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Le Corset (1908)/Préface

La bibliothèque libre.
A. Maloine (p. 5-8).


PRÉFACE


Le Dr O’Followell m’a fait promettre de présenter au public le second volume de son ouvrage sur le corset. L’amitié que j’ai pour l’auteur et l’intérêt que m’inspire le sujet font que je trouve dans l’accomplissement de ma promesse une double satisfaction.

Dans le tome premier, consacré tout entier à l’histoire du corset, M. O’Followell a fait œuvre d’artiste et de fin lettré ; dans le tome second, qui comprend la médecine et l’hygiène, il nous donne sa mesure d’homme de science.

Que vous feuilletiez ou que vous lisiez l’étude historique, vous serez charmés par le goût qui a présidé au choix et au groupement des illustrations, ou captivés par la clarté, la vivacité et l’élégance du style. Si vous entreprenez la lecture de l’étude médicale et hygiénique, il vous faudra dépenser plus d’attention, certaines parties, pour être bien comprises, devront vous arrêter plus ou moins longuement, mais ici encore, le même goût artistique, les mêmes qualités du style, qui se fait de plus persuasif, et tend à vous communiquer une conviction que vous sentez toujours sincère, vous aideront à approfonndir sans fatigue les passages les plus difficiles.

La question du corset considérée au point de vue de la médecine et de l’hygiène, est fort complexe. M. O’Followell nous la fait envisager sous toutes ses faces, il rapporte et discute toutes les opinions qui ont été émises à son sujet, mais il ne faudrait pas croire qu’il se confine dans le rôle trop étroit de compilateur. À tout instant, son originalité se dégage, soit qu’il donne son avis motivé pour clore la discussion d’un point controversé, soit qu’il apporte un aperçu nouveau étayé par les résultats de son expérience ou ses recherches personnelles.

La thèse qu’il soutient est la suivante :

Le corset est un appareil dangereux, mieux peut-être serait-il de le supprimer, mais dans l’état actuel de notre civilisation, étant donné le costume moderne, étant donné le rôle dévolu à la femme dans la société, il reste indispensable.

Du reste, le corset n’est pas dangereux par lui-même, il n’est dangereux que parce qu’il est imparfait, mal adapté au corps auquel il est destiné, et serré à l’excès. S’il cause de graves désordres, ce n’est pas lui qui est le coupable, c’est la femme qui en fait abus.

Le corset inoffensif, le corset idéal, tout au moins médicalement parlant, peut exister et il le démontre.

Et tout d’abord, dans une série de chapitres méthodiquement et scientifiquement conçus, se trouvent exposés tous les méfaits du corset.

C’est sur le squelette que se fait sentir en premier lieu cette influence nocive. On lira avec profit les pages originales où M. O’Followell étudie la configuration extérieure de la cage thoracique et établit qu’elle est doliforme (dolium, tonneau) et que sa partie inférieure comparable à un tronc de cône renversé est celle qui doit trouver sa place dans la partie supérieure, évasée par en haut, du corset. C’est sur cette région que s’exerce la compression quand l’adaptation est défectueuse ou le serrement excessif. Des planches radiographiques, rendues démonstratives grâce à une disposition imaginée par l’auteur, permettent de se rendre compte des déformations produites et de comparer les dispositions que prennent les côtés du même thorax suivant qu’il est emprisonné dans un corset mal fait, mal lacé, trop serré, ou soutenu par un corset sans défaut.

Comme corollaire de l’étude de ces déformations thoraciques, viennent les troubles de la fonction respiratoire. Des expériences personnelles ont permis à l’auteur d’établir que toujours le corset trop serré abaisse notablement la capacité respiratoire et de mesurer cette diminution qui peut varier de 300 à 1.000 centimètres cubes.

Vient ensuite une longue et consciencieuse étude des troubles fonctionnels, des déformations et des déplacements que le corset peut entraîner du côté des différents viscères abdominaux : cœur, foie, rate, reins, estomac, intestins, organes génitaux. Tout ce qui a été écrit sur ces importantes questions, toutes les théories qui ont été émises à leur sujet se trouvent exposées avec le soin et les détails désirables et avec la plus grande clarté. À chaque pas, M. O’Followell fait œuvre d’habile critique, quand il s’efforce de faire la part des désordres qui reviennent réellement au corset et de ceux qui lui ont été attribués inconsidérément.

