie. Ceux pour qui l’on avait adopté un système gradué, consistant à serrer un peu davantage tous les jours, finirent au contraire par s’accoutumer à leur supplice ; mais la plupart ne tardèrent pas à être atteints de dyspepsie, d’anémie ou de neurasthénie. Et peut-être croira-t-on que Mme Kenealy en conclut, comme on serait tenté de le faire à sa place, que l’organisme a très vite fait de s’accoutumer à tout, puisqu’il a suffi de procéder graduellement, avec ces singes, pour que, au lieu de mourir de leurs corset, ils n’en éprouvassent plus que des inconvénients, en somme, de peu d’importance. Sans compter que, très probablement, si le savant en question avait soumis à la même épreuve plusieurs générations successives de singes, l’influence de l’adaptation héréditaire aurait atténué de plus en plus, chez les petits-enfants, les inconvénients observés chez leurs grands-parents. Mais, pas du tout, ce n’est pas ainsi que raisonne la doctoresse anglaise. De ces expériences sur les singes elle conclut directement que, pour les femmes, le corset est une cause, sinon toujours de mort, au moins de la plus affreuse déchéance physique et morale. Elle nous fait un tableau vraiment sinistre des ravages produits, à tous les degrés de la société anglaise, par l’usage du corset. À l’en croire, il n’y aurait pas un seul organe que cet usage n’atrophiât ou n’endommageât sans remède : le cœur, les poumons, l’estomac, le foie, les intestins. Mais surtout elle insiste sur les désastres moraux de la mode qu’elle a entrepris de détruire.

Avec toute l’autorité de ses diplômes, elle nous précise que c’est le corset qui est responsable non seulement de la méchante humeur des femmes, mais aussi de leur « méchante langue ». Elle affirme, pour achever de nous convaincre, que toutes les femmes « supérieures » qu’elle a eu personnellement l’occasion de connaître, toutes celles qui réalisaient à un haut degré « l’idéal de leur sexe », étaient des femmes qui ne portaient point de corset, ou qui tout au moins, « ne se servaient pas du corset comme d’un moyen de constriction ». Et elle ajoute : « Si seulement les femmes pouvaient se débarrasser du corset, comme la vie de ménage deviendrait délicieuse ».

C’est là au reste une thèse qui n’a rien de nouveau particulièrement pour le public anglais. « La croisade contre le corset a pris naissance aux États-Unis, à la voix d’une féministe déterminée, Mme Bloomer, qui déjà a réussi à supprimer le corset et la jupe et à faire adopter l’usage des culottes dans plusieurs établissements d’éducation pour filles. Bien plus, elle a réussi à réformer jusqu’aux toilettes de soirées de ses disciples, et l’on a pu voir, de l’autre côté de l’Atlantique, des bals Blooméristes, où toutes les danseuses portaient d’amples pantalons d’aspect oriental. En Russie, une ligue s’est formée, en 1895, sous le patronage de la princesse d’Oldenbourg, pour combattre les pernicieuses excentricités des modes féminines. Une ligue du même genre existe en Angleterre. En Hongrie, le ministre de l’instruction publique a promulgué récemment un décret interdisant le port du corset à toutes les jeunes filles dans les écoles du royaume. Enfin, en Allemagne, en Autriche, en Hollande, sont publiés des journaux spéciaux qui mènent vigoureusement campagne en faveur d’une réforme hygiénique du costume des femmes. »

À Vienne une ligue s’est formée pour propager un nouveau costume féminin. Celui-ci consistait en un péplum modérément ajusté par le haut et s’évasant par en bas. Le vêtement serait soutenu par les épaules et non plus par les hanches. D’après la baronne Pack ce ne serait pas là un simple fourreau, mais un élégant costume qui sans dessiner les formes les laisserait deviner.

Interviewé sur ce sujet, un corsetier de Vienne, M. Maschek Palerma, répondit : « Il s’est, fondé ici un club pour la transformation de la femme : eh bien, parmi les femmes réformistes qui prônent la toilette grecque, en est-il seulement deux ou trois qui consentiraient à se montrer en public dans ce costume ? »

Mais qu’importe si le costume réforme est laid, qu’importe si cette espèce de peignoir soutenu par deux bretelles ne fait pas la femme jolie ; s’il la fait saine, l’hygiéniste sera satisfait et pourra d’autant plus prêcher contre le corset ! Or il n’en est pas ainsi si j’en crois une conférence faite par A. Moëller, rédacteur au Medical Zeitschrift für Tuberkulose und Heilstattenwesen.

Pour ce praticien qui a fait de nombreuses observations sur les vêtements en général et sur le costume réforme en particulier, qui par conséquent ne juge pas de parti pris et a une opinion appuyée sur des faits, le port de ce dernier serait désastreux principalement pour les femmes tuberculeuses et pour celles qui ont un terrain prédisposé à la tuberculose.

Le costume réforme, m’écrivait le Dr  Moëller, fait porter les vêtements par les épaules, c’est-à-dire par les parties qui sont situées au-dessus des omoplates et des clavicules.

Directement au-dessous de la peau se trouvent ici les extrémités des poumons qui représentent en général pour la tuberculose un lieu de prédilection. On suppose en effet qu’en ces points les bacilles, peuvent trouver un repos et une prospérité qui leur sont rendues difficiles plus près du centre des poumons où la circulation du sang et l’action chimique de l’air respiré est plus intense. Il est facile de comprendre que la pression des vêtements sur les épaules diminue encore plus la circulation dans les parties supérieures des lobes pulmonaires et en même temps la résistance contre toute influence dangereuse et en particulier contre les microbes de la tuberculose. Cet état dangereux est plus ou moins prononcé suivant le poids des vêtements portés et ce poids est quelquefois considérable surtout lorsqu’il s’agit du costume réforme avec longue traîne. (Quel paradoxe !) Ces constatations font que le costume réforme est contraire aux exigences de l’hygiène et nuisible surtout pour toutes les femmes ayant un système broncho-pulmonaire faible.

Maintenant se pose la question : le costume réforme offre-t-il des avantages qui puissent balancer ses inconvénients ?

Le premier avantage a-t-on répondu, c’est qu’avec le costume réforme le corset est supprimé. Or, si j’en juge par mon expérience, ajoute mon correspondant, cet argument n’est pas suffisant, car il y a beaucoup de dames qui portent encore sous leur costume réforme un corset et qui se serrent comme avant pour avoir une taille de guêpe et pour (il s’agit en ce cas surtout des femmes corpulentes) paraître aussi gracieuses que leurs amies mieux faites. Leur désir ne devient pas toujours une réalité et trop de fois ainsi vêtues ces femmes, on ne saurait le nier, ont une certaine ressemblance avec un sac de farine.

Quoique le point de vue esthétique doive être, pour moi médecin, secondaire, je reste convaincu que je partage avec beaucoup d’autres l’avis que le costume réforme est peu gracieux et va seulement bien à des femmes très bien faite. Une jeune dame de ma connaissance me faisait remarquer dernièrement qu’elle ne pouvait pas supporter le poids de son costume, qui était d’ailleurs fait d’une étoffe légère, et qu’elle souffrait constamment de douleurs dans le dos.

Dans ces conditions et jusqu’à plus ample informé, je persiste donc à penser que le costume réforme n’est pas la solution de la transformation du costume féminin.

En attendant que d’autres novateurs apportent le fruit de leurs recherches et de leurs expériences, contentons-nous avant de modifier le costume, et ne pouvant supprimer le corset, de modifier seulement celui-ci au mieux des exigences de l’hygiène et de l’élégance.

Et je pose à nouveau la question : quel corset la femme doit-elle porter ? Par là, j’entends bien dire : quel type de corset la femme doit-elle porter ?

En effet, cet ouvrage est œuvre de médecin et c’est pourquoi, je n’ai pas à recommander ici un corset à l’exclusion des autres, mais seulement à rechercher quelles sont les meilleures conditions générales auxquelles doit satisfaire un corset pour être le moins dangereux possible.

Je ne prétends pas non plus apporter la solution du problème en présentant un type quelconque de « corset hygiénique » qui serait une panacée.

Outre la suspicion de mercantilisme toujours possible avec ces sortes de tentatives, nous croyons qu’un seul individu, quelle que soit son autorité, est absolument impuissant à imposer un modèle quelconque à une génération nous pourrions même dire à l’humanité entière (Dr  Butin).

On peut diviser les corsets modernes — faits d’une seule pièce — en trois catégories suivant la région sur laquelle s’exerce le maximum de leur pression.










Omoplate. g


Sept premières côtes. h



Trois fausses côtes. i

Pancréas. j

Côres flottante k

Vertèbres lombaires. m

Os iliaque dont la partie supérieure est supprimée. n


Fémur. p

fff
fff












a Sternum.





b Foie.


c Estomac.


d Intestin.






e Utérus.

f Pubis (articulation de l’os iliaque droit avec l’os iliaque gauche.

Fig. 134. — Coupe antéro-postérieure d'un tronc féminin normal.

1° Les corsets d'une seule pièce enveloppant le thorax et l’abdomen, mais conservant la pression la plus forte à la base du thorax ;

2° Les corsets d’une seule pièce enveloppant le thorax et l'abdomen, mais avec compression plus forte sur l'abdomen ;

3° Les corsets d’une seule pièce n’embrassant que l’abdomen, et ne soutenant ni la gorge ni la base du thorax.


Omoplate. b




Pointillé suivant les lignes du corset. d

Pointillé indiquant les courbes du tronc. e

Fig. 135. — Comment le corset cambré déforme le corps.
Fig. 135. — Comment le corset cambré déforme le corps.







a Sternum.





c Foie





f Estomac déplacé.


g Intestin ptosé

Fig. 135. — Comment le corset cambré déforme le corps.

Je crois inutile de faire ici (d’une façon particulière) la critique des corsets de la première catégorie, c’est-à-dire des corsets cambrés. Au cours des chapitres consacrés à l’étude de l’influence du corset sur les viscères, j’ai suffisamment montré tous les dangers de la constriction pour que le corset cambré avec lequel on peut obtenir le maximum de constriction se trouve par là condamné sans appel.

Je n’insiste pas et j’aborde l’étude critique des corsets de la deuxième catégorie, c’est-à-dire des corsets droits.

Sur ceux-ci, M. Degrave a écrit quelques pages pleines d’humour, aussi, je laisse la parole à mon confrère : Madame de Girardin disait qu’on n’a pas la même âme en robe du matin ou en toilette du soir. De ces paroles on a tiré des déductions plus ou moins philosophiques, mais surtout littéraires, sur le rôle moralisateur de la toilette et par conséquent du corset puisque le corset reste toujours l’armature centrale de la toilette féminine. Un aimable écrivain naguère dans le Figaro exaltait cette sorte de contrainte créée par le corset qui fortifie la volonté et tonifie le caractère. De pareilles idées nous ramèneraient peut-être à la pratique malsaine des anciens cilices. Elles sont d’un autre âge. Bref, sauf votre respect, ça pue le moisi. À ces momies d’antan, tenaillées, cadenassées, étouffées, pétrifiées, je préfère certes les « emballées masquées, enlunettées, empaquetées, vêtues de peaux de bêtes » mais ivres de vent, de paysages et de vitesse que sont les automobiles modernes. Pas si empaquetées que ça, croyez-le, car au sortir de ces vilaines peaux, elles savent, au travers de leurs dentelles flottantes nous montrer des corps sains, respirant santé et beauté, vrais apanages de la vie.

Je suis d’avis en effet, pour relever les volontés débiles, qu’il est assurément des exercices plus nobles, plus louables, plus moraux, que de meurtrir et lacérer volontairement ses propres chairs et entraver ainsi le complet épanouissement de son être y comprise la grande œuvre de la maternité. Poussons à bout cette argumentation, il me serait facile d’aboutir à conclure que le corset, comme le cilice, est une arme doublement néfaste, à double tranchant, suicide et homicide, car virtuellement faiseur d’anges.

S’il est vrai qu’on n’a pas la même âme en robe du matin qu’en toilette du soir, moi hygiéniste plus prosaïque, je vois dans ces paroles l’éclatante confirmation d’un chapitre de notre pathologie, qui est la dyspepsie nerveuse, et aussi l’entéroptose, sa fidèle compagne, tellement fidèle qu’elle forme avec elle anneau de la même chaîne, l’une attirant l’autre et réciproquement.

Vous dormez mal, n’est-ce-pas, Madame ? À minuit, une heure, deux heures du matin, vous êtes en proie à un malaise quelquefois tellement angoissant que vous croyez que c’est la fin. Torturée par des pincements, déchirements, dans la région du cœur, qui palpite et s’affole, menace d’éclater, vous ressentez des aigreurs, des brûlures à l’estomac et à la gorge, vous vous asseyez, vous vous levez, vous vous recouchez, tournez et retournez dans votre lit comme jadis sur son gril devait faire le martyr saint Laurent rôti par des charbons ardents. Vous vous endormez enfin, peut-être après avoir, à plusieurs reprises, largement imploré un alcool de menthe ou de mélisse, votre arme de chevet qui ne sert, par surcroît, qu’à vous acheminer vers l’alcoolisme insidieux. Le génie du mal vous nargue encore en votre sommeil qu’il surcharge et assombrit de noirs cauchemars, de rêves pénibles.

Véritable bourreau, ce sommeil se prolonge bien avant dans la matinée, et au réveil vous constatez amèrement que ce sommeil de plomb ne vous a procuré aucun repos. Et vous vous levez fatiguée, affaissée, exténuée.

Cette lassitude, cet effondrement de votre personne ne feront trêve que lorsque vous aurez mis votre corset. Vous en concluez que le corset est bienfaisant pour vous. Et cependant n’en croyez rien, car le corset, ce faux ami, est cause de tout le mal. Le port habituel du corset a rompu, en effet, l’équilibre de vos organes abdominaux.

Sa constriction les anémie, les atrophie ; elle les chasse, les repousse hors de chez eux pour les cumuler plus ou moins loin en de nouveaux domiciles, nullement faits pour les recevoir, et dont ils distendent les parois, à tel point, que lorsque vous enlevez votre corset, le contenant, ou sac abdominal, élargi et relâché, devenant plus grand que le contenu viscéral raréfié, il se produit un vide dans votre ventre, un défaut de tension. Vos organes ballottent et dans la station debout, ils tombent, tirant sur leurs ligaments suspenseurs, branlants et allongés.

De même, habituées à la tutelle du corset, plaquées sur un squelette chancelant, toutes vos chairs, devenues flasques, manquent de ton, déclivent dès qu’elles ne sont plus soutenues, comme choit la terre glaise encore molle d’une maquette à laquelle l’artiste enlève trop vite les bandelettes qui l’enserrent. Alors vous gémirez corps et âme, tout ensemble. En vertu de la loi de symbiose, de synergie, de solidarité qui régit toutes les parties de votre organisme, et des rapports non moins étroits qui existent entre notre psychisme et notre organisme, tout votre être souffrira, car votre mentalité compatira avec votre physique, avec votre guenille. Et comme cette souffrance sera plus accentuée le matin, votre irritabilité, votre maussaderie, votre hypocondrie, votre psychasthénie, votre aboulie, atteindront à cette heure leur apogée.

Mme de Girardin avait donc raison de dire qu’on n’avait pas la même âme en robe du matin qu’en toilette du soir. C’est qu’elle était peut-être dyspeptique. La maladie du corset vivait.