Peut-être cependant va-t-il parfois un peu trop loin dans cette voie. Prenons par exemple les déplacements des reins. M. O’Followell prétend que le plus souvent le corset ne joue dans ces déplacements que le rôle d’une cause adjuvante dont l’action ne fait que s’ajouter à celles d’autres causes telles que l’accouchement, l’affaiblissement de la paroi abdominale, l’amaigrissement, etc. Pour ma part, j’aurais plutôt tendance à renverser les facteurs. J’ai observé, à ce point de vue, une grands quantité de femmes portant le corset et je suis arrivé à cette conviction que la ptôse rénale est tout aussi fréquente chez celles qui n’ont jamais eu d’enfants que chez celles qui en ont eu un ou plusieurs, et cela en dehors de tout état pathologique sérieux ou d’amaigrissement considérables. Les accouchements, la disparition du pennicule adipeux, n’interviennent que secondairement pour exagérer les déplacements. Il en est de même du relâchement de la paroi, qui du reste succède le plus souvent soit à la grossesse, soit au port du corset, comme l’auteur l’établit lui-même dans son chapitre XI quand il traite de l’influence de ce vêtement sur le développement et sur les muscles de l’enfant.

Les troubles et les malformations déterminés par le corset une fois exposés, M. O’Followell nous montre pourquoi la suppression de ce vêtement, si désirable qu’elle puisse paraître, n’est pas possible. Il établit d’abord ce que le type de la beauté plastique chez la femme a de relatif, comment il a varié avec les époques et avec les artistes, que s’il y a des femmes qui présentent toutes les proportions et toutes les formes de la beauté parfaite, ces femmes sont l’exception, enfin que la beauté elle-même est fugace, qu’elle est non seulement en butte aux atteintes de l’âge, mais encore à celles qu’elle reçoit journellement du genre de vie, de l’alimentation défectueuse, des maladies, des grossesses, etc. Or la femme veut plaire, elle le veut par instinct, obéissant aussi inconsciemment à la loi naturelle qui pousse l’être humain à se reproduire, et pour plaire, elle doit s’efforcer de rester ou de paraître belle. De là tous les moyens employés pour corriger les défauts du corps, pour compléter ou remplacer la beauté par la grâce et l’élégance. Entre tous ces moyens, le corset joue un rôle capital !

Le corset ne pouvant être supprimé, il faut le réformer. L’ancien corset « cambré devant », qui enveloppe le thorax et l’abdomen, comprimant le premier à sa base, repoussant le second de haut en bas est condamné sans appel.

Le corset dit droit que la mode a substitué au précédent depuis quelque temps a réalisé un grand progrès, il serre moins à la taille, il dégage en partie l’épigastre, mais il comprime l’abdomen et l’écrase d’avant en arrière au lieu de le remonter.

Le corset abdominal ou pelvien, qui prend son point d’appui sur le rebord résistant du bassin, supprime la constriction de la taille, laisse toute leur liberté aux fausses-côtes et aux cartilages costaux et soutient les organes abdominaux au lieu de les refouler par en bas ou de les comprimer d’avant en arrière, paraît posséder toutes les qualités désirables.

Le principe de cette dernière variété, peu gracieuse dans son type absolu, qui n’embrasse que la région inférieure de l’abdomen ne soutient pas les reins et fait bomber en avant les régions sous-ombilicale et épigastrique, a permis de créer différents modèles de corsets qui répondent à la fois d’une façon sinon parfaite du moins plus satisfaisante aux exigences de l’hygiène et de l’esthétique. Il y aurait encore à signaler bien des points intéressants dans le nouveau volume de M. O’Followell, mais je pense que l’aperçu que je viens d’en donner suffira à en montrer toute l’importance. Complément attendu du volume paru en 1905, il constitue avec lui un véritable traité du corset.

Dr LION,
Médecin des hôpitaux de Paris.