Dans le principe, toutes ces manifestations morbides s’effacent et disparaissent à mesure que la journée s’avance. Vous en êtes quitte pour quelques éblouissements, quelques vertiges, quelques bouffées de chaleur, quelques vapeurs.

Vous en êtes quitte, et, vous savez pourquoi, pour à table garnir avec vos gants les verres à vins fins, repousser les mets les plus appétissants, et observer sévèrement un strict carême volontaire. Vous le faites d’ailleurs depuis si longtemps, et avec une telle ostentation, qu’on a pu dire tantôt que « l’austérité douteuse des cloîtres du vieux temps se prélasse aujourd’hui à la table des riches et l’affectation d’un jeûne perpétuel est devenue une manie de bon ton ».

Mais, avouez-le ce n’est de votre part qu’une abstinence forcée, Mesdames, édictée, puis imposée par votre affolement de sveltesse et de diaphanéité.

Vous en êtes quitte encore pour étouffer ou voiler, par une toux savamment provoquée, tous ces incommodants glouglous qui, en dépit de toute convenance, se font entendre dans votre gorge, juste à l’instant inopportun, parcourant toute une gamme musicale depuis le plus petit « ronron », qui chatouille désagréablement, jusqu’au sinistre clapotement qui vient du bout de vos entrailles et vous fait pâlir et frémir de honte et d’horreur.

Mais peu à peu, avec le temps, tous ces symptômes s’accentuent, s’aggravent, se prolongent et durent ; ils ne vous quittent plus. À ce moment le corset ne soulage pas. Ce faux ami vous abandonne.

Vous êtes une malade. Éternelle blessée, amaigrie, anémiée, vous devenez bilieuse, grincheuse, acariâtre, de mauvaise compagnie.

N’allez donc pas me soutenir, pour votre défense, qu’« on serait merveilleusement mal à son aise dans une société où tout le monde se mettrait à son aise ». Non, car la réforme de la toilette n’exclut pas la bonne éducation, ni la galanterie, ni la politesse, ni l’étiquette. Étant plus à l’aise, mais convenablement plus à l’aise, on serait certainement plus gaie, plus sincère, moins médisante ; finalement d’une fréquentation plus agréable, parce que l’on serait plus fraîche, plus robuste, moins torturée, plus libre maîtresse de soi, plus heureuse, en un mot moralement comme physiquement meilleure, la méchanceté diminuant à mesure que la santé augmente.

Vos salons seraient de ravissants édens, en majorité peuplés d’oiseaux, chantant et gazouillant en pleine liberté, même parés et musqués, et non de sombres volières encombrées de pies méchantes et de poules grincheuses.

Passant à un point de vue plus pratique, j’ajouterai, Mesdames, que, avec un corps sain meublé d’un esprit sain, vous seriez mieux armées pour la lutte de la vie, et pour la sélection naturelle ou sociale, voire même pour la guerre des sexes. Ce mode de révéler, par le plein éclat et libre épanouissement de votre être « votre type mental, votre esthétique personnelle, vos intentions profondes » vaudrait cent fois mieux qu’un air souffrant avec une taille autrement fine. Et vous pourriez alors vous recommander de réels sentiments d’altruisme car vous pourriez être plus utiles et plus agréables à votre semblable, moins renfermées que vous seriez en vous-mêmes, partant moins égoïstes.

Par ce temps de revendications féminines, à une époque où se fait sentir le besoin impérieux, la soif insatiable de liberté et d’indépendance, où la raison proteste et as-pire à briser toute entrave, où l’être naturel se rebiffe contre les conventions sociales ou mondaines qui l’ont déformé, ces considérations sont ici à leur place et ne sont pas à dédaigner : stigmate d’esclavage, carcere duro, le corset ajoute à l’infériorité naturelle de la femme et d’autant plus regrettable que celle-ci est consentie, voulue. Apôtres du féminisme, démolissez donc avant tout cette nouvelle Bastille, ou bien transformez-la !!! Que ce soit un confortable et secourable palais, non plus une prison !

Il serait injuste, il est vrai, de ne pas reconnaître les importants progrès qui se sont réalisés dans l’industrie du corset. On ne peut que louer les efforts admirables de ces ardentes réformistes qui se doublent d’incomparables fées du chiffon. Nous ne voyons plus guère aujourd’hui, sur les dames soucieuses de leur santé, et de leur beauté, ces affreux instruments de torture qui gonflant le ventre comme une outre, séparant nettement le corps en deux, le faisaient ressembler à un grotesque et ridicule sablier.

La vraie place de ce corset d’antan est désormais au Musée de Cluny, à côté des corps piqués et des cuirasses de fer de la maléfique Catherine de Médicis.

Néanmoins le dernier cri de la mode n’est pas encore le dernier cri de l’hygiène ni de l’esthétique. Le corset droit a sans doute l’avantage d’avoir allongé la taille, il adoucit, il moule mieux la cambrure des reins. La zone de constriction n’est plus si étroite, et par conséquent moins à craindre. Malheureusement, ses défauts sont plus nombreux que ses mérites.

1o D’abord, dans sa partie antérieure, le corset droit remonte généralement trop haut. Il ne dégage pas assez la région épigastrique. Fidèle à la tradition, c’est un glouton qui veut encore trop embrasser et se préoccupe toujours trop de porter aide et protection à « ces coquins de pendards », comme les appelait Voltaire, tellement pendards, hélas ! qu’ils ont le plus souvent besoin de remplaçants ! C’est que le corset pour ne plus être thoracique, et il le faut absolument, doit renoncer définitivement à soutenir les seins. Ce rôle, si on tient tant à le conserver, doit être réservé au soutien-gorge indépendant.

2o En second lieu, le corset droit abuse de sa droiture. Si, comme l’ancien corset, il ne repousse pas le ventre de haut en bas, il appuie trop sur lui, et, sous prétexte de le dissimuler, l’écrase comme ferait un étau posé d’avant en arrière. Cette pression brutale traumatise les intestins, les chasse, les disloque ; bref, elle produit la vraie déventration, qui se révèle pathologiquement par tous les signes de l’entéroptose, de la dyspepsie et des névropathies dont je vous ai déjà indiqué le sommaire tableau. Cette pression néfaste s’étend ici principalement sur le plancher périnéal, faisant sourdre varices et hémorroïdes, énucléant, prolabant vessie, utérus et tout l’appareil génital, de telle sorte que le dernier cri à la mode, qui est de ne plus avoir de ventre, aboutit à la grève, inconsciente mais réelle, des ventres, au sens de la maternité.

3o Pressurés, les intestins trouvent une sortie, une échappée sur les côtés du bord inférieur du corset. En cet endroit le ventre déborde, formant besace ; et cette fuite immodérée, cette diversion sans limites, permet ad libitum d’exagérer la constriction. Il en résulte que le corset droit serre trop.

J’en conclus, au point de vue de l’hygiène, que le corset droit ne vaut rien. Il me reste à l’apprécier sous le rapport de l’esthétique.

La santé et la beauté devant être unies par des liens indissolubles, l’esthétique confirmera d’abord la précédente sentence portée par l’hygiène contre le corset droit. Au point de vue de l’esthétique, je puis donc d’ores et déjà vous répondre : le corset droit vous rend souffrante, il ne peut donc que ternir, altérer et dédorer votre beauté ; le corset droit vous rend malade, il ne peut donc que vous rendre laide ; si vous restez encore belle malgré lui, je vous réponds que vous seriez encore plus belle sans lui et que vous le seriez bien plus longtemps.

Je pourrais m’arrêter là ; mais je veux poursuivre plus avant ma critique sur l’esthétique du corset droit.

1o  S’il est instrument de gêne, une sorte d’étouffoir de la santé et de la vie, le corset droit n’en est pas moins un instrument de mensonge. Il ment à la nature, car trop souvent il masque, déforme et enlaidit les beautés naturelles de la femme.

Plus on s’écarte de l’habit de nature, plus on pèche contre le goût. En d’autres termes, « l’art doit s’inspirer de ce qu’il voit et il est d’autant plus parfait qu’il reproduit mieux la réalité ». Ce qui revient à dire, avec Platon, que le beau est la splendeur du vrai.

Or, nous savons que la ligne vraie chez la femme est la ligne courbe. C’est ; elle qui domine et caractérise l’anatomie plastique de la femme. C’est cette ligne qui lui donne la grâce, le charme, ce je ne sais quoi de moelleux et de caressant qui subjugue, enveloppe et attire. C’est que la ligne courbe est la ligne de beauté.

C’est donc cette ligne que l’art du vêtement doit conserver, copier, mouler et faire valoir extérieurement. Par l’idée de rectitude et de redressement que son nom implique, le corset droit est donc inesthétique. Il l’est aussi de fait puisqu’il aplanit, enfonce même, la douce convexité naturelle de l’abdomen.

2o  En second lieu, pour être réellement belles, les courbes de l’argile idéale, ne doivent pas être immobilisées, figées, inertes et rigides comme marbre, mais souples, animées, ondoyantes. C’est cette impression qu’ont voulu rendre les nombreux peintres qui ont représenté Vénus sortant de l’onde, les formes de la femme doivent conserver toute la flexibilité, toute la liberté d’allures, dont la nature les a douées. Tout mouvement doit leur être possible, et ce pouvoir latent doit se laisser deviner même au repos. Les formes de la femme doivent révéler extérieurement la force qui les anime, qui palpite sous elles, c’est-à-dire la vie et son frissonnement, ce qui manque à certaines statues pour être parfaites.

Or, sous la gêne du corset droit, le corps de la femme acquiert de la rigidité. Il se cabre tout entier, il se raidit, se contracture devant cet obstacle qui mutile et broie ses entrailles. Immobilisé, tendu, jeté en arrière pour contrebalancer l’équilibre perdu, en cette attitude guindée, le corps de la femme, ensellé et tétanisé, ne garde aucune de ces séductions serpentines qu’il possède naturellement et en font la beauté.

En résumé, avec le corset droit, on obtient une poupée plus ou moins mal articulée et seulement en certains sens et en certaines limites, mais on n’a pas une poupée réellement vivante.

À vous, Mesdames, qui portez le corset droit, je puis donc dire comme Louis Legendre :

Le grand chic est un esclavage
Et le grand chic est d’être en bois.

(Je tiens à noter ici pour être complet, que depuis la publication de ces lignes, une corsetière a cherché à augmenter la faculté des mouvements avec le corset droit en inventant un busc à coulisse permettant à la femme de se plier en avant).

3o  Enfin j’ai déjà dit que le corset droit serre trop ; je le répète, puisque en créant des tailles trop fines, le corset droit va à l’encontre de cette loi essentielle de l’esthétique qui exige l’harmonie des proportions.

On trouve cette harmonie chez la Vénus de Milo et chez la Vénus de Médicis, qui cependant n’ont pas la taille fine. C’est que le nombre de centimètres à la ceinture importe peu pour la beauté. Ce qui importe, c’est la silhouette, c’est l’ensemble, C’est l’harmonie.

Vous péchez donc contre l’esthétique, Mesdames, quand, sans considération pour l’ampleur du reste du corps, vous serrez exagérément votre taille au point de faire déborder des hanches luxuriantes qui pourraient parfois rivaliser avec celles de la Vénus hottentote ou Vénus Callipyge.

N’oubliez pas que la coquetterie est l’art de se faire belle et qu’une des principales conditions de l’esthétique est l’harmonie des proportions. Si donc vous voulez être belles, ne cherchez pas la taille fine, méfiez-vous du corset droit.

L’esthétique comme l’hygiène, condamne donc le corset droit.

Il ressort de cette étude que le vice capital du corset droit est de ne pas être abdominal d’une façon efficace. Je sais bien qu’il a la prétention de l’être. En réalité, il ne l’est pas du tout. Vous avez beau remonter franchement l’abdomen en tirant la chemise par en haut, pendant que l’autre main retient le corset par en bas, votre abdomen ne tarde pas à glisser sous la pression de ses tenailles, comme vous échappe un noyau pressé entre deux doigts.

C’est que pour devenir réellement abdominal, le corset ne doit plus être droit. Il faut que sa partie antérieure et inférieure soit légèrement incurvée dans le seins de la courbe naturelle anatomique du ventre ; qu’il moule, reçoive et soutienne le ventre de bas en haut. Alors, seulement le corset pourra se recommander de l’hygiène et de l’esthétique. Alors seulement, il méritera l’étiquette élogieuse d’écrin féminin, parce qu’il n’abîmera pas et n’écrasera pas les perles qu’il renferme.

Lisez aussi dans la Vie Parisienne sous la signature « Le Renard Noir » les récriminations, plaisantes dans la forme, mais si justes dans le fond, d’une femme qui, devant une amie, maudit les corsets droits. Elle est allée les considérer dans leur appartement, là, dit-elle derrière des paravents, maintes femmes s’ébrouent tant qu’elles sont en chemise, puis on apporte l’instrument de supplice, tous lacets ouverts, on vous pose cela autour des hanches, puis on vous le descend ma foi, jusqu’aux genoux ; ah ! je te promets bien que tout ce qui doit rester caché ne peut guère faire autrement ! Puis on attache, très serrés quelques paires de cordons aux bas ; enfin l’essayeuse plonge ses mains, faisant office de louches, entre le corset et le corps et ramène tout ce qu’elle peut trouver de chair au-dessus de l’armure ; on l’y soutient et on lace en faisant montre de toute la force dont on est dépositaire. La femme ainsi fagotée, certainement n’a plus de ventre, tout au moins à la place que lui assigne le Créateur, on a capté ce ventre, mais pour le placer, débordant entre l’estomac et le cœur. Elle n’a plus de jambes non plus la pauvre dame, plus d’espace entre la taille et les hanches, on dirait qu’elle veut avec sa bosse servir d’affiche-réclame pour le journal anglais The Punch… C’est la mode ou plutôt c’était la mode, on en revient…

Le corset droit appelé encore corset pelvi-thoracique a réalisé cependant et très certainement un grand progrès sur l’ancien corset cambré ou sus-omibilical, puisqu’il ne permet pas à la femme de se serrer autant la taille ; malheureusement, il ne s’est pas contenté de contenir l’hypogastre, il l’a écrasé par son buse droit et rigide.

Les corsets de la troisième catégorie ou corsets abdominaux doivent-ils être préférés aux corsets des deux précédentes catégories, de suite, je réponds oui, leur mode d’action doit, en principe, être préféré.

« Le rôle principal du corset doit être de soutenir les vêtements et d’empêcher la constriction des liens autour de la taille, de façon à éviter le refoulement des viscères vers le bas sous l’influence de cette constriction.

Fig. 136. — Un tronc féminin vêtu d’un corset abdominal

Pour cela il doit être placé autour de la taille puisque les vêtements se divisent à ce niveau ; mais il importe de bien préciser les points exacts sur lesquels on peut l’appuyer. La surface qui s’offre pour donner cet appui au corset mesure plusieurs centimètres en hauteur n’étant protégée par aucune paroi rigide, excepté du côté de la colonne vertébrale, elle est vulnérable sur presque tout son pourtour. Des organes placés à ce niveau peuvent exceptionnellement et sur ce point seulement être serrés et tassés l’un contre l’autre par une pression circulaire à laquelle rien ne s’oppose et dont les femmes ont abusé de tout temps (Dr  Degrave).

Les viscères situés dans cette région insuffisamment défendus contre les violences extérieures subissent ces violences, mais c’est au détriment de leur bon fonctionnement.

La première indication qui doit être mise en relief dans l’étude d’un corset hygiénique consiste non pas à diminuer ou à supprimer la constriction de la taille, mais à empêcher qu’elle puisse s’exercer en aucune façon. Voilà quel est le point le plus important. Immédiatement au-dessus de cet espace interosseux se trouve la base de la cage thoracique constituée par les fausses côtes et les cartilages costaux. Ces organes essentiellement mobiles sont destinés à assurer les mouvements du poumon, par conséquent l’intégrité de la fonction respiratoire ; il est indispensable d’affranchir les fausses côtes de son contact et de libérer de toute pression ces deux régions de l’épigastre et du thorax essentiellement mobiles.

Le rebord osseux qui limite le pli de la taille est par comme formé d’os extrêmement résistants. Ces os fournissent une protection complète aux organes placés dans la cavité qu’ils limitent ; leur solidité permet parfaitement qu’on s’appuie sur eux. Aussi après avoir exclu les deux autres régions comme impropres à fournir un appui à un vêtement qu’on veut et qu’on peut serrer, il était naturel de choisir la région du bassin et de s’appuyer sur elle, puisque la résistance qu’elle peut opposer à une constriction extérieure est plus que suffisante pour que les organes internes n’en soient pas influencés (Dr  Gaches-Sarraute)

C’est d’après ces idées très justes qu’ont été construits la plupart des corsets abdominaux proprement dits, malheureusement ceux-ci ont trop sacrifié le point de vue esthétique si bien que très peu de femmes sur la quantité de celles qui portent corset, l’ont définitivement adopté.

« Avec le corset sous-ombilical les femmes avaient dû sacrifier leur profil féminin et adopter pour en dissimuler les défauts cette blouse flottante qui formait une sorte de voussure régulière du cou au pubis, formant au-devant de l’abdomen une bosse conique et pendante comme celle de Polichinelle. »

Je ne retiens pas comme un reproche sérieux adressé au corset abdominal de ne pas soutenir les seins, il suffit pour remplir ce but que la femme, vêtue de ce corset et ayant des seins développés porte un soutien-gorge.

Par contre dans des cas pathologiques, ptoses, tumeurs, le corset abdominal peut constituer au point de vue orthopédique un excellent soutien.

Le corset cambré étant déclaré par tous dangereux, le corset droit étant reconnu comme faussement hygiénique, le corset abdominal étant peu esthétique sauf chez la femme normalement faite, (et j’ai montré combien de causes s’unissent pour détruire la beauté du corps féminin quand elle existe), on a cherché à résoudre le problème autrement et on a créé des corsets formés de deux parties distinctes, l’une thoracique, l’autre abdominale.

Fig. 137. — Corset abdominal
Établissements Farcy et Oppenheim

Ces corsets peuvent être rangés en trois catégories dont je vais décrire quelques modèles tout en spécifiant bien une fois de plus que je n’entends pas recommander un modèle plutôt qu’un autre.

Dans la première, je comprendrai les corsets composés de deux pièces séparées l’une de l’autre par une solution de continuité au niveau de l’estomac et reliées entre elles en arrière.

Le dos étant d’une seule pièce, le serrage, même s’il est fait avec deux lacets, commande les deux parties qui ne sont pas indépendantes et travaillent mal lorsque la femme se plie. De plus, dans la région antérieure, les tissus non maintenus font entre la pièce supérieure et la pièce inférieure une saillie, une protubérance plus ou moins disgracieuse selon le degré d’adipose de la femme et qui peut être douloureusement pincée entre les deux pièces du corset dont les mouvements de flexion en avant du corps.

Fig. 138. — Corset abdominal
(Établissement Farcy et Oppenheim)

Je classe dans une deuxième catégorie les corsets formés de deux parties superposées : tantôt c’est la partie thoracique qui repose sur la partie abdominale, tantôt cette dernière recouvre la précédente sur une certaine étendue. Il n’y a pas comme dans les modèles de la première catégorie d’espace libre entre les deux parties, mais il y a comme dans ces modèles dépendance des pièces abdominale et thoracique.

On trouvera dans le tome I de cet ouvrage, le Corset, Étude Historique, des figures de corsets de ces deux catégories ; on n’y trouvera pas par contre de reproduction des types de corsets de la troisième catégorie dont je vais parler pour cette raison que le créateur du premier de ces types et que ceux qui ont créé des modèles analogues n’avaient pas encore fait connaître leurs inventions lors de la publication de la première partie de mon travail.

Fig. 139 — Corset Pelvien par A Claverie (ouvert).

Cette catégorie comprend le genre de corset dans lequel la partie thoracique et la partie abdominale sont reliées ensemble au moyen de coulisses et de glissières, mais qui restent indépendantes dans leur serrage aussi bien que dans leurs mouvements quand la femme se fléchit d’avant en arrière ou d’un côté à l’autre. Dans ce modèle, il y a obligation de placer la partie abdominale la première et de la bien lacer avant de pouvoir placer le corset thoracique. En vertu de ce principe « qu’il ne faut pas adapter la sangle à un ventre préalablement corseté, mais adapter le corset à un ventre préalablement sanglé ». La femme peut porter la sangle abdominale seule mais ne pourrait, sans se blesser, porter seule l’autre partie du corset, la partie supérieure thoracique. Quand la femme porte le corset entier l’imbrication des deux parties empêche tout pincement des tissus. L’avantage de ce système, j’entends comme toujours fait sur mesure, est l’indépendance des deux parties.

Fig. 140. — Corset Pelvien de A. Claverie posé. Breveté S. G. D. G.
(affection de l’Abdomen}

Les lecteurs désireux de connaître ces modèles dans tous leurs détails pourront consulter les brevets, numéros 341.688, 341.749 et 349.860, en date du 26 juin 1904 ; 29 mars 1904 et 7 juin 1904.

J’estime suffisant, ne voulant m’immiscer dans aucune discussion commerciale, de publier les très intéressantes figures 138, 139, 140, 141, que je dois à l’amabilité de M. Abadie-Léotard, de MM. Farcy et Oppenheim et de MM. Bos et Puel (successeurs de Claverie) de pouvoir reproduire ici.

Dans le corset de M. Abadie et du Dr  Glénard la sangle est toutefois au point de vue de son action comprise d’une façon assez intéressante pour que j’y insiste.

« Au cours de ces dernières années tous les nouveaux modèles de ceinture abdominale qui ont été proposés : Gaches-Sarraute (1885) ; Kortz, Monféuis (1897) ; Fischer, Burger (1898) ; ceinture antiptosique de Jayle (1900) ; ceinture de la Pitié d’A. Robin (1901) ; ceinture de Sigaud (1902) ; ceinture d’Ostertag (1902) ; bandage pelvien ou plutôt caleçon de Bracco (1904) obéissent aux principes fondamentaux de la sangle pelvienne : aplatir et relever l’hypogastre, embrasser les hanches, avoir une constriction indépendante à leurs diverses zones », cette constriction variable étant réalisée de façons diverses soit par la coupe de la ceinture, soit par la nature des matériaux.

La sangle abdominale en effet peut être faite en tissu composée d’un tissu caoutchouté dans la hauteur de l’appareil inégalement et de telle façon que la force du bandage soit dégressive de bas en haut ; une forte constriction pouvant, au niveau des os du bassin, s’exercer sur la région sous-coxo-épineuse, une moyenne agissant sur la région coxo-épineuse, enfin une faible réservée pour la région sus-coxo-épineuse.

La sangle abdominale en effet peut être faite en tissu caoutchouté, il n’en est pas de même pour le corset.

Fabriqué avec des tissus de ce genre sans solution de continuité le corset provoque un échauffement et une moiteur de la peau particulière et il gêne le fonctionnement de la surface cutanée. En effet, « la peau respire et elle exige cet échange constant avec l’air extérieur pour remplacer l’air qui était à son contact. De cette condition dépend la fonction normale physiologique de la peau, fonction qui joue un rôle important dans l’excrétion, la peau étant au même titre que le rein un vaste émonctoire à travers lequel s’échappent les matériaux de déchet qui proviennent des combustions organiques ».

Cette observation toutefois perd de sa sévérité quand il s’agit de remplacer dans un corset une ou plusieurs parties — minimes dans leur ensemble — par du tissu en caoutchouc.

« Le corset appliqué exactement au corps, car autrement il ne pourrait le soutenir, même employé très modérément, emprisonne presque le tiers de l’organisme dans une fermeture hermétique. Outre la constriction nuisible il met toute cette surface de la peau dans les conditions physiologiques les plus mauvaises. Cette peau ne peut pas respirer, ne peut pas agir comme émonctoire des déchets organiques. Par conséquent dans les parties les plus serrées, elle se ternit, prend une teinte sale et devient plus ou moins rugueuse, avec amaigrissement et atrophie de la paroi. »

Le corset devrait être fait d’un tissu souple, baleiné légèrement, qui moule la femme, ce qui ne veut en aucune façon dire que le corset doive être fuit d’après un moulage.

C’est pourquoi on a essayé d’employer des tissus à mailles, soit que l’on ait fait des corsets tissés d’une seule pièce « corsets sans coutures dont les mailles jouent entre elles comme des anneaux enlacés les uns aux autres », soit que — ce qui est d’un prix de revient moins élevé — on taille dans le tissu à mailles pour couper et établir un corset suivant, les règles habituelles. De tels corsets élastiques sans caoutchouc conservent à la femme la souplesse de ses mouvements et l’ondulation de ses lignes ; malheureusement ils ne trouvent l’indication absolue de leur emploi que lorsqu’ils sont faits par une corsetière connaissant bien et son métier et la coupe spéciale à ces tissus et habillant une femme sans adipose.

On a reproché aussi à ces corsets d’être d’un prix assez élevé que vient augmenter une déformation rapide quand ils sont portés par une femme obligée de se mouvoir beaucoup et de se livrer à ses occupations ; les progrès de la fabrication tendent toutefois à diminuer de plus en plus l’importance de cette objection.

Contrairement à ce que l’on pourrait penser, ce n’est pas l’absence de baleines qui rendrait un corset hygiénique, s’il faut que ce corset soit léger encore faut-il que le tissu qui le compose soit soutenu. En effet « les corsets à tissus trop souples sont dangereux et contraires au plus simple bon sens hygiénique. Non seulement ils ne donnent pas à la femme l’élégance de formes qu’elle recherche, mais encore leur mollesse permet aux liens des vêtements de comprimer la taille. Mieux vaut, un corset à baleines plus résistantes, bien flexibles pour permettre aux mouvements leur aisance ; mais à la condition de proscrire les corsets dits « tout faits » qui façonnent le buste à leur gré au lieu de se plier aux formes du corps. Le plus sûr moyen d’éviter tout désordre, c’est donc d’avoir un corset fabriqué exactement sur la mesure des formes naturelles. Ces mesures doivent être prises sur le nu et non pas sur un corset déjà en place, comme on le fait habituellement. Il va sans dire que jamais il ne sera serré (Chapotot).

La prise des mesures sur le nu a toutefois cet inconvénient que la cliente ayant les chairs plus ou moins fermes, quand elle vient la première fois, il faudra plusieurs essayages pour que le corset soit au point. Un moyen terme consiste à prendre mesure sur un corset porté, mis au point, mais non serré.

Je n’insisterai pas sur la question de l’étoffe, car il importe peu que le corset soit fait en coutil, en soie, en rubans, en tissu à mailles etc., un seul point me paraît intéressant, c’est la nécessité d’employer en général des tissus inextensibles puisqu’ils ont à s’appliquer sur des parties inextensibles elles-mêmes. On ne doit pas compter sur les déformations du tissu pour obtenir l’adaptation aux formes qu’ils ont à recouvrir, puisque cette déformation peut dépasser les limites prévues. (Citons en passant les corsets en rotin tressé.)

Le contact entre l’étoffe et les saillies osseuses doit être obtenu par la coupe des pièces composant le corset, c’est une question d’adresse. Si l’emboîtement des os se fait bien exactement, le corset reste bien en place, la solidité de l’étoffe devient une condition de résistance.

Jamais les tissus ne paraissent durs quand ils sont bien appliqués ; et pour qu’ils soient bien appliqués le corset ne devra pas dépasser certaines limites. C’est ainsi qu’il ne doit pas monter trop haut de façon à ménager à l’estomac une place libre dans l’épigastre. Toutefois il y aura toujours lieu de couper le corset de telle façon que le busc à la partie supérieure ne vienne pas s’engager sous le sternum et blesser ainsi la femme qui s’incline en avant. La partie inférieure du busc sera convexe légèrement de façon à épouser la courbure normale de l’abdomen. Le bord supérieur du corset sera tenu un peu lâche pour permettre le mouvement aisé des côtes.

En arrière, le corset adoptera la cambrure de la taille afin de ne pas gêner le redressement du corps. En avant, il ne doit pas présenter de partie rétrécie au niveau de l’épigastre, de façon à ne pas couper en quelque sorte la cavité abdominale et à ne déplacer aucun viscère.

Enfin, il descendra jusqu’au pubis et s’appliquera en s’arrondissant légèrement à la partie abdominale et assez intimement pour tenir lieu de ceinture et présenter ainsi aux viscères abdominaux un point d’appui suffisant, soit à l’état de repos, soit dans les efforts que nécessitent les exercices violents. Quand il s’agira de corset de sport, celui-ci, très souple, devra être de dimensions très réduites et adopter plutôt l’aspect d’une ceinture que celui d’un corset.

Il n’est toutefois pas suffisant d’indiquer que le corset cambré doit être proscrit, que le corset droit ne mérite pas l’approbation « des sommités médicales » comme le proclament nombre de prospectus de commerçants, et que le seul corset à tolérer est le corset abdominal. Il faut encore indiquer dans quelles conditions les meilleures on réalisera avec ce corset la possibilité d’allier les exigences de la médecine et celles de la coquetterie.

Fig. 141. — Corset de sport de A. Claverie.

Tout d’abord et cela semble presque inutile à dire, mais je préfère insister sur ce point, tout d’abord, il faudra que le corset soit fait sur mesure, c’est une première garantie contre « les méfaits du corset » pour employer l’expression de Mlle le Dr  Tylicka. Ajouterai-je que le corset ne doit être fait que par des gens du métier.

Il faudra ensuite que le corset soit bien lacé. Examinons d’abord où seront placés les lacets : devant ou derrière. S’il ne s’agit pas d’une personne malade, c’est le laçage en arrière qui est le plus généralement adopté : « le laçage devant n’est pas fait pour autre chose que pour donner de l’aisance aux personnes souffrant de l’estomac, du foie, etc., etc. ; de tous temps, les corsetières ont appliqué ce mode de laçage pour toutes les personnes atteintes des diverses affections citées plus haut et aussi et avant tout, pour les femmes enceintes ; cette application prouve donc bien que le laçage ainsi placé est fait pour être relâché et non pour servir de serrage au corset.

La gymnastique à laquelle sont obligées les personnes portant de ces corsets et la difficulté qu’elles ont à obtenir que leurs buscs soient au milieu du corps, le temps qu’il faut passer pour mettre toutes ces choses en place et surtout l’agrément d’avoir à repousser sous le lacet les petits bourrelets de chair qui ressortent toujours d’une façon moins qu’appétissante et suggestive à l’œil, suffirait à en dégoûter les plus ferventes.

Mais à côté de cela, et avant cela surtout, il y a la question d’hygiène, car ce laçage fait une pression et une pression directe sur les organes essentiels. Il est vrai que ces inconvénients du laçage en avant seront bien diminués si les diverses parties du corset ne laissent pas entre elles un écart suffisant pour permettre une constriction abusive.

Il doit du reste en être ainsi, même avec le laçage en arrière. Il est nécessaire que les deux parties du corset non serré appliquées sur le corps laissent entre elles en arrière un très minime espace ; ceci pour deux raisons : l’une, parce que le corset étant ainsi ajusté vêtira plus élégamment la femme et la blessera moins, les tiges postérieures plus ou moins rigides au niveau desquelles sont percés les œillets ne se déformeront pas, ne tourneront pas et ne se déplaceront pas, meurtrissant la femme d’autant plus que des bourrelets de peau, de graisse, de chair se glisseront entre les lacets. L’autre parce que moins la femme aura la possibilité de se serrer avec ses cordons, moins il y aura lieu de craindre l’étranglement des viscères par la constriction du vêtement et il y aura d’autant moins de possibilité de se serrer qu’il y aura moins d’espace en arrière entre les deux parties du corset.

Il est certain que la constriction de la taille sera peu facile si le corset est abdominal et ne remonte pas trop haut et qu’au lieu de serrer dans l’espace qui sépare les fausses côtes de la crête iliaque, on serre sur la crête iliaque elle-même, néanmoins, il est indispensable d’exposer et d’une façon bien nette comment une femme doit lacer son corset. Cette explication pour être précise ne sera pas longue et elle sera des plus claires si l’on examine outre les figures 142 et 143 empruntées à M. Abadie Léotard la figure parue dans le tome I de cet ouvrage, page 176.

Fig. 142. Schéma montrant l’action du laçage horizontal avec un corset cambré

Je pose d’abord ce principe que le corset est lacé d’une façon maladroite et dangereuse chaque fois que le laçage dorsal apparaît comme affectant la forme de deux V dont l’un inférieur, renversé, et plus petit, aurait sa pointe dirigée vers le haut et accolée à la pointe du V plus grand placé au-dessus de lui.

L’ensemble des laçures du corset pour être normal doit avoir la forme d’un seul V à pointe inférieure très allongée.

S’il arrive qu’une femme objecte : mais ce laçage ne tient pas ainsi fait et par les mouvements il se modifie de telle sorte que la partie supérieure du laçage ne reste pas la plus large comme vous le voulez pour laisser bien libre l’expansion de la partie inférieure de la cage thoracique, je lui réponds : fixez votre lacet par quelques points, tant d’un côté que de l’autre, au niveau des œillets supérieurs.

Un corset est pour moi serré quand le lacet dénoué à la taille, les parties supérieures du corset s’écartent l’une de l’autre sous l’influence d’une inspiration aussi profonde que possible.

Pour réaliser le laçage normal et sans danger, il faut que ce soit au niveau des œillets inférieurs et non au niveau des œillets de la partie moyenne que s’opère la traction ; il en résulte qu’instinctivement, dans le second cas, la femme tire sur les lacets en écartant les bras du corps, en les allongeant, et en les élevant. De cette différence de mouvements, il résulte une direction différente des lacets ; dans un cas le laçage défectueux est horizontal, dans l’autre le laçage est oblique de bas en haut. « Le serrage horizontal est toujours condamnable, qu’il se réalise au moyen d’un lacet unique placé en arrière, quel que soit le mode de laçage, ou bien avec un double lacet placé en avant, ce qui peut être encore plus nuisible, ou même qu’il se dissimule sous couleur de serrage accessoire comme dans certains corsets qui portent quatre œillets supplémentaires à près de huit centimètres au-dessus des crêtes iliaques.

Si nous examinons la fig. 142, nous constatons que toute la force du serrage se fait sentir sur une même ligne horizontale : c’est-à-dire, que nous trouvons le point de résistance au creux de l’estomac ; les points d’appui sur les fausses côtes et autour de la base du thorax ; la puissance derrière la troisième vertèbre lombaire. Par conséquent le point de résistance et les points d’appui étant compressibles et mobiles, plus la force sera grande, plus le point de résistance s’approchera du point de la puissance.

Les fausses côtes mobiles fléchiront, s’incurveront de dehors en dedans, la capacité thoracique diminuera de plus en plus selon la force de serrage et celui-ci deviendra même intolérable lors des mouvements de flexion du corps en avant.

Tous les organes qui remplissaient la base du thorax se trouveront comprimés de telle sorte qu’ils fuiront où ils pourront, au-dessus ou au-dessous de la zone devenue trop étroite. »

Avec le laçage oblique, au contraire, on serre dans une direction telle que la force agit à l’instar des muscles droits et que le corset soutient efficacement la masse intestinale sans soulever ni relever les viscères.

Je sais bien qu’en conseillant aux femmes de placer plus bas qu’elles ne l’ont fait jusqu’à ce jour avec les corsets cambrés ou droits la ligne suivant laquelle elles tendent les lacets, elles répondent que d’une part leur taille est moins fine, et que d’autre part le corset ainsi placé bas et serré obliquement glisse, remonte et blesse.

Fig. 143.
Schéma montrant l’action du laçage oblique avec un corset droit

Que la taille soit moins fine, c’est là un argument auquel je ne veux pas m’arrêter ; les dangers de la taille, devenue filiforme sous l’influence du corset, ont été trop longuement étudiés au cours de ce travail pour que j’y revienne ici ; et en outre cet argument, qui tombe devant les considérations physiologiques précédemment exposées, ne tient pas même devant les considérations esthétiques, je l’ai déjà montré et le montrerai encore dans la suite.

Reste la deuxième objection, à savoir que le corset ainsi placé bas et serré obliquement glisse, remonte et blesse. La réponse est facile. Si le corset est abdominal, fait sur mesure et bien fait, il ne remontera pas sous l’influence du serrage, et si le laçage était fait si maladroitement que le corset remonte, celui-ci ne pourrait être toléré, et il faudrait alors placer convenablement le corset et le serrer modérément et rationnellement.

Du reste pour empêcher la tendance qu’a tout vêtement ou appareil placé sur l’abdomen de remonter sur le thorax, on ajoute toujours à ces vêtements ou appareils des accessoires dits sous-cuisses ; pour le corset la femme dispose d’autres accessoires très utiles, ce sont les jarretelles, qui sont fixées aux bas.

C’est pourquoi je recommande toujours de mettre son corset de la façon suivante : le délacer très largement, le placer à volonté sur le corps par une ou deux agrafes, puis fixer les jarretelles ; dégrafer ensuite le corset ; appliquer alors soigneusement de bas en haut le corset sur les régions qu’il devra occuper définitivement, une fois la femme habillée, puis procéder au laçage comme je l’ai expliqué plus haut.

Jamais, et je le répète, jamais une femme ne doit appliquer Sur son corps un corset à peine délacé, qui après avoir été agrafé sera descendu sur l’abdomen en tirant sur les parties latérales inférieures du corset. En agissant ainsi, la femme tiraille tous ses viscères, les déplace en les attirant par en bas et augmente les dangers de la constriction en faisant agir celle-ci sur des organes primitivement tiraillés et descendus par cette dangereuse manœuvre.

Glissant ses mains dans son corset, non encore complètement agrafé, la femme pourra d’une main relever légèrement, s’il y a lieu, la partie inférieure de son abdomen, mais non pas comme je l’ai lu : soulever des deux mains toute la masse de son ventre, afin de la remonter le plus possible vers la taille. C’est aussi bien déplacer ses viscères que de les faire saillir en masse au-dessous de la ligne de constriction d’un corset cambré, que de les faire surgir en bosse de polichinelle à la partie supérieure d’un corset droit.

« Le clou de la mode doit être, non de ne point avoir de ventre, mais d’avoir le ventre à sa place normale ».

Je voudrais que les femmes soient bien pénétrées des principes et des explications que je viens de donner, elles sont le résultat non pas de ma seule expérience personnelle, mais mieux encore de celle de médecins distingués et de corsetières intelligentes.

Malheureusement je n’ai pas seulement à lutter et avec moi ceux qui ont déjà combattu ce bon combat contre l’ignorance de la femme en la matière, mais contre la routine de certaines corsetières, et il faut bien le dire contre la sottise masculine.

D’abord la routine. Que de corsetières en effet n’admettent ni un conseil, ni une indication quand cette indication provient d’un concurrent, quand le conseil est donné par son médecin. On peut comprendre à la rigueur qu’une corsetière prône exclusivement ses modèles les vantant à sa clientèle comme excellents ; mais ce que je ne saurais admettre, ce sont des réponses telles que les deux suivantes et qui peuvent être citées comme deux modèles du genre.

Désirant un jour me rendre compte au point de vue médical des mérites d’un corset, je priai son inventeur de m’en montrer un type ; une ouvrière apporta un corset et la corsetière de chanter les louanges de sa création et de terminer par ces mots : du reste à Paris, il n’y a pas en dehors de moi une seule maison qui sache réussir un corset. Tous les corsets autres que le mien ne signifient rien.

Et combien de réclames lancées dans le public ne sont pas moins prétentieuses !

Et combien sont rares ceux qui osent écrire avec simplicité et modestie en décrivant un de leurs modèles : « Nous n’avons pas la prétention en présentant un corset type de le proclamer comme le seul bon, le seul capable de réunir les qualités demandées ; nous sommes cependant convaincu que nos efforts n’auront pas été vains ».

La deuxième réponse est encore bien typique. Une fois une malade va chez une corsetière avec une lettre de son médecin renfermant quelques indications sur la forme que devait avoir le corset en raison de la santé de la cliente.

La corsetière jette un coup d’œil sur la prose médicale et conclut : laissez-moi faire, je vous ferai le corset qui vous est nécessaire, votre médecin n’y connaît rien. Ai-je besoin d’ajouter que justement surprise, la malade se retira sans passer sa commande.

Est-ce à dire que pour faire un bon corset il soit nécessaire d’avoir une ordonnance médicale, est-ce à dire que pour avoir un bon corset il sera nécessaire que la corsetière soit absolument éclectique et n’ait pas un modèle à elle ; non certes, mais il est nécessaire que, pour les grandes lignes, l’accord soit complet entre la mode et l’hygiène ; il est nécessaire que la corsetière veuille bien reconnaître comme indiscutables, et sans les interpréter d’une façon fantaisiste, certaines lois physiologiques, certaines indications médicales générales, de son côté alors, l’hygiéniste passera condamnation sur des questions de détail, sur des questions de façon qui sont de moindre importance et qui ne sont pas de sa compétence. Je ne fais du reste aucune difficulté de reconnaître que les clientes ne sont pas toujours faciles à satisfaire et que leurs exigences parfois ridicules obligent les corsetières à exécuter des modèles qu’elles n’auraient jamais créés de leur plein gré.

Qui dira, m’écrivait l’une d’elles, toutes les combinaisons imaginées par les malheureuses corsetières pour contenter leurs clientes. Je vous assure que la tâche n’est pas sans difficulté !

Quant à la sottise masculine, parlons-en maintenant car il faut lutter contre elle ; et pour que la femme puisse réaliser le maximum de commodité avec le maximum d’élégance, il faut, — l’accord du médecin et de la corsetière étant complet, — il faut que l’homme se mette de la partie.

La femme, je l’ai prouvé et je me suis appuyé sur de suffisantes compétences, pour que je puisse dire que je l’ai bien prouvé, la femme ne veut qu’une chose, plaire. Les hommes s’étant extasiés sur les femmes à taille fine, les femmes se sont dit : faisons-nous des tailles fines. Or, au fond cela est absolument égal à l’homme que sa compagne ait une taille plus ou moins fine. À quelques centimètres près, l’homme n’y regarde pas, ce qu’il veut c’est avoir une femme élégante et désirable, rien ne lui étant plus sensible pour son amour-propre que de sortir avec une femme dont on remarque la grâce ou la beauté.

En veut-on la preuve, considérez les corsets droits. Sans qu’on puisse y contredire, le corset droit augmente sensiblement le tour de taille que dessinait sur un même sujet le corset cambré ; eh bien, les femmes sachant s’habiller ne sont-elles pas restées malgré cela élégantes et désirables ?

Il y a donc dans cette question du corset, à combattre la routine sous différentes faces, et je reconnais que cela n’est pas chose aisée. Je ne demande pas à la femme la suppression de son corset, il lui est utile pour soutenir le poids des vêtements, que lui imposent les coutumes de nos régions, il lui est nécessaire pour se défendre contre les années qui apportent avec elles les maladies, et emportent avec elles la fraîcheur de la jeunesse ; il lui est indispensable dans sa lutte sexuelle.

Par contre, je demande à la femme de ne plus être une « snobinette de minceur » de serrer moins son corset et d’écouter plus les bons conseils ; qu’elle ait en résumé un peu moins de folie et un peu plus de docilité. Que si c’est là un résultat difficile à atteindre, et cela apparaît ainsi à beaucoup, unissons nos efforts :

Vous, corsetières, en ne mettant pas votre amour-propre à dire à vos clientes que votre modèle de corset réduit leur taille et leur fait gagner un ou deux centimètres sur le modèle établi par telle ou telle concurrente. Là n’est pas votre rôle, faites un corset qui ne fatigue, ni ne blesse la femme et si ce corset est bien fait, soyez sans crainte, la couturière saura toujours, si elle a du goût, faire une toilette mettant en valeur les qualités physiques de sa cliente et dissimulant les défauts de son anatomie. Et puis est-ce que les modes dans la toilette ne peuvent pas changer tant que l’on voudra, sans qu’il soit besoin de toucher au principe même du corset. Ayez d’abord un bon corset, et si vous avez une bonne couturière vous serez à votre aise et vous pourrez être élégante.

Nous, médecins, dans nos cabinets de consultation en multipliant les avis et en attirant l’attention de nos clientes sur la façon de se vêtir chaque fois que le corset nous paraîtra jouer un rôle étiologique dans la maladie pour laquelle on nous aura consulté, chaque fois qu’il paraîtra même devoir être un danger, fût-il éloigné, pour la santé que l’on nous confie.

Enfin, vous maris ou amants, en ne répétant pas à tout propos et surtout hors de propos à vos compagnes lorsque passe près de vous une femme à la taille mince : Oh ! la jolie taille ! Vous parlez ainsi sans raison, car vous qui venez de vous exclamer sur l’exiguïté d’un tour de taille, vous seriez désolé de contempler nu le corps de votre femme ou de votre amie bâtie comme vient de vous apparaître vêtue la passante dont vous avez admiré la forme.

Il est vrai que dans l’immense majorité des cas une femme est moins belle de lignes que son corset ne la fait paraître ; mais il n’en résulte pas qu’elle serait bien faite si son corps était tel que le moule son corset. « Devenez donc artistes et déclarez hautement que les tailles de guêpes sont laides puisque la nature ne les a pas faites ainsi ».

Lors donc que entre le médecin, la corsetière et l’homme, l’entente sera parfaite sur la nécessité qu’il y a de faire comprendre à la femme qu’elle ne doit pas se serrer, peut-être ce jour-là, la femme se laissera-t-elle convaincre ; je dis peut-être, car qui oserait se vanter à l’avance qu’il convaincra une femme.

Elle sera plutôt alors touchée — car mieux vaut s’adresser à son cœur qu’à sa raison — par les arguments réunis et concordants de ceux auxquels elle devra d’être saine, d’être belle et d’être aimée.